mercredi 20 octobre 2010

Ru (Kim Thuy)

Telle mère, telle fille.

http://carnot69.free.fr/images/chinois.gifAprès vous avoir bassinés avec un été africain, on risque bien de vous imposer un automne vietnamien en prévision de notre voyage en décembre chez les Hmongs, Lô Lô et autres minorités ethniques des montagnes du nord-vietnam ... ! Allez, on commence ...
Kim Thuy est née à Saïgon pendant l'offensive du Têt. Elle quittera le Vietnam 10 ans plus tard en compagnie d'autres boat people. Depuis elle vit au Québec.
Elle a écrit Ru, son premier roman, en français.
Largement autobiographique, ce petit bouquin est comme un collage de souvenirs et d'époques : les derniers temps de l'opulence coloniale avant l'arrivée des communistes, la fuite en bateau jusqu'au Canada via les camps de réfugiés de Malaisie, la vie d'immigrante au Québec, puis ses deux enfants, son retour provisoire au pays de nombreuses années après, ... Kim Thuy entremêlent habilement de petites scènes vécues dans ces différents lieux à différents moments de sa vie. Le patchwork prend forme et se dessinent peu à peu quelques portraits : le sien bien sûr, mais également celui de sa famille, sa mère, Tante 7(1) un peu simplette ou encore l'incorrigible Oncle 2, play-boy désinvolte et charmeur ...
Bien sûr quitter le Vietnam dans ces conditions et à cette époque n'a pas été une excursion touristique : quelques scènes évoquent des souffrances et des blessures pas faciles à oublier ...
Mais l'auteure sait aussi nous faire partager quelques moments de pure poésie asiatique :
[...] J'allais au bord d'un étang à lotus en banlieue de Hanoï, où il y avait toujours deux ou trois femmes au dos arqué, aux mains tremblantes, qui, assises dans le fond d'une barque ronde, se déplaçaient sur l'eau à l'aide d'une perche pour placer des feuilles de thé à l'intérieur des fleurs de lotus ouvertes. Elles y retournaient le jour suivant pour les recueillir, une à une, avant que les pétales se fanent, après que les feuilles emprisonnées aient absorbé le parfum des pistils pendant la nuit.
Mais les plus belles pages sont celles qui évoquent son arrivée au Canada, il y a trente ans, et l'accueil que leur réservaient les québécois. Des pages à lire et relire, salutaires à notre époque où l'on se préoccupe plutôt d'élever des murs et de fermer les frontières.
[...] Ma première enseignante au Canada nous a accompagnés, les sept plus jeunes Vietnamiens du groupe, pour traverser le pont qui nous emmenait vers notre présent. Elle veillait sur notre transplantation avec la délicatesse d'une mère envers son nouveau-né prématuré. Nous étions hypnotisés par le balancement lent et rassurant de ses hanches rondes et de ses fesses bombées, pleines. Telle une maman cane, elle marchait devant nous, nous invitant à la suivre jusqu'à ce havre où nous redeviendrions des enfants, de simples enfants, entourés de couleurs, de dessins, de futilités. Je lui serai toujours reconnaissante parce qu'elle m'a donné mon premier désir d'immigrante,celui de pouvoir faire bouger le gras des fesses, comme elle. Aucun Vietnamien de notre groupe ne possédait cette opulence, cette générosité, cette nonchalance dans ses courbes.
Le bouquin est construit presque comme un journal intime, mélangeant les lieux et les époques. Intime est bien le mot : toute en pudeur, Kim Thuy essaie de se raconter.
Mais on ressort un peu frustré de ce petit bouquin avec l'impression d'avoir passé une charmante soirée avec une jeune femme asiatique agréable, à la conversation très intéressante, qui a su nous faire entrevoir plein d'épisodes de sa vie mouvementée, plein de petites choses curieuses d'autres lieux et d'autres époques et puis qui nous laisse page 143, bon, cher monsieur, il faut que j'y aille, ravie de vous avoir rencontré ...
Oui certes, mais, mais ... on aurait aimé plongé plus au cœur peut-être pas de la vraie vie de Kim Thuy, ne soyons pas indiscrets, mais au cœur d'un bon gros roman qui nous aurait emporté des heures, là-bas, autrefois.
À trop vouloir coller à sa propre réalité intime, l'auteure finit par se cacher, c'est bien naturel. D'ailleurs, elle en convient elle-même : petite, elle était l'ombre de sa cousine, plus grande, l'ombre de ses hommes ... Une histoire moins personnelle et plus romancée lui aurait permis de plus en raconter, en même temps que de mieux se cacher, ombre parmi ses personnages.
Mais ne boudons pas le plaisir à lire ces quelques belles pages, même peu nombreuses !
D'autant que deux autres livres sont en préparation : peut-être l'occasion de passer à nouveau une ou deux agréables soirées en compagnie de cette charmante dame ...
(1) : Kim Thuy nous dit qu'au Vietnam on préfère souvent les numéros (dans l'ordre des naissances) aux prénoms !

Pour celles et ceux qui aiment les immigrants.
Liana Levi éditent ces 143 pages parues en 2009.
Marie-Claire, À propos, Kathel, Jules et plein d'autres en parlent.

jeudi 14 octobre 2010

Du sang sur la neige (Levi Henriksen)

Laisse tomber la neige.

Encore un polar norvégien ? Du sang sur la neige de Levi Henriksen.
Et bien non, cette fois nous ne rangerons pas ce bouquin au rayon policiers(1).
Non pas qu'il s'agisse d'une sous-classe dévaluée, tous ceux qui viennent picorer à notre table savent à quel point on goûte la littérature dite policière, mais ce bouquin n'a vraiment rien d'un thriller et l'éditeur français a certainement voulu profiter de la vague qui nous a tous emportés.
L'ambiance de cette petite bourgade de la forêt norvégienne se situe plutôt quelque part entre la sombre Islande d'Indridason et les Chaussures italiennes de Mankell.
On a connu des références moins flatteuses !
L'écriture de Levi Henriksen (rocker norvégien de son état) n'atteint pas encore les cimes de ses illustres aînés(2) mais ce n'est là que son premier roman en français (le quatrième chez lui) et si l'on en croit cette fournée, le futur est prometteur !
Alors que se passe-t-il cet hiver-là à Skogli ?
Et bien Dan sort tout juste de prison (vieille histoire de trafic de drogue) et découvre que son frère bien aimé s'est suicidé. Ils étaient très proches, ayant perdu leurs parents trop jeunes.
La maison est vide et il n'y a pas de femme pour attendre notre Dan. Mais plutôt un flic teigneux et l'ancien complice qui lui, n'était pas allé en taule. Ça va plutôt mal. Dan tourne en rond et broie du noir.
L'autre personnage du bouquin c'est l'hiver et Henriksen est un peu au climat littéraire de la Norvège ce qu'Indridason est à celui de l'Islande : fuyez vers les tropiques, ne venez surtout pas nous voir, il fait chez nous un temps de chien !

[...] Le thermomètre affichait moins vingt quand il était parti, mais dans la forêt, au milieu des arbres, il devait faire un peu plus doux - moins quinze peut-être. Un peu plus doux qu'ils disent, les norvégiens, je retiens la formule pour février prochain !

Ou encore, un peu plus loin :

[...] Il avait oublié à quel point un hiver dans les terres pouvait être pénible, qu'il était impossible d'ignorer cette saison comme dans les villes. Il n'y avait ici aucun tram, bus ou train dans lequel monter quand les voitures ne démarraient pas. L'hiver n'était pas éclairer par l'asphalte et les immeubles, mais il vous guettait chaque matin derrière la fenêtre de la cuisine, comme un grand vide.

Oui, l'hiver habite vraiment ce roman et l'on touche d'un doigt frileux la vie quotidienne de ces peuples nordiques : chauffe-moteur, pulls, pneus neige, sauna, poêles à bois ou à mazout (y'a même des poêles dans les camions !).
Pour le reste, l'ami Dan est en pleine dérive et tente péniblement de se reconstruire et d'échapper aux souvenirs trop présents : son frère disparu il y a peu, leurs parents perdus trop tôt ...
Papa était pasteur pentecôtiste : encore un autre aspect méconnu des pays nordiques, rappelons-nous de L'horreur boréale de la finlandaise Asa Larsson.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifDan croise deux autres personnages, un oncle cul de jatte et une jeune femme du pays (et oui, quand même !) et cela nous vaut quelques très belles scènes (ah, le Noël avec tonton au resto de la gare de Charlottenberg avec deux jeunes asiatiques de petite vertu) dignes des Chaussures italiennes que l'on citaient plus haut.
Un roman pas banal, attachant et un univers très personnel mais dans lequel on se laisse emporter sans difficulté (mais chaudement habillé).
Celles et ceux qui voudraient absolument goûter au polar norvégien iront plutôt du côté de chez Jo Nesbo.

(1) : il n'y a d'ailleurs pas de sang dans le titre du bouquin en VO qui pourrait se traduire par “la neige qui tombe va recouvrir celle déjà tombée” [Snø vil falle over snø som har falt]
(2) : aînés en littérature du moins, car il a pratiquement le même âge qu'Arnaldur Indridason (Mankell est plus vieux, lui !)


Pour celles et ceux qui aiment le froid et l'hiver.
Les presses de la cité éditent ces 355 pages parues en 2004 en VO et traduites du norvégien par Loup-Maëlle Besançon.
Melisender en parle.

dimanche 10 octobre 2010

Ce que je sais de Vera Candida (Véronique Ovaldé)

Telle mère, telle fille.

Avec ce qu'elle sait de Vera Candida, Véronique Ovaldé nous conte une fable baroque et colorée dans une amérique latine imaginaire.
Une mini-saga, depuis la grand-mère (Rose) à la petite-fille (Vera Candida), en passant par une mère (Violette) un peu demeurée. Et même jusqu'à la génération suivante (la petite Monica Rose).
Une histoire agitée : la grand-mère Rose exerçait le plus vieux métier du monde et la Violette un peu simplette était du genre facile.
Heureusement, Vera Candida trouvera, un temps du moins et après quelques péripéties dignes de ses aïeules, un peu d'amour auprès du bel Itxaga :
[...] On lui aurait annoncé qu'il ne pourrait jamais coucher avec Vera Candida mais qu'il aurait le droit de rester avec elle sa vie durant, Itxaga aurait signé immédiatement. Il se rendit compte que ce qu'il voulait faire le plus intensément du monde c'était lui rendre service. Il se dit, Je vieillis. Merde.
Mais Véronique Ovaldé souffre, comme beaucoup de ses confrères de l'hexagone, du syndrome aigü de l'écrivain-français-à-la-mode et se croit donc obligée, sans doute pour faire branchée in, de faire des effets de mots entre chaque virgule.
C'est parfois adroit et bien venu :
[...] Pendant des années, quand Monica Rose s'assoirait sur le canapé entre Vera Candida et Itxaga, elle se serrerait conte eux, bougerait son minicul comme si elle faisait un nid, les prendrait par le bras et dirait, On est bien tous les deux.
La première fois, Vera Candida rectifierait, On n'est pas deux, on est trois.
Et Monica Rose répondrait, On est bien quand même.
Mais il faut bien avouer qu'au fil des pages, on se lasse. Je dis, On se lasse.
Reconnaissons à la décharge de dame Ovaldé que Vera Candida est arrivée après les fraîches et limpides Prodigieuses Créatures : ça ne pardonne pas et le chalenge était difficile à relever. Deux histoires de femmes écrites par des femmes : l'une nous a véritablement emporté sur les plages anglaises du XIX°, l'autre nous aura amusé ... quelques pages.
La fable de Vera Candida ressemble plutôt à celle que Carole Martinez nous avait déjà contée en Espagne avec son Cœur cousu : mêmes qualités ... et mêmes défauts.

Pour celles et ceux qui aiment les tropiques.
Les éditions de l'olivier éditent ces 293 pages parues en 2009.

vendredi 1 octobre 2010

Prodigieuses créatures (Tracy Chevalier)

Sous la plage, les coquillages.

Voilà bien un livre intéressant : Prodigieuses créatures de l'américaine Tracy Chevalier qui s'amuse à rendre hommage à Jane Austen, la romancière anglaise du début du XIX°.
Nous voilà donc transportés vers 1810 (au temps des guerres napoléoniennes), au pied des falaises anglaises. Après un revers de fortune, trois jeunes femmes qui savent qu'elles finiront vieilles filles se retrouvent exilées dans une bourgade du bord de mer, loin des mondanités londoniennes auxquelles elles étaient habituées.
L'une d'elles, Elizabeth, se promène le long des plages et aime à « chasser » le fossile mis à nu par les éboulements de falaises.
[...] Nous étions à peine installées à Morley Cottage qu'il devint évident que les fossiles allaient devenir ma passion. Je devais en effet m'en trouver une : j'avais vingt-cinq ans, peu de chances de me marier un jour, et besoin d'un passe-temps pour occuper mes journées. Il est parfois extrêmement assommant d'être une dame.
[...] Je me mis à hanter les plages de plus en plus fréquemment, même si, à l'époque, rares étaient les femmes qui s'intéressaient aux fossiles.
[...] On ne saurait nier que les fossiles constituent un plaisir insolite. Tout le monde ne les apprécie pas car ce sont des restes de créatures défuntes.
Le long des plages, elle rencontre Mary, une jeunette de basse extraction, habile à repérer les plus beaux et les plus rares spécimens d'ammonites ou de bélemnites ... et à les revendre comme « curios » aux touristes pour faire bouillir la marmite.
On pourrait se demander, au début, ce qu'on est venu faire dans cette Angleterre compassée en compagnie de ces vieilles filles échouées dans une petite ville balnéaire.
Mais on reste accroché après quelques pages par la très belle écriture de Tracy Chevalier. Et puis très vite, au fil des premiers chapitres, on découvre avec bonheur qu'il y a plusieurs niveaux de lecture dans ce roman, finement et habilement entremêlés.
L'histoire mouvementée de l'amitié entre les deux jeunes femmes : deux âges différents, deux milieux différents, la rencontre est riche d'enseignements.
[...] Comment une femme de vingt-cinq ans appartenant à la bourgeoisie pouvait-elle envisager une amitié avec une gamine de la classe ouvrière ?
L'histoire de ces deux jeunes femmes trop en avance sur leur temps, trop indépendantes pour la société pré-victorienne britannique confite dans ses préjugés. Ce roman est aussi l'histoire de leur émancipation progressive et relative.
[...] À certains égards, je jouissais de plus de liberté que les filles de bonne famille qui avaient trouvé à se marier.
Et enfin l'Histoire tout court de la découverte de ces fossiles, de ces animaux disparus : ichtyosaure (i.e. poisson-reptile), plésiosaure (i.e. presque-reptile), ... qui, en remontant à la surface, venaient doucement mais sûrement bouleverser l'ordre établi des choses.
[...] C'était une idée trop radicale pour la plupart des gens. Même moi, qui m'estimais large d'esprit, j'étais un peu choquée de la prendre en considération, car elle sous-entendait que Dieu n'avait pas réellement réfléchi à ce qu'Il allait faire de tous les animaux qu'Il avait créés. S'Il était disposé à laisser des créatures disparaître sans sourciller, qu'est-ce qu'une telle indifférence impliquait pour nous ?
Et bientôt Darwin succèdera à Cuvier ...
De leur gangue de pierres et de sédiments sortent les prodigieuses créatures qui enflamment les esprits scientifiques de l'époque.
De leur gangue de bienséance et de préjugés sociaux émergent également deux prodigieuses créatures féminines.
Ces trois clés de lecture (l'amitié entre les deux femmes, la condition des femmes de cette Angleterre, les doutes scientifiques de l'époque), judicieusement entrelacées, sont passionnantes. On retrouve ici le parfum qu'on avait déjà respiré avec la québécoise Dominique Fortier et son traité du Bon usage des étoiles qui se situait à peine quelques années plus tard(1).
Et d'ailleurs, tout comme Dominique Fortier, l'américaine Tracy Chevalier s'est inspirée de personnages et de faits bien réels.
Un roman plein d'intelligence et d'humanité. Une écriture pleine de fraîcheur et de douceur.
Si l'on veut tirer le fil épistémologique, on peut aussi continuer avec La conspiration Darwin.
(1) : et décidément, à la relecture du billet sur le Bon usage des étoiles, les deux romans partagent bien des points communs.

Pour celles et ceux qui aiment les coquillages.
C'est le Quai Voltaire qui édite ces 376 pages parues en 2009 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Anouk Neuhoff.
Alwenn, Stemilou, Nini en parlent.