L'ouest sauvage de Savage.
La sortie du dernier roman de
Thomas Savage Rue du Pacifique, chez Belfond, est l'occasion
de lire ou relire les deux précédents parus chez 10/18 :
La Reine de l'Idaho et
Le Pouvoir du Chien.
Thomas Savage y dépeint , avec un style et une écriture très
évocateurs et avec une fausse simplicité déconcertante, des familles
animées par la force et la passion des sentiments non dits. Avec en
toile de fond le décor de l'enfance de T. Savage : les paysages des
Rocheuses de l'ouest américain et l'histoire récente des US.
Avec
La Reine de l'Idaho, son roman le plus accessible, on aura du mal à décrocher de l'histoire de toute une famille, une
véritable saga avec une galerie de savoureux portraits à travers plusieurs générations.
Le drame raconté par
Le pouvoir du chien
est plus âpre et plus dur. La tension croît lentement mais
inexorablement jusqu'au
dénouement et laissera longtemps son empreinte : c'est sans aucun
doute son roman le plus fort, c'est aussi son premier succès.
Son dernier roman,
Rue du Pacifique,
s'avère moins prenant mais c'est celui qui décrit avec le plus de
détails savoureux et
d'anecdotes les thèmes récurrents des romans de T. Savage : le
cheminement des Etats-Unis vers la modernité depuis le far-west, la ruée
vers l'or et l'expropriation des indiens jusqu'à la récession
de 1929 en passant par l'arrivée de la pub, du train, de l'automobile,
de la radio et ... de la première guerre.
"Ma femme lisait. Elle lit sans arrêt. Elle avait lu Guerre et Paix après
son accouchement de notre premier garçon, car à cette époque on gardait
les
femmes au lit pendant dix jours ; elle avait recommencé après
l'accouchement de notre deuxième, mais déjà les hôpitaux estimaient
qu'il était absurde d'être alité aussi longtemps. Au moment de la
naissance de notre fille, les hôpitaux avaient tellement réduit la
période de repos que ma femme eut à peine le temps de finir La Maison
d'Apre-Vent de
Dickens."
"Phil eut un instant envie de se
lever et de féliciter George de ne pas l'avoir déçu, d'être bien comme
il l'avait espéré, comme il l'avait cru, comme il avait su
qu'il était. Mais évidemment il ne l'avait pas fait, parce qu'il n'y
avait jamais eu de sentiment exprimé entre eux par des mots et qu'il n'y
en aurait jamais. Leur relation n'était pas fondée sur
la parole. Phil n'avait encore jamais connu qui que ce soit qui puisse
se permettre de trop parler sans être un pauvre imbécile."
"[...] Il s'interrompit et la regarda.
- Est-ce que je parle trop ?
- J'adore t'entendre parler.
- Je ne voudrais pas prendre l'habitude de trop parler, tu sais. "
"[...] Elle était certaine qu'il
n'avait pas révélé à George qu'elle buvait, et elle sentait que Phil
savait que le non-dit est plus fort que la chose dite. Car
elle l'avait surpris en train d'observer avec une patience curieuse,
comme un chasseur à l'approche."
"Quand il observait la rue depuis le
premier étage de l'hôtel Shenon House, il avait un privilège dont il ne
se doutait pas, celui d'assister à un spectacle qui ne
se reproduirait jamais plus ailleurs qu'au cinéma : il voyait une rue
où le nombre d'automobiles était pratiquement le même que celui des
chevaux."