mardi 30 avril 2024

Le dernier festin des vaincus (Estelle Tharreau)


[...] Une Indienne a disparu la nuit du réveillon.

L'auteure, le livre (250 pages, 2023) :

Estelle Tharreau est une auteure lyonnaise coutumière des polars appelés à servir une juste cause.
Avec Le dernier festin des vaincus, elle a choisi de nous emmener dans les terres des indiens Innus en Amérique du Nord pour y évoquer un sujet de sinistre réputation : les mauvais traitements (quel euphémisme) infligés aux enfants indiens dans les pensionnats catholiques.
Une violence institutionnelle au service de la purification ethno-culturelle et de la colonisation blanche.
Les excuses et indemnités ne sont arrivées qu'en ... 2021.
[...] « Tu sais que le taux de suicide chez les autochtones est cinq fois supérieur à la moyenne nationale. Que leur taux d’incarcération est plus élevé. Qu’une femme autochtone a dix fois plus de risque de se faire assassiner. Que 1181 d’entre elles ont disparu . 1017 ont été retrouvées mortes et 164 restent introuvables…
– Fiche-moi la paix !
Un thème que l'on avait déjà exploré avec les remarquables romans et nouvelles de Joseph Boyden.

♥ On aime beaucoup :

 On apprécie que l'auteure prenne son temps pour installer les différents personnages d'une petite ville perdue au nord du Québec non loin d'une réserve indienne : le chef de la police indienne, l'animatrice féministe d'une radio locale, le chef de tribu, des familles ravagées par l'alcool et la drogue, quelques blancs aussi, le maire et le flic de la ville, un riche notable propriétaire d'une cabane de chasse, ...
Deux jeunes également (un étudiant blanc à l'enthousiasme naïf et ambitieux, une indienne au passé sombre et mystérieux) qui viennent de la capitale pour réveiller la bourgade étouffée dans ses silences.
Des personnages un peu trop stéréotypés mais c'est nécessaire pour la démonstration.
Les indiens adultes et parents d'aujourd'hui, ce sont les enfants brimés, battus et violés dans les pensionnats catholiques : toute une génération perdue incapable de retrouver une vie familiale et sociale "normale", incapable d'apporter amour et éducation à la génération suivante.
 Une fois que le lecteur a fait la connaissance des forces en présence, il ne manque qu'une ou deux allumettes pour exacerber la tension larvée qui couve sous la neige. Ce sera l'annonce de l'implantation d'une scierie industrielle et la disparition d'une jeune indienne.
 On a beaucoup aimé en dépit de la noirceur des destins que l'on croise ici : une lecture agréable, une intrigue solide, un contexte documenté et bien exploité.

Le pitch :

Dans ce microcosme enneigé, on annonce l'installation d'une grande scierie industrielle qui va bouleverser l'équilibre précaire d'une région déjà meurtrie.
[...] L’âge d’or des scieries familiales était révolu et laissait ces habitants du dernier jalon avant la toundra dans un isolement géographique, économique et social toujours plus profond. Les aides et subventions de la capitale étaient des mesures cosmétiques qui n’empêchaient nullement la lèpre de la pauvreté de se répandre. Les Innus avaient été les premiers à en faire les frais. Les Blancs leur emboîtaient le pas dans la douleur.
Dans le même temps, Naomi, une jeune indienne, est portée disparue.
[...] Une Indienne a disparu la nuit du réveillon. Une ado. La réserve de Meshkanau nous refile l’affaire. C’est une fugueuse bien connue, affublée d’une famille de merde.
[...] L’alcool, la drogue et les violences familiales sont le lot de cette famille bien avant la naissance de la gosse. C’est un miracle que la mère ait encore la garde de sa fille vu les négligences envers elle. Elle n’a pas levé le petit doigt pour signaler sa disparition.
[...] L’indifférence quant au sort d’une gamine qui s’évapore du jour au lendemain dans un environnement qu’on savait si hostile et dangereux pour les adolescentes en errance.
« D’accord , la mère n’est pas inquiète, mais Naomi est quand même mineure et…
– Et quoi ? Tu dois bien te douter que Marie veut instrumentaliser cette disparition pour attirer l’attention des médias sur Meshkanau et en faire une tribune politique contre le projet de scierie et tout le reste.
La police croit bien faire en mettant sur le coup un jeune flic naïf et discret qui devrait permettre d'enterrer l'affaire au plus vite. 
[...] Logan n’aimait pas le zèle, les héros, les justiciers, les coups d’éclat et les grandes gueules. Il n’avait pas un ego surdimensionné, mais suffisamment d’amour-propre pour refuser d’être pris pour une marionnette. Une force tranquille et non un pauvre type. Un gentil, mais pas un naïf. Discret, mais pas insipide. Par-dessus tout, il détestait ceux qui trahissaient leur engagement pour couvrir les notables ou les figures politiques du coin. Ils haïssaient les petits arrangements avec la vérité.
Tout va s'embraser lorsque les tractopelles de la scierie vont déterrer d'effroyables secrets ...
Mais il faudra attendre les derniers mots d'une prophétie indienne pour saisir le sens de ce titre mystérieux, tandis que le fantôme d'un caribou hante les plaines enneigées.

Pour celles et ceux qui aiment les indiens.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Taurnada.
Mon billet dans le journal 20 Minutes.

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