[...] Le quartier était rempli de ces veuves impassibles.
Le
Donbass c’est le bassin minier à l’est de l’Ukraine, l’ancienne Ruhr soviétique (un mot-valise issu de
Donetski kamennoougol’ny basseïn en russe).
Depuis 2014 et la révolution ukrainienne du Maïdan, c’est une zone de guerre civile et de conflit larvé entre les pro-occidentaux de Kiev et les pro-russes soutenus par Moscou (rappelez-vous le vol Malaysian abattu en juillet 2014, dont le procès s'ouvre justement aujourd'hui).
Même encore aujourd’hui alors qu’un processus de paix est soi-disant enclenché.
Une région sinistrée comme partout (Syrie, Palestine, ...) où les grandes puissances n’osent passer à l’offensive directe et installent un chaos soigneusement entretenu de part et d’autre d’une ligne de front mouvante et instable.
[...] Tant que le nombre de morts restait limité, personne n’était prêt à des concessions. Et les Occidentaux pouvaient oublier cette demi-guerre sur laquelle ils n’avaient aucune prise.
❤️ Le journaliste du Monde, Benoit Vitkine, y a réalisé quelques enquêtes qui lui ont valu le prix Albert-Londres et qui lui ont inspiré ce livre, un roman.
L’intrigue policière du bouquin est ténue : un cadavre d’enfant poignardé émeut la population et les autorités pourtant habituées à voir les cadavres pleuvoir comme les bombes. Mais le petit n’a pas six ans et sa mort n’a rien à voir avec la guerre.
Un vieux flic désabusé, vétéran d’Afghanistan, se charge d’une enquête lente et difficile.
Le prétexte pour Benoit Vitkine de nous intéresser à la vie quotidienne des oubliés de ce conflit : les milliers de civils qui vivent de part et d’autre de la ligne de front, dans le dénuement le plus complet et qui rentrent la tête dans les épaules chaque jour quand tonnent les canons et les mortiers.
[...] Tout le monde continuait à parler de « cessez-le-feu fragile », passant par pertes et profits le million de personnes qui, selon les décomptes officiels, habitaient à moins de cinq kilomètres de part et d’autre de la ligne de front.
En bon journaliste ‘objectif’, Vitkine se garde bien de prendre parti pour l’un ou l’autre des deux camps : d’ailleurs familles et proches gardent le contact par delà le no man’s land qui traverse la région.
En bon écrivain, Vitkine se garde également de nous asséner un pensum historico-politique sur les origines du conflit ou les avancées de telle ou telle armée.
Le contexte géopolitique est esquissé par petites touches, la prose est fluide et agréable, et on tient donc là un excellent roman, noir comme le charbon du Donbass, où l’auteur tente de nous faire partager quelques tranches de ces vies broyées par ce conflit auquel nous évitons de penser.
[...] Ici, les gens sont vivants. La guerre les a mis à nu, on voit tout de suite ceux qui sont bons et ceux qui sont mauvais. Et ceux qui sont bons me donnent une furieuse envie de rester.
Une fois le livre refermé, on oubliera sans doute trop vite ce conflit méconnu mais on gardera certainement en mémoire les babouchka de Vitkine.
[...] Elles étaient des survivantes. Le quartier était rempli de ces veuves impassibles. Le pays pouvait bien s’étriper, elles continueraient à fabriquer des confitures et à mariner des champignons.
À noter : ce sont les mineurs du Donbass qui ont été appelés à la rescousse en 1986 lors de la catastrophe de Chernobyl (c’est presque à côté) et Vitkine place en exergue de son livre une magnifique citation de la série de HBO :
– Vous avez déjà rencontré des mineurs ?
– Non.
– Je vous conseille de dire la vérité. Ces hommes travaillent dans le noir, ils voient tout.
Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire contemporaine.
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