Cours Flanagan, cours !
Dans la série : les bons bouquins lus cet été
Il est des bouquins magiques qui vous emportent au loin, à une autre époque, dans un autre milieu, vers une autre culture. Ailleurs.
Il serait vain d’en citer ici mais La grande course de Flanagan de Tom McNab est l’un de ces bouquins fabuleux.
Pourtant ce livre-là ne nous emmène pas très loin : aux US.
Ni vraiment en des temps très reculés : c’était les années de la grande crise, celle de 29.
Non l’exotisme et le dépaysement sont ailleurs puisque ce bouquin nous emmène dans un autre monde, celui des sportifs, des coureurs pour être plus précis, des coureurs de fond, des quelques coureurs de grand fond qui prirent le départ dans les années 1930 pour traverser les US.
Plus de 5.000 km, deux marathons par jour, six jours sur sept.
[…] Messieurs, ici, il s’agit de saisir sa chance. Il n’y a pas d’aumônes dans la Trans-america. Ces athlètes sont venus de soixante et une nations du monde entier. Certains sont chômeurs, d’autres ont vendu leur maison, d’autres encore ont laissé femme ou fiancée pour disputer cette course. Ce sont des hommes, messieurs. Ils savent que c’est un pari, parce que personne n’a jamais parcouru cinq mille kilomètres à travers les États-Unis d’Amérique. Ces hommes sont des athlètes - ce sont aussi des joueurs. Ils parient que leur corps pourra tenir le coup pendant trois mois à quatre-vingt kilomètres par jour.
Une entreprise de folie à une époque où l’on était prêt à tout pour quelques dollars, quitte à danser jour et nuit (c’était l’époque où l’on achevait bien les chevaux), quitte à courir 80 km par jour pendant 3 mois.
C’était la mode des premiers JO, des premiers Tours de France à vélo, des marathons.
C’était la grande crise, celle de 29. Il fallait occuper du monde, la vie ne valait pas chère, il fallait donner de quoi rêver un peu. Du pain et des jeux.
[…] - Ce que nous emmenons d’ici à New-York, c’est du divertissement, répondit Flanagan.
”Partout où nous irons, à chaque minute du parcours, j’ai l’intention de présenter un spectacle.”
Pour sa grande course, Tom McNab s’inspire d’une ‘vraie’ compétition (voir ci-après) et donne le départ en 1931 à ses 2.000 coureurs venus des quatre coins de monde. Quelques coureurs chevronnés mais aussi beaucoup de pauvres types qui, pour sortir leur famille ou leur village de la crise, n’avaient plus que l’espoir des primes promises à l’arrivée. Et leurs jambes.
Comme lors de la véritable Transcontinental Foot Race, un quart d’entre eux arriveront à New York quelques 3 mois et 5.000 km plus tard.
[…] - Alors, Willard, combien ont survécu aux éliminatoires ? “ demanda-t-il.
- Au dernier relevé, mille deux cent quatre-vingts”, répondit Willard en se levant de son bureau après avoir consulté son bloc-notes.
Flanagan jura à haute voix. “Près de mille coureurs éliminés en quatre jours ! Cette course ressemble plus à un massacre qu’à une compétition. Et la fille ?”
t oui, il y a même quelques femmes dont certaines iront jusqu’au bout !
On connait bien ces polars tellement captivants qu’on ne les lâche plus.
Et bien même si l’on est ni sportif ni accro au jogging mais plutôt du genre avachi sur son canapé avec une bière à la main, avec La grande course de Flanagan et Tom McNab, c’est pire qu’un polar, on ne lâche plus le bouquin et on lit, on lit, matin, midi, soir, comme les coureurs, de défi en défi, on veut savoir, on court avec eux, qui va y arriver, qui va craquer, qui va tenir, quand vont cesser les souffrances, allez, allez, tiens bon ! Nom d’un chien quelle histoire !
Le roman est plutôt bien construit, jour après jour, kilomètre après kilomètre, on fait peu à peu la connaissance d’une douzaine de coureurs (leur histoire, leur motivation, …), des liens se tissent, des romances même.
Quelques épisodes homériques (MAM y a trouvé quelques longueurs) viennent ponctuer la course, émailler le récit. Et puis des histoires rocambolesques avec la mafia, la politique, le FBI, les syndicats, … Tout le contexte du pays et de l’époque, passionnant.
La course est aussi une sacrée “affaire” à organiser, avec une caravane comme celle du Tour, des sponsors, et toute la logistique : Flanagan est bientôt proche de la déroute financière. Et puis la rivalité avec les JO, entre sportifs amateurs et professionnels et d’autres histoires encore qu’on vous laisse découvrir.
Tout cela est bigrement intéressant, on se plait à découvrir tout un monde méconnu et on n’a guère le temps de souffler entre les étapes.
Et puis la course bien sûr : foulée après foulée, dans la chaleur accablante des sables du désert de Mojave, dans le froid cinglant des neiges des Rocheuses, … Bien vite, au fil des abandons, la course se resserre. Ils partirent 2.000 mais se virent moins de 500 en arrivant au port de New-York.
Le suspense est sur tous les fronts.
La “vraie” course fut lancée le 4 mars 1928 par Charles C. Pyne.
Il y eut 200 coureurs (et non 2.000) à défier les 5.500 km de cette Transcontinental Foot Race qu’on appela bientôt le Bunion Derby. Seuls 54 furent au rendez-vous de l’arrivée, trois mois plus tard.
Évidemment il faut en profiter pour rappeler le bouquin d’Échenoz sur la vie de Zatopek (un autre coup de cœur !) : ce sera quelques années plus tard et le Monde traversera encore une époque troublée.
Pour celles et ceux qui aiment la course à pied.
D’autres avis sur Babelio et celui de Dominique.