mardi 13 septembre 2022

Rouge écarlate (Jacques Bablon)

[...] L’odeur de la fraise, cause de ses emmerdes.

Encore un auteur français méconnu de nos services, et encore un petit noir bien serré.
Ce sera Rouge écarlate de Jacques Bablon.
Ça commence tout doux, une histoire de voisinage sur un ton un peu étrange, à peine décalé, Joseph est veuf.
[...] Il dit pas qu’Alicia a piqué du nez un matin sur son lieu de travail. Morte. Un AVC. Être un mari trompé, c’est pas glorieux, mais il préfère ça que de dire qu’elle est morte. Il a un rapport pas clair avec la mort. Il en a les jetons, comme tout le monde, mais il y a encore autre chose.
Mais selon la règle, le diable s'habille en femme et la pomme sera bientôt consommée entre les voisins.
[...] Un cul royal ! C’est là qu’est le drame. Joseph voit ça, et c’est tout. Le stimulus est inopérant. Calme plat dans le caleçon. Joseph voit ça, et il ne bande pas comme un malade ! Rosy rentre chez elle. Joseph est au fond du trou.
La prose du sieur Bablon est originale, sèche et nerveuse, souvent oublieuse des verbes et de leurs sujets, ça donne du rythme au récit. De prime abord on a cru aux effets de manche ou de plume superfétatoires mais non, le bouquin est court et l'on se laisse vite prendre par ce rythme syncopé.
Atypique et décalé, une version resserrée et donc mieux maîtrisée de ce qu'on avait pu découvrir chez Nicolas Laquerrière : le polar français se pare de nouvelles plumes.

Pour celles et ceux qui aiment les petits frenchy.
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La chambre du fils (Jorn Lier Horst)


[...] Cette enquête s'annonçait d'un autre niveau.

    L'auteur, le livre (480 pages, 2022, 2018 en VO) :

Décidément, c'est toujours un grand plaisir que de retrouver le norvégien Jørn Lier Horst, son écriture fluide et agréable, ses intrigues pas trop stressantes et ses personnages devenus familiers, le flic William Wisting et sa fille journaliste Line.
Au fil des épisodes, cet auteur fait preuve d'une belle régularité.

    On aime :

❤️ Une grande régularité de ton et de rythme, tout au long de l'enquête.
❤️ Une recette du cuistot norvégien qui a fait ses preuves tout au long des épisodes précédents de la série mais cette fois, Horst ajoute quelques épices à la sauce : une incursion dans les coulisses du pouvoir, et une équipe d'enquêteurs ad hoc montée en grand secret (discrétion oblige) sous le commandement de l'inspecteur Wisting..
❤️ Un épisode qui est sans doute le plus réussi de la série (déjà de très bonne tenue) et justifie le coup de cœur épinglé pour ce roman, et l'ensemble de son œuvre comme on dit [clic].

      Le contexte :

Cette fois-ci, Horst s'écarte un peu de ses sentiers habituels puisque il a décidé de nous emmener dans les coulisses du pouvoir politique norvégien : une figure importante du parti travailliste vient de décéder de manière on ne peut plus naturelle mais on retrouve dans son chalet d'été (ah les fameux chalets !) une très grosse somme d'argent, plusieurs millions d'euros et de dollars.
[...] — Cinq millions d'euros et cinq millions de dollars, rectifia-t-il. Wisting essaya de faire le calcul dans sa tête. Le total devait avoisiner les quatre-vingts millions de couronnes norvégiennes. 
— D'où viennent-ils ? demanda-t-il.
S'agit-il d'une malversation, de profits illicites, d'une caisse noire de l'état destinée à payer d'éventuelles rançons ?

      L'intrigue :

En secret, le procureur général de Norvège missionne Wisting pour une enquête très discrète.
Comme à leur habitude, Horst et son héros avancent à petits pas dans un lent travail d'enquête pour reconstituer un puzzle, où comme chacun sait, il faut d'abord trier les pièces.
[...] — Décidément, dans cette affaire, les théories partent dans toutes les directions, dit-il. Cette piste est peut-être la plus concrète que nous ayons jusqu'ici, mais c'est complètement illogique.
[...] L'enquête ne progressait pas aussi rapidement qu'il l'aurait souhaité. Chaque tâche leur demandait du temps, et il en arrivait de nouvelles en permanence.
[...] — Une discrétion extrême est de mise, car il aurait pu être question de puissances étrangères ayant tenté d'influencer la politique norvégienne.
[...] L'affaire commençait enfin à se dénouer. La taupe, c'était toujours le maillon faible.
Toute une série d'excellents polars à découvrir.

Pour celles et ceux qui aiment nos voisins nordiques.
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vendredi 9 septembre 2022

Ce qui reste de candeur (Thierry Brun)

[...] Cette fille allait me causer les pires ennuis.

On ne connaissait pas encore Thierry Brun que l'on découvre ici avec un excellent roman noir : Ce qui reste de candeur.
L'intrigue nous plonge dans le Minervois, au pied de la Montagne Noire où se planque Thomas Boral, ancien homme de main d'un grand truand en cavale, nouveau repenti qui doit témoigner bientôt au procès de son ancien patron.
[...] Se demander à chaque instant qui marchait dans son dos n’avait rien de reposant.
[...] Dans le réfrigérateur de quoi subvenir à mes besoins pour une semaine : anisette, sirop d’orgeat et des glaçons.
Reclus dans le Haut Languedoc, Boral fait profil bas, coincé entre le flic parisien qui le tient en laisse jusqu'au procès et le gendarme local qui ne voit pas d'un très bon œil ce genre de touriste.
Et comme dans tout bon roman noir qui se respecte, fatalité oblige, le diable s'habille en jupette ...
[...] Je n’en croyais pas mes yeux. Elle n’était pas plus belle que d’autres femmes, mais elle dégageait un érotisme forcené, une espèce de pouvoir d’attraction hors normes. Ça tenait du prodige, de l’envoûtement. Je baissai la tête.
[...] Je me retournai de mon côté du lit pour m’asseoir au bord. 
— Rentre chez toi. 
— Je t’en prie. On ne peut rien y faire, tu m’entends.
[...] Comment avais-je pu me fourrer dans cette histoire ? Qu’est-ce qui chez moi m’entraînait toujours vers les ennuis ?
C'est court, sec, nerveux comme une rando dans la garrigue et derrière un scénario d'apparence simpliste, notre vision des personnages va évoluer au fil des pages, au fil d'un petit noir bien serré.

Pour celles et ceux qui aiment les emmerdements.
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Piégée (Lilja Sigurdardottir)

[...] Les têtes de moutons disposées au rayon rôtisserie.

Les polars islandais [clic], emmenés par le porte-étendard Indridason, inondent nos bibliothèques depuis plusieurs années.
Avec PiégéeLilja Sigurdardóttir est une nouvelle venue (du moins en VF) mais disons tout de go qu'elle ne vient pas bouleverser le paysage littéraire islandais.
Sa prose reste classique et ses intrigues sont trop convenues pour susciter notre intérêt.
Avec Piégée, elle met en scène une jeune femme, mère de famille divorcée, obligée de faire passer de la drogue pour retrouver la garde de son fils, rien que ça.
Certains épisodes sont vraiment too much (ah le tigre dévoreur !) et l'héroïne Sonja apparait bien peu crédible à mi-chemin entre Cosette et Lara Croft.
Mais ce qui sauve le bouquin de la pile à ne pas lire est tout autre : Lilja Sigurdardóttir n'est plus toute jeune mais a choisi d'ancrer son histoire dans l'actualité récente de son pays, une actualité qu'on a oubliée un peu rapidement : éruption de  volcan et surtout séisme financier, nous sommes en 2010 au lendemain de la crise bancaire qui secouera tout le pays (et l'Europe).
[...] La lecture des journaux – les coupes dans le budget de la santé publique, avec leur lot de licenciements, les files d’attente toujours plus longues dans les banques alimentaires, la note financière de l’Islande en baisse, un tas de neige qui s’était effondré sur une enfant à Akureyri.
[...] Pas besoin d’être devin pour imaginer l’avenir de ce pays nain qui, pendant quelques décennies, avait voulu jouer à être libre et autonome. On pouvait bien s’en émouvoir, pérorer sur la culture, l’histoire ou la langue de cette nation ; dans un siècle, l’Islande ne serait plus qu’un petit port de pêche.
[...] Vous avez joué à ce jeu contre la Grèce et maintenant c’est nous qui nous retrouvons dans leur position. Les fonds spéculatifs font la même chose avec l’Islande.
[...] – C’est comme ça que ça se passe, Elvar. Les pays en crise constituent une proie parfaite pour les fonds spéculatifs.
Un bouquin ancré dans une Islande urbaine, résolument contemporaine et moderne, bien loin des ambiances montagnardes ou maritimes décrites par Indridason et consorts.

Pour celles et ceux qui aiment l'Islande.
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L'accident de l'A35 (Graeme Macrae Burnet)

[...] Désespérément et agréablement démodé.

Après La disparition d'Adèle Bedeau, on avait hâte de retrouver le rythme paisible et provincial de l'écossais Graeme Macrae Burnet qui place ses romans dans une petite bourgade de l'est de la France, dans une ambiance surannée et d'apparence tranquille, à la Simenon.
C'est aussi le spécialiste des vraies fausses préfaces qui cherchent à berner le lecteur avant même le début de l'intrigue.
Nous voici donc à Saint-Louis, petit village d'Alsace, au cœur de la France profonde, où l'on retrouve George Gorski, un flic aussi tenace que Colombo et fin psychologue que Maigret.
Le village borde l'A35 qui le relie à Strasbourg et l'on va déambuler d'une ville à l'autre au rythme nonchalant de la petite vie ordinaire de province, où les longues descriptions minutieuses, nourries de détails insignifiants, filent en douceur sans en avoir l'air tant l'écriture de Graeme Macrae Burnet est fluide et agréable.
Une nuit, un notable de Saint-Louis est victime d'un accident sur cette autoroute et l'on ne sait pas trop d'où il revenait ni ce qu'il allait faire en ville à ces heures peu chrétiennes : pour les beaux yeux de la veuve, l'inspecteur Gorski va prendre sur son temps pour éclaircir cette affaire qui n'en est pas une, où il n'y a pas de crime à élucider ni de coupable à chercher, peut-être juste quelques secrets de province à découvrir.
[...] Personne ne regardait jamais un flic de travers à un enterrement. Dans un mariage, la présence d’un policier jetait un froid ; à des funérailles, ça semblait tout à fait pertinent.
L'auteur prend son temps pour brosser son portrait acide de la petite vie bourgeoise de province.
[...] C’est considéré comme une grande infortune que d’avoir une fille trop jolie ou un fils trop intelligent. À Saint-Louis, comme dans tous les trous perdus de province, les habitants sont plus à l’aise avec l’échec. Le succès ne sert qu’à rappeler aux autres leurs propres déficiences et doit donc être vivement condamné.
[...] La vie conjugale était assez monotone, mais Lucette avait l’air heureuse. Les escapades à la campagne cessèrent vite, et Lucette s’adapta à son rôle, qui était autant celui de dame de compagnie de sa belle-mère que d’épouse.
Un roman qui n'est pas vraiment un policier, des personnages aux vies étriquées, l'ambiance étouffante d'une bourgade de province.
Et un auteur qui se joue de ses lecteurs.

Pour celles et ceux qui aiment les ambiances à la Simenon.
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Le destin de l'ours (Dario Correnti)

[...] Et le rugissement déchire le silence. Énorme, terrifiant.

Après La nostalgie du sang et la découverte de Dario Correnti, un pseudo qui cache deux auteurs italiens, on était impatient de retrouver le savoureux duo de personnages au cœur de cette série policière italienne.
Rendez-vous a donc été pris avec Le destin de l'ours.
On retrouve bien sûr Marco Besana, un vieux routier aguerri de la presse milanaise que le journal en difficulté a fini par pousser dehors un peu avant la retraite.
Sa jeune complice, c'est Ilaria Piatti, une stagiaire qui rêve d'intégrer la section criminelle du journal, mais en vain car le quotidien en est aujourd'hui réduit à compter les clics sur les réseaux sociaux. 
[...] Besana l’examine. 
« Qu’est-ce que c’est que cette tenue, Morpion ? 
– Quoi ? Tu n’aimes pas ? 
– Tu ressembles à un fauteuil provençal. 
– Merci, Marco. Déjà que je suis gavée d’anxiolytiques, il me manquait juste un peu de soutien moral. »
Et nous suivons les deux complices sur les traces d'un ours amateur de randonneurs.
[...] Son corps a été traîné sur un kilomètre, loin de sa tête et de son sac à dos, puis recouvert de feuilles, en prévision d’une consommation ultérieure. Il était encore en vie au moment de l’attaque de l’ours.
Tout comme dans le premier épisode, on retrouve les traces d'une véritable affaire ancienne : celle d'une empoisonneuse en série, la Vecchia dell'aceto, la Vieille dame au vinaigre, Giovanna Bonanno qui sévissait (ou plutôt qui faisait profiter ses consœurs de ses bons et loyaux services) en Sicile vers 1750.
Mais l'impatience fut sans aucun doute mauvaise conseillère et l'on s'est précipité un peu trop vite sur les traces des deux journalistes : l'intrigue peine franchement à prendre corps (pour un dénouement finalement un peu too much) et les histoires perso de Marco et Ilaria tournent en rond, façon je t'aime moi non plus.
Tout cela sent vraiment le réchauffé de sauce milanaise dilué dans beaucoup d'eau. 
Oui, le verdict est un peu dur et on ne saurait trop vous conseiller de vous ruer sur le premier épisode (et de vous en contenter, pour le moment, en attendant mieux).
Notons quand même quelques passages bienveillants sur les voisins Suisses (qui sont sans doute à l'Italie du Nord ce que les belges sont aux français) :
[...]– Pour ma part, la Suisse ne m’évoque que le chocolat, les montres et ces couteaux de poche rouges avec plein d’outils.
– Tu la sous-évalues, Piatti, dit Marco avant de boire une gorgée de bière locale. Tiens, pense au Velcro. C’est un type du canton de Vaud qui en a eu l’idée en revenant d’une balade dans les bois. Il a dû ôter un tas de fruits de bardane de ses vêtements et du pelage de son chien, tu vois ce que c’est, ces petites boules qui s’agrippent ? Il les a observées au microscope et il a compris qu’il pouvait en faire quelque chose. L’ennui est une source d’inspiration, par ici. 
– D’autres exemples ? 
– Le bouillon cube, inventé par un demi-Italien, Julius Maggi. Ou le cellophane, conçu par un Zurichois. La feuille d’aluminium. Et puis la brosse à dents électrique, tu te rends compte, Piatti ? Née de l’imagination d’un dentiste de Genève. Qui aurait cru qu’un dentiste genevois avait de l’imagination ? » Ilaria rigole. 
« J’ai gardé le meilleur pour la fin : le flacon à tête de canard, qui a révolutionné le nettoyage des cuvettes de chiottes. Eh bien, le premier prototype est né à Zurich dans les années 1980. 
– La vache, ils ont changé le monde ! 
– Tu vois ? Tu es bourrée de préjugés, répond Besana. Hélas, en matière de canards, ils ont aussi commis le pire : l’Ententanz, mieux connue sous le nom de « Danse des canards », est également Swiss made. 
– L’ennui est une chose dangereuse. 
– Ça dépend, reprend Besana. Sans les Suisses, pas d’absinthe, et qui sait si sans elle, Verlaine et Mallarmé auraient écrit des poèmes ? C’est un médecin de Neuchâtel qui l’a créée à des fins thérapeutiques. Ensuite, heureusement, elle a été utilisée à meilleur escient à Paris. 
– C’est vrai ? 
– Même chose pour le LSD, sorti des laboratoires Sandoz de Bâle grâce au grand Albert Hofmann, chimiste de génie qui, soit dit en passant, est mort à l’âge vénérable de cent deux ans. Comme quoi, cette substance n’est pas si néfaste. »

Pour celles et ceux qui aiment les journalistes.
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