Telle mère, telle fille.
Après vous avoir bassinés avec un été africain, on risque bien de vous imposer un automne vietnamien en prévision de notre voyage en décembre chez les Hmongs, Lô Lô et autres minorités ethniques des montagnes du nord-vietnam ... ! Allez, on commence ...Kim Thuy est née à Saïgon pendant l'offensive du Têt. Elle quittera le Vietnam 10 ans plus tard en compagnie d'autres boat people. Depuis elle vit au Québec.
Elle a écrit Ru, son premier roman, en français.
Largement autobiographique, ce petit bouquin est comme un collage de souvenirs et d'époques : les derniers temps de l'opulence coloniale avant l'arrivée des communistes, la fuite en bateau jusqu'au Canada via les camps de réfugiés de Malaisie, la vie d'immigrante au Québec, puis ses deux enfants, son retour provisoire au pays de nombreuses années après, ... Kim Thuy entremêlent habilement de petites scènes vécues dans ces différents lieux à différents moments de sa vie. Le patchwork prend forme et se dessinent peu à peu quelques portraits : le sien bien sûr, mais également celui de sa famille, sa mère, Tante 7(1) un peu simplette ou encore l'incorrigible Oncle 2, play-boy désinvolte et charmeur ...
Bien sûr quitter le Vietnam dans ces conditions et à cette époque n'a pas été une excursion touristique : quelques scènes évoquent des souffrances et des blessures pas faciles à oublier ...
Mais l'auteure sait aussi nous faire partager quelques moments de pure poésie asiatique :
[...] J'allais au bord d'un étang à lotus en banlieue de Hanoï, où il y avait toujours deux ou trois femmes au dos arqué, aux mains tremblantes, qui, assises dans le fond d'une barque ronde, se déplaçaient sur l'eau à l'aide d'une perche pour placer des feuilles de thé à l'intérieur des fleurs de lotus ouvertes. Elles y retournaient le jour suivant pour les recueillir, une à une, avant que les pétales se fanent, après que les feuilles emprisonnées aient absorbé le parfum des pistils pendant la nuit.Mais les plus belles pages sont celles qui évoquent son arrivée au Canada, il y a trente ans, et l'accueil que leur réservaient les québécois. Des pages à lire et relire, salutaires à notre époque où l'on se préoccupe plutôt d'élever des murs et de fermer les frontières.
[...] Ma première enseignante au Canada nous a accompagnés, les sept plus jeunes Vietnamiens du groupe, pour traverser le pont qui nous emmenait vers notre présent. Elle veillait sur notre transplantation avec la délicatesse d'une mère envers son nouveau-né prématuré. Nous étions hypnotisés par le balancement lent et rassurant de ses hanches rondes et de ses fesses bombées, pleines. Telle une maman cane, elle marchait devant nous, nous invitant à la suivre jusqu'à ce havre où nous redeviendrions des enfants, de simples enfants, entourés de couleurs, de dessins, de futilités. Je lui serai toujours reconnaissante parce qu'elle m'a donné mon premier désir d'immigrante,celui de pouvoir faire bouger le gras des fesses, comme elle. Aucun Vietnamien de notre groupe ne possédait cette opulence, cette générosité, cette nonchalance dans ses courbes.Le bouquin est construit presque comme un journal intime, mélangeant les lieux et les époques. Intime est bien le mot : toute en pudeur, Kim Thuy essaie de se raconter.
Mais on ressort un peu frustré de ce petit bouquin avec l'impression d'avoir passé une charmante soirée avec une jeune femme asiatique agréable, à la conversation très intéressante, qui a su nous faire entrevoir plein d'épisodes de sa vie mouvementée, plein de petites choses curieuses d'autres lieux et d'autres époques et puis qui nous laisse page 143, bon, cher monsieur, il faut que j'y aille, ravie de vous avoir rencontré ...
Oui certes, mais, mais ... on aurait aimé plongé plus au cœur peut-être pas de la vraie vie de Kim Thuy, ne soyons pas indiscrets, mais au cœur d'un bon gros roman qui nous aurait emporté des heures, là-bas, autrefois.
À trop vouloir coller à sa propre réalité intime, l'auteure finit par se cacher, c'est bien naturel. D'ailleurs, elle en convient elle-même : petite, elle était l'ombre de sa cousine, plus grande, l'ombre de ses hommes ... Une histoire moins personnelle et plus romancée lui aurait permis de plus en raconter, en même temps que de mieux se cacher, ombre parmi ses personnages.
Mais ne boudons pas le plaisir à lire ces quelques belles pages, même peu nombreuses !
D'autant que deux autres livres sont en préparation : peut-être l'occasion de passer à nouveau une ou deux agréables soirées en compagnie de cette charmante dame ...
(1) : Kim Thuy nous dit qu'au Vietnam on préfère souvent les numéros (dans l'ordre des naissances) aux prénoms !
Pour celles et ceux qui aiment les immigrants.
Liana Levi éditent ces 143 pages parues en 2009.
Marie-Claire, À propos, Kathel, Jules et plein d'autres en parlent.