mercredi 13 novembre 2019

Bluff (David Fauquemberg)


[...] Ça va secouer oh !

    L'auteur, le livre (384 pages, 2018) :

Avant de quitter la région, coup de cœur pour cette histoire de pêche dans les eaux très agitées (nous sommes dans les quarantièmes rugissants) de la Mer de Tasman au large de Bluff.
[...] Dans ces mers casse-bateaux, prier pour que l’hiver austral oublie de se mettre en colère.
[...] Partout où portait le regard, la mer était blanche de rage. 

    On aime :

❤️ Un véritable page-turner, un vrai thriller qui au passage, nous en apprend beaucoup sur les migrations du Pacifique : celles des polynésiens bien sûr, celles de certains étonnants oiseaux, celles des huit houles de l’océan et même celles des langoustes !

      Le contexte :

C’est tout là-bas, dans ce dernier poste avancé de l’humanité, dans les terres habitées les plus australes, que le frenchy David Fauquemberg a choisi de nous emporter, après avoir passé plusieurs mois dans le Pacifique.
[...] Qu’est-ce qui t’amène ?… » Le Français se gratta le front, il n’avait pas réponse à ça. Partout les gens disaient qu’à Bluff, il n’y avait rien. Alors il était venu voir.
[...] T’en fais une tête !… » Il tendit à son équipier une tasse de café brûlant. « Si c’était facile, aye, tout le monde le ferait… » 

      L'intrigue :

Les esprits chagrins pourront reprocher à Fauquemberg d’en faire un tout petit trop dans le style dépliant touristique sur les gentils sauvages polynésiens aux traditions ancestrales pollués par les colons blancs, façon Vaiana de Disney, mais l’auteur est avant tout un formidable conteur d’histoires et comme les vagues de la Mer de Tasman, ses récits épiques emportent tout dans leurs déferlantes, lecteur compris.
[...] C’était cette histoire-là qu’il fallait raconter, elle contenait toutes les autres. 
[...] Crayfish, le mot était dans toutes les bouches : l’or rouge orangé de Bluff, la langouste du Sud dont la saison allait ouvrir. Les pêcheurs parlaient quotas, exportation. À quelle hauteur les marchés asiatiques placeraient-ils la barre, cette année ? En septembre, les pêcheries de la région avaient le monopole et les prix s’envolaient, ils pouvaient dépasser soixante-dix dollars le kilo, vingt de plus pour les pièces de belle taille, pourquoi ne pas rêver des cent dollars ? 
Le récit (passionnant, façon thriller) de la pêche à la langouste est entrecoupé des récits (passionnants, façon Histoire de la mer) des grandes navigations polynésiennes dont l’auteur sait nous faire sentir le souffle épique, entre Histoire des explorateurs et légendes des Héros.
[...] Quand les explorateurs venus d’Europe avaient enfin été capables de traverser le Pacifique, mille ans après les premiers Polynésiens, ils avaient été subjugués par les qualités exceptionnelles de ces pirogues doubles ou à balancier – elles paraissaient voler sur l’eau.
[...] Quand nos anciens ont fait sortir les îles du Grand Océan, ils ouvraient les chemins.
[...] La navigation aux étoiles, cet art que les Polynésiens avaient porté au plus haut point. Les marins d’Europe tremblaient encore de perdre de vue le rivage que nous avions déjà peuplé la moitié du Pacifique !… Et quand Colomb avait fini par traverser l’Atlantique, cela faisait des siècles que les pirogues doubles des Océaniens avaient relié Tahiti aux trois extrêmes du Triangle polynésien – Hawaii, Rapa Nui et la Nouvelle-Zélande. Des voyages insensés. 
Et tout cela se termine sur une vague nostalgique, un brin désabusée.
[...] Là où je vais, il n’y a pas d’île.

Pour celles et ceux qui aiment les crustacés.
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lundi 4 novembre 2019

Le théorème du perroquet (Denis Guedj)

[...] C’était le KGB qui vous choisissait.

Remercions Marie-Jo de nous avoir sorti ce vieux bouquin (quelle horreur, ça ‘date’ du siècle dernier, 1998 pour être précis) d’un auteur qu’on ne connaissait pas : Denis Guedj disparut récemment en 2010.
Le bonhomme était prof d’histoire des sciences à l’université de Vincennes, spécialisé dans l’épistémologie des mathématiques, auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique.
Attendez, attendez, ne partez pas !
Derrière ce titre accrocheur et branché, Le théorème du perroquet cache une pépite savoureuse que l’on vous recommande vivement.
Pas pour l’intrigue franchouillarde, quelque part entre Amélie et ses poulains de Montmartre et les histoires à la Pennac.
Denis Guedj ne revendique pas le Nobel de littérature.
Par contre, il est assuré d’obtenir celui de la vulgarisation des maths : sa petite histoire rocambolesque et sympa n’est qu’un prétexte à parcourir à grands pas la Grande Histoire des Mathématiques !
À travers les empires et les temps, des diagonales et des tangentes saisissantes nous font nous sentir moins bêtes après cette lecture lumineuse.
L’intrigue est fraîche et gentillette mais le bouquin pétille d’humour et d’intelligence.
Denis Guedj arrive même à nous faire réviser la trigo sous un tout autre angle.
On en reste baba.
Même les plus timides face aux inconnues devraient y trouver leur compte : tout cela est éclairé par les lumières de la philo, tout simplement.
Cerises sur le gâteau, le bouquin fourmille de références étymologiques où nous apprenons l’histoire et l’origine des mots : chiffres, zéro, racine, ésotérique, académie, lycée, bibliothèque, ... pour n’en citer que quelques uns.
[...] Je me demande ce que vous feriez sans l’étymologie ! glissa Léa.
– « J’aimerais moins les mots. » 
Malheureusement la démonstration du professeur Denis Guedj finit par s’enliser et se perdre dans les méandres du calcul infinitésimal : le rythme lumineux de la période classique des Grecs s’essouffle et l’intrigue prend une place qu’elle ne méritait pas.

La seconde moitié du bouquin est donc réservée aux curieux des nombres puisque l’on continue de parcourir l’Histoire des maths tout au long des siècles : on y (re-)découvre l’arrivée des chiffres dits arabes (qui sont indiens) et toute une galerie de génies matheux comme Euler par exemple, doué d’une mémoire prodigieuse.
[...] Euler comprit qu’il deviendrait complètement aveugle.
Quand il n’y verrait plus, il n’aurait qu’à puiser dans sa mémoire comme dans une bibliothèque.
Il devint une bibliothèque vivante.

Pour celles et ceux qui aiment les maths.
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samedi 26 octobre 2019

Des hommes en noir (Santiagao Gamboa)

Trop de morts, comme toujours.

Ah, on se réjouissait fort d’avoir acheté trois cent grammes de bonne colombienne, promesse de quelques belle soirées.
 Je veux dire, de la bonne littérature colombienne.
Las, comme trop souvent dans ces mauvais deals, la marchandise était frelatée : la déception fut donc grande. Des hommes en noir, ça commençait pourtant bien ce polar du colombien Santiago Gamboa qui nous offrait la visite de son pays militarisé qui peine à sortir de la longue guerre civile avec les FARC tout juste désarmées.
[...] Ce pays est unique au monde : il enfante à la fois des personnes de grande valeur et les assassins qui les tueront.
[...] En fin de compte, ce n’était rien d’autre qu’un épisode de plus parmi les milliers qui ensanglantaient ce pays irascible et cruel.
 [...] Il n’y a pas de pire malheur que d’être pauvre, mais être pauvre en Colombie c’est encore pire. 
Quelques premiers chapitres sympas pour planter le décor et les personnages.
Mais bien vite le récit s’enlise dans une intrigue au sein des églises pentecôtistes où les prédicateurs font main basse sur les jeunes femmes et les gros billets.
 La prose de Gamboa frise souvent l’indigence et ce ne sont certainement pas les scènes racoleuses qui vont sauver le tout : on a bien du mal à finir tout cela, d’autant qu’on en apprend finalement très peu sur cette Colombie d’après guérilla.
[...] Elle avait enlevé son pantalon, découvrant de jolies jambes et une minuscule culotte. Julieta ne put s’empêcher de lui dire : – Mince alors, dans la guérilla on vous laissait porter ces petites culottes ? Ça ne doit pas être très commode pour tirer au fusil. 
Dommage, après nos coups de cœur pour l’Argentine, le Chili ou le Brésil, on aurait bien aimé pouvoir vous recommander ce vol pour Bogota.

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dimanche 13 octobre 2019

L'espion et le traître (Ben MacIntyre)


[...] C’était le KGB qui vous choisissait.

Mieux qu’une fiction de John Le Carré, L’espion et le traître de Ben MacIntyre raconte l’histoire vraie de Oleg Gordievsky, un agent du KGB qui alimenta l’Ouest d’infos cruciales pendant des années, le versant Est de Kim Philby en quelque sorte.
Cette quasi biographie est un gros pavé de 500 pages.
Les deux premières parties, longues et minutieuses, très documentées, décrivent par le menu la carrière de Oleg, ses premières années de kagébiste, ses doutes lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie en 68, ses contacts avec le MI6 britannique, son ascension au sein du KGB, ...
[...] Le bureau 635 ne conservait que les dossiers en activité. Ils étaient stockés dans des cartons, trois par étagère, deux dossiers par carton ficelé et scellé à la pâte à modeler. 
❤️ Comme pour nous récompenser de notre patience studieuse, la dernière partie flirte avec le thriller lorsque le nom de la taupe arrive aux grandes oreilles du KGB.
Oleg est rappelé à Moscou, les interrogatoires se succèdent, la pression monte, ...
Oleg dépérit, perd plusieurs kilos, mais résiste aux aveux dans l’attente d’une exfiltration.
Gordievsky n’a pas trahi le système soviétique pour de l’argent : il l’a fait par conviction politique pour apaiser les tensions est-ouest et pour amener son pays vers la démocratie. Il est vrai que la quantité phénoménale d’informations classifiées qu’il a transmis au MI6 a très certainement infléchi le cours de l’Histoire. C’est la trame du bouquin de MacIntyre.
[...] Ce pilier du KGB n’était pas seulement un fidèle serviteur du Renseignement soviétique. C’était aussi un espion britannique. Recruté une douzaine d’années auparavant par le MI6, le contre-espionnage anglais, l’agent au nom de code NOCTON se révéla être un des agents secrets les plus précieux de l’histoire. L’immense somme d’informations qu’il procura à ses officiers traitants changea le cours de la Guerre froide. 
On en retiendra deux épisodes peu connus :
1- En novembre 1983, quelque semaines seulement après que les russes aient abattu le vol coréen KAL 007, l’OTAN opère des grandes manœuvres particulièrement réalistes avec des simulations de frappes nucléaires. L’URSS est en pleine panique (le paranoïaque Andropov est aux commandes) et croit dur comme fer que ces manœuvres cachent le fait que les américains (le va-t-en guerre Reagan au pouvoir) vont réellement appuyer sur le bouton.
À titre préventif, ils sont à deux doigts, c’est le cas de le dire, de prendre les devants. La meilleure défense, c’est l’attaque. Oleg Gordievsky transpire et s’efforce de faire comprendre aux alliés de l’OTAN l’état d’esprit des soviétiques.
Selon certains, cette crise méconnue nous aurait amenés encore plus près de l’apocalypse que l’affaire des missiles de Cuba.
2- L’année suivante, un ‘jeune’ cadre soviétique se rend à Londres pour rencontrer Margaret Tatcher. Il s’appelle Mikhaïl Gorbatchov. Grâce aux infos fournies aux deux camps par Oleg Gordievsky, les entretiens entre les deux dirigeants furent de qualité et cette rencontre diplomatique fut un grand succès, propulsant Gorbatchov sur le devant de la scène internationale. Quelques temps après, il pourra prendre la tête du pays.
[...] On compte sur les doigts de la main les espions qui ont changé le monde : Oleg Gordievsky est du nombre. Il dévoila les rouages du KGB à un moment charnière de l’histoire, révéla non seulement ce que le Renseignement soviétique faisait ou ne faisait pas, mais ce que le Kremlin pensait et planifiait. Résultat ? Il transforma la façon dont l’Occident appréhendait l’URSS. 
De l’espionnage et de l’Histoire, le cocktail (un long drink !) est bien dosé .

Pour celles et ceux qui aiment les espions.
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samedi 5 octobre 2019

De nos frères blessés (Joseph Andras)


[...] Pour eux c’est impardonnable.



Derrière le pseudonyme de Joseph Andras se cache le jeune et mystérieux auteur (il refusa le Goncourt, soupçon d’arrogance ou goût de l’anonymat ?) auteur d’un des rares bouquins français sur la sale guerre d’Algérie : De nos frères blessés.
Un court mais fort bouquin qui relate la condamnation à mort en 1957 de Fernand Yveton, ouvrier français vivant à Alger, proche des communistes.
Il se dit que François Mitterrand voyait dans l’abolition de la peine de mort en 1981, l’occasion de se racheter de la grâce qui n’avait pas été accordée à Yveton (il était Garde des Sceaux pendant “les événements”).
Il faut dire que le jeune Yveton (30 ans) n’était ni vraiment héros, ni vraiment terroriste, à peine un demi-saboteur.
Il n’a tué personne et sa bombinette qui devait détruire un hangar de son usine n’a même pas explosé.
[...] J’ai décidé cela parce que je me considérais comme algérien et que je n’étais pas insensible à la lutte que mène le peuple algérien. 
Malheureusement pour lui, son ‘exploit’ manqué arrivait au pire moment après les sanglants attentats du FLN (le Milk-bar, ...) : le pouvoir français se devait de faire un exemple, c’est tombé sur lui.
[...] Tu es français, tu as mis une bombe, pour eux c’est impardonnable. 
Le bouquin retrace une partie de la vie de Yveton, son amour pour l’Algérie et Hélène, sa chérie, mais aussi son arrestation, ses interrogatoires et les tortures, son procès vite expédié et sa décapitation.
Le silence embarrassé du Parti Communiste aussi qui, à l’époque, ne savait trop comment prendre la guérilla indépendantiste.
L’écriture est sèche et nerveuse, la courte lecture (130 pages) fort agréable même si parfois on sent l’auteur à la recherche de la bonne formule, pas toujours heureuse.
Et puis cela éclaire un peu plus ces sombres années de notre Histoire, les bouquins français sur cette période sont plutôt rares [clic].

Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire, même quand elle est injuste.
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Torrentius (Pierre Colin-Thibert)

[...] Une discrète manufacture d’images licencieuses.

Pierre Colin-Thibert, auteur de polars et amateur de peinture, entreprend de nous raconter, de nous romancer plutôt, la vie du peintre flamand Johannes Symonsz van der Beeck, alias Torrentius.
L’homme fut suspecté d’être un Rose-Croix et comme on ne plaisantait pas avec les hérésies dans la Hollande rigoriste du XVII°, il fut ‘questionné’ et emprisonné, ses œuvres détruites.
[...] Avec quelques amis, nous nous intéressons aux travaux de Paracelse. À nos yeux, il est l’égal d’un Avicenne ou d’un Averroès. 
Un seul de ses tableaux nous est donc parvenu : une nature morte, mais Colin Thibert nous le décrit comme un libre penseur amateur de bonne chère et de bonne chair qui, pour financer ses excès, dessinait en douce des gravures érotiques fort réalistes et fort prisées.
Il signait ses natures mortes officielles du pseudonyme Torrentius alors que ses initiales (VDB) marquaient ses autres natures bien vivantes.
[...] Étrange personnage qui signe une œuvre inavouable de ses propres initiales et use d’un pseudonyme pour vendre sa peinture. 

Colin Thibert se montre érudit mais modeste et discret et son petit bouquin est fort bien écrit, moderne et enlevé, parsemé d’humour et d’anachronismes savoureux, égratignant les bientôt célèbres contemporains de Torrentius et surtout les prédicants calvinistes, des intégristes dont l’inquisition et l’hypocrisie n’avaient rien à envier à celles des catholiques hispaniques.
[...] Ce Rembrandt a la réputation d’être perpétuellement à court d’argent, une discrète manufacture d’images licencieuses lui assurerait un complément de revenus. Si ce Rembrandt survit aux excès de table, de boisson et de luxure qui sont le lot des Flamands, on peut gager qu’il laissera derrière lui une œuvre considérable.


Pour celles et ceux qui aiment la peinture.
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dimanche 29 septembre 2019

Dégels (Julia Philips)

[...] Le Kamtchatka n’était plus un lieu où élever des enfants.

Voilà bien un roman inclassable que ce Dégels de l’américaine Julia Phillips.
Et pis d’abord c’est quoi ? Un polar ? Un recueil de nouvelles ?
Un peu de tout cela mais rien de tout cela.
Faut dire qu’on a pas trop de repères bibliographiques : il s’agit de son premier roman.
Ni trop de repères géographiques : ça se passe au Kamtchatka dont on ne connait à peu près rien, même si ça nous rappelle vaguement l’une des contrées du jeu Risk, là-haut dans le coin à droite.
Mais que diable cette américaine est allée faire là-bas ?
Hmm, elle a gagné une bourse (une bourse Fullbright) pour aller écrire au Kamtchatka (elle est passionnée de Russie).
Julia Phillips nous emmène donc dans cette lointaine contrée aux neiges éternelles, une presqu’île qui ressemble plutôt à une île perdue en pleine mer d’Okhotsk : on y accède en bateau ou en avion mais aucune route, ni même piste, ne la relie au continent.
[...] Tout le monde fait comme si le Kamtchatka était une île.
Une région longtemps fermée : c’était l’un des ports d’attache des sous-marins soviétiques.
Un pays où tentent de cohabiter les indigènes et les colons russes.
De la toundra et des volcans où l’on rencontre plus d’ours que d’humains.
Où l’on croise ces minorités ethniques qui forment le peuple du renne : Évènes, Tchouktches, Koriaks, ...
Dépaysement garanti pour un roman choral comme on dit, un roman très féminin aussi, où l’on va croiser quelques femmes aux origines et parcours différents mais qui partagent les mêmes difficultés de vivre dans ce pas si beau pays qu’est le Kamtchatka.
[...] Un foyer solide, un village idyllique, un peuple de principes, une culture évène vivante, une nation socialiste aux accomplissements remarquables. Cette nation s’était effondrée. Il ne restait rien à la place qu’elle avait occupée.
[...] Ça n’aurait jamais pu se produire à l’époque soviétique », avait-elle déclaré. Diana mangeait lentement sa soupe. « Vous ne pouvez pas imaginer à quel point on était en sécurité, les filles. Pas d’étrangers. Pas d’inconnus. Ouvrir la péninsule a été la plus grave erreur que les autorités aient jamais commise. » Elle avait reposé la télécommande. « Maintenant, nous sommes envahis par les touristes, les migrants. Les indigènes. Ces criminels. » 
Pour capter l’attention du lecteur, un fil rouge très ténu : deux jeunes filles, deux sœurs ont disparu.
Les différentes histoires ont toutes un lien tantôt étroit, tantôt lointain avec ces deux enfants et leur disparition.
[...] Je le sais, qu’elle s’est enfuie. La vie dans un village, ce n’est pas ce dont rêvent la plupart des filles de dix-huit ans. Lilia avait tellement de raisons de s’en aller.
Ce fil conducteur parait fragile et on reste bien loin du thriller : la lecture un peu contemplative de ces tranches de vie de femmes n’est guère facile mais c’est aussi ce qui fait le charme du bouquin.

Pour celles et ceux qui aiment les contrées lointaines.
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dimanche 15 septembre 2019

Les morts de Bear Creek (Keith McCafferty)

[...] se demandant sur les os de qui elle était assise.

Nous voici de retour dans le Montana, le Big Skye State (l’envie d’y aller pour de vrai commence à monter sérieusement !) : prenons la canne, enfilons les waders, et repartons pêcher à la mouche aux côtés de Keith McCafferty, de son pseudo détective Sean Stranahan et du [...] Club des menteurs et monteurs de mouches de la Madison.
Après les Meurtres sur la Madison, ce second épisode nous emmène le long de Bear Creek et McCafferty réussit une fois de plus à nous intéresser à ces fameuses mouches avec même un petit résumé de l’Histoire de cette pêche, depuis une religieuse du XV° siècle [clic] !
[...] Sur une rivière, les pensées ne s’empilaient pas les unes sur les autres comme elles ont tendance à le faire sur terre. 
Mais comme si l’auteur cherchait à se renouveler , il nous entraîne ensuite dans les hauteurs pour une drôle de partie de chasse, à la mode du comte Zaroff.
[...] C’étaient des hommes âgés et malades dont la santé n’allait pas s’améliorer, il est donc possible qu’ils aient délibérément cherché une porte de sortie. Il n’est pas exclu qu’ils soient morts dans une sorte de jeu. 
Cette intrigue est beaucoup moins convaincante, et contre toute attente, on préférait les histoires de moulinets et de plumes aux couplets sur les carabines à gros gibier.
Reste la galerie de personnages toujours attachants (avec une nouvelle venue) et une belle écriture digressive où McCafferty, sacré conteur, place toutes sortes de petites histoires.
Il faudra attendre une prochaine traduction (il y a déjà 7 ou 8 huit romans, celui-ci est le second en VF) pour savoir définitivement s’il faut suivre McCafferty tout au long des rivières du Montana.

Pour celles et ceux qui aiment la pêche à la mouche et les carabines à gros gibier.
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dimanche 8 septembre 2019

La pension de la Via Saffi (Valerio Varesi)


[...] Ne jamais revenir là où l’on avait été heureux.

Valerio Varesi n’est pas un inconnu : on avait déjà découvert [clic] le commissaire Soneri dans les brumes du Pô entre Crémone et Mantoue pour un polar où venait se mêler l’Histoire passée.
Revoici le flic taiseux dans le brouillard hivernal de Parme, à quelques pas de la Pension de la via Saffi dont on retrouve la logeuse assassinée.
Le conte de Noël commence mal.
[...] Ça a l’air d’une mort naturelle », conclut Nanetti après son examen préliminaire pendant que les agents s’affairaient tout autour et que l’un d’entre eux prenait des photographies.
Soneri le fixa en mâchouillant son cigare éteint. « Ça a l’air, mais ça ne l’est pas. » 
Et l’Histoire sera de nouveau conviée : celle de l’Italie est faite de luttes entre les milices des fascistes et celles des rouges comme ces Arditi del Popolo.
[...] Ce monde trouble d’affairistes composé d’anciens révolutionnaires convertis à l’argent, d’arrivistes, de maîtres-chanteurs et de toute une faune provinciale grisée par la richesse. 
Si l’Histoire récente italienne est pour le moins agitée, c’est loin d’être le cas du commissaire Soneri qui erre dans les rues de Parme en grignotant des copeaux de fromage : hanté par ses fantômes, il finira bien par croiser la solution de l’énigme sur son chemin, au gré de ses rencontres.
[...] Plutôt que d’action, ses enquêtes étaient faites d’attente.
[...] Dans une enquête, tout était question de rythme et de temps. Et l’enquête qu’il était en train de vivre était marquée de pauses et de soubresauts, comme dans un tango. 
Loin des thrillers ou des page-turners, le héros de Varesi, proche cousin de Brunetti, se rapproche peu à peu d’un Adamsberg (en moins fantaisiste) ou d’un Erlendur (en plus chaleureux).
Et n’oubliez pas que [...] c’étaient bien les femmes qui commandaient dans cette histoire. 
Une histoire empreinte d’une nostalgie désabusée car il ne faut [...] jamais revenir là où l'on avait été heureux.

Pour celles et ceux qui aiment marcher dans les rues de Parme.
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samedi 31 août 2019

L'étrange voyage de Donald Crowhurst (Ron Hall et Nicholas Tomalin)

[...] Un voyage de ce genre, touche presque à la folie.

C’est pas l’homme qui prend la mer ... dit-on.
Mais ce n’est pas non plus la mer qui a pris Donald Crowhurst, ce sont plutôt ses propres mensonges : l’une des plus grandes escroqueries du siècle dernier.
Criblé de dettes, Donald Crowhurst s’engage en octobre 68 dans la première course en solitaire et sans escale autour du monde, en espérant ainsi renflouer ses finances avec le premier prix.
[...] Je suis parti le 31 octobre, dernier jour autorisé par le règlement, et mon départ s'est effectué dans un véritable tourbillon. De ma vie, je n'avais pris la mer dans un tel état d'impréparation. J'ai appareillé sans avoir seulement pu hisser les voiles que j'avais l'intention d'utiliser, ce qui, pour un voyage de ce genre, touche presque à la folie. 
En juillet 1969, 240 jours plus tard, il se prépare à franchir la ligne d’arrivée en grand gagnant devant les autres concurrents qui approchent (Bernard Moitessier en était) ... mais Donald Crowhurst n’a pas quitté l’Atlantique où il cabotait en rond !
Avant l’invention des GPS et autres balises, équipé de sa seule radio, il aura réussi à mystifier tout le monde, à commencer par lui-même peut-être.
Mais la fin sera beaucoup plus tragique.
Ce bouquin déjà ancien est paru juste après, en 1972, et a été rédigé par deux journalistes du Sunday Times, Ron Hall et Nicholas Tomalin, qui avaient couvert les événements.
C’est le résultat d’un travail scrupuleux et rigoureux autant dans la recherche des infos que dans la narration qui évite les pièges du ‘roman’ (l’histoire réelle est tellement stupéfiante qu’elle se suffit à elle-même) comme l’aridité du simple compte-rendu journalistique.
[...] Par-dessus tout, il y avait la certitude croissante que sa fraude ne passerait pas inaperçue.
[...] Pratiquement, toutes ses actions au cours de la deuxième moitié de son voyage avaient été consacrées à rendre son histoire vraisemblable. 
Tout l’intérêt du bouquin et de la remarquable enquête des journalistes tient dans la personnalité complexe de l’étrange Donald Crowhurst : ce n’est pas un vulgaire escroc (il n’avait pas pris la mer avec l’idée de tricher), ce n’est pas non plus un simple barjot mythomane.
Et puis il y a la véritable prouesse nautique qui aura consisté à inventer une course plausible et à en rendre compte semaine après semaine sans se fourvoyer ni se contredire !
[...] Sa fraude est, à beaucoup d'égards, la réalisation technique la plus extraordinaire de tout le voyage. 
Avec les deux journalistes, on accompagne au quotidien Donald Crowhurst qui, de petits mensonges en grosses vantardises, s’enfonce peu à peu dans les profondeurs de ce qui finira par devenir une véritable folie. Jusqu’à sa fin tragique. Stupéfiant.
[...] Il aura été écrasé par les pressions accumulées de la situation cauchemardesque dans laquelle il se trouvait, par la solitude, par un environnement hostile, l'effort épuisant que réclamait son mensonge.
[...] Ce qui précipita finalement la folie de Crowhurst, nous ne le savons pas de façon sûre. 
Dommage que la fin de ce bouquin, mi-enquête journalistique, mi-roman d’aventures, soit plombée par quelques chapitres que l’on feuillette rapidement : les deux auteurs se sont laissés embarqués dans une exégèse des textes mystiques écrits par le navigateur solitaire pendant les derniers jours de son périple ...
Cette histoire extraordinaire aura paradoxalement donné quelques films très ordinaires : Les quarantièmes rugissants (1982 de Christian de Challonge avec Jacques Perrin), Deep Water en 2006 et plus récemment Le jour de mon retour (ou Mercy de l’anglais James Marsh en 2018 avec Colin Firth).
Isabelle Autissier a également écrit un roman librement inspiré de cette étonnante histoire.
La Golden Globe vient de fêter ses cinquante ans et se pratique toujours avec des voiliers à l’ancienne.

Pour celles et ceux qui aiment les navigateurs solitaires, même un peu fous.
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mercredi 21 août 2019

Little America (Henry Bromell)

[...] L'histoire est ce dont on choisit de se souvenir.

On dirait un John Le Carré qui se serait pris d’empathie pour ses personnages.
[...] Nous jouions à un jeu. Le jeu s’appelait Espion. Mon père et moi étions un agent et son officier traitant. Il devait me faire passer un message. Ma mère appartenait au contre-espionnage. Si elle nous attrapait en train de nous passer la missive, elle gagnait. Sinon, on gagnait. On gagnait toujours. Mon père gagnait toujours.
Little America de Henry Bromell, c’est une sorte d’autofiction, de vraie-fausse autobiographie : l’auteur se met lui-même en scène, écrivain/historien, à la recherche du passé de son père, espion de la CIA au Moyen-Orient dans les années 50 (le véritable père de Bromell fut effectivement un agent de la CIA au Moyen-Orient).
[...] - Vous travailliez pour la CIA, Renee. C’est plutôt cool.
- Pas un truc à crier sur les toits, à l’heure actuelle. C’est comme dire qu’on travaillait pour les SS ou un truc comme ça. Renverser des gouvernements de péquenauds innocents et heureux, assassiner des petits saints socialistes bien intentionnés non alignés, …
❤️ L’une des réussites du bouquin est l’entrelacement finement tissé entre les questions présentes du fils au père retraité à Boston et les tentatives de reconstitution du passé des fifties dans un petit pays arabe imaginaire, entre Irak et Syrie.
Phrase après phrase, tout cela s’entremêle de façon subtile sans que le lecteur s’y perde. Remarquable.
L’autre intérêt bien sûr, c’est de se voir expliquer la naissance des profonds courants qui façonneront le monde jusqu’à aujourd’hui : le socialisme du parti Baas, le panarabisme des frères musulmans, l’ascension égyptienne de Nasser, et la paranoïa des américains apeurés de voir s’étendre au Moyen-Orient l’effet domino déjà en oeuvre en Asie du Sud-Est, craignant que les communistes parviennent à conquérir le Monde.
Et puis il y a ce ton ironique et désabusé, so british, même si l’on a affaire à une famille 100% US (qui, certes, avait pris le relais des anglais dévastés par la seconde guerre) :
[...] Quarante mille volumes de littérature grecque classique disparurent quand l'arsenal annexe de la grande bibliothèque d'Alexandrie brûla complètement en 41 av. J.-C. Qui sait ce qui fut perdu? Les véritables chefs-d'oeuvre, si ça se trouve. Sophocle était peut-être un dramaturge mineur, Platon un philosophe quelconque et de second plan. 
De l’espionnage et de l’Histoire, de la famille et de la nostalgie, de la belle écriture, un assassinat et même peut-être une histoire d’amour comme ténu fil rouge : savoureux cocktail.
Henry Bromell est récemment décédé en 2013 : il commençait tout juste à être reconnu, avec ce roman et sa contribution au scénario de la série Homeland.
 [...] L'histoire est ce dont on choisit de se souvenir.

Pour celles et ceux qui aiment les espions.
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mercredi 14 août 2019

Telstar (Stéphane Keller)


[...] Les crimes seront donc impunis, c’est ça ?



On avait beaucoup aimé l’évocation de l’Algérie des années 90 par Frédéric Paulin, de même que la fiction politico-thriller de Stéphane Keller qui revisitait celle des années 60 et l’assassinat de Kennedy.
Nous voici repartis avec Telstar et Stéphane Keller, là où tout a commencé : 1956-1957, au cœur de la Bataille d’Alger.
Peut-être à la lumière tremblotante des événements d’aujourd’hui, cette sombre période semble s’éclairer de nouveau après des années de black-out.
Fin 1956, réveillon sous tension, Massu et Bigeard viennent de débarquer, mal remis des reculades de 40, de Dien Bien Phu et tout récemment de l’humiliation du canal de Suez.
Nous voici en plein dans une sale guerre.
[...] Des innocents étaient embarqués afin d’être interrogés. Fébriles, craintifs, ils fouilleraient dans leur mémoire et donneraient un nom, une date, un renseignement précieux.
Les américains sont là également, bien décidés à profiter au maximum de cette leçon grandeur nature de guérilla insurrectionnelle, ça pourra servir.
Et ils ne sont pas avares de bons conseils, fort de leur expérience d’esclavagistes et des guerres indiennes.
[...] – Combien y’avait-il d’Arabes, en terre algérienne, quand vos troupes ont débarqué ?
– Trois millions.
 – Combien sont-ils à présent ?
 – Dix ! Dix millions. Hollyman se mit à rire.
 – Et voilà tout le problème. Au lieu de les rejeter vers le désert, au lieu de les pourchasser, de les affamer, de les exterminer méthodiquement, sans pitié, sans que quiconque s’en mêle, ce que le siècle dernier permettait encore, vous les avez humiliés mais laissés en vie, pire, vous les avez aidés à proliférer.
Quelle erreur funeste ! Croyez-en un descendant d’esclavagiste comme moi.
Mais voilà, il est trop tard désormais. Ils vont vous submerger et le monde entier les approuvera. 
La prose de S. Keller est toujours aussi fluide et agréable à lire, mêlant le plaisir des petites histoires et l’intérêt de la grande Histoire.
Finalement il n’est pas inintéressant de faire ce chemin inverse (l’intrigue se déroule en 1957 AVANT celle du bouquin qu’on avait déjà lu) qui permet de découvrir l’origine des personnages du second épisode.
Avec ces deux bouquins, on reste tout de même un peu sur notre faim : Rouge parallèle laissait rapidement de côté le contexte franco-algérien pour fuir du côté de Dallas et Telstar se complaît ici dans la petite histoire du serial-killer alors qu’on aurait aimé un éclairage plus soutenu de la grande Histoire d’Alger.
Ces deux romans sont de bons polars mais ont du mal à incarner vraiment le contexte historique qu'ils revendiquent.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires avec de l'Histoire dedans.
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Surtensions (Olivier Norek)

[...] C’est une histoire qui a plusieurs commencements.

On se fait une petite série Norek ?
Après Code 93 puis le tout récent Surface, retour sur un bouquin précédent : Surtensions de notre écrivain-flic toulousain Olivier Norek qui poursuit son sans faute et nous donne quelques très bons polars, très pros.
Nous revoici donc avec l’inspecteur Coste au fin fond du 9-3.
Plusieurs histoires se nouent ici et là, un braquage, une évasion, un pédophile, sans que l’on comprenne encore comment les fils savamment tissés par l’auteur vont finalement se nouer.
[...] Toujours aucune connexion entre toutes ces infractions. Un pédophile, un incendiaire, un braqueur et un assassin. Si on les fait rentrer dans un bar, on a le début d’une mauvaise histoire drôle.
[...] C’est une histoire qui a plusieurs commencements, dit-il. 
Mais à peine arrivé à mi-course, le lecteur malin devine que tout cela va se télescoper et s’enchevêtrer dans un foutu chaos et que rien ne va se dérouler comme prévu.
 Et comme on connait maintenant Norek, ça promet ...
[...] – Tu t’es toujours trop attaché aux victimes, mais jusqu’ici tu savais laisser tout ça au bureau.
 – Y a plus de place. Ça déborde.
[...] Dans le couloir, Johanna remarqua l’état de tension de son chef.
 – Ça va toi ?
 – Impeccable, trancha-t-il.
 – Alors desserre les mâchoires, tu vas te péter une dent. 
Visiblement avec cet épisode, Norek solde ses comptes avec la région parisienne et l’inspecteur Coste et entend bien passer à autre chose ensuite : ce sera la virée provinciale de Surface.
[...] C’est marrant comme tu les vois pas, les moments où tu devrais fermer ta gueule. 
On notera dans la première partie du bouquin quelques passages difficiles dans l’enfer d’une prison de la région parisienne (une prison fictive dans le roman mais qui pourrait bien ressembler à Fleury-Mérogis qui est effectivement le plus grand centre pénitentiaire d’Europe). Brrrr.

Pour celles et ceux qui aiment les flics de banlieue.
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Surface (Olivier Norek)

[...] Vous avez été une vraie bombe à fragmentation, capitaine.

Après seulement quelques petites années, notre auteur national de polars a désormais atteint le haut de l’étagère et son éditeur assure le marketing.
Après le Code 93 qui nous avait bien plu et d’autres qu’on n’a pas (encore) lus, on retrouve ici l’ancien flic Olivier Norek avec Surface.
Ça commence vite et fort. De son écriture toujours sèche et claquante, Norek prend ici un malin plaisir à esquinter sa jolie fliquette : page 2, la descente chez un dealer parisien tourne mal, et Noémie Chastain se prend un coup de flingue en pleine tronche.
Elle rejoint les rangs des gueules cassées.
[...] Je me suis pris une décharge de fusil de chasse en pleine gueule. J’ai passé un mois au garage. 
Défigurée, rafistolée, blessée en surface comme en-dedans, l’ex-jolie fille est prise en charge par les mêmes psychiatres qui s’occupent de nos soldats de retour du Moyen-Orient.
Les collègues et la hiérarchie du 36 voit d’un mauvais œil (oops ...) le retour de son portrait Picasso qui rappelle à tout le monde les dangers du métier : Noémie se retrouve donc parachutée dans une province reculée (la région natale de l’auteur).
[...] Pardon, mais on vous envoie où déjà ?
 – Decazeville, dans l’Aveyron.
 – L’Aveyron ? Ah oui. Quand même. 
Furax, bouillonnante, la fliquette vit mal son exil. La parisienne hyper speedée vient déranger la tranquillité de ses nouveaux collègues et des eaux du lac. Même si le style est différent, on pense parfois (notabilité pas toujours respectable et racisme pas toujours ordinaire) au Priam Monet de Laurent Guillaume : peut-être la naissance d’un nouveau genre littéraire, un province-writing qui serait à l’hexagone ce que le nature-writing est aux électeurs de Trump.
Mais les eaux du lac de barrage à l’apparence tranquille cachent des secrets qui ne vont pas tarder à remonter à la surface : des cadavres d’enfants dans des fûts (Norek n’y va jamais avec le dos de la main morte).
Le visage abîmé et l’âme cassée, Noémie Chastain va remuer la surface tranquille du petit village, tout chambouler et tout remuer, les eaux du lac comme la terre du cimetière.
[...] Les disparus d’Avalone ont été la toute première enquête sérieuse de ma carrière, dit-il songeur. Et ils seront la dernière. Vous avez été une vraie bombe à fragmentation, capitaine.
[...] Une petite frimousse passa par l’embrasure de la porte.
 – Qu’est-ce qui se passe, No ?
 – Je suis désolée, Lily. Je suis désolée.
Encore un polar agréable à lire, bien prenant, très pro, à rajouter au compteur du lieutenant Norek.

Pour celles et ceux qui aiment la province.
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vendredi 19 juillet 2019

Toute une vie et un soir (Anne Griffin)

[...] Cinq toasts, cinq personnes, cinq souvenirs.

Voilà une bonne et douce lecture qui coule toute seule comme une pinte de bonne bière accompagnée d’un verre de whisky.
Maurice Hannigan est venu accouder ses 84 ans au bar du Rainsford House Hotel.
Il commandera cinq verres et portera tout seul cinq toasts aux cinq compagnons de sa longue vie : son frère, sa femme, sa belle sœur, ses deux enfants.
[...] Je suis prêt pour le premier de mes cinq toasts : cinq toasts, cinq personnes, cinq souvenirs. Je pousse vers elle ma bouteille vide.
Cinq occasions de nous raconter toute une vie en un soir, la vie irlandaise de ce fils de maquignon qui commença les pieds dans la boue des étables et finit riche propriétaire.
Sans effets ni esbroufe, la lecture coule agréablement et, comme un client attablé derrière ce vieux bonhomme qui parlerait tout seul au bar, on écoute Monsieur Hannigan nous raconter sa vie.
[...] Monsieur Hannigan, ce n’est pas en buvant que vous surmonterez votre deuil. »
Qu’est-ce qu’il en connaît du deuil, tu peux me le dire ? Il sort à peine des couches-culottes, ce petit con ! 
Au fil des chapitres en guise de MacGuffin, reviendra régulièrement l’histoire étrange d’une pièce d’or mystérieuse, un souverain d’or frappé pour Edouard VIII dans les années 30.
Et pour faire glisser les pintes de bière, l’auteure irlandaise Anne Griffin, nous maintient en haleine avec un faux suspense car il est bien clair que Maurice Hannigan manigance quelque chose pour cette soirée pas comme les autres ...
Une bonne et agréable lecture sans prise de tête.

Pour celles et ceux qui aiment la bière et le whisky.
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jeudi 18 juillet 2019

Une confession (John Wainwright)

[...] L’enquête la plus absurde qu’on puisse imaginer.

Curieux livre que cette Confession (Cul-de-sac en VO) de l’anglais John Wainwright, bouquin écrit dans les années 80, salué à l’époque par George Simenon, mais traduit en français seulement aujourd’hui.
L’auteur est également celui d’un autre polar : À table qui a donné le fameux Garde à vue au cinoche.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : l’auteur (décédé en 1995) a beau avoir une tête d’Hercule Poirot et le bouquin dater du siècle dernier, l’écriture est suffisamment ‘moderne’ pour passer facilement aujoud’hui.
Curieux livre également que ce polar peut-être sans crime et en tout cas sans arme : le couple sans âme de John et Maude, la cinquantaine vieillissante, n’en finit plus de s’éteindre.
[...] D’après ce que je sais, les mariages des autres ressemblent au mien. Les deux parties gardent soigneusement pour elles (comme nous) leurs querelles. Des disputes dissimulées. Des humiliations cachées. En apparence, les autres sont heureux. Moyennement heureux. Tout du moins, ils ne s’affichent pas ouvertement comme malheureux. 
Au cours d’une de leurs rares balades, Maude dégringole en bas de la falaise.
L’affaire de cette mauvaise chute est rapidement classée.
 Sauf qu’un témoin se réveille un peu plus tard, un peu trop tard, pour annoncer qu’il aurait vu ce jour-là John pousser sa femme ...
Evidemment le mari est toujours le premier suspect, air connu, c’est évident. Tellement évident justement que le lecteur se demande bien où Wainwright veut l’emmener ...
Convaincu d’avoir à faire à un crime quasi-parfait avec une vraie victime et un véritable assassin, un flic opiniâtre et tenace (un conseil : éviter sa région si vous passez en Angleterre) va s’attacher à remonter le fil (le journal intime de John, les interviews de ses (rares) proches, ...) pour apporter la preuve de la culpabilité de John. Pas si simple.
[...] Les meurtres « tranquilles »… qui pourraient tout aussi bien ne pas en être. Formuler une hypothèse. Choisir qui croire. Puis, à tort ou à raison, dérouler l’hypothèse jusqu’à sa conclusion irréfutable. Identifier le meurtrier, puis poser des questions à son sujet. Le connaître avant de le rencontrer. Son caractère, ses forces, ses faiblesses. De la patience. La patience du vrai bon boulot de la police judiciaire. Ne pas se lasser. Ne jamais s’estimer satisfait. 
On peut reprocher à ce polar ‘psychologique’ quelques longueurs dans les pages du journal intime de John, quelques répétitions dans les atermoiements du témoin ou les mauvaises humeurs du flic, un usage immodéré des italiques pour souligner certains mots, mais l’intrigue est suffisamment inhabituelle et l’écriture plaisante pour que l’on recommande vivement cette bonne lecture.
Et puis la grande scène finale, ah ! Quel art du dialogue entre les cinq personnages réunis autour de la table ! Quand tous les fils tissés tout au long des pages viennent se nouer en quelques pages à haute densité, c’est magique.
[...] Les tactiques d’interrogatoire n’avaient aucun secret pour Tallboy. Il les avait pratiquées des centaines de fois. Mais jamais de la sorte.
[...] Tallboy se rendait compte qu’il assistait à quelque chose qui se rapprochait de la magie. Cette histoire. Ça allait dans le mille chaque fois. Mais comment ? 
À savourer comme un bon whisky.
[...] Je connais la fin. Quelqu’un doit la raconter. Soit vous, soit moi. Je suis beau joueur, je vous laisse le choix. 
Allez, on est beau joueur également : on vous laisse la découvrir !

Pour celles et ceux qui aiment les interrogatoires.
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samedi 6 juillet 2019

Manuel à l'usage des femmes de chambre (Lucia Brown Berlin)

[...] – Ta mère va encore se suicider.

Avec sa gueule d’ange à la Grace Kelly, l’américaine Lucia Brown Berlin est une auteure bien mystérieuse : pratiquement inconnue de son vivant (elle nous a quitté en 2004 à 70 ans), elle n’écrivait que de très très courtes nouvelles et il n’existe pratiquement qu’un seul (gros) recueil posthume au titre énigmatique : Manuel à l’usage des femmes de chambre.
Ajoutons à cela une vie bien remplie : trois fois mariée, quatre fois maman, née dans les mines d’Alaska, enfant solitaire au Texas, jeune femme riche au Chili, artiste bohème à New-York, infirmière aux urgences d’Oakland, alcoolique en désintoxe, entre autres vies ...
Le bouquin aurait pu s’intituler Les vies multiples de Lucia Brown Berlin, en clin d’œil à William Boyd.
Tout cela fait de son bouquin, un ouvrage culte propre à nourrir tous les mythes.
Toutes ces petites nouvelles se conjuguent d’un JE puissant dont l’usage s’est un peu perdu aujourd’hui et sous son apparente légèreté, la plume très autobiographique de Lucia Berlin est assurément d’une certaine gravité : la solitude, l’alcoolisme, la vieillesse, la maladie.
[...] Code Bleu. Bon, tout le monde aime bien. C’est quand le patient va mourir – son cœur lâche, il cesse de respirer – mais l’équipe de réanimation arrive parfois – souvent – à le ressusciter. Même si c’est un octogénaire fatigué on ne peut manquer d’être captivé par le suspense, ne fût-ce que provisoirement. 
Toutes ces courtes nouvelles se répondent et se font l’écho des mille et une vies de Lucia, et chacun y piochera selon son humeur du moment.
[...] Je suis heureuse. Quand je me réveille le matin, j’ai mal aux joues à force de sourire.

Pour celles et ceux qui aiment les femmes (et l'alcool un peu aussi).
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dimanche 16 juin 2019

La souplesse des os (Dave W. Wilson)

[...] – Tu es un vrai pote, Mitch.

Quelques très bonnes nouvelles venues, non pas des étoiles mais presque : de la Kootenay Valley en Colombie-Britannique, l’ouest pluvieux et montagneux du Canada, près de Vancouver.
Avec La souplesse des os, voici de très courtes tranches de vie, des instants volés au temps qui passe où l’on croise des fils, des pères, souffrants de fêlures et de cassures : on ignore tout de leur passé, on ne découvrira qu’à peine leur devenir mais on aura l’impression de n’avoir qu’à tendre la main pour les toucher tellement Dave W. Wilson sait nous les rendre vivants et attachants.
[...] Kelly se pelotonna contre lui. La chaleur qui émanait d’elle se diffusa dans son dos ; le corps humain produit autant d’énergie qu’une ampoule de cent watts. Ray laissa la nuit remplir son office. Des orteils Kelly repoussa doucement ses pieds et plus tard, noua ses doigts aux siens. Il resta sans broncher. Sans frissonner, même. Remettant ses problèmes à plus tard.
C’est vraiment de la belle ouvrage et les nouvelles baignent dans une unité de ton et de lieu (Invermere est une toute petite bourgade) unité qui fait qu’on rencontre les mêmes personnages d’un épisode à l’autre, qu’on croise les mêmes objets (les T-shirts, les mugs, ...) : c’est qu’on est drôlement bien en compagnie de la famille et des potes de l’ami Wilson.
[...] Si le café était chaud, s’il restait chaud, il aurait une raison de ne pas quitter la table, et ils pourraient jouer leur rôle de fils et de père, le temps de quelques inspirations encore.
[...] Assis côte à côte sur des tourets, les épaules voûtées et les poignets sur les cuisses, les coudes largement écartés et les genoux qui se cognaient presque. La mine réjouie de deux types qui n’ont aucune raison de ne pas sourire.

Pour celles et ceux qui aiment les relations père/fils.
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samedi 8 juin 2019

De bonnes raisons de mourir (Morgan Audic)

[...] – C’est vraiment le pire endroit où mourir.

Il y a pas mal de bonnes raisons de lire ce très bon polar De bonnes raisons de mourir du breton Morgan Audic, qui est fasciné comme nous tous par cet événement si proche et si redouté dont, plus de trente ans après, on explore toujours les traces gravées durablement dans les esprits de tous et les chairs de quelques uns.
Après la BD reportage (Un printemps à Tchernobyl), après le roman journalistique (La Supplication), après l'introspection autobiographie (86 année blanche), voici donc le polar.
Tous ouvrages très remarquables, à la hauteur de la gravité des lieux et des événements.
Comme il est d’usage au rayon polar, tout commence par un cadavre : celui d’un fils de notable russe, torturé et mutilé, accroché sur la façade d’un immeuble de Pripiat, la ville désertée près de la centrale.
Un meurtre qui semble faire écho à un cold case non élucidé qui se serait déroulé trente ans plus tôt, le jour même de l’explosion.
[...] Pripiat, une ville fantôme abandonnée depuis 1986 à cause de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl. 
Morgan Audic nous évite de justesse le polar dépliant touristique, façon Tchernobyl comme si vous y étiez, et réussit à placer la barre assez haut.
L’un des chapitres s’intitule d’ailleurs ‘Nouvelles de la fin de monde’.
Le décor est planté : bien sûr la fin de l’innocence nucléaire (un hiver nucléaire que certains croyaient réservé à l’impéritie communiste jusqu’à ce que les insoupçonnables nippons soient également rattrapés à Fukushima), la fin du monde soviétique (Pripiat n’est plus en URSS), la fin même de cette Ukraine dont les sécessionnistes pro-russes grignotent la région du Donbass (à Donetsk nous sommes en pleine guerre civile), et la fin tout court pour quelques uns des personnages dont les derniers jours s’écoulent au rythme trop rapide du crépitement des compteurs Geiger.
[...] Les gens veulent croire que c’est du passé, Tchernobyl. Mais toutes les victimes de la catastrophe ne sont pas nées. 
La première partie du bouquin laisse se développer lentement mais sûrement une intrigue policière solide mais Audic enchaînera ensuite les twists rocambolesques et les coups de théâtre avec un peu trop de facilité.
Un auteur (français !) à suivre de près et surtout un documentaire passionnant à lire au moment même où les autorités françaises élargissent le périmètre de sécurité [clic] autour de nos centrales.
On peut aussi découvrir Slavutitch, la ville surréaliste construite après l’explosion, à quelques dizaines de kilomètres de là, avec ce petit article de Libé.

Pour celles et ceux qui aiment se faire peur.
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lundi 3 juin 2019

Le chant de l'assassin (Roger Jon Ellory)

[...] Tout commença par un baiser.

Voilà bien longtemps longtemps qu’on n’avait rien lu de Roger Jon Ellory : on a sauté plusieurs épisodes depuis le fameux Silence lu en 2010.
Ah oui, il y avait eu Les neuf cercles en 2015, autre grand moment.
[...] Tout commença – comme c’est souvent le cas dans ce domaine – par un baiser.
C’est dire tout le plaisir que l’on a à découvrir les premières notes du Chant de l’assassin, d’autant que l’on sent très vite qu’il s’agit là d’un autre grand roman de cet auteur. Un autre grand roman tout court.
Le plaisir de retrouver une belle plume, forte et généreuse, plus assurée encore au fil des années, de ces plumes qui savent nous raconter une belle histoire.
L’étonnant Roger Jon Ellory, natif de Birmingham, West Midlands of England, écrit le Texas et les états du Sud comme seuls les plus grands américains savent le faire.
Au fil des années sa prose s’est encore affirmée et il n’a besoin que de quelques mots pour planter un décor ou faire apparaître un personnage.
[...] Un café, bien entretenu mais totalement démodé, avec sa rangée de tabourets de bar et son long comptoir incurvé visibles de la rue. Jusqu’à la tenue du serveur qui n’aurait pas déparé l’endroit cinquante ans plus tôt.
[...] Même si Stella n’avait pas encore soixante-dix ans, la cigarette et l’alcool s’étaient chargés d’en ajouter une bonne dizaine à son visage et à sa voix. Quand elle parlait, ses mots ressemblaient à des morceaux de charbon flottant dans un baril de goudron.
Et nous voici plongés au cœur des états du Sud.
[...] Si certains cherchaient à faire entrer Calvary, Texas, de plain-pied dans les années 1970, ils ne se tuaient pas à la tâche. Se précipiter tête la première vers le XXe siècle constituait peut-être une priorité pour les métropoles, mais ce siècle-ci convenait fort bien à des endroits comme Calvary.
Peut-être même que, tout bien réfléchi, c’est encore le siècle dernier qui aurait eu leur préférence s’ils avaient pu choisir.
Cette fois, en dépit du titre de la VF (Mockingbird songs en VO), Ellory délaisse un peu le classique polar (Seul le silence, Les neufs cercles) ou le thriller politique (Vendetta) pour un vrai roman noir, une tragédie où le destin implacable s’acharne sur quelques pauvres vies.
Un détenu sort de prison avec une lettre qu’il a promis de remettre à la fille de son ancien compagnon de cellule ...
[...] – Codétenu ?
– Ouais.
 – Et il t’a envoyé perdre ton temps, parce que c’est ce que tu vas faire, à essayer de retrouver une fille qu’il a pas vue depuis plus de vingt ans et qui vit quelque part dans une famille dont il ignore le nom ?
– C’est exact.
– Et toi, t’as accepté ? demanda Riggs avec un sourire moqueur.
– Oui, j’ai accepté. 
Les chapitres alternent entre deux drames qui se font écho : celui, fondateur, qui datent des années 50 et celui qui, vingt ans plus tard, est en train de se nouer sous nos yeux.
[...] – Fils, peu importe ce qui est arrivé dans le passé…
– Le passé importe bel et bien, p’pa. J’ai pas toujours pensé comme ça, mais je m’aperçois aujourd’hui que c’est vrai. C’est le passé qui détermine tout. C’est de là que nous venons tous, qu’il soit bon ou mauvais.
Deux belles histoires, deux grands classiques, racontés avec talent.
[...] – Vois-tu, je voudrais pas qu’on me signale du grabuge en ville. [...]
– Y a pas de danger, m’sieur. Je suis pas venu ici pour causer des histoires, avec personne.
 – Heureux de l’entendre, mon gars. 
Entre deux petites phrases comme ça on entend le murmure du destin implacable : et ben si, va y’en avoir des histoires ... Bon, faut dire qu’on est un peu là pour ça !
On se glisse entre les pages de ce gros pavé confortable avec la certitude douillette du plaisir à venir comme dans de vieilles pantoufles ou dans un bon gros fauteuil.
[...] « Sacrée histoire », dit le père d’Evie. Commentaire succinct qui parut clore la discussion de manière adéquate et satisfaisante pour tous. 
PS : On essaie d’oublier que mister Ellory semble être lui-même un drôle de personnage. Un auteur capable de magnifiques romans mais aussi coupable de viles actions : il est connu pour avoir falsifié des commentaires (élogieux à son endroit évidemment) sur des sites comme amazon, et il a également été repéré comme grand adepte de la scientologie [clic]. 
Quel grand écart entre l'homme et l'artiste ! 


Pour celles et ceux qui aiment les tragédies sudistes.
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samedi 25 mai 2019

Le bûcher de Moorea (Patrice Guirao)

[...] Grandir avec la pluie comme seule saison.

On ne pouvait évidemment pas laisser passer le polar de Patrice Guirao (un popa’a installé de longue date à Tahiti) : Le bûcher de Moorea.
Moorea c’est la belle île qui se trouve juste en face de Tahiti, la banlieue de Papeete en quelques sorte, à une heure de ferry.
Ça commence plutôt bien avec ce qu’il faut d’humour et bien sûr le plein d’anecdotes sur la vie quotidienne de l’île.
Et en prime, un massacre gore sur un marae (les lieux sacrés des anciens) dont on ignore les tenants et les aboutissants.
— Dépêche-toi. C'est le dernier voyage. Tout devrait déjà être dans le feu. On ramène ça et on se casse !
— Et la fille ?
 — Mais arrête, putain ! Elle représente rien. Et puis l'autre est déjà là-bas.
 — On va la laisser, sans finir le travail ? 
L’enquête sera menée par un gentil trio local (un flic et deux vahinés journalistes), dépaysement garanti digne d’une brochure touristique, mais que va venir troubler un mystérieux assassin semi-professionnel venu de métropole, accompagné d’un rat qui parle.
Il se rappela d'un coup où il l'avait vu. Un frisson lui parcourut l'échine. Il connaissait cet homme et son histoire. Cet homme était mort. 
Mais l’intrigue et la prose de Guirao sont aussi luxuriantes et envahissantes que la végétation tropicale du coin. Ça foisonne et ça part dans tous les sens.
D’autant que l’auteur est à la recherche de la petite phrase qui tue (sans jeu de mots) et cette prétention insistante finit vraiment par lasser :
Deviner ce que le ciel pouvait chuchoter à l'horizon.
Ce sont des vivants dont il faut se méfier, pas des morts.
Ne pas regarder le soleil se coucher, c'est entrer dans la nuit par effraction.
L'art de la mort était entré en collision avec celui de l'amour. Il en était né un espoir : en finir avec l'art. 
Dommage que le voyage soit ainsi plombé.
À réserver aux inconditionnels de la Polynésie.

Pour celles et ceux qui aiment les vahinés.
L'avis de Julie Malaure - Le Point.