vendredi 30 avril 2021

BD : Balles perdues

[...] Tu es très jolie, tu parles trop, c'est tout.

On avait découvert le trio aux commandes de cet album avec une autre BD (excellente, elle aussi) : c'était Corps et âme en 2016.
En 2015, l'album Balles perdues était le premier de leur collaboration et l'on y retrouve donc Walter Hill, le producteur et réalisateur US, le scénariste Matz (aka Alexis Nolent) celui de la série fleuve Le tueur et Jef (aka Jean-François Martinez) aux pinceaux.
Les dessins de Jef sont superbes, de véritables aquarelles.
L'histoire de Walter Hill est digne d'un bon vieux film de gangsters, on ne s'attendait pas à autre chose et l'adaptation BD de Matz fait mouche.
Bref, le trio marquait déjà quelques très bons points avant de récidiver avec Corps et âme l'année suivante.
Pour citer une petite interview de Walter Hill à la fin de l'album, voici : de l'argent, des flingues, des femmes, des flics et des corrompus. Un tueur de sang-froid lancé sur les traces d'un amour perdu.

Pour celles et ceux qui aiment les gangsters au grand cœur.
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Les irradiés de Beryl (Christophe Bataille)

[...] Irresponsabilité ou incompétence.

On se souvient avec effroi de la découverte du petit bouquin de Christophe Bataille, L'expérience, qui racontait les essais atmosphériques des bombes "Gerboises" en 1961 en Algérie à Reggane, avec des trouffions envoyés dans une tranchée, vêtus d'une légère combinaison de protection, à quelques centaines de mètres de la bombe, à côté de cages renfermant lapins et chèvres.
On remet ça avec Les irradiés de Béryl, un témoignage de plusieurs acteurs (dont principalement Louis Bulidon) de l'essai de la bombe Béryl en mai 1962 : un fiasco, une catastrophe, un Tchernobyl avant l'heure.
Louis Bulidon était l'un des appelés présents sur le site d'In-Ekker, en plein cœur du Hoggar, qui accueillait les essais souterrains français après les protestations qui suivirent les essais atmosphériques de Reggane.
Des appelés qui se trouvaient privilégiés d'échapper aux opérations de maintien de l'ordre en Algérie, des sursitaires jeunes et enthousiastes de participer à l'essor de la recherche nucléaire française, ignorants des tenants et des aboutissants et surtout des dangers auxquels ils étaient exposés.
[...] De fait, nous revendiquions un statut d'universitaires, et plus précisément de scientifiques mis à disposition de l'armée.
Le petit bouquin du deuxième classe Bulidon a été écrit tout récemment, cinquante ans après les faits : il évite heureusement le ton trop polémique ou revendicatif et se contente d'exposer les faits de manière précise et rigoureuse (la maman de Louis Bulidon avait conservé ses lettres de l'époque, ce qui permet de retrouver un peu de la naïveté d'alors).
La bombe Béryl du 1er mai 1962 sera une cata : la montagne où elle était enfouie n'a pas résisté et un énorme nuage radioactif s'en est échappé, irradiant toute la zone, militaires et indigènes, jusqu'au Niger. Lorsque le nuage est apparu, ce fut la débandade parmi les officiels et les ministres (Messmer, encore lui, était présent).
[...] Munis de seaux d'eau, de brosses et de lessive [...] ils se livrèrent à un spectacle ahurissant. Totalement indifférents à ma présence, ils se débarrassèrent de leurs vêtements et, nus comme des cochons de ferme prêts pour la saignée,  ils se roulèrent comme des fous furieux, chacun dans son banc de sable, tout en maniant les brosses du laboratoire pour se frotter tout le corps.
[...] Pour ma part, je n'irai pas jusqu'à affirmer que nous aurions servi de cobayes à In-Ekker, mais j'estime que l'Armée ne peut échapper au soupçon d'irresponsabilité ou d'incompétence.
Les deux mon capitaine ?
Pour celles et ceux qui aiment un peu savoir.
L'avis du Monde.




mercredi 28 avril 2021

L'été froid (Gianrico Carofiglio)

[...] Cela donne un sens au chaos.

Voilà un moment que l'on avait quitté l'Italie du sud de Gianrico Carofiglio, celle des Pouilles, de la région de Bari avec ses jolis "trulli" tout en bas de la botte.
Jusqu'ici [clic] l'auteur mettait en scène un avocat (Guido) dans des petits polars sympas qui explorait les thèmes sociaux de sa région.
Mais voici qu'avec L'été froidGianrico Carofiglio change de registre : rappelons que le bonhomme a quand même été juge anti-mafia à Bari !
Depuis cette époque, quelques années ont passé et il peut se permettre aujourd'hui d'ouvrir ce dossier sensible.
Ce roman nous ramène donc dans les années 90 en pleine action et en arrière-plan de notre bouquin, le juge Giovanni Falcone sera assassiné à Palerme.
À la même époque à Bari, le fils d'un puissant parrain local est kidnappé, une rançon énorme est réclamée, une guerre des clans est sur le point d'éclater, les parents mafieux ne collaborent évidemment pas avec la police, ...
Mais l'un des mafiosi va se rendre aux carabiniers pour se repentir et collaborer, ... et c'est parti pour 300 pages d'investigations au cœur du fonctionnement de la mafia de Bari, plus ou moins filiale locale de la 'Ndrangheta calabraise.
[...] — Il veut collaborer. 
— C’est ce que je pense aussi.
[...] Lopez lui a dit qu’il avait décidé de collaborer avec la justice, qu’il avait beaucoup de choses à raconter, y compris sur les événements de ces dernières semaines.
Pour nous guider patiemment dans les rouages très codifiés du fonctionnement de la mafia (mais aussi de la police et de la justice), un carabinier et une juge procureure vont nous accompagner.
En dépit d'un sujet aussi sérieux, l'écriture de Carofiglio est toujours aussi agréable et sait nous faire goûter aux saveurs de l'Italie du sud.
[...] Fenoglio mangea la viennoiserie et le chocolat. Pellecchia fit de même. Puis ils burent leur café. La scène semblait un rituel aux règles précises, presque une cérémonie du thé.
L'enquête nous permet de découvrir quelques pratiques mafieuses : lupara bianca, cérémonies d'intronisation, gambizzazione ou kidnapping express.
Magistrats et carabiniers sont au cœur de l'intrigue : tous ne sont pas corrompus et ceux qui restent honnêtes se débattent souvent entre l'intégrité requise et les compromissions indispensables.
[...] — Ce n’est pas toi qui disais qu’il fallait du détachement, dans ce travail, pour ne pas devenir fou ?
— Oui, c’était moi. La cohérence ne fait pas partie de mes qualités.
À la fin du roman (très réussie) nous retrouvons en arrière-plan, le deuxième attentat à la bombe qui tua le collègue de Falcone : Paolo Borsellino.
Une fin amère et désabusée comme si Carofiglio regrettait évidemment que les morts des deux magistrats furent nécessaires pour amorcer enfin le déclin de la mafia en Italie.

Pour celles et ceux qui aiment la justice.
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dimanche 25 avril 2021

Avalanche hôtel (Niko Tackian)

[...] L’Avalanche Hôtel appartenait au monde des rêves.

On n'avait pas encore répondu aux invitations du français Niko Tackian, et le voici qui nous propose de passer l'hiver à l'Avalanche hôtel, au bord du Léman près de Montreux. 
Dès les premières pages, Joshua Auberson, petit lieutenant sans histoires de la police cantonale de Vevey, dévale les pentes sous une avalanche ... ou dans une piste de bobsleigh, lui-même ne sait pas vraiment.
Il se réveille à l'hôpital, le lendemain ou bien quarante ans plus tard, plus ou moins amnésique, ne se rappelant plus trop s'il était vigile dans un hôtel de montagne ou bien devenu flic à la ville.
[...] Même s’il sentait que son séjour à l’Avalanche Hôtel appartenait au monde des rêves, il ne pouvait nier la sensation que quelque chose d’essentiel lui échappait. 
[...] Il avait l’impression que rêve et réalité se mélangeaient sans qu’il soit capable de les distinguer.
Dans ce qui semble son rêve, une jeune fille disparue il y a quarante ans. Dans ce qui semble la vraie vie, une inconnue dans le coma ... qui détenait une photo de la disparue. Entre les deux, Joshua et le lecteur cherchent à retomber sur leurs pattes.
Niko Tackian est sans doute un excellent scénariste (BD, TV, ...) mais, à tort, il a voulu s'improviser écrivain : une idée de scénario ne suffit pas à faire un bon roman, encore faut-il que l'écriture soit à niveau.
Et ce n'est pas le cas ici : la prose est sans personnalité qui ne met en scène que deux personnages seulement (les autres sont de simples figurants pour l'intrigue) : l'un est inconsistant, l'autre caricatural(e). On finit par lire tout cela en diagonale, rapidement, histoire d'en arriver au plus vite au twist final qui sera lui aussi, bien en deçà des attentes que l'on pouvait avoir.


Pour celles et ceux qui aiment la neige.
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mardi 20 avril 2021

Le disparu de Larvik (Jørn Lier Horst)

[...] À la veille d'une erreur judiciaire.

Après Fermé pour l'hiverLes chiens de chasse, et L'usurpateur, on poursuit la série de polars du norvégien Jørn Lier Horst, avec Le disparu de Larvik.
Dès les premières pages on retrouve le plaisir de cette écriture fluide et agréable, de ces intrigues pas trop stressantes, de ces personnages devenus familiers, bref l'assurance de passer un bon moment entre de bonnes pages : on est ravi de retrouver le flic William Wisting et sa fille Line pour partager un barbecue dans leur chalet au bord du fjord d'Oslo.
L'enquête va tourner autour d'un chauffeur de taxi disparu l'an passé, de l'héritage d'un ancien truand au coffre-fort bien garni, tout cela sur fond de contrebande d'alcools. 
Rien d'extraordinaire ni de spectaculaire comme d'habitude mais un moment de la vie norvégienne et toujours la description soignée d'un méticuleux et laborieux travail d'enquête.
D'autant que les investigations piétinent jusqu'à croiser une autre affaire visiblement bâclée par une autre équipe quelques semaines auparavant ...
[...] Il n'avait jamais connu d'affaire pareille. Pour avancer vers une résolution, il lui fallait d'abord faire jour sur une affaire considérée comme élucidée.
Jørn Lier Horst excelle dans la description du travail des enquêteurs, un boulot patient et méthodique, rigoureux et ... si possible honnête !


Pour celles et ceux qui aiment les enquêtes.
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lundi 19 avril 2021

BD : Il faut flinguer Ramirez

Attention ! Un Ramirez peut en cacher un autre.

Nicolas Petrimaux vient du monde du jeu vidéo et cela nous vaut un très beau dessin, nerveux et explosif ainsi qu'une mise en page très soignée (l'auteur parle même de mise en scène).
Le premier tome de Il faut flinguer Ramirez date de juste avant la pandémie et le second épisode, très attendu, vient seulement de sortir.
Grâce au bouche à oreille, la BD connait un beau succès bien mérité.
Un thriller au second degré, façon Tarantino, un look un peu ringard des années 80, avec dans le rôle principal, le fameux moustachu Ramirez, dépanneur d'aspirateurs, extrêmement taciturne ou bien carrément muet, et visiblement tueur à gage à ses moments perdus.
À ses trousses on trouve pêle-mêle : des flics obtus, des méchants truands et des jolies pépés.
Avec son flegme imperturbable, le silencieux Ramirez traverse une mise en page orangée où sont même insérés (c'est à la mode) de faux articles de journaux et de fausses pubs, tout cela avec un humour ravageur.

Pour celles et ceux qui aiment les films de série B.
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dimanche 18 avril 2021

Cicatrices (Thomas Enger)

[...] Il a appris à apprécier les alarmes incendie.

Faisons connaissance avec un nouveau venu au rayon des polars nordiques : le norvégien Thomas Enger et son héros récurrent Henning Juul.
Des Cicatrices qui sont celles du visage de Henning Juul, gravement brûlé dans l'incendie de sa maison, où il perdit son jeune fils.
[...] Les cicatrices qu’il porte à l’extérieur ne sont rien en comparaison de celles qui le marquent à l’intérieur. 
[...] C’était lui qui gardait Jonas et il n’a pas réussi à le sauver. Leur fils. Leur magnifique, leur merveilleux fils.
Pour une fois, notre héros n'est pas un flic mais un journaliste (mais à la rubrique criminelle quand même !).
Nous faisons sa connaissance quelques mois après son accident, après une longue convalescence, lorsqu'il reprend du service au journal, le jour même où est retrouvé le cadavre d'une jeune femme victime de sévices qui font penser à un châtiment musulman façon charia.
L'intrigue n'est pas très originale (ça tourne même un peu en rond, ce qui permet de faire la connaissance des personnages de la série) et s'avère même un peu décevante pour ceux qui auraient voulu en savoir un peu plus sur la société norvégienne.
On repère aussi ça et là quelques maladresses dans l'écriture (grossièretés inutiles, monologues sexistes de l'un des flics) et on espère que cela va s'estomper avec les prochains épisodes : ce premier roman (Skinndød en VO) avait été publié une première fois en VF en 2012 sous le titre Mort apparente, traduit du norvégien par Alex Fouillet, puis en 2018, sous le titre Cicatrices avec une traduction de la version anglaise par Stéphane Morvan.
À suivre dans les prochains épisodes ...  
Pour celles et ceux qui aiment les polars nordiques.
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mercredi 14 avril 2021

The white darkness (David Grann)

[...] Je suis allé au bout de moi-même ...

Encore une histoire de ouf ! Celle d'un explorateur insensé, un britannique, cela va de soi.
Avec The white darknessDavid Grann, amateur de non-fiction, nous conte l'odyssée de Henry Worsley obnubilé par sa passion dévorante pour son héros Ernest Schakleton et l'Antarctique.
Un continent immense, plus grand que l'Europe et qui double encore de taille pendant l'hiver austral quand les eaux littorales sont prises par les glaces.
Un continent de très hautes montagnes (en moyenne 2.500 mètres environ) balayé par des vents titanesques. Paradoxalement, c'est aussi un désert très sec et bien sûr très froid, très très froid.
Nombreux furent les têtes brûlées pressées d'atteindre le fameux point du Pôle Sud :
[...] L’endroit où la Terre ne tourne pas.
Mais il y aura peu d'élus pour traverser le continent de part en part, une dizaine, pas plus que pour marcher sur la Lune.
En 1917, Ernest Shackleton fut obligé de faire demi-tour à quelques kilomètres du but mais il ramena ses compagnons sains et saufs.
Avec deux ou trois compagnons, Henry Worsley voulait suivre les traces de son héros. 
[...] Il s’était mis en route en partant de la côte de l’Antarctique, espérant réussir ce que son héros, Ernest Shackleton, n’avait pu accomplir un siècle plus tôt : relier à pied une extrémité du continent à l’autre. Ce périple, qui lui ferait franchir le pôle Sud, serait long de plus de mille six cents kilomètres et le mènerait à travers ce qui est sans conteste l’environnement le plus implacable de la planète.
Mais cette première aventure ne suffira pas à le guérir de son obsession pour les glaces du pôle : il retournera là-bas deux autres fois encore dont une tentative en solitaire en 2016 à 55 ans. Sans assistance ni ravitaillement, il tire seul son traîneau sur plus de mille kilomètres.
Un petit bouquin qui nous laisse entrevoir la folie ou le génie de ces aventuriers, la puissance du mental sur le physique ... et ses dommages collatéraux.

Pour celles et ceux qui aiment le froid.
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lundi 12 avril 2021

Kerozene (Adeline Dieudonné)

[...] Une station-service le long de l’autoroute.

Histoires belges.
Adeline Dieudonné nous en propose plusieurs d'histoires belges : une bonne douzaine de tranches de vie des différents personnages qui vont se croiser ce soir-là dans une station-service de nuit au bord d'une voie rapide.
[...] 23 h 12. Une station-service le long de l’autoroute, une nuit d’été. Si on compte le cheval mais qu’on exclut le cadavre, quatorze personnes sont présentes à cette heure précise.
Ces histoires sont un peu comme de petites nouvelles réunies sur un fil ténu.
L'histoire d'une instagrammeuse bodybuildée qui n'en peut plus de son mari à toujours bouffer des chips à même le sachet.
L'histoire d'une femme qui déteste l'eau en général et les dauphins en particulier.
[...] Victoire détestait les dauphins.
[...] Avec leur sourire débile, toujours en groupe comme s’ils formaient une espèce de club, à sauter comme des abrutis, avec leurs ricanements ridicules.
L'histoire d'un couple qui héberge une truie sur leur canapé du salon.
[...] Une grande truie rose et glabre se prélassait sur toute la longueur du canapé. Juliette dit : « Elle s’appelle Estelle. Tu peux la caresser. »
L'histoire d'une domestique philippine déposée à la station-service par un couple qui la "prête" à un autre couple d'amis : ils viendront la chercher là un peu plus tard, ça évite à chacun de faire tout le trajet.
Autant de personnages un peu déjantés, autant de portraits un peu décalés. Comme pour mieux jeter quelques lumières sur la vraie vie, les difficultés de nos relations ou les travers de notre société.
Il y a comme une ligne de faille qui traverse la station-service au bord de l'autoroute et les personnages semblent tout prêts de s'y précipiter la tête la première. Eux-mêmes sont un peu fêlés pour laisser passer la lumière comme dit la chanson.
Par delà un air tragi-comique, c'est noir, cru, grinçant.
Comme toujours avec les nouvelles, il y en aura une ou deux un peu en-dessous du lot et c'est ce qui nous retient d'épingler un coup de cœur que le bouquin mériterait pour les autres.

Pour celles et ceux qui aiment faire le plein.
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jeudi 8 avril 2021

Il est des hommes qui se perdront toujours (Rebecca Lighieri)

[...] Nous étions trois à avoir été décapités dès l’enfance.

On ne sait trop quoi vous dire du bouquin d'Emmanuelle Bayamack-Tam (Rebecca Lighieri est un pseudo) qui avait plutôt bonne presse sur les réseaux : Il est des hommes qui se perdront toujours.
L'adolescence d'une fratrie où deux frangins et leur sœur tentent de grandir dans une cité des quartiers nord de Marseille (l'auteure est de la cité phocéenne), tout à côté d'un campement de gitans, et qui peinent à devenir adultes.
Papa et Maman sont toxicos et surtout toxiques, plus préoccupés de leur prochain shoot que de remplir le frigo pour les gosses.
[...] Nous étions trois à avoir été décapités dès l’enfance, trois à qui on avait refusé tout épanouissement et toute floraison, trois à n’être rien ni personne.
Les deux ainés sont beaux comme des anges, métissés de sang kabyle, mais le petit dernier est handicapé et mal formé, de quoi exacerber la violence du père qui a la main un peu trop leste.
Autant dire que tout cela baigne dans un misérabilisme pesant, à peine sauvé par une très belle écriture qui réussit à nous accrocher et qui fait que l'on poursuit notre lecture.
[...] L’espérance de vie de l’amour, c’est 8 ans. Pour la haine, comptez plutôt 20 ans. La seule chose qui dure toujours, c’est l’enfance, quand elle s’est mal passée.
On se dit que toute cette exagération a certainement un sens, un but, qu'une démonstration nous attend au détour d'un chapitre, que la police va faire quelque chose, que la fin va sauver tout cela, que ...
Mais non, à mi-parcours on en rajoute encore avec une belle jeune fille qui se retrouve cérébrolésée dans un fauteuil roulant.
La coupe déborde, l'indigestion guette et malheureusement le dénouement n'apportera guère plus de lumière : on ne conservera donc que l'impression d'une fort belle plume qui semble avoir perdu son temps avec cet album de souvenirs.
Visiblement on est passé à côté.

Pour celles et ceux qui ont aimé Les Misérables.
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dimanche 4 avril 2021

La soustraction des possibles (Joseph Incardona)

[...] Parce que ça ne suffit jamais.

Joseph Incardona est un petit suisse de papa sicilien !
Autant dire que les histoires d'argent plus ou moins sale, blanchi dans d'obscures lessiveuses confédérées, on a dû lui en raconter quand il était petit !
En dépit de son titre ronflant à la mode (opération marketing), La soustraction des possibles est une sorte de thriller avec, comme le dit l'auteur lui-même : du sexe (pas mal), du fric (très beaucoup) et même de l'amour (un peu quand même).
[...] J'ai décidé que ma seule patrie, le seul drapeau auquel faire allégeance est le pognon. Et quand il y a le pognon, on est tous copains, on n'est pas raciste ni rien. Il n'y a jamais de problèmes dans les hôtels cinq étoiles, jamais. T'as remarqué?
La prose d'Incardona est également surprenante : l'auteur est bavard et n'hésite pas à s'adresser directement à ses personnages et même à son lecteur, et il ira jusqu'à se mettre en scène lui-même !
Mais on s'y habitue et cette écriture nerveuse finit par donner un bon rythme au récit.
Un bouquin récent (2020) qui nous invite à un petit retour en arrière vers 1990 : internet n'existe pas encore, les banques ne sont pas encore sous surveillance, le rideau de fer se fissure de toutes parts et ouvre le champ Est des possibles. La belle époque, quoi.
[...] Son gin-tonic arrive, il allume une cigarette.
En 1990, c’est encore faisable.
Le problème avec la vie qui avance, c’est qu’elle soustrait les possibles. Justement.
[...] Vous avez de l'argent à recycler ? J'ai besoin de liquidités. C'est une question de complémentarité et nous sommes là pour la favoriser, la fluidifier. Nous sommes, en quelque sorte, des "facilitateurs".
La Suisse est connue pour son chocolat (chocolat amer ici) mais surtout pour son niveau de vie : on a donc droit à une gravure au vinaigre des mœurs bourgeoises et corrompues de ses compatriotes calvinistes, peinture qui frise parfois le règlement de comptes un peu facile.
Mais certains rappels sont franchement salutaires : comme l'insalubrité de la prison Saint-Paul à Lyon, le parcours d'UBS ou encore le percement du Saint-Gothard (près de 200 morts et une grève réprimée dans le sang).
Visiblement Incardona a pris le parti de la Suisse d'en-bas, ce que l'on comprend mieux au détour d'une interview [Libé] quand il évoque son enfance :
[...] Souvenirs d'enfance. Mes parents ont travaillé comme domestiques dans de riches familles genevoises. Mon père était chauffeur et ma mère cuisinière.
Il faudra attendre les dernières pages pour que la mécanique infernale d'Incardona s'enclenche, mettant en mouvement les grands méchants, les petits gentils, les banquiers, les truands (ne pas confondre) et les valises d'argent sale.
Une fin qui nous laisse quand même un peu sur notre faim, même si l'on a été curieux de découvrir cette plume suisse.

Pour celles et ceux qui aiment l'évasion (fiscale).
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