vendredi 25 mai 2007

Tea bag (Henning Mankell)

Un roman social de Mankell.

On connaissait Henning Mankell pour ses fameux polars (et notamment Le retour du professeur de danse qui vient de sortir en poche) mais voici avec Tea-Bag l'occasion de découvrir une autre facette des nombreux talents de ce suédois (il écrit aussi des pièces de théâtre : Les Antilopes étaient jouées en 2006 à Paris).
Tea-bag est un roman étrange à deux facettes, une sorte de conte social qui dépeint d'un côté, la vie vaine et privilégiée d'un poète hypocondriaque en panne d'inspiration, écartelé entre une mère possessive, une maitresse possessive, un éditeur possessif, ... bref, un écrivain en panne à qui sa propre vie semble échapper ...
[...] - Si tu refuses d'avoir des enfants, je dois me demander s'il ne me faudrait pas un autre homme. 
- Moi aussi, je veux des enfants. La seule question est de savoir si c'est le bon moment. 
- Pour moi, oui. 
- Je suis en train de modifier mon image en tant qu'auteur. Je ne suis pas certain que ce soit conciliable avec le fait d'avoir des enfants.
Clin d'oeil : son éditeur veut absolument le forcer à écrire ... un polar.
... et de l'autre côté de ce miroir social, 3 jeunes filles immigrées dans une banlieue suédoise : une black (c'est Tea-bag), une fille des pays de l'est et une autre venue du moyen-orient. Bref, un concentré de la société multi-culturelle suédoise.
Mankell s'étend longuement sur les traumatismes de ces douloureuses fuites qui ont fini par conduire ces jeunes filles jusque dans la banlieue de Göteborg (toute ressemblance avec d'autres grandes villes européennes étant, bien sûr, purement fortuite).
[...] Dans le camp, il y avait un trafic de passeports, qui avaient parfois été falsifiés plusieurs fois de suite. Un vieux Soudanais, sentant approcher le vent froid de la mort et comprenant qu'il ne ressortirait pas vivant de ce camp espagnol, m'a échangé ce passeport contre la promesse qu'une fois par mois, aussi logntemps que je vivrais, j'entrerais dans une église, ou une mosquée, ou un autre temple, et je penserais à lui pendant une minute exactement. Voilà ce qu'il voulait, en échange du passeport, un rappel qu'il avait existé autrefois, même s'il avait tout laissé, tout abandonné dans le pays qu'il avait fui.
De la rencontre incongrue entre ces personnages, Mankell construit une étrange fable où son héros écrivain finit par gratter son vernis social pour aller à la découverte de ces 3 jeunes femmes et de leurs histoires, dont il fera très certainement un ... roman !

Allie la bibliothécaire québécoise en parle ici.

Porte de la paix céleste (Shan Sa)

Pour ceux qui veulent prolonger la lecture de Shan Sa (une chinoise qui vit à Paris et qui écrit désormais en français) après La joueuse de go, voici la Porte de la Paix Céleste.
La porte de la paix céleste c'est, en VO, Tian An Men.
Et c'est donc aussi l'occasion de prolonger le film tout récent Jeunesse chinoise, puisque le roman débute, presque comme le film, alors qu'une étudiante s'enfuit de Tian An Men au moment où l'armée envahit la place.
Après la rapide évocation des ces événements, on retrouve exactement comme dans La joueuse de go, l'opposition, la quête entre deux êtres :
- d'un côté Ayamei, une jeune femme rebelle et romantique, poursuivie comme l'une des meneuses du mouvement étudiant et qui finira par trouver la paix céleste dans la magie des montagnes chinoises,
- de l'autre côté du miroir, un jeune soldat empêtré dans sa rigueur morale et son obéissance aux ordres, chargé de retrouver la fuyarde.
Un petit bouquin intéressant mais qui n'a pas encore l'élégance et la rigueur plus abouties de La joueuse de go qui sera écrit 4 ans plus tard.
Porte de la paix céleste est son premier roman (Goncourt du premier roman), écrit à 24 ans lorsqu'elle était chez Balthus en Suisse. Un livre sur l'innocence, comme un écho aux oeuvres du peintre ?
[...] Je suis sûre que vous découvrirez un âme pure, sensible et passionnée, que vous jugerez ma fille innocente des crimes dont on l'accuse. Vous ne l'arrêterez jamais. Ayamei est un oiseau indomptable qui mourrait si on l'enfermait. Une fois sortie de la ville, une fois rendue à la nature, elle déploiera ses ailes et prendra son essor.
Hélas, jamais elle ne reviendra.

vendredi 18 mai 2007

Deuil interdit (Michaël Connelly)

Harry Bosch reprend du service aux affaires classées.

Il y avait longtemps qu'on n'avait ouvert un Connelly.
Avec Deuil interdit, il n'aura suffit que de quelques pages pour nous replonger avec délices dans les rues de Los Angeles aux côtés de Harry Bosch, notre détective préféré.
Et on a bien vite retrouvé cette espèce de noirceur poisseuse qui semble coller aux basques des enquêteurs du LAPD, dans cette ville désabusée qui semble concentrer tout le désespoir du monde.
Après une longue série d'excellents polars, Connelly est toujours en grande forme et on a bien aimé cette intrigue-là, particulièrement bien construite jusqu'à un dénouement étonnant.
Harry Bosch reprend du service : il retrouve Kiz Rider, sa coéquipière black, et à eux deux vont réouvrir les dossiers des "affaires classées".
Le second épisode, Echo Park, est sorti ce mois-ci en France.
[...] - Le choeur des voix oubliées, dit-il. 
- Pardon ? 
- C'est ce qui me vient à l'esprit quand je pense aux dossiers qui nous attendent aux Affaires non Résolues. Une vraie galerie des horreurs. C'est notre plus grande honte. Toutes ces affaires ! Toutes ces voix ! Chacune est une pierre jetée dans un lac. Les ondes de choc se propagent à travers le temps et les personnes. Familles, amis, voisins. Comment pouvons parler de cité quand il y a encore tellement d'ondes de choc, tellement de voix que la police a oubliées ? 
Bosch lui lâcha la main et garda le silence. Il n'y avait pas de réponse à la question du chef. 
- J'ai rebaptisé le service dès que je suis arrivé. Il ne s'agit pas d'affaires éteintes, inspecteur. Jamais elles ne le sont. Pour certains, en tout cas. 
- Je comprends.

Cathe en parle ici.

36 boulevard Yalta (Olen Steinhauer)

De quoi changer un peu des enquêtes policières, voici un roman d'espionnage d'Olen Steinhauer, un américain qui a vécu dans les pays de l'est (Hongrie, ...).
Le 36, boulevard Yalta, c'est le siège de l'équivalent du KGB d'un pays de l'est, quelque part entre la Tchécoslovaquie et la Roumanie.
Nous voici donc plongés en pleine guerre froide de l'autre côté du rideau de fer où nous suivons les péripéties de l'agent Brano Sev.
La première partie du bouquin est particulièrement intéressante qui dépeint une petite ville de campagne : les habitants, leurs habitudes locales, la famille du major Sev (qui d'ailleurs ne voit pas sa profession d'un très bon oeil), ...
On passe ensuite à l'ouest et l'aventure se poursuit à Vienne de manière plus classique : on navigue dans le microcosme des espions de tout bord, en essayant de deviner qui cache son jeu (allez, un indice : en fait, à peu près tout le monde !).
Au fil des pages, nous voici, comme le héros Brano Sev, manipulé et retourné en tous sens jusqu'au dénouement final, un peu convenu il faut le reconnaître.
On finit par se prendre de compassion pour le major Sev qui se fait régulièrement rossé et malmené, ainsi que pour sa petite amie, transfuge Yougoslave, mais on a du mal à se passionner pour les autres personnages, exceptée peut-être la mère de Sev dans son village de campagne ...
Hormis cette première partie déjà évoquée avec son atmosphère dépaysante, il faut avouer qu'on est resté un peu sur notre faim ... juste de quoi avoir envie de découvrir peut-être les autres romans d'Olen Steinhauer (Cher camarade, Niet camarade) qui décrivent la vie policière dans les pays de l'est.
[...] Ce qu'il avait donné comme explication à Jan - qu'il se sentait utilisé - prenait soudain un poids nouveau. Cerny lui mettait la pression, soit pour obtenir des résultats, soit pour l'obliger à fuir. Mais comment savoir ? Il n'y avait aucune réponse toute prête au pourquoi du piège tendu par Jast comme au pourquoi des coups de téléphone de Cerny.

D'autres critiques ici ou .

vendredi 11 mai 2007

Insecte (Claire Castillon)

Quand la mère devient insectueuse ...

On dit souvent que les japonais ont l'art et la manière des nouvelles glacées et effroyables ... mais c'est faire bien peu de cas de ce recueil d'une vingtaine de très courtes nouvelles (quelques pages chacune) de Claire Castillon : Insecte.
Au moins, l'avantage avec les japonais, c'est que l'exotisme, même de façade, nous permet de nous tenir à distance respectueuse en cas de besoin. Mais ici pas de faux-fuyant ...
Des histoires d'amour/haine mère/fille où la mère est beaucoup, beaucoup trop prenante, incestueuse ou insecte-tueuse ...
De formidables portraits de femmes aussi. Où se dessinent, en creux, quelques hommes, trop souvent partis en voyage ...
Une écriture féroce, cruelle, sans concession, qui dérange souvent et lorsqu'on rit, parfois, on rit jaune ...
Claire Castillon joue habilement de nos émotions et dans ses courtes nouvelles, possède au plus haut point l'art de nous retourner comme des crêpes même si chacun sait bien que l'amour peut cacher la haine, qu'après le rire viennent les larmes, que derrière le bonheur se terre le désespoir, et que la haine peut finalement ramener à l'amour.
Chose peu fréquente, il n'y a rien à jeter dans ce recueil de quelques vingt nouvelles, même courtes : toutes sont d'égale tenue et leur unité de ton est du meilleur effet, à condition de ne pas dépasser la dose maximum de 2 ou 3 nouvelles par jour, car au-delà, des effets indésirables peuvent se manifester.
Un livre ressurgi au hasard d'un rangement de notre bibliothèque et qui a de bonnes chances de figurer sur le podium de notre best-of 2007.
[...] Elle m'énerve avec son cancer, elle n'a pas idée. On lui a d'abord prescrit quelques rayons, ça ne devait pas être méchant. Finalement, on lui a fait neuf chimio-thérapies. À force de s'écouter, comme dit papa, elle a laissé s'installer la maladie. Du coup, elle n'a plus un cheveu sur la tête et sa perruque la démange, alors souvent elle la retire, on lui a dit que ça nous choquait un peu parce que son crâne chauve est gênant, mais elle la retire quand même. Pour rire on l'appelle Tête d'Oeuf, Yul Brynner ou Bille de Noix. Le maquillage ne prend plus sur son teint jaune, mais elle s'acharne, alors elle en met trop, et l'autre jour, alors que je l'avais accompagnée faire quelques pas dans le jardin de l'hôpital, j'ai entendu quelqu'un dire Le travelo arrive, alors pour plaisanter je lui ai conseillé de se faire embaucher dans un cabaret. Mais ça ne l'a pas fait rire, j'ai été obligé de préciser que c'était de l'humour, oh là là, un peu de recul à la fin.

Vient de paraître en poche. 
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Retour à la grande ombre (Hakan Nesser)


Toujours au rayon des polars polaires ...
Et toujours de quoi voyager avec encore un suédois, Hakan Nesser, qui situe son histoire aux Pays-Bas : Retour à la Grande Ombre, une enquête du commissaire Van Veeteren, une sorte de Maigret nordique, plein d'humour.
[...] - Des conseils à nous donner, commissaire ? demanda Münster lorsqu'ils quittèrent le bar.
Va Veeteren se gratta la nuque.- Non, répondit-il. Tu l'as très bien dit : il faut aussi savoir patienter. Les poules ne pondent pas plus vite parce qu'on les regarde.- D'où vous viennent toutes ces tournures imagées ?- Je n'en sais rien, dit Van Veeteren, content de lui. C'est comme ça avec nous autres, les poètes : l'inspiration nous vient sans qu'on sache comment.
Dans cet épisode, le commissaire Van Veeteren est hospitalisé ce qui nous vaut, avec ses différents adjoints, plusieurs personnages intéressants qui mènent l'enquête sous sa direction.
[...] Nous n'avons aucune preuve, insista Münster. Et nous n'en aurons pas. 
- Mais il ne le sait pas. 
- Il ne tardera pas à le comprendre. Ça doit lui sembler étrange qu'on ne l'arrête pas en sachant qu'il a trois meurtres sur la conscience. 
Van Veeteren écrasa sa cigarette et lâcha le rideau. 
- Je sais, grommela-t-il. C'est de l'intestin qu'on m'a amputé, pas du cerveau.
Mais la grande originalité de ce polar tient bien sûr dans l'étrange manière avec laquelle la justice sera finalement rendue ... mais ça, on ne peut pas vous en dire plus.

vendredi 4 mai 2007

Un homme heureux (Arto Paasilinna)

Enchantés par Le lièvre de Vatanen, nous avons suivi Arto Paasilinna dans une autre aventure : celle de Jaatinen, Un homme heureux, un ingénieur des ponts et chaussées parti construire un pont dans un village de Laponie.
Victime des jalousies et rivalités des gens du cru, il ira jusqu'au bout de sa vengeance à coups de pelleteuses, de grues et de grands travaux.
On retrouve bien sûr la verve ironique de Paasilinna sans toutefois le souffle épique et poétique qui portait Le Lièvre de Vatanen, auquel il se permet même de faire allusion (lorsque Jaatinen séjourne dans un hôtel de Leningrad) :
[...] Le personnel de l'Astor s'habitua si bien à Jaatinen qu'il finit par se sentir un peu chez lui. Un jour, le maître d'hôtel, un homme au demeurant sympathique et intéressant, lui parla d'un Finlandais qui avait séjourné dans l'établissement l'année précédente. 
« Vous n'imaginez pas, Jaatinen, quel client agréable c'était ! Il avait un nom un peu comme le vôtre, Vatanen, je crois. Vraiment quelqu'un de bien ! Il voyageait en compagnie d'un authentique lièvre finlandais. Nous étions tous aux petits soins pour cet animal si amusant et si discret, et parfaitement apprivoisé. Quand ce Vatanen a dû repartir en Finlande avec son lièvre, nous en avons presque pleuré ! »
L'histoire de la vengeance de Jaatinen pourrait presque se dérouler au Far-West et l'ambiance de cette invraisemblable fable sociale rappelle celle du Groenland de la Maison des célibataires de Jorn Riel dont on a parlé très récemment.
Grâce à la plume acérée et ironique de Paasilinna qui brocarde la vie de ses compatriotes, on savoure moult détails sur la vie des autochtones finnois : les anciennes rivalités entre rouges et blancs, la vie sociale et associative, la trop forte présence de l'église, ... (on pense d'ailleurs à un autre bouquin finlandais lu récemment : Horreur boréale).
Il y a presque du Don Camillo dans ce petit monde-là ...

C'est sorti en poche Folio et d'autres blogs en parlent sur Critico-blog.

Sa femme (Emmanuèle Bernheim)

Encore un petit opuscule minuscule d'une centaine de pages, presque une nouvelle.
Emmanuèle Berheim aura obtenu le prix Médicis en 1993 pour ce petit roman : Sa femme.
L'histoire d'une jeune toubib un peu (beaucoup ?) maniaco - obsessionnelle qui collectionne les traces de sa vie sentimentale comme d'autres collectionnent les papillons ou les coléoptères.
Et c'est d'ailleurs avec une remarquable écriture, d'une précision d'entomologiste, qu'E. Bernheim nous décrit la vie quotidienne de son héroïne, tous ces petits riens qui font la vie.
La limpidité, la clarté de son style, forme une étrange harmonie avec les pensées de la jeune femme (qui d'ailleurs s'appelle ... Claire) et ce petit bouquin mériterait presque de figurer parmi nos couronnes 2007.
En tout cas un petit plaisir à ne pas manquer.
[...] Quelle que soit l'heure à laquelle il arrivait, Thomas restait une heure et quart chez Claire. Jamais plus, rarement moins. 
Un jour, elle débrancha son magnétoscope et sa cafetière électrique et dissimula son réveil dans le tiroir de la table de nuit. Ainsi Thomas n'aurait plus aucun moyen de connaître l'heure et il resterait plus longtemps. 
Lorsqu'il sonna à la porte, avant d'aller lui ouvrir, Claire regarda l'heure à sa montre et la rangea dans son sac. Il était huit heures moins vingt-cinq. 
[... plus tard ...] Thomas se serra contre elle et l'embrassa doucement. Puis il s'écarta d'elle et se leva. Lorsqu'il referma derrière lui la porte d'entrée, il était neuf moins dix. Thomas était resté chez elle une heure et quart, une heure et quart pile. 
Claire ne débrancherait plus ses appareils.