mercredi 26 juillet 2023

L'université des chèvres (Christian Lax)


[...] C'est une longue histoire.

    L'auteur, l'album (150 pages, 2023) :

Christian Lacroix dit Lax est un auteur de bandes dessinées qui signe ses scénarios comme ses dessins.
L'université des chèvres est un très bel album mais aussi un beau plaidoyer pour l'école, la liberté et l'indépendance de l'enseignement, dans une tonalité socio-naturaliste qui rappelle un peu le style Davodeau.
Avant de vous plonger dans l'album, on vous invite à lire la courte postface de Pascal Ory (historien de la culture, membre de l'Académie Française) qui donne tout la perspective nécessaire à la compréhension des histoires qui seront contées.

    On aime beaucoup :

❤️ On aime les magnifiques dessins aux tons pastels qui n'hésitent pas à s'étaler sur quelques doubles pages. Les paysages de montagnes, du Dauphiné à l'Hindu Kush, sont superbes.
❤️ On aime le scénario très astucieux, façon "la boucle est bouclée", qui réussit à croiser les destins, les géographies et les époques sans que cela paraisse artificiel : de 1883 à 2019, [c'est une longue histoire] portée par un propos parfaitement maîtrisé.

    Le contexte :

Cet album est un élégant plaidoyer pour l'école, la liberté et l'indépendance de l'enseignement. 
Un discret mais efficace réquisitoire contre tous ceux qui s'y opposèrent et s'y opposent encore : les curés, les conservateurs rétrogrades, les intégristes mais aussi les états qui préfèrent garder la mainmise sur l'accès à la culture ou en exclure certain(e)s. 
Avec l'évocation des tueries US, c'est aussi un autre regard sur la présence d'armes à feu dans ces écoles qui devraient rester des sanctuaires, à l'écart des violences de la NRA comme de celles des talibans.

    La BD :

En 1833, Fortuné Chabert est "colporteur en écriture" dans les montagnes du Dauphiné. 
Son chapeau arbore "les 3 plumes" : la lecture, l'écriture et "la chiffre", celle du calcul, ce qui lui permet de faire l'école dans les villages des hauteurs, c'est l'université des chèvres.
Cette année-là, les lois Guizot vont instaurer un système d'enseignement public (sur lequel le clergé gardera une forte influence, l'école publique devra attendre 1882 et Ferry pour devenir laïque) : c'en est fini des colporteurs en écriture comme Fortuné Chabert. Il part pour la Californie.
Il reprendra l'école, cette fois pour les enfants des tribus Hopis, et finira par s'opposer de nouveau à l'état et aux pensionnats et internats qui visaient à "acculturer" les enfants indiens.
Plus tard, alors qu'aux US triomphent la NRA et le trumpisme, son arrière-petite-fille journaliste, est envoyée pour un reportage en Afghanistan. Son "fixeur" est Sanjar, un instituteur itinérant (un colporteur local donc) chassé des villages à coups de pierres par les talibans : la boucle semble ainsi presque bouclée.

Pour celles et ceux qui aiment les bancs de l'école et les tableaux noirs.
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lundi 24 juillet 2023

À prendre ou à laisser (Lionel Shriver)

[...] Le syndrome de midi moins cinq.

    L'auteure, le livre (269 pages, 2023, 2021 en VO) :

Lionel Shriver, une américaine installée à Londres, est une habituée des provocations, elle qui a commencé par changer de prénom à l'âge de quinze ans !
Ses bouquins sont réputés pour l'humour caustique avec lequel elle dépeint notre société et nos comportements : une fine observation des mœurs de ses contemporains, au ton mordant et au regard incisif.

      Le contexte :

Avec son dernier roman, À prendre ou à laisser (On part ou on reste ? en VO), elle s'attaque à un sujet très à la mode, un sujet qui nous a interpellé : comment quitter dignement ce monde avant l'âge fatidique où la déchéance de notre corps et de notre esprit nous transforme en fardeau pour nous-mêmes, nos proches et la société ?
C'est la question à laquelle vont tenter de répondre Cyril et Kay, un couple de britanniques.

    On aime un peu :

❤️ On aime l'humour acide et sans concession de l'auteure avec lequel elle questionne un sujet grave (elle n'hésite pas à se brocarder elle-même au détour d'une page !).
❤️ On aime la tendresse de ce couple, leur regard ironique sur eux-mêmes, leurs enfants, leurs vies, leur pays.
[...] Il n’arrivait pas à se décider, avait-elle l’air étonnement jeune pour son âge ou ne la voyait-il plus telle que les autres la voyaient ?
Elle, fut une infirmière se rêvant plutôt décoratrice d'intérieur, lui fut un toubib, résolument engagé dans la grande aventure socialiste du NHS, le système de santé d'état britannique que l'on critique tant de ce côté-ci du Channel mais que d'autres ont décrit comme la chose la plus proche d'une religion pour les anglais (Nigel Lawson député tory en 2000).
❤️ On aime l'immersion dans le quotidien ordinaire des britanniques, un quotidien pas si éloigné du nôtre (au NHS près !), finalement pas si différent qu'on veut parfois le croire, même pendant la pandémie.
[...] Ce confinement absurde et profondément contraire au caractère anglais était une période où régnaient recours à outrance à la police, obéissance aveugle, délation et critique permanente.
[...] L’impréparation, l’alarmisme irresponsable des épidémiologistes et l’hystérie disproportionnée du public en partie à l’origine de la débâcle du coronavirus.

      L'intrigue :

Cyril et Kay sont de cette génération (la nôtre) qui est aujourd'hui la première à devoir prendre en charge des parents très âgés, trop âgés lorsque survient la déchéance du corps et de l'esprit, des parents qui n'ont aucunement anticipé leur dernière étape dans la vie.
[...] Une des libérations qu’apportait l’âge était une indifférence aux raisons pour lesquelles tel ou tel mécanisme du corps se mettait à dérailler. Car si l’un ne se détraquait pas, alors c’était au tour d’un autre.
[...] J’ignore ce qui se passe après la mort, mais il est hautement probable qu’il ne se passe rien. L’unique avantage de la mort, c’est qu’elle signe l’arrêt des souffrances.
Soucieux de ne pas infliger cela à leurs propres enfants, ni à eux-mêmes ou à la société, à cinquante ans, Cyril et Kay ont conclu un pacte : lors de leur quatre-vingtième anniversaire, ils se suicideront ensemble pour quitter ce monde dignement, encore sains de corps et d'esprit, pour éviter [le syndrome de midi moins cinq].
[...] — Prenez garde au syndrome de midi moins cinq », tu te rappelles ? Tout le monde fait la même erreur, on ne se rend pas compte que midi moins cinq, c’est midi.
[...] — Tu peux oublier l’idée que des milliers, sinon des millions de tes collègues socialistes utopistes suivraient ton exemple héroïque à quatre-vingts ans et que le sacrifice de masse des vieux pourrait devenir le salut du NHS. Tu crois que je ne sais pas quel genre de fantasmes grandiloquents te passe par la tête ?
[...] — C’est la meilleure façon de tirer sa révérence, martela-t-il. À nos conditions, chez nous, quand nous sommes encore sains d’esprit et capables de nous reconnaître mutuellement, de nous embrasser pour nous dire au revoir. Avant que nous tombions dans la déchéance et l’humiliation.
Depuis cette décision, le temps a filé, il est midi moins une et les voici à la veille de l'échéance. Nous sommes en plein Brexit, l'Empire Britannique tremble sur ses fondations immémoriales et à l'heure même où l'île quitte le continent européen, survient cette pandémie qui fit paniquer et confiner le monde entier. Avouez qu'il y a quand même là de quoi faire vaciller la plus ferme des résolutions ...
[...] Il s’était servi de la diversion du Brexit pour éviter de penser à leur propre sortie – Cyrexit et Kayexit, en quelque sorte.
[...] Éviter une infection mortelle pour être en état de se suicider était pour le moins incohérent.
On pouvait craindre la leçon de vie à la morale pontifiante ...
Mais c'était sans compter sur l'imagination littéraire de dame Shriver !
Sans se départir de sa tendresse pour ce tendre couple vieillissant, l'auteure va imaginer toutes sortes d'issues pour sortir de l'impasse dans laquelle elle s'est engagée avec ses personnages.
Dès lors, il en va de la seconde partie du livre comme de tous les recueils de "nouvelles" : il y a des hauts, il y a des bas. On feuillette rapidement certains scénarios qui tombent dans l'exercice de style un peu trop répétitif mais d'autres sont de véritables fables d'anticipation, de mini contes philosophiques comme celui sur le "Retrogeritox" ou celui sur les migrants.
En dépit de l'effet de répétition parfois un peu longuet, les meilleurs "scénarios" sont savoureux, amusants (avec même des running gags) et souvent très percutants. 
De quoi interpeller, sans trop se prendre au sérieux, tous celles et ceux qui sont en âge de se demander quelle serait [la meilleure façon de tirer sa révérence].

Pour celles et ceux qui aiment les pilules.
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jeudi 20 juillet 2023

Le serpent et le coyote (Matz, Xavier)


[...] Dans la vie, il y a ceux qui ont un fusil et ceux qui creusent.

    Les auteurs, l'album (142 pages, 2023) :

Philippe Xavier est un dessinateur formé sur le continent américain à la publicité et au graphisme.
Matz (Alexis Nolent) est un scénariste que l'on connait bien : c'est celui de la série Le Tueur, dont on retrouve ici quelques caractéristiques (monologues en voix off, ...) et de quelques autres albums remarquables, souvent des coups de cœur.
Tous deux sont régulièrement aux commandes d'une série d'albums : Tango, dont on reparlera certainement.
Voici donc Le serpent et le coyote, tout un programme !

    On aime beaucoup :

❤️ Les BD "à texte" de Matz qui sait jouer les "écrivains" et qui s'y entend pour nous faire partager la route d'un coyote solitaire comme on les aime : on ne se lasse pas de ces monologues ou de ces dialogues, de ce ton sec et nerveux qui claque et qui est celui des meilleurs romans noirs US.
❤️ Les cadrages "home cinema" de Xavier et la mise en couleurs soignée : les paysages US de l'Arizona ou du Colorado y sont fort bien exploités et les effets de zoom dynamisent les images tout comme l'histoire.
Même si, je cite : [le moment est mal venu pour faire le malin avec des références cinématographiques à la con].

    Le contexte :

Les auteurs se sont emparés d'un thème cher au polar noir : le programme US de protection des témoins, le WITSEC (le Witness Security Program) qui offre, aux frais de l'État, une seconde vie aux truands qui acceptent de témoigner contre de pires truands. Un dispositif qui a connu des débuts difficiles quand il a été mis en place à la fin des années 60 mais qui a permis quelques victoires contre le crime organisé : c'est tout cela qui est évoqué dans cet album.

    La BD :

Dans son camping-car, "Joe" (c'est son nom aujourd'hui, comme celui de tous les témoins protégés du Witsec), parcourt le désert US entre Arizona et Utah. Il aura bientôt la compagnie d'un coyote à qui il peut raconter sa vie mouvementée.
[...] - J'ai l'impression qu'on est un peu pareils, tous les deux ... T'as plus de famille et plus d'amis, on dirait, non ?
- Wiif
- Tout seuls dans le vaste monde ... Mais tu sais, je me dis que parfois c'est pas plus mal ...
Je suppose que c'est comme ça qu'il faut voir les choses, quand on n'a pas trop le choix. Qu'est ce qu'en te dis, Crash ?
- Wouif Wiff
- Ouais, nous sommes d'accord. Un homme doit faire ce qu'il doit faire avec ce qu'il a. Ça doit marcher pareil pour les clébards.
[...] - Et puis je suis content d'avoir quelqu'un à qui parler, même si c'est un clébard. Les clébards, ça sait écouter. Les chats, ça se fout pas mal de nos problèmes d'humains de merde.
Sur les traces de "Joe", on trouve bien sûr ses anciens amis qui ne lui veulent pas que du bien mais aussi les marshalls qui veulent le rappeler à la barre des témoins d'un nouveau procès ...
Tous comprendront un peu tard qu'il faut se méfier du serpent qui semble dormir caché dans le sable du désert.

Pour celles et ceux qui aiment les mauvais garçons repentis.
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mardi 18 juillet 2023

Une bonne action (David Baldacci)

[...] Ça me paraît bien mal engagé.

    L'auteur, le livre (521 pages, 2023, 2019 en VO) :

Ce n'est qu'aujourd'hui que l'on découvre David Baldacci, un auteur américain à succès puisque son premier roman s'intitulait en 1995 : Les pleins pouvoirs, bien connu des fans de Clint.
Un auteur prolifique, créateur de plusieurs "séries" et qui revient aujourd'hui sur le devant de la scène avec deux séries aux héros récurrents : le détective Aloysius Archer et l'agent(e) Atlee Pine du FBI.
On vient de découvrir Atlee Pine dans Une minute avant minuit, un polar "sudiste" bien mené et bien écrit, même si la mise en scène des personnages nous y avait semblé un peu "facile".
Après cette mise en bouche, on a eu envie de découvrir l'autre série, celle avec le détective Aloysius Archer et ce premier épisode : Une bonne action.
Bonne pioche : le bouquin est encore meilleur, la série s'annonce très prometteuse et nous plonge au tout début des années 50, lorsque les US peinent encore à se remettre de la guerre. 

    On aime beaucoup :

❤️ Sniffer le parfum désuet des romans noirs à l'ancienne, façon Chandler ou Hammett, mais avec une prose suffisamment moderne et fluide pour notre lecture d'aujourd'hui même si le ton reste celui de l'époque, une époque où [un homme ne pouvait pas sortir dehors sans chapeau]. Bref, un excellent "remake".
❤️ Découvrir des personnages tous soigneusement dessinés, un anti-héros désabusé, une ou deux blondes fatales, quelques gros durs aux gros bras, des avocats véreux, chacun à sa place dans une intrigue solide où les jolies dames ne se contentent pas de jouer les potiches décoratives comme il était pourtant de bon ton à l'époque.
❤️ Assister aux débuts d'un personnage très attachant qu'on a déjà hâte de retrouver dans de nouvelles aventures.

      L'intrigue :

Aloysius Archer sort tout juste de prison après avoir purgé sa peine pour un crime qu'il n'a sans doute pas commis. 
Libre comme l'air et pauvre comme Job, Archer erre désabusé dans les rues de Poca City, le gosier aussi sec que les rues de la ville.
[...] À Poca City, tout est possible, à l’exception d’une pluie constante et de politiciens qui tiennent leurs promesses.
[...] Il était devenu un homme qui vivait chaque moment comme si c’était réellement son dernier. La guerre avait cet effet-là. Et la prison en avait rajouté une couche et incrusté cette notion au plus profond de son être. Archer se dit qu’il ne s’en affranchirait jamais.
[...] Lui et des millions d’autres revenaient juste de combattre dans une guerre mondiale pour s’assurer que ni l’anarchie, ni le fascisme, ni rien d’autre ne remplace l’honnête entubage des gens sans argent par ceux qui possédaient la quasi-totalité du magot.
À peine quelques heures de liberté et le voici dans un bar où il fait la connaissance d'une jolie poulette au bras d'un gros bonnet du coin. La poulette lui fait de l'œil et le gros bonnet lui propose un job : aller récupérer une dette impayée ...
Le lecteur avisé aura déjà compris que, en quelques pages, tous les ingrédients sont déjà réunis pour que notre nouvel ami Archer se retrouve dans de sales draps et que nous soit contée une sacrée histoire, d'autant qu'Archer va bientôt croiser la route d'une seconde femme fatale ...
[...] Si quelqu’un lui avait dit qu’une ville comme Poca City abritait non pas une mais deux femmes aussi séduisantes, il aurait dit de lui que c’était un menteur ou qu’il louchait au point d’être aveugle.
[...] Il était sûr d’une chose : sa vie n’allait pas tarder à devenir encore plus compliquée.
[...] Archer sortit de la maison impeccablement rangée, mit son chapeau et se demanda, après tout ce qu’il venait d’entendre, dans quelle histoire il venait de s’embarquer.
[...] — Ça me paraît bien mal engagé, à l’heure actuelle. 
— Bon sang, mon petit gars, c’est toujours le cas.
Ni Archer, ni le lecteur ne sont au bout de leurs surprises : le final sera tout à fait à la hauteur de cet excellent roman noir, avec même quelques scènes de prétoires et un joli dénouement.
[...] — Tu joues au détective privé, c’est ça ? l’interrogea-t-elle, perplexe. 
— Quand tu risques de finir la corde au cou, ça n’a rien d’un jeu.
[...] — T’as mis le doigt dans le mille, Archer. J’aime ça. Tu pourrais devenir enquêteur, toi aussi, avec un peu d’entraînement.
On vient d'assister là aux premiers pas d'Aloysius Archer comme détective privé et on referme le bouquin, à deux doigts du coup de cœur et avec la hâte de découvrir la suite (... pas encore traduite en VF).

Pour celles et ceux qui aiment les privés à chapeau.
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vendredi 14 juillet 2023

Une minute avant minuit (David Baldacci)

[...] Nous allons remonter le temps, Carol.

    L'auteur, le livre (553 pages, 2023, 2019 en VO) :

David Baldacci est un auteur américain à succès depuis son premier roman : Les pleins pouvoirs, bien connu des fans de Clint.
Un auteur prolifique, créateur de plusieurs "séries" et qui revient aujourd'hui sur le devant de la scène avec deux séries aux héros récurrents : le détective Aloysius Archer et l'agent(e) Atlee Pine du FBI.
Une minute avant minuit est le second épisode de la série (après Sur le chemin du pardon, pas lu) qui met en scène Atlee Pine une jeune femme agent du FBI qui ne se remet pas du traumatisme de son enfance : sa sœur jumelle, Mercy, avait été enlevée par un serial-killer qui pourrait bien être l'affreux Daniel James Tor actuellement emprisonné dans un quartier de haute sécurité pour tout plein d'autres crimes odieux. 

    On aime bien :

❤️ Les nombreuses références au bouquin de John Berendt (Minuit dans le jardin du bien et du mal, celui adapté au cinéma par Clint Eastwood) : la Géorgie et Savannah, le cimetière, le milieu gay et ses travestis, ...
❤️ L'immersion dans cette étrange Géorgie sudiste dont le coeur bat toujours au rythme des commémorations et des reconstitutions des batailles de la Guerre de Sécession.
❤️ Le duo formé par l'agence Atlee Pine et son adjointe administrative Carol Blum, une équipe féminine et originale, dotée d'un humour finaud et qui donne tout son rythme au recit.

      L'intrigue :

Tout commence comme dans le Silence des agneaux, lorsque Jodie Foster va interviewer Hannibal Lecter : on n'a jamais retrouvé la jumelle d'Atlee, et l'affreux jojo D. J. Tor, un tueur en série emprisonné pour de nombreux crimes, n'a jamais voulu reconnaître l'enlèvement et l'assassinat de la petite Mercy.
Mais était-ce bien lui ?
Décidée à tirer cette ancienne affaire au clair pour enfin faire son deuil de sa sœur jumelle, l'agent Atlee Pine retourne sur les lieux de son enfance : mais elle va y découvrir une toute autre vérité que celle de ses souvenirs ...
[...] — Eh bien , si nous nous lançons dans cette expédition, il va nous falloir faire nos valises. 
— Cette expédition ? 
— Nous allons remonter le temps, Carol.
[...] — Pensez-vous vraiment pouvoir résoudre cette affaire après toutes ces années ?
[...] — Puis-je consulter le dossier ? 
— Oui. Mais je ne sais pas ce que vous espérez trouver après presque trente ans.
— Moi non plus. Je veux juste m’assurer que toutes les pistes ont été explorées à fond.
[...] — Est-ce que vous vous rendez compte du traumatisme que vous avez subi, dans cette ville, à l’âge de six ans ? Mon Dieu, c’est un miracle que cela ne vous ait pas laissé de séquelles, agent Pine.
[...] Vous avez failli être assassinée enfant. Votre père s’est suicidé le jour de votre anniversaire. Vous n’avez pas vu votre mère depuis je ne sais combien de temps. Vous avez perdu votre jumelle.
Une fois sur place sur les lieux de son enfance, l'agence Atlee Pine va découvrir d'autres cadavres en travers de son chemin et sa quête de la vérité sur ses origines va se doubler d'une captivante enquête à la poursuite d'un serial killer décidé à convoquer quelques fantômes, comme ceux de la Guerre de Sécession.
[...] — Pensez-vous que l’assassin frappera à nouveau ? 
— Oui. J’ai peur que ce ne soit que le début.
[...] Nous avions affaire à un tueur en série nourrissant une obsession pour la guerre de Sécession.
Dans cette double intrigue, l'agent Pine réussira-t-elle à retrouver son passé et à stopper le tueur ?
[...] Ils sortirent lentement du cimetière pour retrouver les vivants.
Pour faire la fine bouche, disons que l'on peut juste regretter des personnages parfois un peu trop "cliché" qui ne pourront que gagner en épaisseur et réalisme au fil des prochains épisodes.

Pour celles et ceux qui aiment les fliquettes du FBI.
D’autres avis sur Babelio. Livre lu grâce à Netgalley.

vendredi 7 juillet 2023

Déguster le noir (collectif)

[...] J’en ai l’eau à la bouche.

    Le livre (304 pages, 2023) :

Yvan Fauth nous était connu comme animateur du blog Emotions.
Depuis, il s'est construit une belle notoriété en réunissant des auteurs de polars connus dans des recueils de nouvelles. Chaque ouvrage prend l'un de nos cinq sens comme thème ou comme cahier des charges.
Après Regarder le noir, voici Déguster le noir (mais d'autres sont également déjà parus).

    On aime bien :

❤️ L'excellente idée de réunir ainsi des auteurs de différents (mais noirs) horizons sur un cahier des charges unique mais très librement interprété par chacun.

      L'intrigue :

Ceux qui ont le goût du polar et du roman noir, trouveront là quelques nourritures : des histoires de poison, de gras et de maigre, et bien sûr des histoires de cannibales que n'aurait pas reniées Hannibal Lecter.
Parmi les nouvelles les plus remarquables, on a repéré Bernard Minier et son expédition en Afghanistan, un pays "vampirisé" par la guerre.
L'angoissante et terrible histoire de Cédric Sire qui semble faire écho au terrible et angoissant monde des top modèles.
[...] Elle se souvenait qu’à la fin, elle ne consommait plus que trois pommes par jour, et absolument rien d’autre. Son corps était dessiné comme un trait de calligraphie. 
L'ironique destin du goûteur de Pierre Bordage et la visite de Gilles, invité par Nicolas Beuglet, chez ses futurs beaux parents qui cuisinent "tout maison".
Mais la palme revient sans hésitation à Roger Jon Ellory pour son excellente Scène de crime.
[...] —  Après tout, le cannibalisme fait partie de notre histoire en tant qu’êtres humains depuis très longtemps. 
—  Vous pensez qu’il mange les organes de ces femmes  ? 
—  Oui. 
—  Pour quelle raison ? demanda Erickson. 
—  Pour la force.
Un recueil avec des hauts et bas, bien sûr comme tous les recueils de nouvelles, et peut-être des histoires un peu plus convenues et moins surprenantes que l'excellent ouvrage précédent : Regarder le noir.
Mais l'ensemble de ces ouvrages forme une sacrée collection !

Pour celles et ceux qui aiment les repas de fête.
D’autres avis sur Bibliosurf. Livre lu grâce à Netgalley.

mercredi 5 juillet 2023

Wall Street en feu (Thomas Veillet)

[...] Digne des meilleurs scénarios hollywoodiens.

    L'auteur, le livre (400 pages, 2023) :

C'est l'été, le temps des plages et de quelques récréations, comme celle qui consiste à suivre un auteur suisse (encore un !) qui nous propose un thriller financier à l'américaine, quelques part entre Tom Clancy et John Grisham.
Le suisse c'est Thomas Veillet et voici un extrait de la bio de son propre site web, ça donne le ton : Diplômé de rien, mais dans les banques suisses depuis 1987, pur produit de l’UBS (Genève) qui fut une grande banque suisse à la fin du siècle passé. Thomas a la chance de se faire enfermer très tôt dans une salle de trading.
C'est donc un vrai connaisseur du milieu de la finance qui, après avoir mis Wall Street à genoux (pas lu), nous propose de mettre Wall Street en feu.
On peut évidemment craindre le pire avec ce genre de pavé des plages qui mélange allègrement finance, espionnage et beau gosse musclé de retour d'Afghanistan (pour éviter une erreur dans le futur casting, le modèle Ryan Gossling est même clairement cité !). L'accroche marketing est tout aussi explicite : Quand James Bond rencontre le Loup de Wall Street.
Bref tout semblait bien calibré pour un très mauvais thriller de série B, mais ...

    On aime bien :

❤️ La bonne surprise d'une écriture fluide et agréable, très pro, qui n'en fait pas trop dans le style testostérone : certes une fois les méchants lancés à ses trousses, le jeune et beau trader embourgeoisé retrouve un peu vite son entraînement de GI Joe, mais faut dire que c'était ça où le laisser sur le carreau à la fin du premier chapitre.
[...] Tous les ingrédients étaient réunis pour une enquête qui le changerait de sa routine.
❤️ Les explications technico-financières plutôt bien dosées, ni trop ni trop peu, même si notre ami suisse s'emballe un peu lorsqu'il est question d'hélicoptères (et de leurs jolies pilotes).

      Le contexte :

Les manipulations boursières et notamment la vente de titres à découvert, lorsqu'on sait qu'une société que tout le monde jugeait prometteuse va brusquement connaître des déboires et plonger en bourse, surtout si l'on est soi-même l'affreux commanditaire de ces déboires ...

      L'intrigue :

Il était une fois un jeune et beau trader qui renifla une drôle d'affaire boursière qui puait très fort le délit d'initié : une start-up aux biotechnologies prometteuses allait être violemment attaquée et il était juste temps de prendre des positions en bourse pour maximiser ses profits.
Mais très vite l'affaire tourne au vilain, sa chérie se fait dézinguer (mais on savait déjà qu'ils ne s'aimaient plus trop), et notre jeune et beau golden boy se retrouve en fuite, pourchassé par des méchants très méchants et ne sachant pas trop dans quel merdier il a fourré son nez de trader trop curieux ni pourquoi on lui en veut terriblement ainsi.
[...] – J’ai l’impression que l’on joue contre plus fort que nous, et ce quelqu’un a un, voire plusieurs coups d’avance.
[...] La descente aux enfers ne semblait jamais s’arrêter. Il était rentré d’Afghanistan pour retrouver paix et sérénité. C’était presque pire que là-bas.
[...] – Mais on est des financiers, Tom, pas des Navy SEALs ! Et je n’ai pas bossé pour la CIA, moi ! Que veux-tu qu’on fasse ?
– Ce que je sais, c’est que ces mecs ont toujours un coup d’avance sur nous. Ce n’est pas en balançant tout à la police que l’on va s’en sortir.
Le jeune loup de Wall Street aura même droit à l'aide d'une jolie jeune femme des garde-côtes, une aide providentielle, littéralement tombée du ciel.
[...] Un joli retournement de situation, digne des meilleurs scénarios hollywoodiens.
Bien entendu tout cela ne vise pas le prix qu'on court, ni même celui du thriller de l'année mais on le savait déjà avant d'ouvrir le bouquin et s'il s'agit bien d'une escroquerie à Wall Street il n'y a certainement pas tromperie sur la marchandise littéraire : tout cela est écrit de façon très pro, c'est un honnête divertissement mené à un rythme soutenu jusqu'à la fin, c'est agréable à lire et on en aura vu ou lu de bien plus mauvais.

Pour celles et ceux qui aiment les traders et les héros.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio. Livre lu grâce à Netgalley.

mardi 4 juillet 2023

Kalmann (Joachim B. Schmidt)


[...] Le shérif de Raufarhöfn, a-t-elle ajouté.

    L'auteur, le livre (368 pages, 2023) :

Oh, encore un auteur de polars islandais ?
Presque : Joachim B. Schmidt est un petit suisse venu du fin fond des Grisons, tombé amoureux de l'Islande et installé depuis à Reykjavik ! Un parcours atypique qui vaut à lui seul le détour par ce titre Kalmann, son quatrième roman, mais le premier traduit en français.

    On aime très beaucoup :

❤️ La découverte de l'Islande à travers les yeux de Kalmann, l'idiot du village qui a oublié d'être bête. Fort heureusement, Joachim B. Schmidt réussit à éviter le piège de la caricature facile avec ce type de personnage : son Kalmann n'est pas tombé de la dernière neige et promène son regard incisif (celui de l'auteur ?) sur ses concitoyens.
[...] Je ne devais pas tolérer qu'on me traite de gogol, ce que personne ne faisait, parce que je n'en suis pas un. Je suis seulement différent. Mais grand-père m'avait dit un jour que chacun était différent d'une certaine façon, et que donc j'étais tout à fait normal.
❤️ Le rythme adopté par l'intrigue car bienheureux seront ceux qui se laisseront bercer par le rythme lent de la vie de ce petit port de pêche désormais oublié mais qui rêve encore au temps de sa splendeur, quand la pêche au hareng battait son plein et qu'on n'arrivait pas à loger tous ceux qui venaient travailler ici. 

      L'intrigue :

Effectivement, tout commence comme un bon polar islandais : non loin d'un petit port de pêche sur le cercle polaire, Kalmann chasse le renard et découvre une large tâche de sang dans la neige.
Dans le même temps, le notable du village, Róbert McKenzie, semble avoir disparu.
Róbert McKenzie c'était au village de Raufarhöfn [le roi des quotas] de pêche, [c'était le roi de Raufarhöfn], [c'était l'homme le plus riche de Raufarhöfn, il possédait le dernier quota de pêche pour le capelan et le cabillaud.] 
Mais notre petit suisse ne s'est évidemment pas installé là-haut pour faire concurrence à Indridason.
Car c'est plutôt un très beau portrait que l'auteur à voulu nous peindre : Kalmann, c'est l'idiot du village qui se promène avec une étoile de shérif épinglée à son anorak, mais un idiot qui aurait oublié d'être bête et qui en sait beaucoup sur ses concitoyens qui le regardent avec beaucoup de condescendance et un peu de moquerie. 
Le seul qui se soit vraiment intéressé à lui et montré bienveillant, c'est son grand-père mais Kalmann se retrouve un peu solitaire maintenant que son grand-père est à l'hospice. Un grand-père qui lui a d'ailleurs appris à chasser le renard et à pêcher le requin.
[...] On sait très peu de choses. Et cela me console beaucoup, car je ne sais pas grand-chose sur le monde, et ceux qui font comme s'ils avaient une réponse à toutes les questions ont un pète au casque, c'est tout. Mais si on découvre du nouveau sur les requins du Groenland, je veux le savoir. Capturer des requins, c'est quand même mon métier.
[...] Nous savons en tout cas que les requins ont un très bon odorat, ça a été prouvé, et il faut le savoir quand on veut en capturer. Le plus important, pour faire un bon pêcheur de requin, c'est les appâts.
La cervelle de Kalmann ne tourne pas bien vite et le bouquin de Joachim B. Schmidt non plus : l'auteur prend tout son temps pour nous décrire la petite vie provinciale et tranquille de Raufarhöfn, un ancien port traditionnel moribond (les fameux quotas). 
Vraiment tout son temps puisqu'après la tâche de sang des premières pages, il faudra attendre le milieu du bouquin pour qu'un autre cadavre (celui du fameux McKenzie n'a toujours pas été retrouvé) vienne troubler à nouveau la petite vie tranquille de Raufarhöfn. 
Sur fond de neige, tout cela prend des airs de Fargo et l'on se prend à rêver que Frances McDormand endosse un jour le rôle de Birna, la fliquette du village.
Les amateurs d'intrigue policière à rebondissements seront peut-être déçus mais vraiment bienheureux seront ceux qui se laisseront bercer par le rythme lent de la vie de ce petit port de pêche désormais oublié mais qui rêve encore au temps de sa splendeur, quand la pêche au hareng battait son plein, qu'on exportait vers toute l'Europe et qu'on n'arrivait pas à loger tous ceux qui venaient travailler ici. 
Il manque sans doute quelques cases dans la tête de Kalmann et il manque assurément quelques quotas et quelques bateaux dans le port délaissé de Raufarhöfn : mais avec ces deux portraits très réussis, celui de Kalmann et celui du village, on tient là un très bon roman que l'on referme à regret, désolé de devoir quitter Kalmann et les quelques autres habitants restés dans son village.
L'intrigue policière reprendra à peine ses droits dans les derniers chapitres pour un final très réussi, bien à la hauteur de ce très agréable roman.
[...] Si on perd le quota pour Raufarhöfn, les derniers emplois vont disparaître, et il y aura trop peu d'enfants ici, l'école va fermer.
Nos vrais gros coups de cœur se font rares : c'est dire si cet auteur suisse mérite qu'on le suive jusqu'au cercle polaire et qu'on attende avec impatience les prochaines traductions.

PS : le port de Raufarhöfn existe réellement (c'est le village le plus septentrional de l'île) de même que le vrai-faux monument Arctic Henge construit en 2004 par ... mais oui, le propriétaire de l'hôtel du coin !

Pour celles et ceux qui aiment les ours blancs et les requins.
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dimanche 2 juillet 2023

Déracinés (Fanny Laurent)

[...] Maman Hoareau l’a vendu à la France.

    L'auteure, le livre (152 pages, 2022) :

Fanny Laurent est une jeune globe-trotteuse dont les multiples voyages nourrissent l'inspiration. 
Après l'Inde ou le Brésil, elle nous emmène avec ce troisième roman, sur l'île de La Réunion où elle brosse quelques portraits pour évoquer la terrible affaire connue comme celle des enfants de la Creuse 

    On aime :

❤️ Un ton factuel qui ne cherche ni la polémique ni le scandale : les faits se suffisent malheureusement à eux-mêmes et nous avons assez de recul (moins de cinquante ans cependant) pour en faire une terrible lecture, c'est d'autant plus efficace.
❤️ Des portraits courts et sans fioritures : au plus proche de l'humain, le coup de crayon dessine des personnages très ordinaires, ni bons, ni mauvais, des gens qui ont cru bien faire ou tout au moins faire de leur mieux, sans tout à fait réaliser que des c'étaient des vies qui étaient ainsi passées au broyeur de notre Histoire.
❤️ Une belle plume élégante mais sans affèterie ni effets, qui donne à savourer notre langue.

      Le contexte :

Dans les années 70-80, plusieurs milliers d'enfants de La Réunion, alors en pleine expansion démographique, ont été arrachés à leur île (et beaucoup à leur famille pas très clairement consentante) pour repeupler les départements de métropole désertés par l'exode rural, la Creuse notamment.
[...] Il ne parvient toujours pas à réaliser que Maman Hoareau l’a vendu à la France.
Cette véritable déportation organisée par Michel Debré et les institutions françaises (BUMIDOM, DDASS, ...) permettait de "régler" deux problèmes d'un coup : la pression sociale sur l'île et le besoin de main d'œuvre de campagnes françaises désertées.
Il faudra attendre 2014 pour que l'État reconnaisse sa responsabilité.
[...] Le monde n’est pas tendre avec les délicats et les artistes.

      L'intrigue :

Voici l'histoire du jeune Gabriel qui fut arraché à sa (nombreuse) famille et à sa maman Hoareau pour venir travailler dans une ferme de la Creuse.
Fanny Laurent nous conte cette histoire à travers de courts portraits de ses protagonistes : maman Hoareau et Gabriel bien sûr, mais aussi les paysans de sa famille d'accueil, le gendarme qui accompagnait l'assistante sociale, quelques notables et d'autres encore.
Ce conte est bien triste : il arrivera à ces jeunes ce qui arrive aux plantes déracinées et c'est le portrait de l'infirmier psychiatrique de l'hôpital d'Aubusson qui termine cette sombre galerie d'images d'Epinal qui ne fait guère honneur à notre France d'alors.
[...] Difficile pour eux de tenter d'échapper à leur destinée. Ce dont ils souffrent ? Ce sont des déracinés. En les arrachant à leur terre, en les séparant de leurs proches, en les coupant de leur famille, on a mutilé une partie d'eux-mêmes. 

Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire de France.
D’autres avis sur Babelio et le site de Fanny Laurent.