mercredi 26 décembre 2012

14 (Jean Echenoz)


Petite (légère) déception que cet Échenoz dont on est pourtant fan.
Il faut dire qu'après ses récentes livraisons (Courir et Des éclairs), notre auteur français préféré avait placé la barre très haut.
Et de plus, on vient juste de dévorer avec enthousiasme Peste & choléra d'un autre auteur (Patrick Deville) mais qui est de la même veine que les précédents cités.
Alors ce 14, au titre pourtant prometteur, avait la tâche difficile ... sans doute trop difficile.
Faut dire que le sujet n'est pas très enthousiasmant : on est en 14, 1914 évidemment, et les appelés partent avec entrain pour l'une des plus grandes boucheries de l'humanité.
Au pays vendéen, ils étaient deux, Anthime et Charles à tourner autour de la belle Blanche.
Mais les voilà donc partis vers les Ardennes avec deux ou trois autres conscrits, laissant Blanche derrière eux, seule pour mettre au monde son marmot.
Des quatre ou cinq amis partis avec entrain, combien reviendront ? Et en quel état ? On connait la musique militaire.
[...] Tout cela ayant été décrit mille fois, peut-être n'est-il pas la peine de s'attarder encore sur cet opéra sordide et puant. Peut-être n'est-il d'ailleurs pas bien utile non plus, ni très pertinent, de comparer la guerre à un opéra, d'autant moins quand on n'aime pas tellement l'opéra, même si comme lui c'est grandiose, emphatique, excessif, plein de longueurs pénibles, comme lui cela fait beaucoup de bruit et souvent, à la longue, c'est assez ennuyeux.
Et bien oui maître Échenoz, on ne comprend pas très bien où vous voulez en venir : le premier mouvement nous entraine dans les pas d'Anthime, Charles et leurs amis, ok. Le final remettra les pendules à l'heure, ok. Oui, mais entre ces deux temps, le développement de la guerre des tranchées nous aura laissés sur notre faim.
Alors il reste un petit bouquin échenozien de plus, la plume toujours aussi sûre. Et c'est toujours un régal que de se délecter de ces mots-là, même sur un sujet aussi sinistre que la Grande Guerre sur laquelle Échenoz jette un regard désabusé.
Car l'Histoire se répète n'est-ce pas, et l'homme est sourd à ses enseignements : Quatre-vingt treize(1), 14, ... et il y aura encore d'autres millésimes ...
 (1) - le bouquin d'Échenoz commence avec un hommage appuyé à Victor Hugo, reprenant une scène où le personnage "voit" le tocsin dans le lointain en devinant les cloches s'agiter avant de pouvoir en entendre le son - il avait des oreilles mais n'entendait pas 

Pour celles et ceux qui aiment les poilus.
Ces 124 pages datent de 2012 et sont publiées aux Editions de Minuit.

D'autres avis sur Babelio.

vendredi 21 décembre 2012

Hiver (Mons Kallentoft)

Début de l'hiver et fin du monde.

Il n'aura échappé à personne qu'en ce 21.12.12 nous sommes officiellement au début de l'hiver (un hiver commencé déjà depuis plusieurs semaines) et à la fin du monde (une fin elle aussi commencée, et depuis plusieurs années).
Alors bien sûr ce blog (un blog commencé depuis plusieurs années) ne pouvait pas ne pas marquer cette date historique, non pas d'une pierre blanche mais d'une grosse boule de neige : après le dernier des lapons et après avoir déjà lu et chroniqué le Bonhomme de neige de Jo Nesbo, ce sera donc avec ce billet sur Hiver un polar du suédois Mons Kallentoft.
Oui, encore un polar suédois, décidément quel filon pour les (ré-)éditeurs français !

Nous voici donc à Linköping (prononcer lin'cheuping, un peu à la chinoise) une grosse ville de Suède, un peu au sud de Stockholm (Linköping, d'où Mons Kallentoft est originaire).
Le bouquin commence naturellement très fort : la Suède connaît l'un de ses hivers les plus rigoureux (je vous dis pas) et on découvre le cadavre nu d'un gros bonhomme pendu à un arbre, lacéré de coups de couteau.
D'emblée on plonge dans la vie quotidienne de la brigade criminelle de Linköping et l'auteur laisse entrevoir les fêlures qui fragilisent chacun de ses personnages (ce bouquin est le premier d'une série).
À commencer par l'héroïne, Malin Fors, une commissaire douée pour les enquêtes ... c'est-à-dire qu'elle est séparée, mère d'une adolescente pas toujours facile et avec un penchant un peu trop marqué pour faire pencher la bouteille le soir, après le dur labeur.
D'entrée on est un peu rebuté par l'écriture de Mons Kallentoft : de petites phrases courtes et sèches, peu de dialogues mais beaucoup de “voix intérieures” (même le mort ‘parle’ !), cela donne une lecture hâchée, très peu fluide et c'est bien dommage.
À mi-parcours, malgré cette lecture peu agréable, on se laisse quand même prendre par les descriptions très “sociales” de cette Suède que l'on connaît si mal : on se croirait au fin fond de l'Iowa ou de l'Illinois.
Les descriptions des différents milieux socio-culturels de la région sont instructifs (on a presque droit à un panorama de l'immobilier et de l'urbanisme local) même si le lecteur français manque évidemment de repères et de références au pays des usines Saab.
– Alors ?
La vieille fixe d'abord Malin, puis Zeke. Ce dernier n'est pas troublé, au contraire il a un léger sourire lorsqu'il entre dans la pièce et annonce :
– Nous sommes ici en raison du meurtre de Bengt Andersson. Il était l'un des témoins interrogés dans le cadre de l'enquête sur le viol de votre fille Maria.
Et malgré l'horreur des faits qu'il décrit, Malin sent comme une chaleur dans son cœur. C'est comme ça que ça doit être. Zeke n'a absolument peur de rien et tire dans le nid de guêpes. Se fait respecter. Je l'oublie parfois, mais je sais pourquoi je l'admire.
Autour de la table, tout le monde reste impassible. Jakob Murvall se penche en avant, saisit un paquet de Golden Blend sur la table et en tire une cigarette qu'il allume aussitôt. L'un des bébés pleurniche.
– Nous ne savons rien là-dessus, dit la vieille dame. Pas vrai les garçons ?
Les frères attablés secouent la tête.
– Rien, dit Elias en ricanant. Rien du tout. 
Au final, en dépit de l'étiquette polar nordique, on est bien loin, très loin, de la catégorie des Mankell, Nesbo et autres Indridason.
Il faut plutôt ranger Mons Kallentoft aux côtés de Karin Fossum par exemple, pour les voix intérieures, ou de Asa Larsson pour le froid et les célébrations sectaires.
Mais pas sûr qu'on repique l'hiver prochain (si la fin du monde n'est pas encore terminée) pour une autre enquête aux côtés de Malin Fors.

Pour celles et ceux qui aiment les polars suédois.
C'est le Serpent à plumes qui édite cet ouvrage qui date de 2007 en VO et qui est traduit du suédois par Max Stadler et Lucile Claus

mardi 18 décembre 2012

Le dernier lapon (Olivier Truc)


Vive le vent d'hiver.

Allez, c'est la saison.
Voici Le dernier lapon d'Olivier Truc, tout récemment paru chez Métailié, histoire de finir l'année littéraire de manière bien sympathique.
Polar ethnique(1), thriller nordique, la bande annonce est alléchante, d'autant que le réalisateur, Olivier Truc, est un journaliste français correspondant du Monde à Stockholm.
Abreuvés que nous sommes de littérature nordique depuis plusieurs années, on sait qu'il ne faut plus parler des lapons mais des sames ou des samis (voir Kerstin Ekman par exemple) et que ces gens peu frileux constituent la dernière population aborigène d'Europe.
Olivier Truc nous emmène sur les traces des ski-doo de deux flics de la Brigade des rennes, là haut, tout en haut, à Kaütokeino, là où Norvège, Suède et Finlande(2) s'enchevêtrent par dessus ce qui était la Laponie, là où chaque année le soleil disparaît pendant quelques semaines.
[...] Demain, entre 11 h 14 et 11 h 41, Klemet allait redevenir un homme, avec une ombre. Et, le jour d'après, il conserverait son ombre quarante-deux minutes de plus. Quand le soleil s'y mettait, ça allait vite.
[...] Un jour, il avait emmené Aslak au sommet d'une montagne. Elle n'était pas très haute. Son sommet était plat. Mais, d'en haut, on pouvait voir les autres montagnes, à perte de vue. Aslak avait appris à aimer ces montagnes ce jour-là quand son grand-père lui avait dit : "Tu vois Aslak, ces montagnes, elles se respectent les unes les autres. Aucune n'essaye de monter plus haut que l'autre pour lui faire de l'ombre ou pour la cacher ou pour lui dire qu'elle est plus belle. On peut toutes les voir d'ici. Si tu vas sur la montagne là-bas, ce sera pareil, tu verras toutes les autres montagnes autour." Jamais son grand-père n'avait autant parlé. Sa voix était calme, comme toujours. Un peu triste peut-être. "Les hommes devraient faire comme les montagnes", avait dit le vieil homme. Aslak ne disait rien.
Klemet est same et connaît bien les éleveurs de la région. Nina est une jeune fliquette blonde fraîchement débarquée du sud(3). Elle n'en connaît pas beaucoup plus que nous sur les lapons, ce qui permet à Olivier Truc de déployer beaucoup de pédagogie pour nous instruire sur les us et coutumes de ce peuple. Un peu trop de pédagogie d'ailleurs, c'est dommage, ce qui, avec l'écriture très standard, fait de ce bouquin, certes un livre passionnant et instructif mais pas encore de la bonne et belle littérature.
À Kaütokeino, un tambour sacré est dérobé dans un musée local. Un de ces tambours que dans les années 1700, les pasteurs évangéliques s'évertuaient à brûler (parfois avec les chamanes tant qu'à faire) pour éradiquer la sauvagerie et le paganisme(4).
[...] Pendant des décennies, les pasteurs suédois, danois et norvégiens nous ont pourchassés pour confisquer et brûler les tambours des chamans. Ça leur faisait peur. Pensez donc, on pouvait parler avec les morts ou guérir. Ils en ont brûlé des centaines, des tambours. Il en reste à peine plus d'une cinquantaine dans le monde, dans des musées à Stockholm ou ailleurs en Europe. Et même chez des collectionneurs. Mais aucun chez nous, sur notre propre terre. Incroyable non ! ? Et là, enfin, ce premier tambour était revenu. Et on le vole ? C'est de la provocation !
[...] Vous savez que ce tambour est spécial, c'était le premier à revenir de façon permanente en Laponie. Je ne suis pas lapon mais, pour les Lapons, c'est apparemment important. C'est important pour toi, Klemet ? Tu es le seul Lapon ici.
- J'imagine, oui. Enfin je sais pas, dit-il, l'air un peu gêné.
- En tout cas, ça fait un sacré ramdam. Les Lapons crient qu'on leur vole à nouveau leur identité, qu'on les discrimine encore et toujours, etc. À Oslo, ça les énerve, évidemment, surtout qu'une conférence importante de l'ONU sur les populations autochtones se tient dans trois semaines et que nos amis lapons sont comme vous le savez tous par cœur notre chère population autochtone à nous. On t'a appris ça à l'école de police, Nina ? Ça m'étonnerait. Bref, ça les rend nerveux nos amis d'Oslo, ils aiment bien passer pour des premiers de la classe à l'ONU, surtout avec tout le pognon qu'on leur file, et ils ne voudraient pas se faire taper sur les doigts pour une histoire de tambour.
Puis c'est le cadavre d'un éleveur de rennes que l'on retrouve avec les oreilles découpées (comme celles des bêtes que les éleveurs se volent entre eux et dont il faut faire disparaître les marquages).
Malédiction ancestrale qui planerait encore sur ce tambour sacré ? Exaspération socio-politique dans cette région où, malgré le froid, fermente le racisme envers les autochtones ? Règlement de comptes entre éleveurs dans cette toundra où il devient de plus en plus difficile de vivre ? Appât du gain à l'heure où les grandes compagnies minières voudraient bien faire main basse sur un sous-sol prometteur ?
[...] - Tu as entendu à la radio nationale ? Ils disent que ça pourrait être l'extrême droite, voire même des laestadiens d'ici. Ils disent que l'extrême droite veut empêcher les Lapons de renforcer leur identité avec le tambour, et les laestadiens veulent empêcher que les Lapons soient à nouveau tentés par leur ancienne religion.
- Je sais. Cela fait des motifs, pas des preuves.
- C'est quoi ces laestadiens ? Nous n'en avons pas dans le Sud.
L'air très détendu, Klemet leva son verre en direction de Nina.
- Santé.
- Santé, dit Nina.
- C'est une secte luthérienne. Le milieu dont je suis originaire.
Autant de pistes à explorer, où tous ces éléments de contexte sont minutieusement décrits par Olivier Truc et, on l'a dit, c'est passionnant et instructif.
Bref, un demi-coup de coeur : pas pour le côté littéraire (l'écriture est trop standard), pas pour le côté polar (l'enquête n'est qu'un prétexte), mais pour le volet ethno-socio-géo-politique. À lire comme un avant-goût de voyage et qui sait, peut-être qu'un jour nous aurons assez de courage pour aller passer quelques semaines au coeur de l'hiver lapon.
(1) - bien sûr il y a les incontournables navajos du regretté Tony Hillerman, mais également les mongols de Sarah Dars par exemple
(2) - et Russie aussi, mais là la communication passe encore mal
(3) - du sud de la Norvège hein,  faut relativiser, mais là-haut ça suffit et cette jeune et blonde fliquette [mais futée quand même, hein] fournit à Olivier Truc le regard extérieur (le sien, le nôtre) dont il a besoin pour nous promener chez les lapons
(4) - toute ressemblance avec d'autres colonisations où l'Eglise fut le bras armé de la couronne serait purement fortuite

Pour celles et ceux qui aiment les polars ethniques.C'est Métailié qui édite cet ouvrage qui date de 2012.D'autres avis sur Babelio et celui d'Hannibal.

vendredi 7 décembre 2012

Peste & choléra (Patrick Deville)


Géotrouvetout en Indochine.

 Ah que voici une bonne pioche de MAM : Peste et Choléra de Patrick Deville.
Disons le tout net, on adore.
C'est frais, lumineux et intelligent. On croirait du Echenoz. Le meilleur d'Echenoz, celui des biographies comme celle de Zatopek ou celle de Tesla.
Car il est encore question de biographies romancées, de Vies comme dirait Patrick Deville.
La “Vie” dont il est question ici, c'est celle d'Alexandre Yersin.
Comment vous ne connaissez pas ? Nous non plus.
Enfin, jusqu'à il y a peu, car depuis ce petit bouquin on sait tout ou presque de ce petit suisse(1) qui aura inventé (excusez du peu) : le sérum contre la peste (la Yersinia Pestis, c'est lui) ou la culture intensive du caoutchouc pour les pneus Michelin.
Car Yersin est un touche-à-tout de génie. Il ne tient pas en place, après avoir grandi à l'ombre de Pasteur, le voici qui ne rêve que de marcher dans les traces de Livingstone. Se lassant très vite une fois la chose découverte, pressé de passer à autre chose.
Au cours ce petit bouquin, on croisera (outre déjà ces deux là) : Paul Doumer, le Dr. Schweitzer, Céline(2), Rimbaud, et même Serpollet, l'inventeur des moteurs qui feront la fortune de MM. Renault et Peugeot.
Car Yersin s'intéresse à tout : microbiologie, astronomie, botanique, ethnologie, mécanique, ...
[...] Comment il a découvert le bacille et vaincu la peste. Quitté la Suisse pour l'Allemagne, l'Institut Pasteur pour les Messageries Maritimes, la médecine pour l'ethnologie, celle-ci pour l'agriculture et l'arboriculture. Comment il fut en Indochine un aventurier de la bactériologie, explorateur et cartographe. Comment il parcourut pendant deux ans le pays des Moïs avant de gagner celui des Sandangs. [...] Comment il devint le roi du caoutchouc et le roi du quinquina.
Il sera le premier à importer une automobile en Indochine.
Car c'est en Indochine qu'il trouvera un havre de paix, fuyant les folies guerrières de 14 et 40.
[...] La campagne de France vient de faire en quelques jours deux cent mille morts, c'est le bilan d'une épidémie, celle de la peste brune.
Le bouquin de Patrick Deville est magique : enlevé, frais, virevoltant, ... il nous emmène sur les traces de cet esprit touche-à-tout et après avoir parcouru à grandes enjambées la Vie de Yersin, on a l'impression d'être plus intelligent.
Car on y fréquente les esprits les plus fins de l'époque (on en a déjà cité quelques uns).
[...] Des scientifiques lettrés qui savent qu'amour, délice et orgue sont féminins au pluriel.
Des esprits avides de modernité et de découvertes.
Cela nous vaut quelques très belles pages sur les découvertes scientifiques.
Comme celles justement du bacille de la peste à Hong-Kong pendant l'épidémie de 1894 qui ravage la Chine : sur fonds douteux de rivalités scientifiques et de conflits politiques, les japonais s'arrogent (avec la complicité des anglais) le meilleur labo, le meilleur matériel ... et les meilleurs cadavres. Le franco-suisse Yersin se trouve relégué en arrière-plan. Sans autoclave moderne, il n'atteint pas les bonnes températures pour cultiver les souches des microbes.
C'est donc le japonais Kitasato qui va découvrir ... ce qui s'avère n'être qu'un streptocoque.
Et c'est bien finalement Yersin qui découvre le bacille de la peste, puisque le microbe se développe à une température qui n'est pas celle-là où on l'attendait !
De très belles pages également sur la naissance de l'Institut Pasteur et des Instituts Pasteur à travers le monde colonial. Sur ces découvreurs qui, même pas médecins, vont révolutionner la médecine pour longtemps.
À l'époque, ils avaient encore à lutter contre les créationnistes qui n'avaient encore jamais vu un microbe.
[...] Contre lui depuis plus de vingt ans, les tenants de la génération spontanée jaillissent comme par miracle. Il défend que rien ne naît de rien. Mais alors Dieu. Pourquoi tous ces microbes et nous les avoir cachés pendant des siècles.  [...] Pasteur comme Darwin. L'origine des espèces et l'évolution biologique, du microbe jusqu'à l'homme, contredisent les textes sacrés.
Bref, c'est toute une Histoire en raccourci, un nouveau plaisir à chaque page.
Et puis il y a l'écriture. La prose de Patrick Deville rappelle celle d'Echenoz : des petites phrases courtes et sèches, un humour décalé, de la belle langue. Un délice.
MAM avait eu la main heureuse avant que Patrick Deville ne décroche le prix Femina (bien mérité).
Jusqu'ici vous ignoriez sans doute tout d'Alexandre Yersin : il est grand temps de combler cette lacune !
Quant à nous, puisque le Vietnam sera sans doute de nouveau bientôt au programme, Patrick Deville nous aura donné l'envie irrépressible de faire le détour par Nha Trang.
(1) - petit pays qui, outre notre amie Aline, nous aura donné le secret bancaire et le vaccin contre la peste donc
(2) - que l'on découvre donc microbiologiste à l'Institut Pasteur !

D'autres avis sur Babelio    
Pour celles et ceux qui aiment les Vies.
Ces 220 pages datent de 2012 et sont publiées chez Seuil.

lundi 3 décembre 2012

La tour d'arsenic (Anne Birkefeldt Ragde)

Quand les mères n'étaient pas à la fête.

On avait découvert la norvégienne Anne Birkefeldt Ragde avec Zona Frigida qu'on avait beaucoup aimé et on s'était dit que le bouquin suivant mériterait certainement un petit cœur ...
C'est chose faite.
Pourtant voilà bien un roman différent : autant Zona Frigida était plein d'humour (noir), autant La tour d'arsenic tient plus de la sombre saga familiale(1).
Trois ou quatre générations de femmes scandinaves défilent : un siècle de condition féminine.
Un siècle qui ne fut sans doute pas le meilleur.
À tel point que l'amour maternel doit parfois, sauter une ou deux générations.
Le bouquin s'ouvre sur l'annonce du décès de la grand-mère Malie.
[...] Ma mère me téléphona pour m'annoncer la nouvelle :
- Maman est morte.
Puis elle se mit à rire. Longuement. Un rire sonore et rude, entrecoupé de respirations.
- Grand-mère est morte ?
- Oui ! Ce n'est pas formidable ?
La mère Ruby, jubile.
La fille Thérèse, pleure une grand-mère qui l'aimait plus que sa propre mère.
Et Anne B. Ragde va nous emporter dans les recoins sombres du passé, nous faire découvrir peu à peu (le bouquin est particulièrement bien construit) toute l'histoire de ces femmes du nord.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifÇa se lit presque comme un thriller à suspense et, avide de découvrir les secrets de chacune de ces femmes, on dévore ce gros bouquin sans pouvoir le lâcher : d'emblée on comprend que Ruby se réjouit de la mort de sa mère qui ne l'aura jamais aimée et encore moins désirée. Malie était chanteuse de cabaret et sa carrière fut brisée par la venue de Ruby qui se trouvera à son tour bien incapable d'apporter un peu d'amour à sa propre fille. Et l'histoire est forte et âpre et dure, et l'on veut tout savoir de ces femmes, comment Malie est devenue chanteuse de cabaret, de qui est née Ruby, pourquoi Thérèse se prénomme ainsi, ...
Le grand-père aura droit lui aussi à quelques pages : c'est lui qui peignait le bleu sur la porcelaine, le bleu de cobalt obtenu dans les fours à arsenic. Mais s'il est un peu question d'arsenic, il n'est malheureusement pas question de dentelles et c'est dans le sang des femmes et des mères que coule le poison : le sang des douleurs menstruelles, le sang des accouchements difficiles et celui des avortements clandestins, ...
[...] En danois, une tâche de naissance se dit modermoerke, “marque de la mère”. La naissance, de ce fait, lui est d'avantage associée.
Lorsque le décès de la grand-mère survient, Thérèse est maman d'un petit garçon : le fil de l'héritage maudit semble enfin rompu et on espère sincèrement qu'il sera plus facile d'être mère dans ce nouveau siècle qu'au cours du précédent.

(1) - on ne lit pas dans l'ordre : La tour d'arsenic est son dernier roman (d'où sans doute, cette écriture très sûre) et il faudra qu'on se plonge dans la trilogie des Neshov, une autre saga, celle qui a rendue célèbre Anne B. Ragde


Pour celles et ceux qui aiment les mères. 
Balland édite ces 522 pages qui datent de 2001 et qui sont traduites du norvégien par Jean Renaud. 
D'autres avis sur Babelio ou dans l'Express.

lundi 26 novembre 2012

Le sillage de l'oubli (Bruce Machart)

 

Le mauvais cheval.

On ne présente plus les éditions Gallmeister et leur collection Nature Writing qui fait régulièrement la une de ce blog.
En voici un nouvel épisode qui change un peu des polars auxquels on avait pris goût, un épisode plutôt dans la veine de David Vann que celle de Craig Johnson.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifUne très sombre histoire de famille, à cheval : Le sillage de l'oubli de Bruce Machart.
Nous voici à l'orée du siècle (le dernier hein), au fin fond du Texas, dans les plaines cotonneuses du Lavaca County, à quelques chevauchées de la frontière mexicaine.
La région était peuplée d'immigrants tchèques(1) et dans la famille Skala tout allait pour le mieux.
Le père Vaclav pour agrandir ses terres, chevauchait ses pur-sang pour des paris risqués qu'il gagnait régulièrement : le domaine prenait de l'ampleur. Tout allait bien jusqu'à ce que la mère Klara meure en couches à la naissance du petit dernier Karel. Dès lors, Lavaca County sera comme un avant-goût de l'enfer pour la famille Skala.
[...] À compter de ce jour, les gens du coin diraient que la mort de Klara avait transformé cet homme d'un naturel gentil en une personne amère et dure, mais en vérité, Vaclav le savait, l'absence de sa femme avait seulement fait ressurgir celui qu'il était avant de la connaître, celui que seule cette compagnie féminine avait su adoucir.
Au cours de son existence, il avait connu une terre si coriace qu'avant plusieurs saisons de pluie régulière elle pouvait briser le soc d'une charrue, et il n'était pas sans savoir que si l'acharnement ou le hasard des circonstances vous permettaient de la cultiver, mieux valait alors ne jamais oublier que, sans l'action conjuguée des gros nuages chargés d'eau et de la providence, vos bottes seraient condamnées à résonner sur la terre aride en soulevant la poussière quand vous traverseriez vos champs.
Depuis la mort de sa femme, Vaclav s'enfonce dans sa terre. Il ne vit plus que pour elle et ne rêve que de l'agrandir. Le plus jeune fils Karel est devenu un cavalier émérite et gagne régulièrement les paris contre les voisins, agrandissant le domaine familial à chaque course. Vaclav prend le plus grand soin de ses pur-sang et ce sont donc les quatre fils qui tirent désormais la charrue sous l'oeil sévère du père, le fouet au côté. Courbés ainsi sous le “joug paternel” ils en garderont à jamais la nuque déformée.
Jusqu'au jour où arrive le sieur Villaseñor, mexicain de son état - et visiblement en ce temps-là, les latinos ne sont pas les bienvenus. Mais le sieur Villaseñor est riche et rêve de marier ses trois filles aux fils d'un grand propriétaire texan.
Les fils reluquent les donzelles et aspireraient bien à la liberté ... mais pour le père, il n'en est pas question.
Sauf qu'au Texas en ce temps-là, on ne refuse pas un pari ... Et c'est donc à cheval, à la course, que va se jouer le sort de la famille Skala ...
On ne vous en dit pas plus même si le suspense n'est pas le ressort du bouquin. Au contraire, on passe habilement entre trois époques : 1895 à la naissance de Karel, 1910 à l'apparition des jeunes mexicaines et 1924 lorsque Karel est devenu adulte et que ...
C'est le premier roman de Bruce Machart et il faut avouer que c'est un joli coup : bien sûr il y a cette histoire, âpre et sauvage, presque inhumaine comme la terre avec laquelle les hommes font corps.
Et puis il y a cette écriture (sans doute admirablement traduite), riche, ample, impeccable.
C'est fort et ça remue.
(1) - ben oui tiens, voilà encore un pays de la vieille Europe qui a peuplé le Nouveau Monde

Pour celles et ceux qui aiment les chevaux. 
Ces 335 pages datent de 2010 en VO et sont superbement traduites de l'américain par Marc Amfreville. 
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mardi 20 novembre 2012

Emily ( Stewart O'Nan)

Fin de parcours.

Il s'agit encore d'une douce musique : celle des mots de Stewart O'Nan car le bouquin est fort bien écrit (de cette écriture simple et droite qu'on affectionne chez les états-uniens). La douce musique aussi des dernières années de la vieille dame Emily.
Emily, c'est un peu le contrepoint du Grondement de la montagne du japonais Yasunari Kawabata dont on parlait il y a quelques jours.
Autant les dernières années du japonais étaient amères et désabusées, autant les dernières années d'Emily sont, certes empreintes de nostalgie, mais pleines de vitalité : la vieille dame va même jusqu'à s'acheter une nouvelle voiture (plus maniable que le paquebot que lui a laissé son défunt mari) afin de retrouver son autonomie lorsque son amie Arlène est hospitalisée qui conduisait jusqu'ici pour elles deux. Il vaut mieux d'ailleurs qu'Emily reprenne le volant, vu la conduite acrobatique d'Arlène dans les rues de la banlieue de Pittsburgh.
Les dialogues entre les deux vieilles dames sont savoureux : acides et piquants. C'est la meilleure partie du livre.
[...] Arlene baissa sa vitre de quelques centimètres. « Ça t’ennuie beaucoup si je fume ?
– Je croyais que le médecin t’avait dit d’arrêter.
– C’est ce que je fais. Il m’a mis un patch. » Relevant sa manche de veste, elle montra à Emily un carré couleur chair, puis alluma une cigarette. « Si ça doit arriver, ça n’arrivera pas en un jour. Il le sait.
– Mais tu vas essayer ?
– Je vais essayer.
– C’est courageux de ta part.
– J’imagine que ça va être désagréable pour tout le monde.
– Mais ça en vaudra la peine.
– Tu dis ça maintenant, mais attends de voir.
– Si je peux t’aider.
– Merci. J’aimerais te demander une chose, si c’est possible.
– Tout ce que tu veux.
– S’il te plaît, ne sois pas trop déçue si je n’y arrive pas.
– Promis », dit Emily, pensant néanmoins que ce n’était pas la meilleure façon de commencer. 
Les chapitres avec les enfants sont moins passionnants : Emily n'est pas très heureuse de la tournure prise par sa fille ou son fils, qui ne la visitent guère souvent.
Une belle tranche de vie (même si c'est l'une des dernières tranches du gâteau d'Emily) qui s'écoule, là aussi, au rythme des saisons.
Décidément les parallèles avec le japonais Kawabata sont nombreux, heureux hasard des lectures croisées. 

Pour celles et ceux qui aiment les vieilles dames. 
Un extrait est disponible ici 
Ces 334 pages datent de 2011 en VO et sont traduites de l'américain par Paule Guivarch 
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mardi 6 novembre 2012

Le grondement de la montagne (Yasunari Kawabata)

Fin de parcours zen.

Il lui parut étrange, au matin, ce rêve d’une île où il n’était jamais allé.
Quels délices que l'écriture de Yasunari Kawabata, prix Nobel nippon de littérature, que l'on a déjà croisé ici par deux fois avec Les belles endormies et Pays de neige.
Des trois, c'est Pays de neige qui reste le plus accessible et le moins extrême-oriental. Tandis que Le grondement de la montagne rappelle plutôt les nipponneries des Belles endormies.
Il y est encore question de la solitude(1), de la vieillesse, du regard d'un vieil homme sur de jeunes femmes. Du poids des ans, quand la tête vient à peser trop lourd sur les épaules.
Et de sommeil, le sommeil innocent ou le sommeil éternel(2).
[...] Tout à l’heure, dans le train, je me demandais si on pourrait envoyer sa tête au blanchissage ou la faire réparer. La couper… ce serait peut-être un peu violent. Mais enfin, détacher provisoirement la tête du tronc, en disposer comme de linge sale. À l’Hôpital universitaire, par exemple : « Voulez-vous vous en charger ? » Ils laveraient le cerveau, répareraient les ratés, pendant que le corps dormirait sans rêver ni se retourner. 
Le regard de Kikuko s’assombrit. « Père, vous êtes fatigué ? 
— Oui, répondit-il. Aujourd’hui même, au bureau, je recevais quelqu’un. J’ai tiré une bouffée de ma cigarette, je l’ai posée sur le cendrier, j’en ai allumé une autre et l’ai posée sur le cendrier ; voilà trois cigarettes qui se fumaient toutes seules, en rang, toutes aussi longues les unes que les autres. J’en avais honte ! En effet, dans le train, l’idée de se faire lessiver la tête lui était venue, mais la notion de son corps endormi l’avait séduit plus que celle d’un cerveau mis à neuf. Certes, il était las.
Car Shingo est au bout de son chemin et il entend déjà le grondement de la montagne.
[...] Shingo se demanda s’il n’entendait pas la mer, mais non, c’était bien le grondement de la montagne. Il ressemble, ce grondement, à celui du vent lointain, mais c’est un bruit d’une force profonde, un rugissement surgi du coeur de la terre. Comme il semblait à Shingo qu’il ne résonnait peut-être que dans sa tête et pouvait provenir d’un bourdonnement d’oreilles, il secoua le chef. Le bruit cessa. Alors, Shingo fut effrayé. Il frissonna comme si l’heure de sa mort lui avait été révélée.
Comme pour ajouter à l'étrangeté asiatique, les chapitres du livre sont autant d'épisodes parus à l'origine dans des journaux ou magazines nippons : il arrive donc que Kawabata rappelle ce qui s'est passé quelques pages auparavant et répète quelques scènes sous un angle légèrement différent, comme un écho du nouveau chapitre.
On y goûte tout l'art de la contemplation dont savent faire preuve les maîtres zen, et les petites scènes quotidiennes s'alignent, pages après pages, où l'on découvre la vie familiale de ces très lointains japonais.
Shingo a jadis épousé la soeur de celle qu'il convoitait, sa fille est en passe de divorcer et son fils ne rentre pas souvent à la maison où l'attend pourtant sa jeune épouse Kikuko. Une jeune femme délaissée qui allume encore quelque étincelle dans le regard vieillissant de Shingo.
Au fil des pages et des dernières saisons qui passent, le viel homme désabusé et fatigué se demande ce qu'il y a eu de bien dans sa vie, ce qu'il faut en garder.
Il n'y verra finalement que le fait d'avoir traversé la guerre ...
(1) - à seize ans, Kawabata avait déjà perdu parents, soeur et même grands parents .. 
(2) - Kawabata se gavait de somnifères et se suicida au gaz à l'âge de 72 ans

Pour celles et ceux qui aiment le Japon. 
Ces pages datent de 1954 en VO et sont superbement traduites du japonais par Sylvie Regnault-Gatier. 
D'autres avis sur Babelio.

mardi 16 octobre 2012

Une douce flamme (Philip Kerr)

Cold case chez les SS.

Chez le britannique Philip Kerr, il y a des hauts et il y a des bas. Faut dire qu'avec l'excellente Trilogie berlinoise, la barre avait été haut placée.
Mais, allez savoir pourquoi, on aime beaucoup beaucoup son personnage, Bernie, tantôt flic, tantôt privé, parfois rebelle, parfois complaisant, selon les époques de cette trouble période de l'Allemagne nazie ...
Alors on est bien content de retrouver un excellent épisode avec cette Douce flamme.
Avec un montage très habile puisque l'histoire (pardon l'Histoire avec Philip Kerr) ici se fait double : d'un côté les années 30 quand Bernie était encore flic à Berlin, de l'autre côté l'Argentine des années 50 où les nazis trouvent refuge.
Entre les deux, ‘on’ demande à notre Bernie de ré-ouvrir outre-Atlantique un dossier berlinois qu'il avait dû classer sans suite vingt ans plus tôt. Et quand on lance Bernie sur une enquête, il n'est pas facile de le manipuler ou de lui faire lâcher prise ...
Vingt ans après ... ou Cold case chez les SS ...
[...] « Les enquêtes criminelles marchent de la façon suivante, Arthur : quelquefois, il faut d’abord que le pire se produise pour pouvoir espérer le meilleur.— Comme un nouveau meurtre ? » J’acquiesçai. Nebe demeura un instant silencieux.Puis il ajouta : « Oui, je peux comprendre ça. N’importe qui peut le comprendre. Même vous.
— Moi ? Qu’est-ce que vous voulez dire, Arthur ?
— Quelquefois, il faut d’abord que le pire se produise pour pouvoir espérer le meilleur ? C’est le seul motif pour lequel quelqu’un irait voter pour les nazis. »
Alors on est enchanté de découvrir les débuts de Bernie à la Kripo de l'Alexander Platz (le Quai des Orfèvres berlinois).
Et au chapitre suivant, on est passionné par la découverte de l'Argentine fasciste de Perón. Le mélange est parfaitement dosé.
Comme toujours chez Philip Kerr, l'histoire cède le pas à l'Histoire au prix de quelques rocambolesques invraisemblances qui permettent à Bernie de côtoyer Goebbels, Eichman ou Mengele (rien que du beau monde !).
Mais qu'à cela ne tienne, on aime bien ces troubles balades dans les pages sombres de l'Histoire.
Comme ses compatriotes exilés, Bernie a vieilli et reste hanté par les mauvais épisodes de son passé (on le serait à moins).
D'autant que l'instructive postface jettera un regard désabusé sur le sombre passé de l'Argentine qui, à cette époque, avait décidé de retenir le meilleur de l'Allemagne hitlérienne et de l'Italie de Mussolini. Une postface où l'on découvrira que les tribulations rocambolesques de Bernie étaient construites sur un bien sinistre fond de vérités à peine romancées. À peine : Philip Kerr n'a malheureusement pas besoin de prendre trop de libertés avec l'Histoire.
On peut sauter l'épisode précédent (La mort entre autres) qui évoquait la fuite de Bernie vers l'Amérique du Sud en compagnie de quelques uns de ses « amis » et compatriotes, mais il ne faut pas manquer l'excellente Trilogie avant de poursuivre avec cette petite flamme argentine.
[...] Les nazis parlaient d’un Reich de mille ans. Mais, parfois, je me dis qu’à cause de ce que nous avons fait, le nom de l’Allemagne et les Allemands sont couverts d’infamie pour mille ans. Qu’il faudra au reste du monde mille ans pour oublier. Vivrais-je un millier d’années que jamais je n’oublierais certaines des choses que j’ai vues.
La flamme argentine de Perón s'éteindra bientôt, noyée dans la dictaturomanie sudaméricaine, mais elle aura suffisamment éclairé l'Histoire pour confirmer définitivement que le fascisme n'était pas qu'un accident italo-allemand.
Soixante ans après, l'Allemagne tire l'Europe et n'est plus couverte d'infamie : est-ce parce que le monde veut oublier ou plutôt parce qu'inconsciemment chacun sait bien que le fascisme a rencontré trop de complaisances et même d'adhésions pour qu'on puisse tout mettre sur le dos de l'Allemagne ?

Pour celles et ceux qui aiment Bernie et les histoires avec de l'Histoire dedans. 
Ces pages datent de 2008 en VO et sont traduites de l'anglais par Philippe Bonnet. 
D'autres avis sur Babelio.

mardi 9 octobre 2012

Camilla Läckberg

La reine des glaces.

À 37 ans, la nouvelle reine du polar suédois s'est déjà taillé un sacré succès dans les traces de Henning Mankell ou de Stieg Larsson.
Disons le tout de suite, ce n'est pas de la grande littérature.
On s'était d'ailleurs tenu jusqu'ici, prudemment à l'écart de ces couvertures convenues, craignant une tromperie au poisson nordique avec un emballage prometteur qui aurait pu receler de l'élevage ou de la conserve.
Mais non, l'importation est honnête et finalement on trouve là une écriture plutôt simple et sympa, sans prise de tête, idéale pour une gentille remise en route de neurones paresseux après les vacances. 
Camilla Läckberg, c'est beaucoup moins bien que la prose du maître Mankell mais c'est aussi beaucoup mieux que le racolage complaisant de Larsson.
On découvre ici plutôt une voisine transatlantique de Patricia Cornwell. 
Avec d'ailleurs le même côté prolixe dont on se lassera vite.
La série de Camilla Läckberg(1) met en scène une écrivaine (Erica) et un flic (Patrik).
Au fil des épisodes leur romance se développe (flirt, bébé, mariage, ...) de manière très conventionnelle mais toujours agréable à suivre.
Et les voici qui enquêtent finalement à deux sur quelques mauvais crimes survenus à Fjällbacka, une petite bourgade de la côte ouest suédoise(2) d'où est native Camilla Läckberg. Un lieu de villégiature un peu bourgeois(3) et jusqu'ici bien tranquille, avant que l'auteure ne se mette à y découvrir des cadavres.
Le premier de la série (La princesse des glaces) est plutôt sympa : crime pas tout à fait ordinaire, histoires de familles aux secrets cachés, couvercle de silence bourgeois sur la marmite du passé, ...
[...] Il savait que le processus avait démarré au moment même où Alex avait été retrouvée morte dans sa baignoire. Il avait compris que la police allait fouiller, retourner tous les cailloux et exposer au grand jour tout ce qui grouillait en dessous.
Tout le monde finit par avoir une raison ou une autre d'être l'assassin. C'était un peu la recette d'Agatha Christie, réchauffée ici avec une sauce à la confiture d'airelles.
Le suivant (Le prédicateur) est plus convenu : crimes horribles, serial killer, ... on est en terrain connu même si la recette est toujours accommodée par Camilla Läckberg (histoires de famille, secrets du passé, ...).
[...] Il se laissa tomber sur la chaise de bureau et lança un regard muet à sa femme. Leurs yeux exprimèrent une compréhension mutuelle. De vieux ossements étaient littéralement remontés à la surface, et ils savaient tous les deux ce que cela impliquait.
Quelques personnages secondaires se développent au fil des épisodes, comme la soeur d'Erica dont on suit les déboires matrimoniaux (un peu lassante la frangine, il faudra attendre le 3° épisode pour qu'elle se décide enfin) ou encore le commissaire Mellberg - le patron de Patrik - dont le portrait (très savoureux le portrait) est plutôt salé :
— Tu as remarqué quelque chose d’anormal avec Mellberg ces temps-ci ? demanda Patrik pour commencer.
— À part le fait qu’il ne se plaint plus, ne critique plus, qu’il sourit tout le temps, qu’il a perdu du poids et qu’il a abandonné ses vêtements des années 1980 pour passer aux années 1990 – rien, répondit Martin avec un sourire qui souligna l’ironie de ses paroles.
— C’est louche, tout ça.
On profite de cette lecture facile pour mieux connaître la vie quotidienne de nos voisins suédois qui, ça se confirme après Leif GW Persson, semblent bien être les plus américains des européens.
(1) - une série télévisée est d'ailleurs en cours de tournage tout là-haut(2) - et oui, encore un aspect de notre ignorance de nos voisins suédois : il y a une côte ouest en Suède, au sud de la Norvège, au nord de Göteborg, une région de pêcheurs, de maisons colorées et d'îlots déserts, sympa ... l'été.(3) - Ingrid Bergman y venait en vacances lorsqu'elle était enfant

Pour celles et ceux qui aiment les polars suédois. 
C'est évidemment Actes Sud (Babel Noir) qui édite ces ouvrages traduits du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain et dont le premier (La princesse des glaces) est paru en 2004 en VO. 
D'autres avis sur Babelio [1] et [2].

vendredi 21 septembre 2012

La vingt-septième ville (Jonathan Franzen)

Quelque chose de pourri au royaume de St Louis.

Attention, pavé !
Voilà bien un bouquin inclassable. Et d'après MAM qui a commencé par Les corrections(1) ce pourrait bien être la marque de fabrique de l'auteur : Jonathan Franzen.
La vingt-septième ville, c'est Saint-Louis, Missouri, au confluent du Missouri et du Mississipi.
Elle fut au début du siècle (le XX°) l'une des plus grandes villes des États-Unis puis connut un déclin inexorable.
Dans les années 70-80 tout part à vau-l'eau et la corruption est généralisée dans les arcanes du pouvoir de la ville.
Survient une drôle de petite bonne femme, Suzanne Jammu, qui prend la tête de la police municipale : ex-trotskyste tendance marxiste, parente éloignée d'Indira, elle débarque de Bombay(2) où elle était ... préfet de police de la plus grande ville d'Inde !
La dame et ses sbires ne reculent devant rien : les chambres et les cuisines de ceux qui comptent en ville, les toilettes des bars et des pubs où tout ce joli monde se retrouve, tout est truffé de micros.
Quelques attentats (soigneusement ciblés pour éviter toutes pertes humaines) affolent St-Louis. Heureusement la chef de la police veille au grain ! De là à penser que c'est elle qui organise tout cela pour mieux asseoir son pouvoir ...
Car son équipe d'indiens(3) a plusieurs cordes à son arc : et si vous ne pliez pas, on peut (crescendo) vous écraser votre chien, séduire votre fille, ou même ... [stop]
De l'autre côté, Martin Probst, un industriel du BTP honnête (si, si, y'en a un et il habite St-Louis) un entrepreneur honnête donc qui, indiens ou pas indiens, ne voit pas pourquoi il changerait sa ligne de conduite : il y perdra son chien, sa fille, et même ... [re-stop]
Et tout ça pour quoi ? Pour redonner un peu de vie au centre-ville, qui a été peu à peu délaissé au profit des banlieues chics du comté avoisinant ?
Ou pour que certains (dont maman-Jammu ?) empochent quelques plus-values foncières quand les quartiers débarrassés du crime prendront de la valeur immobilière(4) ? Spéculation, corruption, industrie, ségrégation, urbanisme ...

[...] - Une des raisons majeures pour lesquelles la bourgeoisie blanche est venue s'installer dans le comté, c'est, comme nous le savons tous, le désir d'avoir de bonnes écoles et, plus spécifiquement, la peur des quartiers noirs. Si la ville réintègre le comté, il n'y aura plus nulle part où se réfugier.

Le pavé est foisonnant, au point que beaucoup l'ont jugé long et fastidieux : mais si on se laisse prendre au jeu et plonger dans la vie quotidienne de St-Louis des années 70-80, c'est passionnant. Les rivalités entre la ville et le comté alentour, les questions d'urbanisme, ...
Et la richesse des personnages décrits minutieusement par Jonathan Frantzen.
On ne sait pas trop où il veut en venir : est-ce une enquête sociale ? un suspense psychologique ? rien de tout cela ou tout à la fois ?
On notera deux portraits féminins tout en richesse et subtilité.
Barbara, la femme de l'industriel, une Barbie qui n'a de poupée que son surnom.

[...] Chaque semaine, en moyenne, elle lisait quatre livres. [...] Elle allait une fois à son cours de gym et jouait trois fois au tennis. Chaque semaine, en moyenne, elle faisait six petits-déjeuners, emballait cinq déjeuners à emporter et préparait six diners. Elle parcourait cent soixante kilomètres en voiture. Elle regardait par la fenêtre pendant quarante-cinq minutes. Elle déjeunait au restaurant trois fois. [...] Elle passait six heures dans les magasins, une heure sous la douche. Elle dormait cinquante et une heures. Elle regardait la télévision pendant neuf heures. Elle parlait deux fois au téléphone avec Betsy LeMaster. De trois à cinq fois avec Audrey. Quatorze fois en tout avec d'autres amies. La radio restait allumée toute la journée.

Mais ce portrait de la page 121 cache en réalité une femme qui aura d'autres occasions de nous surprendre tout au long du bouquin.
Et puis bien sûr la mystérieuse et captivante indienne Jammu dont on ne sait trop si c'est une force naïve ou une puissance diabolique qui l'habite, mais en tout cas à qui rien ni personne ne résiste.
Ou presque, puisque tout cela finira dans un lamentable cafouillage : dans les années 70-80, il y avait quelque chose de pourri au royaume de St-Louis.
Contrairement à beaucoup de blogueurs, on a bien aimé ce gros pavé(5), sa richesse sans prétention, ses personnages très attachants, ses évocations précises et détaillées de tout et de rien, c'est-à-dire de ce qui faisait la vie quotidienne à St-Louis en ces années-là ...
Un bouquin très très américain, où à force de descriptions minutieuses (la longueur a cet effet-là) on croit toucher un peu de cette spécificité américaine, de cette a-culture américaine(6).
MAM tout comme BMR, on est tous les deux enthousiastes : à deux doigts (et quelques dizaines de pages) du coup de cœur.

(1) - Les corrections ont le succès que l'on sait, ce qui a permis de re-sortir ce premier bouquin de Frantzen qui date de la fin des années 80 - d'après MAM ce St-Louis est même meilleur que les Corrections
(2) - le bouquin date de 88, on ne disait pas encore Mumbai !
(3) - quelques parallèles subtils sont tissées entre les indiens d'Inde et ceux d'Amérique
(4) - pour la petite histoire (la vraie), St-Louis fut dans les années 50, le lieu d'un grand chantier d'urbanisme inspiré de notre Corbusier national et destiné à reloger la population croissante. Le projet fut confié à un jeune architecte, Minoru Yamasaki. La cité qui concentrait et séparait blancs et noirs se révéla évidemment un véritable désastre et connaitra la démolition seulement vingt ans plus tard, à peu près au moment où était inauguré le World Trade Center construit par ... Minoru Yamasaki ! Quand on a la poisse ...
(5) - notons au passage que c'est très bien écrit (et visiblement très bien traduit) ce qui, avec un peu de suspense pour accompagner et un peu d'exotisme indien pour assaisonner, rend le pavé nourrissant mais très digeste
(6) - le bouquin date de 88, on ne disait pas encore étasunien(ne) !


D'autres avis (guère amateurs de pavés) sur Babelio.
Points édite ces 669 pages qui datent de 1988 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Jean-François Ménard.

mardi 18 septembre 2012

Un oiseau blanc dans le blizzard (Laura Kasischke)

American beauty.

Ooh, voilà une belle découverte que Laura Kasischke.
Si l'on en croit son Oiseau blanc dans le blizzard, ça promet.
L'horreur cruelle du quotidien, y'a pas d'autres mots.
Le quotidien bien propre et bien blanc des banlieues américaines.
Une maison. Une mère, un père, une fille. Et la haine tranquille qui relie ces trois-là.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gifUn beau jour la mère disparait et au fil des flashbacks, on va découvrir peu à peu ce qui se tramait sous la surface bien lisse de cette famille trop propre.

[...] On est samedi. Cela fait une semaine et un jour que ma mère est partie. Je compterais bien les heures et les minutes, aussi, mais elle a quitté la maison un vendredi après-midi pendant que j’étais à l’école et que mon père était à son travail. Nous sommes tous deux rentrés chez nous pour trouver une maison déserte. Elle n’a pas laissé de mot, elle n’a pas fait la moindre valise, elle a juste passé ce petit coup de fil le lendemain pour dire à mon père qu’elle ne reviendrait pas, et puis plus rien.

C'est féroce et superbement bien écrit.
L'auteure enchaîne les descriptions à première vue superficielles de leur vie monotone et puis, bang, au détour d'une phrase inattendue le scalpel découpe la surface et s'enfonce bien profond, juste là où ça fait très mal.

[...] Mais cela ne l’empêchait pas de me faire les gros yeux quand je mangeais ces petits gâteaux. « Mon Dieu ! disait-elle quand je mordais dans la poussière douce de l’aile d’un ange. Mais tu grossis d’heure en heure, Kat ! » Voilà, ma mère était comme ça. Et alors ? Nous avons tous eu des enfances merdiques.

Une littérature très physique, d'une violence contenue :

[...] « C’est quoi, cette odeur ? s’étonna Phil quand il vint me voir, un peu plus tard, ce soir-là. — La mort », répondis-je.

Peu à peu, Kat va nous faire revivre son passé, son enfance entre ses parents toxiques, un père ennuyeux et une mère ennuyée. Peu à peu, elle cherchera à s'échapper de cette prison dorée, trop lisse et trop propre, quitte à coucher avec tout ce qui passe à la maison, le voisin affligé d'une mère aveugle ou l'inspecteur chargé de l'enquête sur la disparition de maman.

[...] Notre maison, comme toutes celles de notre rue, a trois chambres – la mienne, celle de mes parents et une chambre d’amis, dont la porte est toujours fermée. Les rares fois où on ouvre cette porte, une bouffée fraîche de naphtaline s’engouffre dans nos poumons, comme si l’ami invité était en fait le passé, enfermé depuis des années, qui essaie de s’échapper.

Oui, la maison de cette gentille famille américaine recèle quelque secret qui finira par s'échapper.
Mais on ne vous dévoile pas la fin, façon polar, tout à fait à la hauteur de cet excellent roman.


Disponible en ebookPour celles et ceux qui aiment les histoires de famille.
C'est Christian Bourgeois qui édite ces 317 pages qui datent de 2008 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Anne Wicke.
D'autres avis sur Babelio.

lundi 3 septembre 2012

Requins d’eau douce (Heinrich Steinfest)

Dandy-polar.

Ah, voilà un moment qu'on attendait une bonne surprise au rayon polar.
Merci donc à Mr. Heinrich Steinfest pour son roman étrange : Requins d'eau douce et bravo à MAM pour sa bonne pioche.
Et si le roman relève du décalé, Heinrich Steinfest ne l'est pas moins : le bonhomme est d'origine autrichienne (son roman se passe à Vienne) mais il est né en Australie (d'où sont les requins) et il vit désormais en Allemagne(1) ...
Jugez un peu : l'histoire commence avec la découverte d'un cadavre à moitié bouffé par un requin, un cadavre qui flotte dans une piscine sur le toit d'une résidence du centre de Vienne ... un requin égaré loin de la Gold Coast ?

[...] Quand on rencontre un plongeur, on a souvent l'impression d'avoir affaire à un astronaute débile, qui aurait passé trop de temps dans l'espace. Non, quand on a toute sa tête, on craint l'eau, on craint les poissons, les petits comme les grands. Et surtout on craint l'obscurité, qui gouverne les eaux. Plonger la tête sous l'eau dans sa baignoire, c'est déjà bien assez. Personne ne peut supporter ça longtemps, et je ne vous parle même pas de la respiration.

Le reste du bouquin et toute sa cohorte de personnages sont à la hauteur de cette entrée en matière un peu déjantée, en équilibre instable (mais parfaitement maîtrisé) sur la frontière ténue entre réalisme cru, insolite déluré et nonsense so british so germanique.
Quel plaisir que cette lecture où la kulture est évidente sans se prendre au sérieux(2), portée par l'humour pince sans rire et les associations d'idées, où le sel de l'esprit est si savoureux et si impertinent qu'on se dépêche de passer les détails de l'intrigue policière(3) dans la hâte de se perdre dans une nouvelle digression à demi philosophique.
Une lecture où l'on retrouve un peu d'une ambiance entre l'inspecteur Derrick et Fred Vargas.
L'inspecteur Lukastik est misanthrope, obsessionnel, impertinent, prétentieux et arrogant, un vrai parisien(4).

[...] - Vous ne changeriez jamais d'endroit ?
- Pas pour tout l'or du monde. Ma détresse ou ma haine à l'égard de mes compatriotes ne seront jamais assez grandes pour m'inciter à me livrer à l'étranger. Et par étranger, j'entends tout ce qui est situé hors de Vienne.

Accessoirement il mange la soupe tous les soirs avec ses père et mère et il a couché avec sa sœur. Vraiment un personnage ambigu. Et passionnant. Une sorte de dandy-policier.
Délicieux, savoureux. Epicé et relevé, salé comme la soupe du père.
Pour finir on citera l'un des aphorismes du Tractatus Logico-philosophicus du penseur et logicien autrichien Ludwig Wittgenstein, abondamment utilisé par l'inspecteur Lukastik au fil de son enquête : Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.
Alors taisons nous et découvrez vite ce nouvel inspecteur venu d'Autriche !

(1) - tiens ? après Sebastian Fitzek encore l'Allemagne ? nouvelle mode du polar in France après la vague, que dis-je : le tsunami, venu(e) des pays nordiques ?
(2) - mais cet étalage pourtant modéré agace visiblement les amateurs de thrillers tgv
(3) - purement décorative, amateurs de polars trépidants, contournez l'Autriche !
(4) - on notera avec amusement la suffisance viennoise vis-à-vis de la proche banlieue autrichienne, et l'on imagine sans peine l'inspecteur Lukastik franchir le périph' avec appréhension (on se rappellera aussi la jalousie de Bergen vis à vis d'Oslo, toujours au rayon polars) - manifestement, Paris a beau être la plus belle ville du monde, elle n'a pas le monopole de l'arrogance


Pour celles et ceux qui aiment la plongée.
Curieusement les avis sont assez négatifs, ici ou . Sans doute parce que le livre est déroutant : c'est ce qui nous a plus, tout comme à Yan.

mardi 28 août 2012

L’épouvantail (Michaël Connelly)

Big brother is behind the cloud.

Il y a les grands Connelly (comme Deuil interdit par exemple) et les autres.
En voici un petit : L'épouvantail.
Quelque soit la série, grande ou petite, un Connelly n'est jamais une mauvaise surprise.
On est sur du solide. Mais ici pas de bonne surprise non plus.
Du déjà vu, déjà lu, la routine. Les lecteurs assidus pourront bientôt écrire leurs propres Connelly.
Pas de bonne surprise donc mais quelques atouts agréables comme le retour de l'agent Rachel Walling. Et du journaliste McCoy, celui du Poète.
C'est d'ailleurs un des meilleurs côtés du bouquin que de nous immerger dans la salle de rédaction du L.A. Times, même si McCoy est ici sur le point de se faire virer (réduction de la masse salariale oblige).
Avant de claquer la porte il voudrait bien finir en beauté sa carrière de journaliste affecté aux affaires criminelles avec un bel article candidat au Pulitzer : un jeune black est inculpé de l'horrible assassinat d'une danseuse topless. McCoy devine la grosse erreur et renifle la piste du vrai suspect, un tueur en série sans doute.
Et c'est parti ...
L'autre côté intéressant du bouquin (mais qui peut agacer aussi) c'est que le vilain épouvantail travaille dans une cyber-ferme de serveurs où il espionne ses futures victimes depuis son cloud.
Voilà les ingrédients de la recette : ambiance de bouclage journalistique, techno-serial-killer à moitié hacker et Rachel Walling.
On a déjà repris du rab de ce plat devenu l'ordinaire de la cantine mais ça se dévore sans faim, entre un tgv et un avion.

Disponible en ebookD'autres avis (guère plus enthousiastes) sur Babelio.
Seuil édite ces 491 pages qui datent de 2009 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Robert Pépin.

mercredi 1 août 2012

Alexis Villain

Nouvelles de Mada.

BMR & MAM, deux baobab-coolAlexis Villain est journaliste et écrivain. Il a longtemps vécu à Madagascar. Il y a fondé une petite maison d'édition branchée, No Comment, qui publie un recueil de nouvelles qu'il a écrites : Le vieux mangeur de temps.
Quelques petites nouvelles, quelques histoires de l'Île Rouge ...
Pas toujours bien drôles (on est à Mada !) mais pleines de tendresse pour les gens de là-bas.
Son site propose le texte intégral de ses nouvelles (version web, non retravaillée pour le livre) et l'on vous conseille plus particulièrement la chemise rouge et la vieille de la ligne 193, hélas bien typiques de la vie malgache.
Ou encore dans la série des belles histoires : Fanantenana, la promesse de la mer ou les fresques de Mahefa, ...
On peut aussi commander le livre sur son site et regarder quelques photos.
Les jolis dessins du site sont de Stephan Pelayo un bédéiste d'origine malgache qui a notamment signé les couleurs de la belle série Okko.


Pour celles et ceux qui aiment les petites gens des grandes îles.

jeudi 12 juillet 2012

Sébastien Fitzek

250gr de farine pour 10 à 12 crêpes.

Voici les polars de vacances (d'autant que la météo incite à la lecture ...).
Sebastian Fitzek est une sympathique découverte allemande, berlinoise pour être précis.
C'est pas de la grande littérature (rien à voir avec nos Mankell, Indridason, Nesbo, ni même Connelly) mais ça se dévore non-stop dans un tgv, un avion, ou peut-être si vous arrivez à ne pas courir les pages à vive allure et si la météo s'arrange, sur une plage.
Du suspense à 100 à l'heure. Du thriller de ouf.
D'entrée de jeu, on est propulsé en plein désarroi.
Avec Ne les crois pas, un homme à qui tout sourit, prend sa future promise au téléphone ... on sonne à la porte : Monsieur, votre amie vient de mourir, désolé ... Mais non je viens de ... Mais si je vous dis ...
Quelque temps plus tard, une jeune et jolie fliquette désespérée s'imbibe d'alcool et s'apprête à s'ouvrir les veines quand elle est soudain réquisitionnée manu militari pour négocier avec un illuminé qui vient de prendre une station de radio en otage ... pour retrouver sa belle (et oui, c'est lui évidemment).
Alors comme le héros et l'héroïne, on ne sait plus qui croire et c'est parti pour un suspense diabolique où l'on ne sait plus qui manipule qui.
Quand on ouvre un bouquin de Sebastian Fitzek on est assuré de se faire rouler dans la farine et re-rouler encore et encore, mieux que Jessica Lange(1). Et quand la pâte est prête, on se fait encore retourner et retourner encore comme une crêpe.
Et on aime bien ces histoires invraisemblables auxquelles on ne croit pas une seconde, c'est vraiment too much. Mais c'est bien bâti.
Avec Therapie, le sieur Fitzek s'essaie à un genre (un petit peu) différent, 200% psycho, à la manière de Dennis Lehane, celui de Shutter Island.
Le héros traîne une peine incommensurable (la perte de son enfant) mais voilà qu'une drôle de dame frappe à sa porte : elle écrit des histoires ... qui se révèlent être vraies de vraies dans la vraie vie. Et elle a écrit l'histoire d'un père qui perd sa fille exactement comme ... Mais qui c'est donc ?
Et lui, il est pas bien net, il l'aurait pas zigouillée sa fille ? Ou sa femme peut-être, qui est partie au loin ? Ou plutôt non, c'est l'autre qu'est folle. Non, finalement alors c'est lui qu'est givré ? Ah zut c'est pas encore ça ...
Voilà, sur les plages cet été pourri vous avez le choix : thriller psycho ou prise d'otages, au choix.
Ou mieux, faites comme nous, lisez les deux à la suite : Sebastian Fitzek n'est peut-être pas Mankell mais il a le mérite de savoir écrire et nous livre là deux bouquins qui ne lassent pas. 
(1) - et ben oui, chacun ses fantasmes, celui de BMR c'est Jessica dans la farine mais MAM prétend à chaque fois que ça la fait éternuer

Pour celles et ceux qui aiment la farine et les crêpes.
Le livre de poche édite ces 414+312 pages qui datent de 2006 et 2007 en VO et qui sont traduites de l'allemand par Pascal Rozat.
D'autres avis sur Babelio [1] et [2].

vendredi 6 juillet 2012

En mémoire de la forêt (Charles T. Powers)

Silence, on oublie.

Jusqu'ici les bouquins nous emmenaient bien souvent parcourir les vastes et somptueux paysages de l'ouest américain.
Avec Charles T. Powers c'est une promenade vers les sombres et impénétrables forêts de l'est. De Pologne plus précisément.
Mais cet américain (un journaliste qui fut longtemps en poste à Varsovie) ne nous emmènera pas souvent en balade : il a eu la mauvaise idée de quitter ce bas monde en 1996, juste avant de remettre son premier et unique bouquin à son éditeur.
Pourtant Charles T. Powers a pris son temps pour planter ses arbres, son décor et ses personnages : nous voici dans un petit village de la campagne polonaise, un bled paumé quelque part entre Varsovie et la Russie.
L'histoire est à peine datée (du tout début des années 90), la Pologne semble sortir du moyen-âge et se relève péniblement de son passé.
[...] C'était la puissance soviétique qui nous avait délivrés de Hitler, qui avait lancé Gagarine dans l'espace et qui ensuite nous avait soumis à un joug d'une injustice flagrante. La première partie, nous l'avions apprise à l'école, la seconde, autour de la table du diner.
Les paysans ont du mal à joindre les deux bouts,  trouver du fourrage pour les bêtes ou du charbon pour la maison. Ils boivent.
Le jeune Leszek a repris la ferme de son père trop tôt disparu.
Bientôt on découvre dans la forêt le cadavre de son ami Tomek, le fils du voisin, le crâne fracassé.
Avec Leszek on arpente les sentiers où s'entremêlent le village et la forêt : le jeune Tomek traficotait visiblement avec les apparatchiks du coin et peut-être les russes. Alcool, armes, contrebande ...
[...] - La pompe que j'ai réparée chez vous l'été dernier, elle marche bien ?
- Oui, merci.
- Bien. Je me demandais ... Est-ce que vous avez discuté avec Karol, le vétérinaire ?
- Non. Pourquoi ?
- Je l'ai entendu dire des choses l'autre jour.
- Quoi donc ?
- Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris. Comme quoi lui aussi aurait entendu certaines choses. Il voit du monde, vous savez. Il est intelligent, malgré son penchant pour la bouteille. Très intelligent. Certains hommes intelligents sont comme ça. Surtout dans un village comme le nôtre. C'est leur manière de survivre.
- D'accord, Andrzej. Qu'est-ce qu'il a dit ?
- Je n'en suis pas sûr, mais il a parlé de camions. Des camions russes, peut-être.
- Oui ?
- Quelqu'un les voit régulièrement, ces camions. Je ne sais pas quand. Mais quelqu'un les a vus, peut-être plusieurs fois, sur l'ancienne route de la carrière, près de la distillerie. La nuit, je crois me souvenir. Enfin, vous connaissez Karol ... Parfois c'est difficile de le comprendre. N'empêche qu'il entend des choses.
- La route de la carrière ? Mais il n'y a rien, là-bas, si ?
Il s'agissait d'une petite carrière, qui fournissait autrefois du gravier pour les routes. Elle était désaffectée depuis vingt ans.
- Il y a la distillerie pas loin.
- La distillerie ?
Leszek voudrait bien expliquer la mort de son ami et son enquête, sa quête plutôt, prend tout son temps comme les paysans du lieu.
http://carnot69.free.fr/images/coeur.gif Bientôt on se doute que les trafics de contrebande ne suffiront pas à expliquer le drame et qu'il faudra fouiller plus profond dans les sombres forêts qui entourent le village et préservent ses secrets : des pierres tombales disparaissent et les paysans se mettent à creuser ...
[...] - Je ne comprends pas. Pourquoi est-ce que tous ces gens creusent leurs fondations ? Pour trouver un trésor ?
- De l'or, vraisemblablement.
- Très bien, mais ... pourquoi ? Qui a dit qu'il y avait de l'or ?
- Eh bien, ce sont les vieilles maisons, mon père. Les vieilles maisons. Vous comprenez ... Là où habitaient les Juifs. Avant la guerre.
La mémoire et la forêt (c'est aussi le titre en VO) : une forêt épaisse et dense qui ne suffira pourtant pas à retenir les souvenirs du passé de ce petit village polonais. Une mémoire que chacun voudrait bien oublier ...
[...] - Parle-moi des Juifs, dis-je.
Il replia son journal et le posa sur la table de chevet.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Ils ont souffert, ils sont morts.
- Dis-moi comment ils vivaient.
Il tendit le bras vers la lampe.
- Une autre fois, il est tard.
Bien loin du rayon polar et thriller où certains voudraient le caser, ce roman est un sinistre voyage aux fins fonds d'une campagne polonaise accablée de tristesse et de grisaille, courbée sous le poids d'un passé bien trop lourd à porter.
On retrouve ici un peu de la sombre et oppressante ambiance du Rapport de Brodeck.
Dommage que Charles T. Powers ne soit pas resté encore un peu avec nous ...

Pour celles et ceux qui aiment les secrets du passé.
Sonatine publie ces 477 pages qui datent de 1997 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Clément Baude.
D'autres avis sur Babelio.

mardi 3 juillet 2012

Swan peak (James Lee Burke)

Big sky.

Après les mémorables Brumes électriques du bayou, on continue la route de l'ouest avec James Lee Burke, du côté de chez Swan Peak (merci Véro !).
Comme leur auteur, les héros de J.L. Burke quittent de plus en plus souvent la Louisiane où Katrina a ravagé les côtes et les cœurs.
Nous voici donc avec James Lee Burke, Dave Robicheaux et les autres sous le Big Sky du Montana.
Comme toujours avec cet auteur, les paysages font partie non pas du décor mais de l'histoire et même des personnages qui sont indissociables des espaces dans lesquels ils vivent.
Dave Robicheaux, sa femme Molly, son pote Clete, sont venus pêcher dans les rivières du Montana, aux pieds des Rocheuses, sous le grand ciel bleu.
[...] Il y avait encore des endroits où l'on pouvait vivre sans être sur ordinateur, se dit-il, des vallées juste en bord de route, sur les hauteurs de la ligne Idaho-Montana. Il connaissait une ville, au nord du Nevada, à deux mille mètres d'altitude, où l'on allait chercher son courrier à la poste restante et où l'on passait son temps à jouer aux cartes et à pêcher la truite dans une rivière si froide que les arc-en-ciel avaient sur les flancs une bande d'un violet pourpre.
Mais les vacances s'arrêteront là. Avec James Lee Burke pas question de passer de bons moments entre potes à taquiner la truite. Pour la pêche à la mouche, voyez plutôt le regretté William G. Tapply.
Dans l'Amérique de J.L. Burke, les Rockies sont toujours là, le ciel est toujours bleu, mais rien ne va plus. Il ne reste que deux générations de cow-boys meurtris par les guerres du Vietnam (ça on connaissait) et d'Irak (et oui, désormais). Il ne reste que la nostalgie d'un Ouest qui n'est plus ce qu'il était.
Il ne reste que le fric et la violence (j'allais dire gratuite, mais non justement).
Du fric, il y en a dans ces coins de pêche idylliques où sont installés quelques milliardaires peu regardant sur les conditions de leur réussite.
De la violence, il y en a pendant les vacances de Dave et Clete puisqu'un tueur commet des crimes plutôt horribles sur une série de victimes qui ne semblent pas avoir grand chose de commun entre elles.
Mais comme d'habitude avec cet auteur peu importe l'intrigue policière qui n'est là que pour nous tenir en éveil : si on lit J.L. Burke c'est avant tout pour son ambiance et les errances de ses personnages poursuivis par leur passé, tourmentés entre alcool, sexe, violence, religion, amour, vengeance, ... et j'en passe.
Et des personnages, il y en a : les seconds rôles sont largement fouillés, peut-être même plus que Dave Robicheaux lui-même, que l'on est supposé bien connaître désormais. L'histoire est complexe, touffue parfois même brouillée (c'est pas forcément ce qu'on apprécie le plus chez J.L. Burke) et il faut accepter de se laisser balader par le bout du nez sous le grand ciel bleu du Montana.
[...] Il était temps d'envisager les choses sous un autre angle. La convergence de tant d'éléments divergents sur le ranch d'Albert était trop forte pour qu'il s'agisse dune coïncidence. Clete était entré sans le faire exprès sur le ranch Wellstone, suscitant une réaction des employés de Wellstone, puis des Wellstone eux-mêmes. Un étudiant ayant des liens avec les prédicateurs des Wellstone avait été enlevé et assassiné sur la crête derrière la maison d'Albert. [...] Enfin, Troyce Nix, lui aussi du Texas, était apparu sur la scène, à la recherche d'un homme qui lui avait planté une lame, un homme dont je pensais qu'Albert savait qu'il s'agissait de son nouvel employé.
Cet été il y a du théâtre grec dans le Montana. De la tragédie. Les histoires de chacun convergent ici et la conjonction de tous ces destins ne présage rien de bon. Page après page on s'achemine inexorablement vers la catastrophe.
Même le shérif du coin voit bien qu'avec Dave et son pote Clete, ce sont les ennuis qui arrivent :
[...] Vous n'avez pas la maladie de la vache folle, en Louisiane, non ? Au Montana, c'est ce qu'on craignait le plus. Du moins, jusqu'à ce que vous arriviez les gars.
On aurait peut-être dû numéroter les cadavres ...
Il y a quelques années MAM & BMR avaient dû remettre à plus tard un voyage dans ces régions. ... Mais on veut croire qu'un jour ou l'autre, entre Missoula et Spokane, on franchira cette Lolo Pass en relisant James Lee Burke.

Pour celles et ceux qui aiment les grands espaces.
Rivages thriller édite ces 440 pages qui datent de 2008 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Christophe Mercier.
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