mercredi 31 octobre 2007

Le temps de la sorcière (Arni Thorarinsson)

L'Islande des islandais.


Un nouvel auteur de polar polaires ? On ne pouvait l'ignorer, merci Essel !
Voici donc Arni Thorarinsson et Le temps de la sorcière.
Mais ne vous fiez pas plus au titre qu'à la date de ce billet : tout cela n'a rien à voir ni avec Halloween ni avec Harry Potter ! Mais c'était trop tentant pour rater l'occasion.
On aime bien Halloween : ça va bien avec les couleurs du blog ... En réalité, de polar il est même assez peu question et l'intrigue policière y est plutôt mince. Amateurs de flics désabusés et de serial killer passez votre chemin.
C'est de polaire qu'il est question ici. Une véritable enquête sur les Islandais en Islande. Passionnante découverte de la vie quotidienne de nos lointains voisins polaires.
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les Islandais sans jamais oser le demander à Arnaldur Indridason !
Einar, le héros d'Arni fils de Thorarins, est un journaliste.
Un journaliste envoyé en punition dans la «province islandaise».
Oui, car il y a une «province» en Islande, et si à nos yeux de parisiens prétentieux et malheureux à l'idée de franchir le périphérique, Reykjavik est un trou perdu au bout d'une île perdue, et bien les villages d'Islande sont, aux yeux des habitants prétentieux de Reykjavik, des petits trous perdus au bord d'un trou perdu au fond d'une île perdue !
[...] La première fois que je suis venu à Reydargerdi, c'était en plein hiver. La lumière du jour disparaissait dès le début de l'après-midi comme si on avait éteint une ampoule électrique et le village de bord de mer se blotissait sous la neige en redoutant que les montagnes ne viennent en déverser encore plus. Quelques malheureuses âmes marchaient sur les sentiers où la neige avait été déblayée entre les maisons. J'étais le seul client de l'hôtel.
C'est avec un humour finement dosé que Arni, fils de Thorarins, nous dépeint la vie de ses concitoyens : la mode vestimentaire, les portables, la politique de village, le business de la politique, les jeunes étudiants, la drogue, l'attirance pour le Danemark, les immigrés venus des pays de l'est ou même d'Asie, l'anglais qui envahit la langue natale (là-bas, les feuilletons télé sont diffusés en VO), ... tout cela est bien savoureux et bien intéressant.
La traduction (d'Éric Boury, le traducteur d'Indridason) est finement anotée ce qui ne gâte rien.
Arni, fils de Thorarins, ne prétend pas rivaliser avec Arnaldur, fils d'Indrid, et si l'on veut découvrir les polars islandais, il vaut mieux effectivement commencer par une valeur sûre comme La femme en vert.
Mais pour les curieux qui veulent prolonger le voyage, Le temps de la sorcière est une bonne adresse.
Peut-être est-ce dû à cette enquête de journaliste, mais le style d'Arni, fils de Thorarins, rappelle un peu celui du suédois Stieg Larsson et de sa trilogie Millenium, qui envahit les pubs du métro en ce moment.

Pour celles et ceux qui aiment le journalisme et les voyages en Islande. 
C'est sorti cet été, Essel l'a lu, mais c'est peut-être bien la seule !

vendredi 26 octobre 2007

Lâchons les chiens (Brady Udall)

Trop fort, le mormon !

Brady Udall signe là un excellent recueil de nouvelles : Lâchons les chiens.
Udall possède un art consommé de nous camper un ou deux personnages en seulement quelques pages.
De nous peindre tout un décor, toute une ambiance, avec un ou deux personnages donc, bien épais et tout remplis d'une longue histoire, d'une longue vie, tout ça en vingt pages.
Avec lui on se complait à jouer et rejouer une partie de basket près de la décharge.
On visite un village de barjos en pénétrant successivement dans chacune des maisons.
Ça se passe dans l'Amérique profonde, là-bas loin vers l'ouest (Udall est mormon).
Là où il n'y a pas grand chose, juste les gens et leurs vies.
[...] Holbrook, située sur les hauts plateaux désertiques du nord-est de l'Arizona, abrite fièrement une forêt pétrifiée et des ossements de dinosaures. Dans les villes de cinéma, on voit des indiens en bois devant les drugstores. Nous, on a des indiens en pierre devant les nôtres.
Brady Udall écrit comme un véritable prestidigitateur, comme un magicien de foire, il agite devant nous un détail gros comme une maison pendant qu'il tisse dans notre dos le fil de son histoire et puis pour finir, vrrroouuff, un coup de baguette et nous voici tout retournés par la chute qui met joliment à nu l'âme humaine de ses personnages.
Même si dans quelques histoires, il est question de chiens, comme dans la première qui donne son titre au recueil (à elle seule, elle vaut la lecture).
[...] Mes chiens, aussi vifs et méchants qu'ils soient, forment la meilleure meute de tout le sud des Rocheuses. Ils traquent n'importe quel animal que je leur indique - que ce soit un ours, un lynx ou un puma - et s'ils le peuvent, ils le tuent. Ils savent que je n'aime pas tellement le côté mise à mort, de sorte qu'ils s'en chargent parfois à ma place.
Notre préférée est peut-être celle du serpent, le plus grand serpent que j'aie jamais vu sans le secours de l'alcool. Là encore le spectateur un peu badaud regarde le serpent s'agiter dans les mains du magicien.
Et pendant que l'on regarde ailleurs : et nous voilà, trois hommes assis sur une véranda, trois hommes qui ont perdu leurs femmes. Du grand art.
Tout ça avec beaucoup d'humour. Mais un humour qui cache bien mal la tendresse que l'auteur porte à ses personnages : parfois grinçantes, parfois sombres, toutes ses nouvelles transpirent d'humanité.
Pour en témoigner, voici un dernier extrait, une véritable petite histoire à lui tout seul.
[...] Hannah est une fille de ma classe d'Évolution du langage. On a fait des travaux ensemble. Hier, elle est allée à une soirée ici, dans la résidence, et elle s'est pointée à ma porte vers minuit, esquissant l'espèce de petit pas de deux propre à ceux qui ont forcé sur la Budweiser, et elle m'a demandé si je savais où était sa voiture. Plutôt que de sortir en pleine nuit fouiller tout ce quartier pourri, j'ai préféré la laisser rester. Elle a dormi sur un côté du lit et n'a cessé d'émettre des sifflements par le nez qui m'ont rappelé ceux que faisait Trooper, mon chien de chasse noir et fauve, quand il couchait près de moi. Il est mort depuis trois ans, mais c'est un bruit qui me réconforte toujours.
Rien à ajouter, rien à enlever. Ne manquez pas ces quelques nouvelles de l'ouest.

Pour celles et ceux qui aiment les portraits d'hommes. 
Hilde en parle, d'autres aussi.

Mort anonyme (Abe Kobo)

Kafka au Japon.

Quelques nouvelles du japonais Abe Kôbô : Mort anonyme.
Comme le titre de la première nouvelle l'indique, ce recueil a pour thème la mort bien sûr, mais aussi «l'Autre» : que faire, que fuir, quand un «Autre» débarque dans votre vie ?
Tous les héros de ces nouvelles voient leur existence désorganisée et mise en péril par l'irruption soudaine d'un étrange étranger : un cadavre inconnu, un fou, un extraterrestre, un déserteur, une famille entière avec enfants et grands-parents, ...
Un univers à la Kafka, à mi-chemin entre drôlatique et fantastique.
 [...] J'attrapai le choléra le 14 août et mon unité me laissa dans une grange. À la nuit tombante, un autre bataillon, en provenance du Nord et naturellement en déroute, vint à passer. Je rampai hors de mon abri et agitai la main, mais personne ne s'arrêta.
De toutes ces histoires d'un monde (japonais) qui n'est assurément pas le notre, on ne sait trop s'il faut les prendre en souriant ou en pleurant.
[...] Quelqu'un n'avait-il pas dit que plus un homme est civilisé, plus il rit, et plus il est primitif, plus il pleure ...
Du même auteur, on vient d'essayer de lire La femme des sables ... mais sans pouvoir accrocher, l'écriture est trop étrange.

Pour celles et ceux qui aiment se prendre la tête. 
Noir & bleu en parle aussi, et longuement.

vendredi 19 octobre 2007

Amerigo (Stefan Zweig)

Un vrai-faux procès en paternité géographique.
À la lettre «Z» se trouve l'incontournable Stefan Zweig.
L'occasion est belle de découvrir ou redécouvrir un petit opus original et passionnant : Amerigo, récit d'une erreur historique.
Zweig y brosse en quelques coups de plume le portrait de cette époque charnière : celle de l'ouverture au monde de la vieille Europe, le moment où les espagnols croient redécouvrir les Indes, les portugais le Brésil et d'autres encore l'Afrique du sud, bref, l'époque où l'on comprend enfin ce que l'on savait déjà sans comprendre : la Terre est ronde.
De ce petit opuscule d'une centaine de pages, le prétexte (mais n'est-ce vraiment qu'un prétexte sous la plume de Zweig ?) peut paraitre futile : pourquoi donc a-t-on donné à ce Nouveau Monde le nom d'Amérigo Vespucci alors que Christophe Colomb était passé par là avant lui ?
C'est qu'au-delà de leurs voyages respectifs, ces deux-là n'étaient pas embarqués dans la même galère : Amérigo eut le mérite d'écrire, même si ce n'était que quelques lettres de commerçant, et si les voyages permettent certes, de s'envoler, les écrits, eux, restent.
D'autant plus que ceux d'Amérigo furent traduits, repris, transposés, interprétés et même transformés ...
[...] De toutes les feuilles volantes de cette époque, depuis la première lettre où Colomb, en 1493, annonçait avoir atteint des îles proches du Gange, aucune n'a eu un retentissement aussi large et aussi profond que les huit pages de cet Albericus totalement inconnu jusque là. [...] Le grand succès de ce livret minuscule est très compréhensible. Car cet inconnu, ce
Vespucci, est le premier de tous les navigateurs qui sache raconter, et de manière amusante.
Et si cette époque fut bien celle des voyages, on tient peut-être là (avec ce vrai-faux procès en paternité géographique) une des premières affaires où la chose écrite pris le pas sur la réalité des faits.
Un petit récit historique et intelligent, captivant comme un polar et passionnant comme pouvait l'être l'aventure humaine à cette époque.

Pour celles et ceux qui auraient aimé découvrir l'Amérique avec Christophe Colomb. 
D'autres avis sur Critiques Libres ou sur Amazon.

Déviances (Richard Montanari)

Un (trop ?) méchant thriller.

Un meurtrier en série s'attaque à de jeunes collégiennes catholiques ...
Au début de ces Déviances, on ne voit que l'empilement des clichés du genre.
Toute la collection y passe : le flic divorcé aux blessures intérieures douloureuses, le collègue hospitalisé, la nouvelle équipière qui débarque, les jeunes innocentes, le journaliste véreux, la profileuse du FBI, le suspect trop facile, la fliquette qui boxe (et on ne doute pas un instant que cela va lui être très utile par la suite), sans oublier un assassin sadique et sournois.
On ne sait plus si on lit un bouquin ou un scénario pour Hollywood.
Et puis très vite, après quelques chapitres ... Brrr..
C'est pourtant marqué dessus : thriller. Et pas : polar.
Les romans policiers que l'on aime, comme la plupart des bouquins, ont cette magie de nous emmener ailleurs et autrement, même lorsqu'ils mettent en scène d'affreux vilains.
À l'opposé, Montanari, lui, se situe quelque part entre Patricia Highsmith et Thomas Harris, alias Hannibal : sur l'étagère des auteurs malfaisants qui jouent systématiquement de toutes les cordes sensibles du lecteur, surtout les plus tendues, jusqu'à nous faire nous renfermer dans notre coquille.
On est scotché au bouquin, on a hâte d'arriver au bout, mais sans trop savoir si c'est vraiment pour avoir le fin mot de l'histoire ou si c'est plutôt pour sortir de cet enfer et passer à autre chose.
[...] Peut-être ferait-il mieux de rentrer. Mais pour retrouver quoi ? Son deux pièces vide ? 
Il viderait encore un demi-litre de bourbon, regarderait une émission de télé, peut-être un film. 
À trois heures, il se coucherait pour attendre un sommeil qui ne viendrait pas. 
À six heures, vaincu par l'aube, il se lèverait avant même que son réveil ait sonné. 

Pour celles et ceux qui aiment les grands frissons et qui n'ont pas peur du noir. 
Anjelica en parle, tout comme Clarabel, ainsi que Hardboiled qui, lui, partage plutôt notre avis. 
Le site Critiques libres enregistre aussi quelques critiques.

vendredi 5 octobre 2007

L'histoire de Chicago May (Nuala O'Faolain)

L'émigration féminine et irlandaise aux US

L'histoire de Chicago May c'est une histoire vraie, celle des émigrants irlandais en Amérique, poussés à l'exil par la famine et leurs voisins anglais.
C'est aussi l'histoire, à la charnière du siècle, d'un Far-West finissant et d'une Amérique des villes émergente : Chicago, New-York, Detroit, ... avec leur cortège de misère, chômage, prostitution, drogues, banditisme, ...
L'auteure, Nuala O'Faolain, est femme et irlandaise : c'est à ce double titre qu'elle entreprend de revisiter la biographie de May Duignan, dite Chicago May.
Avec une écriture simple et rigoureuse qui prend toujours soin de distinguer les faits avérés et vérifiés des actes prêtés ou imaginés, soit par elle-même soit par les journalistes et écrivains de l'époque.
Ce qui fait tout l'intérêt de ce bouquin, c'est précisément le mélange, l'intrication entre le récit biographique des aventures de Chicago May (de Chicago à Rio en passant par Londres, Le Caire ou Paris) et les interrogations, digressions, hésitations, de sa biographe qui explore les rares matériaux encore à disposition de l'enquête.
Car l'histoire de Chicago May en cache une autre : celle de la quête de Nuala O'Faolain.
Une quête à la recherche de la personnalité de May Duignan, la femme qui se cache derrière ce « personnage » qu'est Chicago May.
La recherche également de la compréhension des conditions qui sont à cette époque celles de ces émigrants irlandais qui sont en quête d'un monde sinon meilleur, peut-être moins pire que l'île qu'ils ont été forcés de quitter.
L'étude de la condition des femmes, surtout, qu'un double ostracisme exclut deux fois de la société : parce que ce ne sont que des irlandaises dans un monde dominé par les protestants anglais et parce que ce ne sont que des femmes dans un monde gouverné par les hommes (c'est aussi l'époque des suffragettes).
[...] Aucun livre, aucune illustration, aucun film n'a pleinement reproduit l'horreur de cette ville [NY] dans laquelle les gens affluaient - au cours de la décennie qui suivit 1890, sa population augmenta de 127% - juste pour découvrir qu'ils n'y trouveraient pas de travail. Les femmes tout particulièrement, étaient dans une phase où le travail en usine des débuts de la révolution industrielle avait disparu ou était passé aux mains des hommes, mais où les emplois de bureau n'avaient pas encore fait leur apparition.
On en apprendra finalement assez peu sur cette figure de la pègre que fut Chicago May, qui gardera une grande part de son mystère mais on s'instruira beaucoup sur l'histoire sociale de la naissance du siècle (enfn, du siècle précédent, doit-on dire désormais).
Un livre écrit au féminin.
[...] «Il ne me vint jamais à l'idée de rechercher un travail honnête. Ne savais-je pas que les salaires réguliers étaient misérables, comparés aux bénéfices exceptionnels retirés du crime, même s'ils étaient incertains ? J'étais devenue dépensière et j'avais envie de tenter ma chance.»
Un bémol quand même, MAM n'a pas accroché, ce bouquin doit être rangé sur l'étagère des «tout ou rien» ...

D'autres avis sur Critiques Libres. 
Lilly parlent des autres livres de Nuala O'Faolain, autobiographiques ceux-ci. Anne-Sophie n'a pas aimé. 
Petit à une voisine de blog : la BD l'Irlandaise sur un scénario de Jacques Pavot.

Le temple des oies sauvages (Mizukami Tsutomu)

À Kyoto, tout n'est pas que zénitude ...

Mizukami Tsutomu situe son roman (primé au Japon) dans un temple de Kyoto, Le temple des oies sauvages, nommé ainsi en raison d'une peinture qui orne les panneaux de l'une des salles.
Dans ce temple se retrouvent, bon gré mal gré, trois personnages : un prêtre, sa maîtresse et un jeune apprenti moine.
Ces trois-là vivent dans la promiscuité une trouble relation (le petit moinillon est témoin des ébats des deux autres et le prêtre passe son temps à l'asticoter) dans un huis-clos de plus en plus oppressant.
[...] ... elle ne parvenait pas à se faire au petit moine : Jinen. Pour parler franc, elle ne l'aimait pas, mais sans qu'elle eût pu dire pourquoi. D'abord, il avait une grosse tête sur un petit corps : ses proportions faisaient croire à quelque anomalie. Son caractère contredisait cette impression : il avait une certaine candeur, un côté «enfant bien sage». Mais Satoko ne pouvait pas supporter son air sinistre.
Même si l'on devine rapidement que tout cela finira mal, ce n'est pas vraiment un roman policier, à peine un roman à suspense.
  On y découvre peu à peu le sombre passé du jeune moine que sa famille a «vendu» aux temples et c'est aussi la propre enfance de Mizukami Tsutomu qui est ici en question.
 La révolte des «petites gens» contre les puissants et les arrogants.
Le temple zen avec ses peintures (on est à Kyoto) est à lui seul un quatrième personnage, jusque dans le dénouement final.
On y apprend aussi beaucoup de choses sur la vie religieuse de ces «curés bouddhistes», leur organisation, leurs rituels, leurs relations à la cité, ...

Katell en parle très bien.