[...] On mangeait pour repousser encore le moment de la mort.
L'auteure, le livre (198 pages, 2023) :
On ne connaissait pas encore Justine Niogret, auteure de SF hors de notre radar.
Mais la voici qui s'attaque à un genre très différent avec Quand on eut mangé le dernier chien, pour nous romancer une expédition en Antarctique, celle qui vers 1910 conduisit trois hommes au désastre : l'expédition Aurora ou expédition Mawson qui devait cartographier une partie du continent blanc, tout au sud, encore plus au sud, de l'Australie.
Un bouquin sur un sujet comme on les aime qui vient en rejoindre d'autres sur notre étagère des histoires blanches et glaciales des pôles.
On aime très beaucoup :
❤️ Il faut se laisser happer par le récit de Justine Niogret, celui d'une histoire vraie, documentée avec beaucoup de rigueur, mais emportée par la force d'un excellent roman, rédigé d'une plume puissante. Ce bouquin est un véritable page-turner, qu'on lit d'une traite, tellement on a hâte de sortir de l'enfer dans lequel nous avons plongé avec ses héros.
Le court et dense récit fonctionne parfaitement, particulièrement bien maîtrisé, allégé de l'avant comme de l'après, concentré sur la course de ces explorateurs, leurs souffrances, leur volonté de dépassement et l'auteure va à l'essentiel comme elle le dit elle-même : [Ce récit est un récit d’ascèse et, tout comme Mawson l’a fait de son paquetage, nous avons mis de côté tout ce qui pouvait l’alourdir.]
❤️ On profite d'une aventure par procuration, bien calés dans notre fauteuil confortable et douillet. Mais d'où nous vient cette curieuse fascination pour ces aventures inhumaines ? Sommes nous attirés par ces héros de tragédies modernes ou d'explorations à la Jules Verne ? Est-ce pour nous jouer du danger et du risque invisibles dans nos sociétés sécurisées ? Pour la nostalgie d'une noble époque où les dollars seuls ne suffisaient pas ? Pour goûter un dépaysement que l'on sait inaccessible au commun des mortels, même encore aujourd'hui ?
[...] On savait que l’on marchait non pas dans la mort, car la mort est une action, un fait, mais plus exactement dans un endroit où il était impossible de vivre.[...] Il n’existait pas de mots pour en parler, puisque les mots étaient une façon de communiquer entre les Hommes et que le Sud était par essence totalement inhumain. Il s’agissait d’une vie étrangère.
Le contexte :
On ne se lasse pas de ces récits glacés où le froid lui-même se fait matière solide, des récits qui nous content les aventures littéralement incroyables de quelques fous complètement givrés, obsédés par le Grand Blanc (The White Darkness comme l'appelait Henry Worsley), partis explorer des territoires qui ne sont pas plus faits pour l'homme que la Lune ou Mars.
Des récits qui font passer l'ascension de l'Everest pour une balade : les touristes fortunés y font la queue et on n'a jamais fait la queue au Pôle Sud qui n'a pas eu plus de visites que la Lune.
Ces fous givrés sont des personnalités hors normes, motivées au choix, par la recherche de la gloire, le goût de l'aventure extrême, la curiosité scientifique, le dépassement de soi et des limites de la résistance humaine.
Certains iront s'enfermer dans de minuscules stations inaccessibles la plus grande partie de l'année [1] [2], d'autres se laisseront dériver sur des morceaux de banquise [3], d'autres encore laisseront leur navire se prendre dans les glaces [4] [5] [6], les plus fous, comme ici, partiront à pied ou en skis [7], ...
L'intrigue :
Cet été là (fin 1912), plusieurs groupes de traineaux partent explorer la région depuis le Cap Denison au sud de l'Australie.
L'une des expéditions (trois hommes et dix-sept chiens) entreprend de cartographier l'est lointain, c'est le Far Eastern Party.
Des trois hommes, le géologue britannique Douglas Mawson, le lieutenant britannique Belgrave Ninnis et le suisse Xavier Mertz, un seul reviendra au camp de base après un millier de kilomètres parcourus pendant plusieurs mois sur la glace.
Des dix-sept chiens ...
[...] Johnson avait toujours été une gentille bête, loyale et travailleuse. Les hommes furent attristés de sa mort. Ils tentèrent de découper sa viande en lamelles avant de la faire bouillir dans l’eau, et d’y ajouter quelques pincées de pemmican. Le repas les laissa affamés. Les chiens dévorèrent la carcasse.
Alors nous voici partis pour une aventure au-delà de l'humain au cours de laquelle Justine Niogret, soigneusement documentée, ne nous épargne aucune souffrance.
Et manger les chiens ne sera pas la pire des épreuves qui nous attendent.
[...] On aurait eu du mal à le deviner, mais ici, la sueur était un ennemi acharné. Tout se détrempait en permanence, et les matières pourrissaient.
[...] Les vêtements devaient être imperméables au vent et, de fait, l’étaient aussi à l’eau. La sueur restait dans cette bulle et y moisissait à son aise.
[...] Confrontés aux longues heures d’efforts et au froid terrible, les trois hommes avaient faim en permanence.
[...] La douleur ressentie durant la marche n’était pas feinte, née de sa fatigue : la plante entière de ses pieds s’était décollée et restait dans ses souliers. Il s’assit, étudia ses pieds.
Un roman fort et puissant à la hauteur de cette formidable histoire : même si le lecteur est bien confortablement assis, il n'en ressort pas tout à fait indemne.
Pour celles et ceux qui aiment les chiens de traineau.
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Mon billet dans 20 Minutes.
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