jeudi 14 décembre 2023

L'été circulaire (Marion Brunet)

[...] Échapper à ce putain d’été de merde.

    L'auteure, le livre (256 pages, 2018) :

Marion Brunet est une fille du midi ; née dans le Vaucluse, elle habite Marseille.
Après diverses nouvelles et des romans "jeunesse", elle réussit un joli coup en 2018 avec son premier roman noir pour adultes : L'été circulaire, qui remporte le prix de littérature policière.

      L'intrigue :

Ça commence plutôt bien avec l'histoire de deux sœurs, Céline et Jo, deux ados qui traînent leur incommensurable ennui dans une banlieue pas très chic de Cavaillon, version crado pas bobo du Luberon. 
[...] Ici, l’ennui est un art, presque un art de vivre.
[...] Il n’y a rien à faire, ici. Sans deux-roues, sans bagnole, c’est la mort. Même pour aller à Cavaillon – pour quoi faire, d’ailleurs ?
[...] N’importe quoi pour échapper à ce putain d’été de merde. 
Céline est de ces gamines un peu trop jolies qui font tourner les têtes.
[...] Une main au cul c’était un truc sympa, une façon d’apprécier la chose, de dire « t’as de l’avenir » – à mi-chemin entre une caresse et une tape sur la croupe d’une jument. Les filles avaient des atouts, comme au tarot.
[...] Jo et Céline s’introduisent en douce dans les belles propriétés encore vides pour profiter des piscines. Plus qu’une habitude, c’est devenu un rituel qui marque le début de la saison. Le Vaucluse est rempli de villas habitées un mois par an, et toutes ont des piscines.
D'une fête foraine à l'autre, Céline se retrouve enceinte beaucoup trop tôt. Ce qui n'est du goût de personne, ni de son père, un vieux beauf raciste à la gifle facile, ni de sa mère pas très aimante non plus et qui ne se voit pas grand-mère à trente-quatre ans.
Et ce jeune voisin arabe qui connait les deux filles depuis qu'elles sont toutes petites ? S'est-il montré trop gentil avec Céline ?
Tous les ingrédients d'un drame bien noir sont réunis dans la chaleur de l'été ... 

    On n'aime pas trop :

😕 Même si la cheffe Marion Brunet a réuni là quelques bons ingrédients, le grincheux trouve que la sauce ne prend pas et reste sur sa faim.
La faute sans doute à un point de vue très manichéen, un ton beaucoup trop misérabiliste, une peinture sociale aux couleurs beaucoup trop criardes, une profusion de clichés faciles et des personnages aux traits grossiers, en noir ou blanc.
L'exagération ne sert pas vraiment la cuisine et le plat nous reste un peu sur l'estomac.
Une recette manquée qui nous rappelle beaucoup celle de Rebecca Lighieri.

Pour celles et ceux qui aiment les étés en pente raide.
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Le mur invisible (Marlen Haushofer)

[...] Ce sera le seul récit que je laisserai.

●  L'auteure, le livre (256 pages, 1988, 1963 en VO) :

Une fois n'est pas coutume, voilà qu'on ressort un vieux bouquin : l'édition originale date de 1963 (!) et on a lu une première fois la version française en 2015, mais sans la chroniquer. Une relecture s'imposait donc pour réparer cet oubli.
Marlen Haushofer (décédée en 1970) est une autrichienne qui dut traverser une époque difficile. 
Le mur invisible est son ouvrage le plus célèbre, devenu culte pour l'écoféminisme.
Écriture et sujet sont intemporels, universels : c'est ce qu'on peut appeler un grand roman, sans doute en train de devenir un véritable classique. Un film en a été tiré en 2013.
Hasard de l'agenda de nos lectures, les parallèles sont nombreux avec La femme paradis (du français Pierre Chavagné) que l'actualité littéraire vient tout juste de mettre entre nos mains.

●   L'intrigue :

Une femme dont on ignore presque tout, se réveille seule dans un chalet de montagne, séparée du reste du monde par un mystérieux mur transparent au-delà duquel toute vie a été pétrifiée.
Les amis d'hier ne sont pas rentrés, sa seule compagnie est celle d'un chien, d'un chat et d'une vache.
C'est son journal que nous lisons, un récit qui se situe quelque part entre une robinsonnade, un conte philosophique, un survivalisme post-apocalyptique et la réflexion solitaire d'une ermite.
[...] Ce qui importe c’est d’écrire et puisqu’il n’y a plus de conversation possible, je dois m’efforcer de continuer ce monologue sans fin. Ce sera le seul récit que je laisserai.
[...] Je n’écris pas pour le seul plaisir d’écrire. M’obliger à écrire me semble le seul moyen de ne pas perdre la raison. Je n’ai personne ici qui puisse réfléchir à ma place ou prendre soin de moi. Je suis seule et je dois essayer de survivre aux longs et sombres mois d’hiver. Il est peu probable que ces lignes soient un jour découvertes.
[...] Depuis quelques jours, il m’est apparu clairement que j’espère que quelqu’un lira ce récit. Je ne sais pas pourquoi je le souhaite, ça ne fera en effet aucune différence. Mais mon cœur bat plus vite quand je me représente que des yeux humains se poseront sur ces lignes et que des mains humaines tourneront ces pages. Il est plus probable que ce seront les souris qui dévoreront cette histoire.
[...] C’est un sentiment bizarre que celui d’écrire pour des souris. Parfois je dois faire semblant d’écrire pour des hommes, ça me devient alors plus facile.
Comme tout bon survivant post-apocalypse, elle passe le temps au rythme des tâches nécessaires à sa survie et celle de ses animaux.
[...] Je n’ai jamais perdu certaines habitudes. Je fais ma toilette tous les jours, me brosse les dents, lave mon linge et nettoie la maison. Je ne sais pas pourquoi je le fais, j’obéis à une sorte d’exigence intérieure. Si j’agissais autrement, j’aurais sans doute peur de cesser peu à peu d’appartenir au genre humain et je craindrais de me mettre à ramper sur le sol, sale et puante, en poussant des cris incompréhensibles.
[...] Je possédais encore dix boîtes d’allumettes, environ quatre mille. D’après mes calculs, elles devraient suffire pour cinq ans. Je sais aujourd’hui que mon calcul a été à peu près juste. La réserve durera encore deux ans et demi si je fais très attention.

●   On aime vraiment beaucoup :

❤️ La prose de Marlen Haushofer est élégante et soignée mais suffisamment intemporelle ou étonnamment moderne pour n'avoir pas pris une seule ride depuis soixante ans.
Même si de nombreuses réflexions psycho-philosophiques émaillent le roman, ce n'est jamais pontifiant, mais toujours pertinent et l'auteure ne s'éloigne jamais bien longtemps du récit de la vie de cette femme isolée du monde : on reste captivé d'un bout à l'autre et si un vague mystère entoure bien sûr l'origine de ce mur, on l'oublie rapidement et on s'intéresse bien plus à la survie de cette ermite malgré elle.
On s'inquiète avec elle pour la future récolte de pommes de terre, pour la hauteur du tas de bois, pour la quantité de foin rentré avant l'hiver, ... 
Le récit est habilement dosé et, tout comme La femme paradis mais en plus "classique", on tient là une histoire forte, prenante qui laisse une empreinte durable sur le lecteur.
❤️ Et puis il y a le propos féminin ou féministe quand reviennent les souvenirs de cette femme et de sa vie d'avant. 
[...] Je ressemble davantage à un arbre qu’à un être humain, une souche brune et coriace qui a besoin de toute sa force pour survivre. Quand je me remémore la femme que j’ai été, la femme au léger double menton qui se donnait beaucoup de mal pour paraître plus jeune que son âge, j’éprouve pour elle peu de sympathie. Mais je ne voudrais pas la juger trop sévèrement. Il ne lui a jamais été donné de prendre sa vie en main.
[...] Encore jeune fille, elle se chargea en toute inconscience d’un lourd fardeau et fonda une famille, après quoi elle ne cessa plus d’être accablée par un nombre écrasant de devoirs et de soucis. Seule une géante aurait pu se libérer et elle était loin d’être une géante, juste une femme surmenée, à l’intelligence moyenne, condamnée à vivre dans un monde hostile aux femmes, un monde qui lui parut toujours étranger et inquiétant.
❤️ On aime bien aussi suivre cette femme solitaire entourée de ses rares animaux (un chien, un chat, une vache) qui deviennent peu à peu de vrais personnages du roman.
[...] Je me retrouvais seule dans la forêt avec une vache, un chien et un chat, privée de tout ce qui avait été ma vie pendant quarante ans.
[...] Je ne sais pas comment j’ai réussi à survivre à cette période. Je ne sais vraiment pas. Je n’ai dû y parvenir que parce que je me l’étais fourré dans la tête et parce qu’il fallait bien que je prenne soin des trois animaux.
[...] Je ne sais pas ce qu’il serait arrivé si la responsabilité de mes bêtes ne m’avait pas obligée à accomplir au moins les gestes indispensables.
[...] Mon imagination n’était plus alimentée de l’extérieur et les désirs s’apaisaient lentement. J’étais déjà bien contente quand nous étions rassasiées, moi et mes bêtes, et quand nous n’avions pas à souffrir de la faim. Même le sucre me manquait à peine.
[...] J’avais toujours aimé les bêtes, mais à la manière superficielle des citadins. Et quand soudain je me mis à dépendre entièrement d’elles, tout devint différent.
❤️ On aime bien aussi terminer sur une fin très élégante que l'on ne vous dévoilera pas mais qui reste bien dans le ton de ce très curieux roman.

Pour celles et ceux qui aiment les chiens et les animaux.
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lundi 4 décembre 2023

De larmes et de haine (Bruno Jacquin)

[...] Il y a trois sortes de violence.

    L'auteur, le livre (304 pages, 2023) :

Un peu dans la même veine que Eric Decouty lu récemment, le journaliste Bruno Jacquin s'est fait une spécialité de polars engagés, inspirés de faits historiques et politiques : bavure militaire au Niger, attentat du GAL au pays basque, ...
Avec sa dernière "enquête", De larmes et de haine, il nous propose de remonter le temps dans l'ombre des hommes de Maurice Papon, d'aujourd'hui à 1940 en passant par 1961.

    Le contexte :

C'est un sinistre panoramique historique de plus de quatre-vingts ans que nous offre Bruno Jacquin.
1940 : la France est occupée par les allemands et Bordeaux joue les bons élèves pour répondre aux directives de Vichy et de la Kommandantur. Sous l'égide de Papon et de ses collègues, les rafles et les déportations de juifs vont bon train, quel horrible jeu de mots.
[...] Il ne fait décidément pas bon être Juif à Bordeaux. Toutes les décisions prises par le gouvernement de Vichy sont surabondées en Gironde par zèle ou pour plaire à l’occupant.
1961 : la guerre d'Algérie est à un tournant, le FLN est actif jusqu'au cœur de Paris même. Le 17 octobre, une manifestation pacifiste du FLN tourne mal : la police de Maurice Papon, alors préfet de Paris, use de provocations, chauffe ses agents au rouge et c'est le drame. Plusieurs centaines d'algériens sont tués et nombreux seront ceux dont les corps seront balancés dans la Seine.
Les bus de la RATP sont de nouveau réquisitionnés pour la rafle au Palais des Sports.
2021 : les manifestations se succèdent comme celle des personnels de santé en juin et depuis les gilets jaunes, la répression policière se fait de plus en plus sévère et violente.

    On aime un peu :

❤️ On apprécie beaucoup la leçon d'Histoire donnée par Bruno Jacquin : il n'est jamais inutile de rappeler certains événements historiques et de les mettre en perspective.
Ce dont il est question ici c'est de violence policière, de violence répressive.
Bruno Jacquin a repris dans son livre les propos édifiants et éclairants de Hélder Pessoa Câmara, évêque brésilien : 
« Il y a trois sortes de violence. 
La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. 
La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. 
La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. 
Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »
😕 Par contre le fil rouge de l'intrigue qui est supposé servir de guide au lecteur est beaucoup trop ténu. Tout cela est bâti sans grande conviction, autre que la volonté de mettre bout à bout les moments historiques et cela ne suffit pas à tenir le lecteur en haleine. C'est dommage mais, cette fois-ci, la leçon d'histoire salutaire ne suffit pas à faire un bon roman.

      L'intrigue :

Nous sommes invités à suivre les traces d'un homme de Maurice Papon. 
Bonnafé est un personnage imaginaire calqué sur des officiers réels. Jeune inspecteur zélé en 1940, nous le retrouverons commissaire aux commandes de la répression sanglante du 17 octobre 1961 et il finira contrôleur général, décoré en 2021 pour bons et loyaux services.
[...] Qu’est-ce que tu crois, que tous les collabos de la police de Vichy se sont évaporés après la guerre ? Le pays avait besoin de fonctionnaires pour redémarrer, on a recyclé la plupart d’entre eux. Les Allemands ont fait pareil avec leurs nazis.
[...] Dossiers perdus, affaires classées, amnisties dans un second temps. Alors les survivants, les témoins ont laissé tomber. Depuis longtemps.
De l'autre côté, un jeune garçon Schlomo Kozlowski, perd ses parents juifs à Bordeaux en 1940 : il n'oubliera jamais le regard de Bonnafé responsable de leur arrestation et de leur déportation.
Aujourd'hui c'est un vieillard qui reconnait au hasard d'un hall d'aéroport le visage de celui qu'il n'a jamais pu oublié et qui l'a rendu orphelin jadis.
Bonnafé a changé de nom pour faire oublier son passé de collabo et d'autres zones d'ombre de son parcours, il s'appelle désormais Boulanger, mais le témoignage de Kozlowski va être pris au sérieux par la journaliste Leïla Laoudi (personnage récurrent des ouvrages de l'auteur) qui entreprend d'enquêter sur Bonnafé/Boulanger.
[...] Elle tient à « faire le doublé », lier les deux affaires. Bordeaux 42, Paris 61 : la police française sous les ordres de Maurice Papon a tué en conscience, sur ordre. Et la République, par ignorance peut-être, sans doute, célèbre encore les zélateurs de ces crimes d’État.
Va-t-elle réussir à dénoncer le jeune collabo antisémite, le commissaire de police aux méthodes musclées, le vieil homme finalement décoré par la République qu'il a si bien servie au fil des années ?

Pour celles et ceux qui aiment l'histoire de la république.
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jeudi 30 novembre 2023

Canicule (Jane Harper)

[...] Tu as menti. Sois présent aux funérailles.

    L'auteure, le livre (448 pages, 2017) :

L'australienne Jane Harper partage sa vie entre l'Angleterre et l'Australie.
Canicule (The dry en VO) est son premier roman paru en 2017, un premier polar très réussi qui lui a valu quelques prix et une belle renommée et qui, ma foi, supporte fort bien une seconde lecture (on n'avait pas commenté sa sortie en 2017).
Canicule inaugurait une série d'enquêtes menées par Aaron Falk, un flic de la brigade financière de Melbourne.

    On aime beaucoup :

❤️ On aime cette histoire qui tient plus du roman noir que de l'enquête policière. Une de ces histoires où l'on comprend rapidement que tout est réuni pour que ça finisse mal, que notre héros n'aurait pas du revenir dans ce village où il n'est pas le bienvenu, qu'il ne fallait pas venir remuer la poussière et le sable du désert sous lequel le passé est enterré.
[...] — Vous enquêtez là-dessus, alors ? fit le fermier, avec un mouvement de tête en direction des cercueils.
— Non, je ne suis ici qu’à titre amical, répondit Falk. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il y ait encore matière à enquêter.
❤️ On aime le portrait de ce petit village du bush australien où tout le monde se connait trop bien et se surveille de trop près, où [trop de gens savent trop de choses sur leurs voisins], où le climat est plombé par le sable, la poussière et la sécheresse, où l'ambiance est lourde de secrets et de mensonges dont, à l'évidence, il ne peut rien sortir de bon.

      L'intrigue :

La sécheresse sévit dans le bush australien.
[Officiellement, on n’avait pas vu pire depuis un siècle] et les éleveurs sont à la peine : [pas de pluie, pas de fourrage. Et l’absence de fourrage obligeait à des décisions difficiles]
Les yeux sont fixés sur le panneau d'alerte d'incendie qui indique que [le risque était passé de sévère à extrême].
Dans le petit village fermier de Kiewarra [tout le monde ou presque est au bout du rouleau] et [les gens sont plutôt tendus ces temps-ci. Il ne faudrait pas grand-chose pour qu’ils explosent].
Pas étonnant donc que certains fermiers pètent les plombs. Comme Luke qui vient de flinguer femme et enfant avant de se tirer une balle : [ouais, encore un fermier qui a pété les plombs » et le tour était joué. Enquête ouverte et aussitôt refermée].
Pour les obsèques de Luke, son ami d'enfance, Aaron Falk devenu flic à la brigade financière de Melbourne, revient au pays.
Il n'est pas le bienvenu : le temps a passé mais les questions demeurent sur son rôle trouble dans la mort d'une jeune fille, il y a plus de vingt ans et [les rumeurs avaient pris de l’ampleur, pour devenir de quasi-certitudes].
Manifestement, les secrets passés et un [mensonge forgé et convenu vingt ans plus tôt] encombrent toujours le présent ... est-ce en lien avec le drame qui vient de se produire à la ferme de Luke ?
[...] Luke a menti. Tu as menti. Sois présent aux funérailles.
[...] Elle n’est pas au courant pour la lettre, et tout ça. On fait en sorte que ça continue, d’accord ?
[...] Tu as caché la vérité tout comme moi. Et donc, si je suis coupable, tu l’es toi aussi.
Mais un mensonge, un secret, peuvent en cacher bien d'autres et le lecteur n'est pas au bout de ses surprises.

Pour celles et ceux qui aiment la chaleur.
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samedi 25 novembre 2023

Le jour des morts (Nicolas Lebel)

[...] Vilaine veille de Toussaint ne présage rien de bien.

    L'auteur, le livre (384 pages, 2014) :

Avec retard, on avait découvert Nicolas Lebel avec L'heure des fous.
Il était donc logique que l'on poursuive avec Le jour des morts, ne serait-ce que pour le plaisir de retrouver le capitaine Mehrlicht (plus de lumière !) et son équipe : le costaud bodybuildé Dossantos et la jolie rousse Sophie Latour.
Des personnages savoureux qui évoluent dans des romans qui rappellent un peu ceux de Dame Vargas.

    On aime :

❤️ On adore le capitaine Mehrlicht, fumeur invétéré, misogyne irrécupérable, parisien incorrigible, grossier personnage à la faconde acerbe ... On aime bien aussi son équipe qui vient heureusement tempérer un peu le "personnage". 
Tout cela nous vaut des dialogues bien savoureux et dans cet épisode, Mehrlicht et ses adjoints prennent toute la place, laissant peu d'espace à l'intrigue policière.
[...] Le capitaine à tête de grenouille aspira la fumée de sa Gitane.
[...] Le monde de Mehrlicht était maintenant figé pour l’éternité, un monde où les hommes fument, où les femmes tapent les rapports et où les stagiaires souffrent.

      L'intrigue :

Nous sommes en novembre, c'est la Toussaint et quelques savoureux vrai-faux proverbes rythment les chapitres :
[...] Octobre en bruine, hiver en ruine.
Vilaine veille de Toussaint ne présage rien de bien.
Le mois de novembre est malsain. Il fait tousser dès la Toussaint.
Le jour des morts, ne remue pas la terre, si tu ne veux sortir les ossements de tes pères.
Et j'en passe !
Rien ne va plus à la Préfecture de police, les cadavres s'accumulent, victimes d'une étrange épidémie de champignons empoisonnés ...
[...] Les murs étaient blancs, les rideaux étaient blancs, le cadavre était bleu.
[...] Le surnom de l’amanite vireuse, tu sais ce que c’est ? 
— Non. Dis-moi. 
— L’ange de la mort.
[...] D’autres morts allaient survenir, Mehrlicht le savait. Il l’avait senti.
Le capitaine et son équipe devront même se rendre en province (horreur !) au fin fond du Limousin pour démêler une sombre histoire qui plonge ses racines dans le passé ...
La vengeance est un plat qui se mange accompagné de champignons.
[...] Patron, je quitte jamais Paris. C’est religieux. C’est karmique ! Je suis allé en vacances en province une fois. J’ai été malade, j’ai failli mourir. Ça fait vingt ans. Mes vaccins sont toujours pas à jour… J’ai rien contre la province, je veux pas y aller, c’est tout !
Une histoire, un ton et une ambiance qui rappellent beaucoup les polars de Fred Vargas.
Avec tout une galerie de personnages plus étonnants les uns que les autres : le facteur écrivain, les sœurs à moitié sorcières, ...
[...] — Ils l’appelaient « la sorcière » parce qu’elle vivait toute seule dans les bois, indiqua la première.
— Ils venaient la voir en secret pour avoir des recettes, des onguents, des cataplasmes !
Ça, oui ! compléta la troisième.

Pour celles et ceux qui aiment les fumeurs et les champignons.
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vendredi 24 novembre 2023

Chambre froide (David Koepp)

[...] C’est comme ces saloperies de zombies.

    L'auteur, le livre (352 pages, 2019) :

L'américain David Koepp est connu de tous : c'est en effet l'un des scénaristes de Jurassik Park, Mission impossible ou encore Indiana Jones.
Mais c'est aussi l'auteur de quelques romans dont ce thriller Chambre froide.

    Le contexte :

Il faut préciser que le bouquin a été écrit en 2019 donc avant la pandémie de Covid. 
En guise de prologue, l'auteur rappelle que le plus grand organisme vivant de notre planète est un champignon, le Armillaria solidipes, dont un exemplaire de près de 10 km2 vit en Oregon ...

    On aime un peu :

❤️ On aime ce thriller pas trop technique, pas trop violent, écrit de manière simple mais professionnelle, avec un peu d'humour, idéal pour se détendre un peu sans se prendre la tête.
😕 David Koepp développe des personnages attachants mais leurs péripéties nous emmènent dans d'innombrables tours et détours qui composent un récit sympa, certes, mais qui lassent parfois le lecteur qui aurait été attiré par un thriller plus techno-scientifique ou plus politique.

      L'intrigue :

En 1979, Skylab termine sa trajectoire dans l'atmosphère, s'écrase au large de l'Australie avec quelques débris retombés ici ou là (notamment sur la ville australienne Esperance).
David Koepp imagine que l'un de ces débris était un container renfermant un champignon, Cordyceps novus, que l'on avait nous-mêmes (apprentis sorciers) envoyé là-haut pour expériences et études.
Cordyceps novus est revenu de son séjour dans l'espace en pleine forme : dans sa course à sa propre reproduction, il commence, façon Alien, à envahir les rares organismes vivants (principalement les habitants) du coin désertique où il a atterri.
L'Oncle Sam envoie ses meilleurs agents pour circonscrire la menace. Les GI Joe atomisent la zone et ramènent (tout de même !) une éprouvette de cet agent toxique que les autorités vont enfouir dans un complexe souterrain au fin fond du Kansas.
[...] Il n’existait qu’une poignée de labos en Occident équipés pour stocker des agents pathogènes de niveau 4. Atlanta et Galveston le rejetteraient immédiatement, le classant à tort comme extraterrestre en raison de son séjour à l’extérieur de l’atmosphère.
Jusque là tout va bien.
Quelques années plus tard, le complexe est abandonné par l'armée et revendu à une société qui le transforme en box de stockage et garde-meubles.
[...] Seize ans plus tard, en 2003, la DTRA décida que le complexe de la mine était une relique de la guerre froide dont on pouvait se passer. L’endroit fut vidé, nettoyé, repeint et vendu à une entreprise de stockage privée.
Encore quelques années plus tard, une petite alarme clignote sur le tableau de bord du gardien des lieux : le réchauffement climatique est à l'œuvre depuis plusieurs années, Cordyceps novus s'est réveillé et entend bien sortir de son trou.
[...] Le champignon s’était développé. À une vitesse infiniment lente. Le temps avait passé.
Les GI Joe, désormais à la retraite, vont devoir reprendre du service. Et ça va pas se passer tout à fait aussi bien que trente ans plus tôt en Australie.
[...] — C’est comme ces saloperies de zombies. Naomi se sentait plus encline à la raison. 
— OK, pour commencer, les zombies n’existent pas. 
— Les zombies existent. Ils existent à cent pour cent. 
— Non, Travis. Ils n’existent qu’à la télé, dans les films. 
— Oui, et certains sont excellents, soit dit en passant.
Voilà l'histoire, résumée avec humour certes, mais un humour qui fait partie du récit : David Koepp ne se prend pas trop au sérieux même si tout cela nous est raconté de façon vraisemblable, voire crédible.

Pour celles et ceux qui aiment les champignons.
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lundi 20 novembre 2023

Un long, si long après-midi (Inga Vesper)

[...] J’ai embrassé mon mari pour la dernière fois.

●  L'auteure, le livre (432 pages, 2023, 2021 en VO) :

Inga Vesper a vu du pays : elle est d'origine allemande, elle a travaillé comme journaliste en Afrique et elle a élu domicile en Écosse !
Pour son premier roman, Un long, si long après-midi, elle nous emmène dans la banlieue bourgeoise de Los Angeles, à la fin des années 50 : une ambiance au délicieux parfum désuet.
On se méfiait un peu d'un bouquin qui fait le buzz, emporté par un incipit ravageur : [Hier, j’ai embrassé mon mari pour la dernière fois. Il ne le sait pas, bien sûr. Pas encore.] mais le roman s'avère finalement une très bonne surprise.

●  Le contexte :

Eisenhower est président, la guerre de Corée est terminée, l'esclavage a été aboli mais le racisme et la ségrégation sont toujours les fondements de la société américaine.
[...] Je me range à son avis, bien sûr. [...] Les Noirs n’ont aucun talent pour faire pousser les choses, ce qui explique qu’ils n’aient pas de jardinières et que leurs bébés meurent souvent.
[...] Une légère expression de rage de dents si fréquente chez les Blancs quand ils regardent un Noir.
Nous sommes dans les années 50, dans un lotissement chic de Santa Monica près de L.A. où les femmes blanches s'ennuient et les femmes noires viennent faire le ménage. Un quartier où les femmes blanches souffrent de dépression et les noires de préjugés.
[...] Les maisons spacieuses, les barbecues, les maris qui travaillent et leurs femmes qui restent à la maison.
[...] Personne ne s’intéresse à leurs désirs ou à leurs rêves. Tout le monde se fiche de leurs talents ou de leurs opinions.
[...] – Saviez-vous que toutes les femmes qui sont ici prennent des drogues ? [...]
Elles souffrent de terribles maladies. Anxiété, dépression, crises de panique, hystérie…
C'est aussi une époque où les femmes (quelle que soit leur couleur de peau) qui ont appris à se débrouiller seules quand leurs hommes sont partis en guerre, revendiquent désormais une place dans leur famille et leur vie qui ne se cantonne pas uniquement à la cuisine.
[...] – Oh, et puis il y a le Comité des Femmes pour le Progrès. Vous avez dû en entendre parler. [...]
– Alors, demande-t-il, de quoi est-ce que vous parlez avec ces dames ? 
– Oh, de tout. Du rôle des femmes à la maison, de recettes, des enfants, de nos maris…
[...] – Tu dis que nous autres, on est toujours enchaînés. Alors ne commence pas à m’enchaîner, toi aussi.

●  On aime :

❤️ On aime la peinture sociale de ces années 50 aux États-Unis. La position des bourgeoises blanches cantonnées à la cuisine, la position des noires victimes d'un racisme profondément ancré, tout cela est particulièrement bien rendu.
❤️ On aime ce roman résolument féministe et anti-raciste, écrit à l'heure des mouvements MeToo et BlackLivesMatter
Laissons la parole à l'auteure dans sa postface :
[...] Un long, si long après-midi est un livre féministe. Pendant que je l’écrivais, j’ai été frappée par le nombre de batailles menées par Joyce et Ruby qui restent d’actualité. Cela me bouleverse toujours. Mais voir que nous avons progressé me remplit aussi d’espoir.

●   L'intrigue :

Joyce fait partie de ces épouses bourgeoises qui se meurent d'ennui dans leurs belles cuisines de leurs belles maisons.
Ruby fait partie de ces femmes noires qui font des heures de bus pour venir faire le ménage dans les belles maisons des beaux quartiers.
Lorsque Ruby arrive cet après-midi pour prendre son service, elle découvre les deux fillettes en pleurs et une flaque de sang dans la belle cuisine de la belle maison. Joyce serait elle partie sans un mot ? A-t-elle été enlevée, tuée ? 
C'est l'inspecteur Michael Blanke, Mick, qui est chargé de l'enquête.
[...] Les enfants ont été confiés à la voisine et la bonne a été arrêtée. Arrêtée ?
Pourquoi ? Il jette un œil à son identité. Ruby Wright, vingt-deux ans, domiciliée au 1467 Trebeck Row, South Central. Noire. Ah. C’est pour ça.
Dans cette banlieue chic de Santa Monica, chacun cache bien son jeu et bien des mystères.
L'inspecteur Mick et Ruby auront bien du mal à démêler le vrai du faux dans un dénouement un peu théâtral.

Pour celles et ceux qui aiment les géraniums.
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vendredi 17 novembre 2023

La femme paradis (Pierre Chavagné)

[...] Le temps de raconter est venu.

●   L'auteur, le livre (156 pages, 2023) :

Pierre Chavagné a planté sa tente dans la région gardoise d'Uzès (l'Uzège) : nous sommes presque voisins !
Et c'est aussi dans cette région qu'il plante le décor de son histoire, celle de La femme Paradis.
Un roman noir très réussi qui s'ouvre sur une belle dédicace : À toutes les femmes qui, chaque jour, guérissent le monde.

●   L'intrigue :

Une femme vit seule dans la forêt au pied du causse. C'est une ermite, une sauvageonne, tourmentée par un passé douloureux et mystérieux dans lequel elle a laissé les siens. 
[...] J’ignore ce qui l’a tué. J’ignore comment tout a commencé.
Depuis des années elle a appris à vivre en harmonie avec un milieu qui n'était pas le sien : c'est rude, sauvage.
[...] Elle se lève et regarde avec tendresse la maison troglodyte, la première victoire dans sa vie d’après.
[...] Je prélève ma part, ni plus ni moins. Je tue pour vivre, pour ma sécurité et ma nourriture.
[...] L’intransigeance est la clef. Tout débute par une planification stricte des journées et des objectifs : le travail pour sa subsistance, le guet pour sa sécurité, le rêve et l’écriture pour son humanité.
Elle est prête à défendre chèrement son territoire mais un beau jour elle entend un coup de fusil : le signe d'une présence étrangère qui s'approche dangereusement de son repaire. Or chacun sait que le passé finit toujours par nous rattraper ...
[...] On peut changer de vie mais pas de souvenirs. Mon histoire est venue me chercher jusqu’au fond de la forêt.

●  On aime beaucoup :

❤️ On aime ce court roman fait d'une histoire coup de poing. L'histoire de cette femme est rude comme la forêt, sauvage comme la nature qui l'entoure.
❤️ On aime la prose, sèche, sobre, directe, de l'auteur qui réussit à nous faire partager la vie quotidienne de son héroïne mystérieuse qui se cache en pleine nature : même si l'on n'évite pas quelques envolées un peu sentencieuses, le propos écolo reste subtilement dosé et pourrait résonner avec quelques accents du film récent Le règne animal.
❤️ On est aussi bien curieux des mystères qui entourent l'intrigue : qui est cette femme, quelle était sa vie d'avant, que lui est-il arrivé, et qu'est donc devenu notre monde qui semble lui aussi, avoir basculé dans l'horreur ... ?

Au détour d'un chapitre, on aura même droit à une belle histoire, sorte de cerise sur le gâteau, l'histoire du vieil homme et la mort :
[...] - Que faites-vous là ? ai-je demandé d’une voix étranglée qui m’a effrayée. 
- J’attends la mort. 
- Et ? 
- Elle ne vient pas. 
Lui avait parlé d’une voix posée et calme. Elle sonnait comme les fables que me racontait ma grand-mère, la profondeur et le débit envoûtaient. Il m’a expliqué qu’il était un trop vieil homme pour le monde moderne et aussi trop vieux pour le monde sauvage. Il avait cru qu’il pourrait échapper au désastre en venant ici mais les forces lui manquaient pour vivre dignement. Il n’y avait plus d’endroit sur la terre pour prendre soin de sa carcasse. La mort était trop occupée ailleurs, elle l’avait oublié.

Pour celles et ceux qui aiment les femmes mystérieuses.
D’autres avis sur Babelio et Bibliosurf.

Old Pa Anderson ( Hermann et Yves H.)


[...] Le Mississippi règle ses affaires à sa façon.

    Les auteurs, l'album (64 pages, 2016) :

Les belges Hermann Huppen et Yves H. travaillent en famille : papa est au dessin et le fiston au scénario pour nous raconter la triste et sombre histoire d'Old Pa Anderson.

      Le contexte :

Nous voici plongés, en 1952, dans l'état du Mississipi.
L'esclavage a été officiellement aboli mais remplacé dans les États du Sud par la ségrégation.
Ce n'est plus le Ku Klux Klan qui fait la loi comme autrefois mais pour autant, les noirs ne sont toujours pas chez eux et le racisme continue d'irriguer profondément la société étasunienne.

    On aime :

❤️ Dans la famille Huppen, je voudrais le père dont on aime le dessin sombre et poisseux qui convient particulièrement à ce roman noir, une sale histoire dans les états racistes du sud.
❤️ Dans la famille Huppen, je voudrais le fils dont on aime le scénario qui sait rester concentré sur l'essentiel : un drame sordide du passé et une vengeance tardive, tout cela ne peut que très mal se terminer, on est dans le Mississipi et ce sont encore les années 50.
Ce sont les années de la génération de nos parents, comment imaginer qu'aujourd'hui ce pays soit dégagé d'un passé si terrible et si récent ?

      La BD :

Le grand-père Old Pa Anderson est toujours rongé par la disparition de sa petite-fille, huit ans plus tôt et plus grand chose ne retient le vieux noir à la vie : sa chère Old Ma vient de s'éteindre dans leur lit, minée par le chagrin.
- Si j'avais fait quelque chose pour la p'tite, peut-être que l'Bon Dieu me l'aurait laissée encore un peu.
- Faire quoi ? ... Tu te serais surtout fait lyncher avant d'avoir parcouru la largeur d'un trottoir. Et Old Ma avec.
On n'est juste que des nègres du Mississipi.
Une révélation bien tardive va lancer Old Pa Anderson sur le sombre chemin de la vengeance.
Et si [le Mississippi règle ses affaires à sa façon], le vieux noir veut lui aussi régler ses comptes avec le passé.

Pour celles et ceux qui aiment les romans noirs.
D’autres avis sur la BDthèque et Babelio.

jeudi 16 novembre 2023

La promesse (Robert Crais)

[...] À quel jeu joues-tu, Amy ?

    L'auteur, le livre (455 pages, 2023) :

L'américain Robert Crais fut scénariste de séries TV avant de consacrer à l'écriture de polars.
La promesse rassemble plusieurs personnages récurrents de ses romans : les détectives Elvis Cole et Joe Pike ainsi que le maître-chien du LAPD Scott James et sa chienne Maggie.

    On aime :

❤️ On aime retrouver les quartiers familiers de L.A. que l'on croit si bien connaître au fil des bouquins et des films : Echo Park, Silver Lake, ... !
❤️ On apprécie une intrigue assez originale qui n'évoque pas cette fois le trafic de drogue, mais celui d'explosifs, au profit de malfrats, de marchands d'armes ou de terroristes ...
❤️ On aime le personnage canin de Maggie ; l'auteur évite la personnification excessive mais réussit à lui donner une vraie place et l'on apprend pas mal de choses sur nos compagnons à pattes.
[...] Scott parlait à son chien. Cela l’inquiétait au début, jusqu’à ce qu’il apprenne que tous les autres maîtres-chiens en faisaient autant. « Tant que Maggie ne te répond pas, tout va bien », lui avait dit Leland.

      L'intrigue :

Dès les premières pages, le lecteur est plongé dans une double intrigue bien prenante.
Amy, une ingénieure chimiste spécialiste des explosifs a disparu : le détective Cole a été mandatée discrètement par une collègue pour la retrouver.
[...] — Jurez-moi. Jurez-moi que vous ne parlerez de cette enquête à personne. 
— Je vous en fais la promesse. 
Quatre jours plus tôt, Amy Breslyn avait pris des vacances, du jour au lendemain et sans donner la moindre explication.
[...] — Nous ne fabriquons pas d’armes. 
— Vous fabriquez ce qui est à l’intérieur. Vous fabriquez le boum.
Dans le même temps, les flics du LAPD et le maître-chien de Maggie pourchassent un malfrat. 
Et tout ce petit monde se retrouve un beau soir autour d'une maison où l'on découvre un cadavre et quelques kilos d'explosif.
La chimiste Amy était-elle en train de vendre son savoir-faire à des terroristes, elle qui avait perdu son fils dans un attentat à la bombe au Nigeria ?
Mais les apparences sont souvent trompeuses et tout cela semble bien compliqué pour le lecteur comme pour les enquêteurs.
[...] Je venais de trouver une autre pièce de puzzle, mais je ne savais pas si toutes appartenaient au même puzzle.
Le détective Cole va devoir faire appel à ses meilleurs amis, le très taciturne Pike et le très efficace Jon.
[...] J’ai besoin de ton aide sur un truc. 
— Bien sûr. Sur quoi ? 
— Des choses qui font boum.
L'intrigue se compliquera encore, guerre des polices oblige, et on aura du mal à lâcher le bouquin avant un final plutôt réussi.
L'écriture et les personnages manquent peut-être encore un peu de chaleur : tout cela devrait certainement s'étoffer au fil des prochains épisodes, un auteur à suivre !

Pour celles et ceux qui aiment les chiens policiers.
D’autres avis sur Babelio.
Un livre lu grâce à Netgalley et aux éditions Talents.

mardi 14 novembre 2023

Les apparences (Gillian Flynn)


[...] Que dit le mari à ce stade du film ?

    L'auteure, le livre (608 pages, 2012) :

L'américaine Gillian Flynn nous était inconnue jusqu'ici, éclipsée par l'adaptation ciné d'un de ses romans : Les apparences donnera en effet Gone Girl à l'écran, un film qu'on a revu récemment et qui se laisse revoir sans déplaisir. 
Du coup, on a joué la curiosité pour le bouquin originel, réédité ici par Sonatine avec quelques passages inédits.
Gone girl c'était le titre du bouquin en VO mais la VF est, pour une fois, plutôt bien vue.

      L'intrigue :

Depuis le film de David Fincher, tout le monde connait le scénario : l'histoire du couple idéal formé par Nick (Ben Affleck) et Amy (Rosamund Pike). Tout le monde sait donc que ce couple n'a d'idéal que Les apparences, celles de Barbie et Ken, et que la belle façade de l'american way of life cache de nombreuses fissures : déroute financière, chômage, désœuvrement, couple en perdition, ...
[...] C’était la fin de ma carrière, la fin de la sienne, la fin de mon père, la fin de maman. La fin de notre mariage.
Un beau jour Ken (ou Nick) se réveille alors que sa Barbie (ou Amy) a disparu ... fuite, rapt ou pire ?
[...] Leur monde apparemment si parfait s’est écroulé lorsque Amy Elliott Dunne a disparu, le jour de leur cinquième anniversaire de mariage.
Évidement le mari est assez vite soupçonné d'autant qu'il n'est pas très à l'aise avec l'autorité policière et qu'il accumule erreurs maladroites et mensonges stupides.
[...] J’ai fouillé dans ma mémoire : que dit le mari à ce stade du film ? Ça dépend s’il est coupable ou innocent. 
[...] – Je crois qu’au lieu de paniquer, je me suis focalisé sur la colère que j’ai contre elle. Parce que ça n’allait pas du tout entre nous quand c’est arrivé.
[...] La police n’allait pas retrouver Amy, à supposer que quelqu’un désire qu’on la retrouve. Ça, au moins, c’était clair désormais. [...] Si elle était vivante, quelqu’un allait devoir la rendre. Si elle était morte, la nature allait devoir la restituer.

    On aime :

❤️ La prose de Gillian Flynn est simple et sans surprise, tout à fait au diapason de ce genre de romance, mais on aime beaucoup l'astuce d'un excellent scénario qui ne laisse jamais le lecteur seul avec les faits et qui évite soigneusement de nous décrire directement la vie du couple : nous n'avons droit qu'au journal intime de Amy et aux pensées en voix intérieure (comme dans le film) de Nick, alternativement à chaque chapitre. 
Bref, "les apparences" de la vie du couple racontée par Amy ou bien vue à travers les yeux de Nick. 
Donc ces deux-là ne nous disent que ce qu'ils veulent bien nous dire, nous cachent tout ce qui les dérange et sans doute nous travestissent ce qui les arrange, aussi bien l'un que l'autre. Les mots "vérité" et "réalité" ne font pas partie du vocabulaire de Gillian Flynn qui balade son lecteur de droite et de gauche. Qui est vraiment Nick, qui était réellement Amy ? Quel était ce couple qu'on ne voit finalement jamais face à face ?
[...] J’espère que vous avez aimé l’Amy du Journal.
C'est toute l'originalité de ces doubles et faux points de vue, une astuce qui fonctionne encore, alors que l'on connait déjà le mot de la fin depuis le film, voire qui se développe avec encore plus de puissance dans le rythme lent de la lecture qui n'est pas celui du cinéma.
[...] Amy était intelligente, cinglante, sarcastique. Amy savait me mettre en rogne, elle savait imposer son point de vue d’une pique bien sentie.
[...] Je suis devenue quelque chose de bien étrange. Je suis devenue une épouse.
[...] Les gens aiment bien s’imaginer qu’ils connaissent les autres : les parents veulent croire qu’ils connaissent leurs enfants. Les femmes veulent croire qu’elles connaissent leurs maris.
[...] Pas d’impatience, nous éclaircirons tout ça : ce qui est vrai, ce qui ne l’est pas, et ce qui pourrait aussi bien être vrai que faux.
❤️ On aime la peinture féroce (vraiment féroce) de la vie de Nick et Amy : l'auteure prend un malin plaisir à disséquer de son scalpel acéré, le fonctionnement d'un couple ordinaire où chacun pourra certainement se retrouver à un moment ou un autre. Tout cela nous met peu à peu mal à l'aise surtout qu'à mi-parcours, les masques tombent ... 
[...] C’est comme ça que la haine a commencé à s’installer.
[...] Il y a quelque chose qui cloche. Je ne sais pas ce que c’est, mais il y a quelque chose qui cloche affreusement.
❤️ On aime la description détaillée de la vie des américains moyens (enfin, des anglo-saxons blancs bien propres sur eux).
Au passage, même si cela n'a rien à voir avec l'histoire !, le lecteur français pourra s'effarer devant l'image d'un désert culinaire absolument effrayant !

Pour celles et ceux qui aiment les histoires de couple.
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Un livre lu  grâce à Netgalley et aux éditions Sonatine.

dimanche 5 novembre 2023

Le tueur au caillou (Alessandro Robecchi)

[...] On dirait un truc de mafia, mais…

    L'auteur, le livre (361 pages, 2023, 2017 en VO) :

Alessandro Robecchi est un journaliste et homme de télé italien, humoriste et auteur de polars, étrange cocktail.
On avait déjà tourné autour de son précédent roman (Ceci n'est pas une chanson d'amour) mais sans franchir le pas, rebuté par le volet "télé" annoncé dans le pitch.
Nous revoici cette fois avec Le tueur au caillou, de celui qu'on surnomme déjà le McBain italien, oui celui de l'inspecteur Carella du 87ème district.

    On aime beaucoup :

❤️ On aime l'écriture sèche, nerveuse, rapide et sans fioritures mais bigrement stylée qui happe le lecteur dès les premières pages. On est à Milan : une élégance toute italienne, sûre de son effet sans qu'il soit besoin de trop en rajouter.
❤️ On s'intéresse à l'arrière-plan politique et social sur lequel l'intrigue est construite. L'Italie a un passé politique pour le moins agité et Milan est une grosse ville qui n'échappe pas au sort de ses consœurs européennes. La cité de San Siro, [la casbah de San Siro], est à la capitale de Lombardie ce que La Courneuve est à Paris ou Molenbeek à Bruxelles [clic] : [vous, les gars du centre, vous venez jusqu’ici dans le Bronx].
[...] La Caserne, c’est ce labyrinthe de bâtiments fatigués, crasseux, mal vieillis, décrépis, qui entoure piazza Selinunte, quartier San Siro, avant-poste de la racaille urbaine, chaud en été, froid en hiver, cages d’escalier au goût de brocoli et curry.
[...] Les tours HLM autour de piazza Selinunte, zone difficile, une concentration de logements à faire pâlir Hong Kong.
[...] Beaucoup de logements sont vides parce qu’ils doivent être rénovés et pour les rénover il n’y a pas d’argent, donc on les ferme…
[...] Le collectif pour le droit au logement, ils doivent être trente ou quarante, presque tous des jeunes qui ont squatté ou qui étaient déjà là… Ce sont les seuls, après avoir squatté, qui le disent, ils font des pancartes, disent qu’eux, ils rénovent.
[...] Les Calabrais. Ils défoncent et installent des gens, entre trois et cinq mille euros, et après c’est difficile de les virer, donc ceux qui entrent savent très bien qu’ils peuvent être tranquilles trois ou quatre ans, minimum, et puis s’ils ont des enfants c’est encore plus compliqué…
❤️ On apprécie l'humour discret dont l'auteur parsème son récit ...
[...] « Un caillou ?, demande-t-il. 
— On dirait un truc de mafia, mais… 
— De mafia de cinéma, dit Carella. 
— Donc on cherche quelqu’un qui a vu Le Parrain. 
— T’as l’air en forme, Selvi, qu’est-ce qu’il y a, le mort assassiné te met en joie ? 
— Non… Mais je suis curieux de savoir qui se promène en butant les bouchers. »
[...] Deux verres opaques de buée arrivent, l’homme en descend un d’une seule gorgée, comme le font les hussards avant la charge à cheval et certaines paysannes ukrainiennes des plaines.
❤️ On savoure une galerie de personnages bien dessinés, même quand il s'agit des seconds rôles.
[...] Il n’y a rien à faire, même s’il est habillé et rasé du jour, on a toujours l’impression qu’il est tombé d’un camion-poubelle, froissé et fatigué.
Les enquêteurs vont même s'installer un moment au domicile de l'un d'entre eux : la maîtresse de maison est ravie de recevoir chez elle cette équipe de flics, c'est encore mieux qu'une série télé !
[...] Madame Rosa feint l’indifférence mais elle boit chaque mot. Ghezzi l’étudie sans qu’elle s’en aperçoive : elle croit être dans une de ses séries, pas au premier rang, cette fois-ci, mais bien dedans.
 On aime moins le personnage récurrent de Monterossi, l'homme de télé cynique, sans aucun doute alter ego ou péché mignon de l'auteur, mais dont les propos acerbes sur la télé-réalité donnent un peu trop dans la facilité de quelqu'un qui crache dans la soupe, façon je t'aime moi non plus. Heureusement dans ce troisième épisode de la série, sa présence se fait suffisamment discrète pour ne pas faire d'ombre à Carella et son équipe d'enquêteurs.

      L'intrigue :

Un notable est retrouvé en bas de chez lui, dans un quartier chic de Milan, troué de deux balles et un beau caillou blanc tout rond posé sur le torse. Et ce n'est que le début ...
[...] Un riche marchand tué dans la rue, c’est déjà un truc qui met en alerte ; deux, c’est une malédiction du Seigneur à faire pâlir les sauterelles.
L'inspecteur Carella (oui, oui) est chargé de l'enquête qui s'oriente assez vite vers une vengeance ou un règlement de comptes, sans doute pour une sombre histoire du passé. Les italiens ont un passé compliqué.
Le dénouement (qui aura lieu dans la cité San Siro) portera un constat désabusé sur la société milanaise, dans une tonalité qui rappelle l'amertume du parmesan Valerio Varesi.

Pour celles et ceux qui aiment Milan.
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jeudi 2 novembre 2023

L'affaire Martin Kowal (Eric Decouty)

[...] Le fantôme du Che est revenu des ténèbres.

    L'auteur, le livre (320 pages, 2023) :

Eric Decouty est un journaliste d'investigation qui connait bien les milieux politiques.
Avec L'affaire Martin Kowal, il lève le voile sur quelques dessous peu reluisants des années Giscard, une époque rarement évoquée en littérature.

    Le contexte :

Le 11 mai 1976, Joaquim Zenteno Anaya, l'ambassadeur de Bolivie est assassiné en pleine rue à Paris. Un attentat revendiqué par une "Brigade internationale Che Guevara" : le général Zenteno avait été directement impliqué dans l'exécution du Che en 1967.
Mais la revendication d'extrême gauche ne serait peut-être que la couverture d'un règlement de comptes entre putschistes boliviens qui laisserait même entrevoir quelques fantômes de l'OAS.
En dix-huit mois, c'était le cinquième assassinat de diplomates étrangers à Paris !
Et ce ne sera pas le dernier.
Eric Decouty nous donne le ton : 
[...] L'Affaire Martin Kowal est une fiction. Mais la liberté du romancier m'a permis d'introduire ce policier imaginaire des Renseignements généraux dans la réalité politique des années 1970. Au fil de son enquête sur l'assassinat jamais élucidé de l'ambassadeur de Bolivie, Kowal va tenter de mettre au jour les coulisses du pouvoir giscardien. Des manipulations et des compromissions qui sont, aujourd'hui encore, largement couvertes par le secret.

    On aime beaucoup :

❤️ On est curieux du personnage trouble imaginé par l'auteur : le jour, Martin Kowal est flic aux RG et, la nuit, il fréquente les bars louches en quête de pilules ou de poudre, tourmenté par un passé entaché par l'ombre d'un père qui s'est trompé de camp dans les années 60 et s'est égaré à l'OAS.
[...] Fils d'un flic qui l'a élevé seul après la mort précoce de sa mère, dans la détestation des « Rouges » et l'amour de la littérature, Martin n'a jamais envisagé un autre métier que celui de son père.
❤️ On se passionne évidemment pour le contexte historique et politique du bouquin. À quelques années près, on n'est pas très loin d'une ambiance à la Sadorski (Romain Slocombe) : une ambiance délétère, des fréquentations douteuses, des personnages pas toujours sympathiques, quelques rencontres de figures historiques (vues de dos), … on nous fait visiter l’envers du décor et les coulisses cradingues d’une Histoire peu reluisante. Celle des compromissions et des opportunistes.
❤️ On apprécie que, en bon journaliste, Decouty reste concentré sur son sujet même s'il prend soin d'évoquer quelques décors pour donner de l'épaisseur à ses personnages. Et finalement on est bien content d'avoir terminer le bouquin : il faut avoir l'estomac solide pour visiter les dessous nauséabonds de la république giscardienne. 
On peut filer ensuite se plonger dans un polar horrifique et bien sanglant : cool, un roman.

      L'intrigue :

On apprécie le démarrage surprenant du bouquin puisque Decouty se paie la coquetterie de ne pas commencer par le début et nous évite le couplet trop attendu sur la scène de l'attentat avec le général bolivien à terre au pied du métro. Tout cela a déjà été dit et annoncé, le lecteur se retrouve donc quelques jours plus tard, d'emblée immergé au sein des équipes d'enquête des RG qui vont devoir collaborer avec leurs ennemis jurés de la DST.
[...] Martin se demande si le fantôme du Che est revenu des ténèbres pour demander des comptes à ses assassins.
[...] - Max, tu crois vraiment que ces détraqués sont capables de monter un coup aussi bien préparé que le meurtre du Bolivien ? De buter un type en pleine rue, au milieu des passants, et de repartir tranquillement en métro, comme des vrais pros ? 
- La situation est en train de nous échapper, Martin. Les vieux Maos comme moi sont sortis du jeu et l'odeur du sang a complètement vrillé les méninges des nouveaux. Dans six mois la France ce sera l'Italie.
C'est le jeune Kowal qui va mener l'enquête tout en sachant bien qu'il est manipulé, avec [l'impression de n'être qu'un pion au service du pouvoir]. Mais qui exactement tire les ficelles et pourquoi ?
Les Brigades internationales ne sont évidemment qu'un leurre bien commode mais qui se cache derrière ? Les rescapés de l'OAS ont fui en Amérique du sud, comme les nazis avant eux, mais quels sont leurs liens inavouables avec les sicaires des dictatures latines installées par la CIA ?
[...] Il disait que la bataille d'Alger avait posé les bases de l'OAS. Mais aussi que les types qui avaient inventé cette fameuse «guerre révolutionnaire» avaient fait des petits un peu partout dans le monde. L'un d'entre eux aurait même écrit un bouquin et leur technique barbare était enseignée dans les écoles militaires.
Eric Decouty avance des pistes solidement étayées même si tout cela est resté secret et n'a jamais été élucidé.

Pour celles et ceux qui aiment les barbouzes.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce à Masse Critique de Babelio et aux éditions Liana Lévi (SP).
Mon billet dans 20 Minutes.

mercredi 25 octobre 2023

À balles réelles (Sergio Ramirez)

[...] Le Printemps nicaraguayen.

    L'auteur, le livre (336 pages, 2023 et 2021 en VO) :

Sergio Ramirez est un intellectuel et journaliste du Nicaragua qui participa activement à la politique sandiniste de Daniel Ortega jusqu'à ce qu'il coupe les liens en 1994 avec ce qui était devenu une dictature.
Ses prises de positions et ses écrits lui ont valu l'exil et même la perte de sa nationalité en 2021.
Son roman À balles réelles évoque la révolte de 2018 et la sanglante répression qui s'ensuivit. C'est le troisième épisode des aventures de l'inspecteur Dolores Morales, mais Ramirez nous gratifie d'un résumé biographique de son héros pour nous permettre de prendre le train en marche !

    Le contexte :

En 2018 ont lieu à Managua, de grosses manifestations contre la dictature du couple Ortega-Murillo (son épouse est vice-présidente !). 
Les jeunes s'en prennent notamment à des sculptures modernes en forme d'arbres qui ont envahi la capitale et sont devenus le symbole des extravagances de la première senõra de la dictature [clic].
[...] – Nous sommes peut-être en train de vivre le Printemps nicaraguayen, comme il y a eu le Printemps arabe. 
– Malheureusement nous n’avons que deux saisons, l’hiver quand il pleut et l’été quand il ne pleut pas.
Des groupes paramilitaires assistent la police lors de la violente répression et des snipers sont même chargés de dégommer les manifestants ou les livreurs de journaux. 
[...] Les gamins élevaient des barricades dans les rues, les flics anti-émeutes étaient partout, des pick-up Hilux patrouillaient avec des policiers en gilets pare-balles sur les plateformes arrière. 
– Et maintenant Troie brûle vraiment, dit le père Pancho.
Il y aura plus de 300 morts.

    On n'aime pas vraiment :

 Avouons qu'il faut un peu de temps pour nous acclimater à cette prose foisonnante venue d'Amérique latine, d'autant que l'amigo Ramirez n'y va pas avec le dos de la main morte : digressions incessantes, personnages truculents, folklore envahissant, imagination débridée, ... C'est un véritable carnaval avec curés, voyantes, fantômes et guru indien, où les amateurs d'intrigues policières bien ficelées seront certainement déroutés.
 Avouons également qu'on est un peu frustré par l'intrigue : alors qu'on s'était embarqué pour apprendre plein de choses sur les manifestations et la répression, ces événements se retrouvent relégués en décor d'arrière plan et on devra se contenter de suivre les tribulations de l'inspecteur Morales revenu clandestinement à Managua et d'assister aux violences des miliciens dispersées dans un capharnaüm peuplé de curés et de figures de carnaval.

      L'intrigue :

Expulsé hors des frontières par la police politique, l'inspecteur Morales et son compagnon tentent de regagner clandestinement Managua, déguisés en prêtres, alors que les rues sont à feu et à sang.
[...] – Monseigneur est armé de paroles. Les paroles sont plus puissantes qu’une mitraillette à quatre canons, camarade. 
– Ça, ce sont des conneries. Les balles transpercent aussi les soutanes.
En parallèle, nous suivons un militaire haut-gradé de la dictature, dit Tongolele, qui est chargé de préparer la répression des manifestations.
[...] Ils vont sortir les armes et tirer sur les mômes dans les rues.
[...] Ils croisèrent de longues files de Hilux en route vers l’ouest, remplis de paramilitaires aux visages couverts et habillés de tee-shirts de différentes couleurs, qui brandissaient leurs armes de guerre. Le camarade Artemio avait raison. Les troupes ne criaient aucune consigne, ne menaçaient personne avec des mots. La démonstration était muette, mais sinistre.
[...] Un gamin intrépide est abattu au moment où il tentait d’allumer un mortier artisanal. Un autre est tué, armé d’une petite carabine 22 bonne à chasser les iguanes, avec laquelle il n’a pas réussi à tirer. À dix heures du matin, Tongolele peut informer Leónidas que la route de l’aéroport est dégagée.
Un bouquin qui plaira peut-être aux amateurs de baroque latino-américain car [dans ce pays, la poésie finit tôt ou tard par vous rattraper].

Pour celles et ceux qui aiment les révolutions.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce à Netgalley et aux éditions Metailié

jeudi 19 octobre 2023

Le dragon du Muveran (Marc Voltenauer)

[...] L’homme qui n’était pas un meurtrier.

    L'auteur, le livre (608 pages, 2016) :

En 2016, Le dragon de Muveran fut le premier roman de Marc Voltenauer, un auteur suisse francophone au parcours original : une mère suédoise, un père allemand, un grand-père pasteur luthérien et des études de théologie à Genève.
Ce fan de polars nordiques lit les auteurs suédois dans leur langue originale : des intrigues dont il a adopté le style, fausse lenteur et vraie profondeur, pour ses propres romans qu'il situe à Gryon, petit village du canton de Vaud au pied du Grand Muveran et des Alpes suisses.

    On aime un peu :

❤️ On aime bien sûr l'exotisme de la langue de nos voisins, le café renversé, les "faites seulement", quand ça joue ou ça joue pas, ...
❤️ Habituellement on est plutôt allergique au décorum ecclésial mais là, on a pu apprécier la richesse de la symbolique biblique utilisé par le tueur et mise en scène sans prosélytisme par un auteur qui faillit bien être prêtre. Un petit parfum exotique en somme !
[...] Les premiers chrétiens utilisaient un principe appelé isopséphie qui associe les noms et les chiffres. Chaque lettre a une valeur numérique en fonction de sa place dans l'alphabet et le chiffre d'un nom est le total de ses lettres. Le 666 représente l'empereur César Néron qui fut un grand persécuteur de chrétiens.
 Bien sûr, il s'agit d'un premier roman : l'écriture manque encore de régularité, de personnalité et la mise en scène n'échappe pas aux tenaces clichés du genre (le médecin légiste, le whisky et les cigares au coin du feu, ...).
[...] Il savait d’expérience que les premières impressions étaient déterminantes pour la suite de l’enquête. La scène du crime était un livre ouvert. Il fallait l’observer, le lire, l’étudier, l’écouter.
[...] Andreas alluma un cigare, un Robusto de Cohiba. Une marque créée à l’origine pour Fidel Castro et les hauts dignitaires du parti communiste cubain. C’était aujourd’hui devenu un objet de luxe, consommé par les hauts dignitaires du libéralisme. Quelle ironie !
Il faut également un peu de temps pour que les personnages prennent de l'épaisseur au fil de courts chapitres qui retracent l'enquête et les interrogatoires : l'inspecteur Auer et Marc Voltenauer prennent leur temps, sans trop se soucier de la vraisemblance, plus attachés à dresser les portraits successifs des différents habitants du village, tour à tour témoins ou suspects. Paradoxalement, ce sont les héros, les enquêteurs autour d'Auer, un peu stéréotypés, qui semblent les moins bien dessinés.
 Tout cela est évidemment un peu long (600 pages !) et l'on regrette que l'auteur n'ait pas cru bon d'en profiter pour consacrer plus que quelques lignes page 614 à un scandale d'état [clic] qui secoua la Suisse bien-pensante : l'affaire de ces [milliers d'enfants placés de force en Suisse jusque dans les années 1980, auxquels la Confédération a rendu hommage postérieurement en leur présentant ses excuses] ... en 2013, une affaire assez similaire à celle de nos enfants de la Creuse qu'un autre livre évoquait récemment.

      L'intrigue :

Au petit matin, dans le temple protestant du village de Gryon, un cadavre est retrouvé en croix sur l'autel, dénudé, poignardé, énucléé, un verset de la Bible sur la poitrine. 
[...] Sur la table de communion, un cadavre était allongé, nu. Les bras étendus étaient perpendiculaires au corps. Les jambes, attachées ensemble à l'aide d'une corde. C'était l'image du Christ crucifié. Un homme. La cinquantaine probablement. Un énorme couteau était planté dans son coeur. Autour de la plaie, du sang séché formait comme un réseau de ruisseaux du haut de la poitrine jusqu'à son sexe. Ses yeux avaient été enlevés. Les orbites ressemblaient à deux trous noirs. A l'extrémité du couteau, une cordelette avec un morceau de papier.
Voilà de quoi bouleverser la population des lieux jusqu'ici tranquilles et mobiliser la police judiciaire de Lausanne : l'inspecteur Andreas Auer a justement élu domicile dans ce village où il vit avec son compagnon journaliste.
La mise en scène pourrait laisser croire que nous sommes tombés [en plein Da Vinci Code] mais plus prosaïquement, le cadavre était celui d'un agent immobilier connu pour quelques vices et pour tremper dans quelques affaires louches. Mais cela ressemble un peu trop à [un homicide digne d'une série télévisée mêlant pouvoir, argent et sexe - les ingrédients indispensables d'un bon audimat] : la vérité sera plus complexe et il faudra fouiller le passé de ce petit village où tout le monde se connait.
[...] La vengeance. Mais l'histoire n'est pas complète. Il y aura une suite. 
- Reste à savoir qui du meurtrier énigmatique ou de l'inspecteur charismatique écrira la fin de l'histoire !,
Il y aura même quelques petits coups de théâtre pour un dénouement intéressant !

Pour celles et ceux qui aiment les montagnes suisses.
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mardi 17 octobre 2023

Les fantômes de Kiev (Cédric Bannel)

[...] C’était terrifiant de se retrouver sur la kill list du Kremlin.

    L'auteur, le livre (512 pages, 2023) :

Les fantômes de Kiev : on se méfiait un peu d'un roman d'espionnage qui semblait surfer sur le conflit en Ukraine, mais on a tout de même décidé de faire confiance à l'un de nos auteurs préférés : Cédric Bannel qui nous a déjà emmené en Afghanistan à plusieurs reprises.
L'auteur poursuit le virage amorcé dans les derniers bouquins sur l'Afghanistan (notamment l'excellent Espion français) avec la mise en scène des aventures d'un espion de l'équipe Sigma de la DGSE du Boulevard Mortier. 

      Le contexte :

Cette fois, nous partons pour l'Europe centrale en Roumanie, en Ukraine, dans le Donbass, sur les traces d'un [complot du Kremlin contre la France. Une opération qui, selon ce qu’il lui avait annoncé, aurait pour nom de code « Ouragan de feu ». Personne n’avait jamais entendu parler de ce truc avant.] Une attaque préparée de longue date parce que [la vengeance du prezident Poutine se mange toujours glacée.] 
[...] Sans l’OTAN, le drapeau russe flotterait déjà sur Kiev. Maintenant, il est acculé, donc il se venge et lâche ses coups. Trois pays sont plus particulièrement dans sa ligne de mire : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Le premier est loin, le second une île. Nous sommes les plus faciles à frapper. Il va recommencer.

    On aime bien :

❤️ On aime le scénario digne d'un James Bond. La première partie du livre se met en place lentement pour laisser le temps à l'auteur de nous expliquer sa géopolitique et tout ce qu'il a appris sur les services secrets spéciaux des différents pays protagonistes (France, Roumanie, Russie). Puis vient le temps de la course folle à travers le Donbass en guerre et on ne lâche plus le bouquin, véritable page-turner.
❤️ On apprécie le travail de documentation et une intrigue certes romancée, mais assemblée à partir d'événements bien réels : la Norvège a effectivement fourni des missiles français Mistral à l'Ukraine, la prison Isolatsia de sinistre réputation existe bel et bien dans le Donbass, les bidonvilles de Ferentari et Rahova sont bien des plaies ouvertes dans la cité de Bucarest, ...
[...] Même dans les quartiers les plus déshérités de Kaboul, jamais Edgar n’avait été confronté à une telle misère humaine.
[...] Des générations dans des taudis, la banalisation de la pauvreté et de la mendicité, l’absence d’éducation et de formation, après cinquante ans de communisme percutés par trente ans de capitalisme sauvage, avaient créé une trappe sociale dans laquelle beaucoup étaient aspirés. Il en était sorti une version du lumpenprolétariat du XXIe siècle assez proche, finalement, de celle que décrivait Karl Marx à la fin du XIXe.
 Mais tout cela n'a plus le charme exotique des précédentes histoires afghanes auxquelles nous avait habitués Cédric Bannel et le manque d'originalité de cet épisode le place nettement en-dessous du précédent : L'espion français. Reste tout de même un bon thriller d'espionnage raconté par un pro et situé au cœur de l'actualité.

      L'intrigue :

La DGSE est informée de la préparation d'une attaque russe sur le sol français : un attentat digne du 11 septembre. L'agent spécial Edgar est envoyé en Roumanie puis en Ukraine, jusque dans le Donbass, pour retrouver l'informateur mystérieux et déjouer le complot.
Pour couvrir leur implication, les russes n'ont pas hésité à manipuler des islamistes installés en France.
[...] — La France est la cible parfaite, reprit-il. C’est le petit Satan. Elle empêche nos sœurs de s’habiller dignement, leurs filles de porter le voile à l’école. Elle laisse des infidèles caricaturer notre Prophète et insulter notre Livre sacré. Elle permet à des hommes de se marier entre eux, infamie suprême ! Quand des croyants se rebellent contre ces horreurs, elle les envoie croupir en prison au nom d’une prétendue liberté d’expression, qui ne marche que dans un sens. Aujourd’hui, ses troupes sont partout en terre d’islam, au Maghreb, en Afrique, pour lutter contre nos frères en religion.
Des péripéties et un montage très classiques, tout à fait dans les standards (et les clichés ...) de ce type de roman d'espionnage.

Pour celles et ceux qui aiment les espions français.
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