samedi 25 octobre 2014

BD : Golden City

Une série en or

Les albums n° 9 et 10 de Golden City sont sortis il y a peu : l'occasion de relire la série et d'en parler ici, ce que l'on n’avait pas fait jusque là.
On aime bien le charme indéfinissable de cette BD qui rappelle un peu l’adorable série du brésilien Leo(1).
Avec Golden City, Daniel Pecqueur (scénario) et Nicolas Malfin (dessins) nous emmènent dans un futur pas si lointain : la Terre et ses eaux sont polluées (refrain connu), les plus riches se sont réfugiés dans une île flottante, Golden City, protégés des affreux jojos restés à terre.
Parmi les laissés pour compte sur le rivage, une petite bande d'orphelins débrouillards.
Parmi les milliardaires, le pdg d'une multinationale pharmaceutique, beau, riche, fort et intelligent, il a tout du Golden Boy mais garde quand même bon cœur d'autant qu'il va se retrouver victime d'une sombre machination. S'ensuivront au fil des albums tout un lot de divers complots, traîtrises variées et retournements inattendus.
Alors oui, malgré quelques facilités un peu racoleuses (écologie à la mode, high tech branchée, maillots de bain échancrés(2), ...), malgré la répétition des rebondissements qui font durer la série, on aime bien le charme un peu naïf de ces albums, le côté pas prise de tête de cette histoire, le dessin clair et lumineux tracé par Nicolas Malfin, les péripéties rocambolesques tissées par Daniel Pecqueur, le machiavélisme des très sévères méchants et l'enthousiasme sympathique des gentils débrouillards.
On peut toutefois s’arrêter au numéro 6 de la série : à partir du 7, Pecqueur peine un peu à relancer une nouvelle saison sans trop savoir s’il lui faut plonger sa cité d’or au fond de l’eau ou l’envoyer dans l’espace. Ce qui permet d’ailleurs à Nicolas Malfin de nous offrir de nouvelles planches aux bleus profonds et lumineux.
Juste un cran en-dessous de la série de Leo déjà citée, sans doute car on n’y retrouve pas la poésie extraterrestre, le petit supplément d’âme apporté par le brésilien.

Quelques planches à cliquer : [1] [2] [3] [4] [5]

(1) - Aldebaran, Betelgeuse et Antares, une série dont on reparlera bientôt à l'occasion de la sortie du n° 5 d'Antares
(2) - euh, ben oui, BMR il aime bien les maillots de bain justement …


Pour celles et ceux qui aiment les belles images.
D'autres avis sur SensCritiques.


jeudi 16 octobre 2014

Bloody cocktail (James M. Cain)

La recette du Bloody Joan à la mante (religieuse).

Cette recette de cocktail, on la tient de Jacques (chez qui on peut d'ailleurs nous croiser parfois) : un Bloody Cocktail (en VF, si on peut dire, la VO titrait The cocktail waitress) de James Mallahan Cain, auteur américain du milieu du siècle dernier, connu pour plusieurs polars adaptés au cinéma comme Le facteur sonne toujours deux fois.
Les ingrédients du barman sont plutôt basiques mais la recette toujours réussie : des gars au portefeuille plein de fric, des filles au sex-appeal torride et donc des morts en pagaille.
La variante du Bloody Mary concoctée ici par James M. Cain, c'est le Bloody Joan.
On découvre une Joan (presque) éplorée qui vient tout juste de perdre un affreux jojo de mari qui s'est emplafonné ivre mort au volant d'une bagnole qui n'était pas la sienne. L'affreux jojo battait sa si jeune et si jolie épouse et on n'a guère le temps de s'apitoyer sur son sort.
La pauvre et jolie Joan est obligée de travailler pour subvenir à ses besoins et à ceux de son fils : elle trouve une place de serveuse dans un bar. L'uniforme de la maison lui sied à merveille : la pauvre et jolie Joan a juste un peu de mal à garder sa poitrine à l'intérieur du chemisier et les mains des clients à l'extérieur de sa culotte [non, je ne fantasme pas sur la couverture (d'ailleurs c'était un ebook ... mauvais choix cette fois-ci !) et je n'invente rien : James M. Cain avait une réputation un peu sulfureuse].
Avec son job de serveuse (et son uniforme donc) on se dit que la pauvre et jolie Joan n'aura aucun mal à trouver rapidement un autre mari attentionné.
Et tiens donc, voici que le plus assidu des soupirants se trouve être un vieux milliardaire cardiaque. Je vous ressers un autre Bloody Joan ? Les chips sont offertes par la maison.

[…] Il me portait jusqu’à sa chambre, faisait glisser ma fermeture éclair et couvrait mon cou de baisers. C’est ainsi que, le jour de l’enterrement de mon mari, je couchai avec mon amant pour la deuxième fois.

En dépit de cette intrigue minimaliste (même si on n'a pas retracé ici tous les détails et péripéties) le bouquin fonctionne : c'est écrit à la première personne, la jolie personne de Joan, sous forme de confession. À qui se confie-t-elle ?
Aux flics qui ont enfin trouvé de quoi l'inculper ?
Au lecteur qui voudrait s'ériger en juge impartial ?
Joan n'est-elle qu'une jeune et belle ingénue dont les maris n'ont vraiment pas de bol ?
Ou plutôt une redoutable mante qui n'aurait rien d'une religieuse ?
Faut-il croire tout ce qu'elle nous raconte et surtout que doit-on penser de l'angle sous lequel elle nous dévoile tout cela (si je puis dire) ?
Très vite, chez les flics, tout comme dans la tête du lecteur, il y aura bientôt deux camps ... dont l'un gardera les yeux rivés sur les chemisiers et les shorts de Joan.
Ainsi va le monde selon James M. Cain.

[…] Je pense que vous auriez agi comme moi. Mais vous n’auriez pas fait plus, pas tout ce dont j’ai été accusée, plus tard, dans les journaux.

Ce roman est un inédit posthume : dans sa postface, l'éditeur Charles Ardai, spécialiste du polar hard-boiled, nous raconte comment il a réussi à dénicher les différentes versions non publiées de cette histoire et comment il a tenté de reconstituer un ensemble qui tient la route. La recette réussie d'un polar noir aux saveurs anciennes mais soigneusement dépoussiéré pour notre lecture aujourd'hui.


Pour celles et ceux qui aiment les pin-ups.
D'autres avis sur Babelio et celui de Jacques.



dimanche 12 octobre 2014

L’écrivain national (Hervé Joncour)

La promenade de Narcisse en forêt.

Rentrée littéraire, bouquin à la mode d’un écrivain à la mode, blogs dithyrambiques, … on aurait dû se méfier de L’écrivain national.
Pourtant le pitch était prometteur : un écrivain est invité dans une petite ville de province (réceptions, signatures, ateliers, lectures, cocktails) et se retrouve à côtoyer un fait divers dans une ambiance chabrolienne.
Une disparition mystérieuse ou un meurtre ? Un règlement de compte crapuleux ou l’élimination d’un gêneur ? 
Serge Joncour et son héros (ils ne font qu’un) ont franchi le périph’ et se sont mis en tête de découvrir, pire : de nous faire découvrir, la France profonde. Celle des forêts du Morvan. Celle des notables et des bourgeois, celle où parfois viennent trouver refuge des marginaux et des écolos.
L’auteur sait parfois trouver le bon rythme et nous préparer des saveurs des plus goûteuses :

[…] On suivait des routes onduleuses qui nous soulevaient chaque fois vers un nouveau panorama.
[…] Du côté des pâturages, là où l’on produisait de la viande rouge et du fromage blanc.

Une plume appliquée qui vire quelques paragraphes plus loin à la pire des catastrophes, de celles qui sentent à plein nez les ateliers d’écriture, ceux que justement Serge Joncour évoque dans ses rendez-vous littéraires de province :

[…] Le tragique vient de ne pas anticiper l’inéluctable.
[…] Il ne suffit pas de dire vrai pour que le livre soit sincère.
[…] Elle avait bien trop la couleur du drame pour ne pas être mon soleil masqué.

Passent encore ces prétentions de plumitif qui a oublié parfois de se relire car le rejet vient encore plus sûrement de l’autodérision ironique des premières pages qui se révèle très vite n’être qu’un incorrigible narcissisme. Le jeu tourne court, il n’en reste que le je.
Serge Joncour se met en scène jusqu’à l’écœurement, apitoyé sur son propre sort et celui de son double, héros ou miroir :

[…] En plus d’être isolé, je n’avais personne pour s’apitoyer sur mon sort.

Malgré toute la bonne volonté du monde, il est bien difficile de s’intéresser au sort du héros et de son auteur, de se laisser prendre un moment par une histoire d’amour à peine crédible, de se pencher avec un peu d’empathie sur des personnages falots, de rester captivé par une intrigue policière bien mollassonne. Sans doute une lecture qu’il fallait prendre à un second ou troisième degré que l’on n’a pas trouvé en dépit de nos efforts.
Livre lu grâce à Flammarion et à l’opération Masse Critique de Babelio (SP).


Pour celles et ceux qui aiment le Morvan.
D’autres avis plus positifs sur Babelio.


jeudi 9 octobre 2014

BD : La colonne


Le temps béni des colonies.

Après l'épopée du vicomte de Sanderval que nous contait récemment Tierno Monénembo, voici une autre facette du temps béni des colonies : à peu près à la même époque, en 1899, notre République éclairée dépêcha une Mission Civilisatrice et envoya deux officiers français, le capitaine Voulet et le lieutenant Chanoine, à la conquête du Tchad.
Mais la comparaison avec le bouquin précédent doit s'arrêter là et même assez brutalement : si le Roi de Kahel n'était finalement qu'un doux rêveur guère dangereux, les soldats Voulet et Chanoine furent de sinistres sires, poussés à la faute par une République inconsciente et avide de conquêtes coloniales.
La colonne infernale (ils étaient accompagnés de plusieurs centaines de tirailleurs sénégalais et mercenaires africains) leur colonne infernale a laissé une longue traînée de sang dans les sables du Niger actuel, pillant, violant, incendiant, décapitant et massacrant tout sur son passage : on parle de plusieurs milliers de morts, femmes et enfants compris. À l'époque on mit cela sur le compte d'une soudanite aigüe qui aurait affecté nos vaillants soldats et, après la défaite de Fachoda contre les anglais, la conquête effective et glorieuse du Tchad fit bien vite oublier ce détail de l'Histoire, d'autant qu'en France, l'affaire Dreyfus présentait d'autres enjeux.
Depuis, les manuels d'Histoire se sont bien gardés de rappeler ce sinistre épisode (parmi d'autres) et il faudra attendre les années 80 pour que ces pages sortent des archives.
C'est donc ce sinistre épisode de la pacification coloniale que nous raconte la BD de Christophe Dabitch (scénario) et Nicolas Dumontheuil (dessin).
Même si les noms ont été (légèrement) modifiés, le scénario reproduit fidèlement les événements historiques (même la résistance de la reine Sarraounia fut réelle) : il n’est même pas besoin de forcer le trait et les deux tomes sont bien suffisants pour la démonstration !
Le dessin à demi-naïf de Dumontheuil surprendra de prime abord mais après quelque hésitation, on franchit le pas et on adhère à ses images Y'a-bon-Banania qui s'accordent finalement tout à fait à l'esprit de ces années (en rappelant les caricatures des journaux satiriques de l'époque) et ajoutent un peu de distanciation humoristique et nécessaire face à ces sombres événements.
D'autant que les auteurs n'oublient pas de questionner également la soldatesque noire qui, en nombre, suivit un peu trop aveuglément la ‘folie’ des officiers supérieurs blancs.
Voulet ira même jusqu'à se proclamer Roi du Tchad (pays qu'il n'atteindra jamais !) et le gouvernement français finira par dépêcher sur place (un peu tardivement dirons nous ?) une seconde mission chargée de remettre un peu d'ordre militaire dans cette folie meurtrière.
On vous laisse un peu de suspense pour découvrir ce qu'il advint de nos fiers soldats mais sachez quand même que la colonne repartit ensuite sous d'autres commandements pour conquérir le Tchad, une façon bien française de capitaliser sur les acquis de la République.
Une BD et une Histoire à découvrir, un devoir de mémoire passionnant.
Quelques belles planches à cliquer ici : [1] [2] [3].

Pour celles et ceux qui aiment l’Histoire.
D’autres avis sur SensCritique. À lire également pour en savoir plus [1] [2].



samedi 4 octobre 2014

Le roi de Kahel (Tierno Monénembo)

Le temps béni des colonies [1/2]

C’est l’histoire d’une passion. L’Histoire d’une Afrique. C’est d’ailleurs peut-être la même chose.
La passion africaine de Aimé Victor Olivier, vicomte de Sanderval, un entreprenant et industrieux lyonnais qui, à la charnière des XIX° et XX° siècles, attrapa le virus des colonies et se mit en quête de devenir Roi du Fouta-Djalon (une partie de l’actuelle Guinée-Conakry).
Une histoire vraie que nous romance l’écrivain guinéen Tierno Monénembo dans Le roi de Kahel.
Une épopée bouillonnante, picaresque, aux accents de tartarinade : c’est tout à la fois l’Afrique, l’époque et le bonhomme qui veulent ça.

[…] L’Afrique lui apparaissait comme un monumental opéra baroque : des personnages difformes, des scènes extravagantes, une orgie de bruits et de couleurs, une musique jamais entendue ; un spectacle démesuré, à désintégrer l’esprit, à brûler les sens !

L’esprit aveuglé par le racisme colonial de l’époque (un aveuglement qui annonçait les terribles bouleversements du siècle à venir), la cervelle farcie de l’arrogance culturelle occidentale, les sens (et les intestins !) tourneboulés par les charmes africains, le vicomte de Sanderval entreprend expédition sur expédition (pacifiques les expéditions) pour apporter en vrac, le commerce, la philosophie, un roi et le chemin de fer aux peuls du Fouta-Djalon.

[…] – Vous, les Français, vous n’avez pas besoin d’histoire, vous avez besoin de héros !
[…] – Vous, vous n’êtes pas ici pour la France mais pour vous, n’est-ce pas ? Vous êtes un drôle de type. Qu’est-ce qui peut bien vous attirer en Afrique ?
– Le goût de l’Histoire, justement, monsieur le Britannique. L’Europe est blasée. C’est ici que l’Histoire a une chance de recommencer. À condition que l’on sorte le Nègre de son état animal !
– Et c’est pour cela que vous êtes là, pour sortir le Nègre de son état animal !
– Je crois, en effet, qu’il est temps de lui transmettre la lumière que nous avons reçue d’Athènes et de Rome !
[…] – Vous qui avez vu ces Nègres de près, pensez-vous qu’il soit possible de les sortir de la jungle où la génétique les a emmurés ?
– C’est une race primitive, j’en conviens, bien plus proche du singe que de nous, mais c’est une race jeune. Le cœur commence à naître, l’esprit naîtra par la suite. L’évolution mon cher Jules, l’évolution !
[...] – Oui, mais pourquoi le Fouta-Djalon ?
– D’abord à cause du nom, et ensuite de la géographie !

Amoureux de l’Afrique depuis son enfance, conquis par les cultures et les tribus qu’il y rencontra et imbu de sa propre personne, le vicomte de Sanderval, futur roi des peuls, était un doux rêveur, un barjot illuminé et son biographe réussit à nous entraîner avec recul mais enthousiasme sur les traces de ce rêve lumineux.

[...] Il ne tarissait pas d’éloges sur la nature et sur les femmes. Le mardi 9 mars, il nota, ravi et condescendant : “Vu une très jolie fille : beaux yeux mystérieux, nez correct, mince et busqué, lèvres presque minces. Quel dommage que tout cela soit noir !”
[…] Que redoutez-vous le plus ici, mon capitaine ?
– Les maladies !
– Plus que les Nègres ?
– Les Nègres, on peut les combattre, les maladies, jamais !…
Alors, ces Peuls ?
– Les Anglais de l’Afrique ! Tous les défauts et toutes les qualités de la terre : radins, perfides, ombrageux ; intelligents, raffinés, foncièrement nobles !

Mais chacun sait qu’après le rêve, le réveil est souvent difficile et l’éphémère Roi de Kahel sera bien vite rattrapé par les réalités historiques d’un colonialisme qui n’était pas le sien.
Comme tous les africains, Tierno Monénembo nous fait profiter d’une plume baroque et colorée mais nous épargne une naïveté qui ne sied pas au propos et sait nous dépeindre une colonisation sans concession :

[…] Chacun dénigrait chacun et couchait avec la femme de l’autre. On brûlait son ennui à la belote et sa malaria au Pernod. On était aux colonies, on ne s’aimait pas beaucoup, mais il fallait se serrer les coudes pour survivre aux hostilités du dehors : les Nègres et la jungle, la vermine et l’ennui.
[…] Blancs tremblant de trouille, rongés par le Pernod et jaunis par le palu.
[…] – Laissez donc, Olivier ! Le Fouta-Djalon est suffisamment inaccessible comme ça et les Peuls bien trop compliqués.
– Sans le Fouta-Djalon, c’est impossible d’avoir le Soudan.
– Nos postes sont bien avancés au Soudan, grâce au général Faidherbe.
– Nous les perdrons aussitôt que les Anglais s’empareront du Fouta-Djalon, ce qui risque fort d’arriver : les Peuls raffolent de la cretonne de Manchester et commencent à compter en shillings.
– Merci pour cette admirable leçon de géopolitique, monsieur Olivier. Mais pour l’instant la France a des hommes pour définir sa politique africaine.
– Des hommes de peu d’imagination !
[…] Quant à la vie de la France, ma foi, mis à part les éclats de voix que l’on entend pousser au Parlement, c’est celle, paisible et morne, d’une vieille rentière qui se sent bien dans son agonie.

Merci à François pour cette découverte.
On reparle des colonies très bientôt avec une autre épopée, beaucoup moins drôle … à suivre [ici] !


Pour celles et ceux qui aiment l’Afrique.
D’autres avis sur Babelio.