samedi 24 décembre 2016

Code 93 (Olivier Norek)

[...] Ce soir-là, savais-tu qui était derrière le masque ?

Submergé par les hordes vikings venus du nord, délaissé au profit de rivages plus exotiques, le polar français a bien du mal à sortir la tête du lot.
Alors saluons bien bas le toulousain Olivier Norek qui a su nous accrocher dès les premières pages de son Code 93.
Ancien flic du 9-3, ancien de l'ONG Pharmaciens sans frontières, le camarade Norek a dans ses valises de quoi donner corps à de beaux polars.
Avec un personnage bien dessiné, un flic solitaire comme on les aime, l'âme blessée mais le flair affuté : voici le capitaine Victor Coste.
[...] Il but un café amer en grimaçant, adossé à son frigo sur lequel un Post-it « acheter du sucre » menaçait de se décoller. Dans le silence de sa cuisine, il scruta par la fenêtre les immeubles endormis.
[...] En temps normal, l’accoutrement dans son ensemble, mais surtout le pull nordique à motifs flocons de neige, version Sarah Lund dans The Killing, auraient pu offrir à Ronan un crédit illimité de vannes lourdes.
[...] Il commençait à se sentir comme une caricature de flic télé et, il le savait, ce n’était pas une bonne chose.
Ce Code 93 démarre fort avec des cadavres un peu étranges qui vont même se réveiller pendant l'autopsie sur la table en inox de la morgue.
[...] Dans la même semaine Coste se tapait deux meurtres inhabituels, mis en scène, visibles et médiatisés. Un émasculé et un brûlé vif, ou, au choix, un zombie et une autocombustion.
[...] Tu vois quand même que se profile une des affaires les plus merdiques de ma carrière.
Ce Code 93 est aussi une intrigue à tiroirs (et pas que ceux de la morgue) qui va nous faire découvrir de sombres pratiques statistiques policières et de plus sombres pratiques encore chez quelques nantis.
[...] Planquer des vols à l’étalage ou des petits consommateurs de shit, c’est pas vraiment compliqué, tout le monde s’en moque, mais pour planquer des cadavres, c’est une autre organisation. Il a donc fallu trouver une nouvelle appellation. Le Code 93.
[...] Vous jugez, ou vous écoutez ?
– Les deux sont indissociables.
Une écriture soignée et bien tournée, sèche et nerveuse, de courts chapitres bien rythmés comme il convient à l'ambiance.
On regrette juste de temps à autre quelques 'bonnes formules' un peu trop voyantes.
[...] L’amour ça déborde comme un coloriage d’enfant.
[...] La soirée s’éternisa et les consonnes disparurent au fur et à mesure des discussions.
Même si l'intrigue n'hésite pas à ratisser un peu large et si aucun cliché ne nous est évité, ce Code 93 est de la belle ouvrage où Norek tisse sa trame en utilisant plutôt habilement toutes les ficelles du genre. Un auteur certainement plus toulousain que banlieusard mais qui nous épargne l'inévitable couplet rap sur le 9-3.
Promesse honnêtement tenue : on tient là un bon filon, franco-français, bien de chez nous, et c'est assez rare pour ne pas passer à côté.
Fort heureusement, on avait cette fois pris soin de commencer par le premier épisode : la suite est donc à venir !

Pour celles et ceux qui aiment les flics de banlieue.
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lundi 14 novembre 2016

L'archipel d'une autre vie (Andreï Makine)


[...] Que faisions-nous là-bas ? Nous y vivions.

    L'auteur, le livre (288 pages, 2016) :

Voilà bien longtemps que l'on n'avait pas décerné un coup de cœur pour l'une de nos lectures.
Plusieurs très bons bouquins en 2016 mais finalement peu de grands coups de cœur. Il faut donc prendre ce roman d'Andreï Makine (un russe qui vit en France et écrit en français) comme d'autant plus remarquable : L'archipel d'une autre vie.

    On aime :

❤️ Au fil du voyage initiatique, le lecteur tombera sous le charme de la prose d'Andreï Makine : l'âme russe possède décidément un rapport à la nature, un rapport à l'histoire, qui n'appartiennent qu'à elle. Makine est à moitié français et son travail de passeur nous donne ici l'occasion d'être touché par cette grâce.

      Le contexte :

Makine nous emmène loin vers l'est, au-delà même de la lointaine Sibérie, aux confins de l'orient, sur les rives de la mer froide d'Okhotsk, là où l'on peut apercevoir les îles Kouriles, Sakhalin ou le Kamtchaka. Jusqu'aux îles Chantar, là où le fleuve Amour (grossi par le fleuve Amgoun) se jette dans le Pacifique et où il faut affronter le terrible souloï. Une géographie exotique au froid revigorant !
Pour Makine, ces rives tourmentées d'un Pacifique au nom trompeur, évoquent même le mythique océan Mirovia qui entourait l'ancien continent de la Rodinia.
[...] Le nom de Mirovia s’imposa à ma pensée, oui, cet océan préhistorique entourant le seul continent existant, le fameux Rodinia dont parlaient nos livres de géographie…

      L'intrigue :

Non content de titiller nos neurones géographiques, Makine va nous emmener dans une course folle au cœur de la taïga.
[...] Les poursuites à travers la taïga, les coups de fusil, la maison du chercheur d’or où veillait un mort… Oui, un livre d’aventures, un western. Plus tard, j’ai cru y discerner une vérité bien plus vaste et plus secrète, celle qui me laissa deviner le sens caché de ces mots si simples : « Nous y vivions… »
Une aventure, un 'eastern', une chasse à l'homme ... oui, peut-être, mais ce n'est pas tout.
Nous voici au tout début des années 50 : les russes se remettent à peine de la terrible guerre dont les fantômes viennent toujours les hanter. La terreur stalinienne a rempli les camps et a fait ou fera de chacun un ennemi du peuple, à un moment ou à un autre, forcément.
[...] Il faut toucher le fond, Pavel, c’est la meilleure chose qui puisse arriver à un homme. Après ma première année de prison, j’ai commencé à éprouver cette liberté-là. Oui, la liberté ! Ils pouvaient m’envoyer dans un camp au régime plus sévère, me torturer, me tuer. Cela ne me concernait pas. Leur monde ne me concernait pas, car ce n’était qu’un jeu et je n’étais plus un joueur. Pour jouer, il fallait désirer, haïr, avoir peur. Moi, je n’avais plus ces cartes en main. J’étais libre…
[...] La prison ? C’est pour ne pas y retourner que je suis là… Difficile de survivre dans la taïga ? Moins que dans un camp… »
Un évadé s'échappe de l'un des camps. À ses trousses, on lance un équipage de quelques 'volontaires' ou presque, hantés par les fantômes de la guerre, effrayés par la menace des camps et des commissaires politiques. La course poursuite s'engage avant que l'hiver n'arrive.
[...] La forêt s’effeuillait, protégeant mal ma fuite. Ce qui me sauvait, c’était la vitesse de mon déplacement et ma connaissance, presque tactile, des endroits que je traversais. Et, les premiers jours, l’oubli de la faim.
Mais au fil du temps, la poursuite s'éternise.
[...] Je commençai à tousser, frissonnant sous mes vêtements qui résistaient mal à la morsure du vent. Nous étions partis au début du mois d’août et, à présent, trois semaines plus tard, le froid balayait les petits paradis de tiédeur encore préservés dans les vallons ensoleillés…
Comme si les chats n'étaient finalement pas si pressés d'attraper leur souris (et de rentrer), et comme si la souris attendait ces poursuivants-là, les préférant finalement à une autre troupe plus nombreuse et plus efficace.
La chasse à l'homme dans la taïga prend alors un tour étrange.
[...] L'évadé s’était évertué à escalader la barrière de roche et à reprendre sa route. Nous en étions secrètement soulagés : pas d’affrontement final, encore quelques jours de « congé », comme disait Boutov.
[...] Ne vivre que pour cette marche infinie, ne rien demander d’autre.
[...] J’aurais pu facilement m’enfuir, oui. Pourtant, rester avec lui changeait le sens de ce que je savais de la vie.
Mais le roman de Makine réserve encore bien d'autres surprises que l'on ne peut vous dévoiler.
Nous avions embarqué pour un étrange western à la russe, nous avons tâté du roman initiatique et nous voici bientôt obsédés par une très très belle histoire d'amour (était-ce la proximité du fleuve qui voulait cela ?).
[...] Elkan se mit à décharger sur la rive ses bagages : fusil, outils, toile des tentes… Perplexe devant le peu de biens que nous possédions, je demandai, sans pouvoir cacher mon désarroi : « Et que… qu’est-ce qu’on va faire ici ? » La réponse vint, rendant insignifiante toute autre interrogation : « Nous allons y vivre. »
[...] – Que faisions-nous là-bas ? Nous y vivions… Il dut se rendre compte que ce mot usé était privé de toute sa valeur.
[...] À travers la brume qui enveloppait l’archipel, il distingua les trois points lumineux. Un triangle de feux. « La constellation de notre ciel à nous », pensa-t-il avec une tendresse qui n’avait pas de nom dans le monde qu’il venait de quitter.
[...] Cette nuit-là – je le comprendrais plus tard – nous étions au plus près de ce qu’il y avait en nous de meilleur.
Au bout du bout du monde, les personnages vont découvrir le charme des îles Chantar.

Pour celles et ceux qui aiment les très belles histoires.
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vendredi 11 novembre 2016

Les anges sans visage (Tony Parsons)

[...] Les Wood ont été assassinés parce qu’ils étaient heureux.

On a eu un petit peu de mal à entrer dans le bouquin de Tony Parsons : Les anges sans visage (ce sont les statues de pierre d'un cimetière londonien).
Son style n'est pas des plus fluides et sa prose est truffée de sigles qui décrivent l'organigramme des polices britanniques sans rien apporter de vraiment instructif.
[...] Les polices du monde entier sont accros aux sigles.
Reste que son polar démarre très fort avec le massacre d'une riche et belle famille, massacre non pas à la tronçonneuse mais au pistolet d'abattage, version moderne du merlin.
[...] Quel meurtrier se sert d’un pistolet d’abattage ?
Pour faire bonne mesure Parsons y ajoute un enlèvement : le petit dernier de la famille ne fait pas partie des cadavres.
[...] Les tueurs à gages ne kidnappent pas les enfants. Elle marqua une pause, releva ses lunettes sur son nez, plongée dans ses réflexions. – Qui peut tuer quatre personnes et kidnapper un enfant ? Pourquoi on décide de kidnapper un enfant ?
[...] Quelle espèce particulière de psychopathe était l’auteur du carnage dont nous avions été témoins ?
Vengeance, serial-killer, règlement de comptes, sombre histoire de famille, ...
Qui donc en voulait à la famille Wood ?
[...] Vous ne comprenez pas ? Les Wood ont été assassinés parce qu’ils étaient heureux.
Le reste du bouquin se maintiendra à la hauteur et Parsons ratisse large en agençant plutôt habilement plusieurs thèmes souvent violents, parfois un peu racoleurs : immigrés roms, drogue du viol, prostitution, trafic d'enfants, ...
On sent la patte du journaliste enclin à la controverse qu'est Tony Parsons.
Mais finalement, les Wood étaient-ils donc si heureux que ce que les apparences laissaient croire ?
Qu'est-il advenu du petit disparu ?
[...] Les familles désespérées veulent croire au miracle – et je comprenais pourquoi.
Moi aussi, j’aurais voulu y croire.
La campagne de promotion nous vantait le renouveau du polar britannique : il nous faut reconnaître qu'il y a bien là un ton pas ordinaire, mais l'ensemble ne nous a guère convaincu et l'on a du mal à s'accrocher aux personnages et au flic Max Wolfe, divorcé et père d'une fillette, en dépit des efforts louables de l'auteur.
[...] J’observai le visage ensommeillé de Scout et m’émerveillai d’avoir en partie contribué à créer le plus bel enfant du monde. Je sais que tous les parents éprouvent la même sensation. La différence, c’est que ma fille est vraiment le plus bel enfant du monde.
On pourra lire également une autre enquête celle menée par Velda sur l'auteur et journaliste Tony Parsons.

Pour celles et ceux qui aiment les flics célibataires.
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lundi 7 novembre 2016

BD : Un printemps à Tchernobyl


L'étrangeté de vivre là-bas.

Et voici le dernier volet de notre série atomique en cette année 2016, anniversaire de Tchernobyl et de Fukushima.
Après le bouquin de Lucile Bordes et après la terrible Supplication de la biélorusse Svetlana Alexievitch, voici en images cette fois, la BD du breton Emmanuel Lepage, dessinateur engagé : dessin'acteur.
L'idée de cet album est en apparence toute simple puisqu'il s'agit de mettre en images le voyage même de Lepage qui s'est rendu sur place (avec un groupe d'amis artistes) pour témoigner à sa façon.
On n'est pas très loin de l'approche 'factuelle' du manga de Kazuto Tatsuta mais dans un style plus intellectuel, plus militant, plus engagé ici.
Ce reportage s'ouvre sur les images de l'auteur en train de lire La supplication, avant l'arrivée du groupe à Pripiat, la ville de la centrale, une ville qui nous est devenue presque familière après toutes ces lectures.
[...] Pripiat accueillait ingénieurs et ouvriers qui travaillaient à la centrale, ainsi que leur famille. La moyenne d'âge n'excédait pas trente ans. De nombreuses femmes attendaient un enfant. Ils étaient l'élite.
[...] La table se garnit de toutes sortes de mets. Comme si nos hôtes, malgré le fossé de la langue, savaient qu'après l'expérience que nous venons de vivre, il fallait convoquer la vie ... comme les repas qui suivent les enterrements.
Les textes de Lepage sont très réfléchis, très mesurés et réussissent, en se contentant de questionner les faits, réussissent à éviter de verser dans le scoop sensationnel, l'écologie pontifiante ou la vindicte militante.
Mais à l'opposé de La Supplication russe qui s'effaçait entièrement derrière les paroles transmises, ici le 'je' prend beaucoup de place (trop ?) : Lepage nous raconte sa démarche, ses peurs, ses motivations, ses doutes, ...
[...] En Ukraine, comme en France, comme partout, on choisit de rassurer. Par peur de regarder la réalité en face ? Penser autrement serait comme se pencher au-dessus d'un puits sans fond. On risquerait d'être saisi de vertige.
Les dessins sont superbes, crayons et pastels : Lepage manie son crayon comme d'autres un appareil photo et il fallait bien un maître dans l'art du portrait comme lui pour nous faire approcher ceux qui vivent là-bas, dans 'la zone'.

Pour celles et ceux qui aiment se rendre compte.
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mardi 18 octobre 2016

Nos âmes la nuit (Kent Haruf)

[...] Et puis il y eut le jour où Addie Moore rendit visite à Louis Waters.

[...] Bon, je me lance.
J’écoute, dit Louis.
Je me demandais si vous accepteriez de venir chez moi de temps en temps pour dormir avec moi. 
Avec Nos âmes la nuit, Kent Haruf vise la Une de la blogoboule avec une jolie histoire consensuelle aux saveurs douces amères, façon feel good story.
Ça commence plutôt bien et l'on s'apprêtait même à décerner un coup de cœur à cette surprenante vieille dame qui demande à son tout aussi vieux voisin de venir partager son lit le soir pour discuter ensemble. À soixante-dix ans, nos deux veufs tentent de combler leur solitude, et plus si affinités.
[...] C’est une sorte de mystère. J’aime l’amitié que ça implique. J’aime ces moments ensemble. Être ici au cœur de la nuit. Discuter. T’entendre respirer à côté de moi si je me réveille.
[...] Dans la chambre d’Addie, Louis tendit la main par la fenêtre entrouverte pour recueillir la pluie qui gouttait de l’avant-toit puis, regagnant le lit, il passa sa main mouillée sur la joue veloutée d’Addie.
[...] Et on ne fait même pas ce que les gens s’imaginent qu’on fait. Tu voudrais ? demanda Addie.
Ces échanges nocturnes nous valent quelques beaux dialogues lorsque nos deux veufs racontent chacun leurs souvenirs, les hauts et les bas de leurs vies, leurs regrets et leurs envies, leur simple bonheur de partager tout cela.
[...] Elle l’attendait assise sur la véranda. Elle se leva et, debout sur le perron, elle l’embrassa pour la première fois devant tout le monde. Tu te trompes tellement parfois, dit-elle. Je me demande si tu comprendras un jour. Je ne me croyais pas si lent à la comprenette. Mais je dois l’être. Tu l’es quand il s’agit de moi.
Mais il semble que finalement Kent Haruf n'avait peut-être pas de quoi faire plus qu'une jolie nouvelle et le voici à délayer les épices de sa bonne idée dans une sauce allongée : les déboires de la vive grand-mère avec son petit-fils (et son fils) nous font perdre le fil, même s'ils préparent le dénouement désabusé de cette histoire qui aurait pu se passer de conclusion et aurait gagné à rester concentrée sur le fil ténu qui relie les deux personnages.
On avait déjà un mot-clé 1er roman mais il faudrait peut-être un équivalent pour les dernières livraisons de nos chers disparus : tout comme Henning Mankell avec ses Bottes suédoises, Kent Haruf est décédé juste après avoir écrit ce bouquin.
[...] Seulement deux vieillards qui discutent dans le noir, dit Addie.

Pour celles et ceux qui aiment les jolies histoires.
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vendredi 14 octobre 2016

Tels des loups affamés (Ian Rankin)

[...] Je vais te tuer pour ce que tu as fait.

Après avoir réveillé le chien endormi, nous voici Tels des loups affamés, avec un nouveau Ian Rankin entre les mains.
Un Rankin dont l'écriture a (depuis déjà quelques épisodes) atteint un joli rythme de croisière : des intrigues denses et complexes, des personnages épais et travaillés (John Rebus partage désormais le devant de la scène avec les inspecteurs Clarke et Fox) et surtout, des dialogues riches et soutenus qui savent attiser la curiosité et la sagacité du lecteur (un peu à la Connelly). Bref, de la belle ouvrage.
Rankin a su donner à sa série, un nouveau souffle avec un John Rebus qui a (pour notre plus grand plaisir) un peu de mal à prendre sa retraite pour se consacrer à la pêche dans les lochs.
L'ancien inspecteur se découvre même des talents bien cachés de père et tente de renouer maladroitement quelques liens avec sa fille (tout comme le Wallander de Mankell ou le Erlendur de Indridason).
Nous voici plongés en pleine guerre des gangs alors que ceux de Glasgow viennent même de débarquer dans la calme Édimbourg.
[...] Le monde des gangsters était le monde du capitalisme. Il fallait créer des marchés, les soutenir et les développer, en éliminant toute la concurrence.
[...] Nous aurons tous droit à des fauteuils au premier rang. Faites-moi confiance, Édimbourg n’a aucune idée de ce qui va lui tomber dessus.
Mais jusqu'ici personne ne pensait que cette agitation allait réveiller quelques sombres fantômes oubliés de tous. Soigneusement oubliés. Profondément enfouis dans le passé.
[...] Quelques jours auparavant, une main avait glissé le billet par la fente de sa boîte aux lettres. Il le déplia et examina une nouvelle fois les mots qui y étaient écrits : JE VAIS TE TUER POUR CE QUE TU AS FAIT. Mais qu’est-ce qu’il avait fait, Cafferty ?
[...] Ce n’est pas un vulgaire nid de guêpes que vous allez libérer, vous autres, mais une pièce remplie de serpents. Rien n’a filtré, tout le monde s’est tu. Pas un bruit.
Et les fantômes que John Rebus va déterrer vont faire quelque bruit ...
[...] Le petit ricanement étouffé que lâcha Rebus n’avait strictement rien de drôle.
— Je suis tellement abasourdi que je ne trouve plus rien à dire.
— Peut-être que je n’aurais pas dû t’en parler. Peut-être aussi que j’interprète beaucoup trop de choses, à force de voir des fantômes là où il n’y en a pas.
— Peut-être.
On chipote, on chipote, mais cet épisode nous a tout de même paru un petit cran en-dessous de l'excellent Chien endormi, peut-être à cause d'une mise en place un petit peu longuette (là où justement le précédent démarrait sur les chapeaux de roues).
Ah, et on a quand même fait l'effort (enfin) de chercher comment pouvait se prononcer le très écossais prénom de Dame Clarke : Siobhan qui donne quelque chose comme Shivônne [clic].

Pour celles et ceux qui aiment les flics en pré-retraite.
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lundi 10 octobre 2016

Les bottes suédoises (Henning Mankell)

[...] Je ne suis pas hypocondriaque, mais je préfère être tranquille.

C'est évidemment avec un petit pincement au cœur que l'on ouvre le paquet contenant Les bottes suédoises, dernier roman du regretté Henning Mankell disparu fin 2015.
C'est par fidélité au suédois et en souvenir de son très grand roman que furent Les chaussures italiennes, que l'on sort de la boutique avec dans les bras, cette paire de bottes en caoutchouc, clin d’œil amusé de l'auteur à ses fidèles lecteurs.
[...] Cette boucle appartenait à la merveilleuse paire de souliers que m’avait offerte autrefois Giaconelli, l’ami de ma fille, le maître bottier des forêts du Hälsingland. C’est à cet instant que j’ai compris que j’avais réellement tout perdu. De mes soixante-dix ans de vie, il ne restait rien. Je n’avais plus rien.
Car oui, c'est un peu la suite et l'on y retrouve donc le médecin retraité Fredrik Welin, toujours solitaire sur son île, toujours à se plonger chaque matin dans l'eau glacée, hiver comme été, pour se prouver qu'il est encore vivant.
[...] Ils savent que je me baigne tous les jours dans la mer, y compris en hiver. J’ouvre un trou dans la glace et je m’y plonge sitôt levé chaque matin. Ils voient ça d’un œil très méfiant. Ils pensent que je suis fou. 
Un vieil homme toujours aussi maladroit dans ses relations, notamment avec sa fille.
[...] Je ne la comprenais décidément pas. Pas plus qu’elle ne me comprenait, sans doute. Malgré tous nos efforts, nous semblions condamnés aux malentendus.
[...] Elle avait laissé un mot sur la table. Merci. Tu peux claquer la porte en partant.
[...] Je l'ai suivie vers la caravane, marchant à quelques pas derrière elle, avec la sensation d'être un chien errant dont personne ne voulait.
Un vieil homme que l'on retrouve dans les flammes lorsque sa maison s'embrase : en une nuit, il a tout perdu, il n'a même plus une paire de bottes à se mettre. Que lui reste-t-il à part quelques moments encore à vivre ?
Comme l'auteur, Fredrik Welin a encore vieilli et s'approche lentement mais sûrement de sa fin. De tendance hypocondriaque, le vieil ours bougon est devenu un homme inquiet (rappelez-vous ce polar : L'homme inquiet, lorsque Mankell franchissait le cap de la soixantaine).
[...] J’étais un vieil homme qui avait peur de mourir.
[...] Je ne suis pas hypocondriaque, mais je préfère être tranquille.
Mais disons le franchement, ces bottes suédoises sont d'au moins une ou deux pointures en dessous des désormais célèbres chaussures italiennes, et cette lecture n'aura vraiment de sens que pour les fidèles et les inconditionnels que nous sommes.
Malgré tout on aime bien ce vieil homme ronchon, solitaire, maladroit, pas même vraiment sympathique. Un vieil homme en proie aux doutes et aux angoisses, ceux de la vieillesse et même désormais ceux de la mort.
Autoportrait de Mankell en homme inquiet.
En décor de fond, l'intrigue est presque bâclée (même la virée chez nous à Montparnasse, rue d'Odessa, nous a laissés sur notre faim) et certains paragraphes frisent même l'indigence.
[...] Je suis allé au café du port. Au comptoir j’ai choisi un café et un gâteau à la pâte d’amande et je me suis assis près de la fenêtre. Le gâteau était tout sec. Il s’est émietté quand j’ai voulu le porter à ma bouche.
[...] La proximité de la mort transforme le temps en un élastique tendu dont on craint sans cesse qu’il ne se rompe.
Le feu d'artifice des chaussures italiennes n'est plus qu'un maigre feu de paille. Mais fort heureusement la magie mankellienne opère de temps à autre au détour inattendu d'une page et la dernière partie du bouquin récompensera la fidélité du lecteur.
[...] J'ai bien peur de nourrir, au fond de moi, une sorte de ressentiment désespéré vis-à-vis de ceux qui vont continuer de vivre alors que je serai mort. Cette impulsion m’embarrasse autant qu'elle m'effraie. Je cherche à la nier, mais elle revient de plus en plus souvent à mesure que je vieillis.
[...] Je me suis arrêté. J’ai ouvert ma portière avec précaution, comme si je risquais de déranger quelqu’un. Dehors, tout était silencieux. Le vent ne pénétrait pas au cœur de la forêt. J’ai fermé les yeux en pensant que bientôt je ne serais plus là. Il ne me restait que la vieillesse. À la fin, elle cesserait elle aussi et alors il n’y aurait plus rien.
[...] En l’écoutant se plaindre de ses maux imaginaires, j’avais déjà été tenté de prendre un air grave et de lui annoncer qu’il souffrait probablement d’une maladie mortelle. Jusque-là, je ne l’avais pas fait. Mais le moment était peut-être venu. La prochaine fois qu’il s’installerait sur mon banc et se laisserait palper par mes mains de chirurgien, qu’il respectait tellement, je prononcerais son arrêt de mort.
Un dernier clin d’œil du maître du polar nordique, une lecture posthume réservée aux inconditionnels et un ultime rappel pour celles et ceux qui n'auraient pas encore découvert les chaussures italiennes.

Pour celles et ceux qui aiment les chaussures.
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mardi 4 octobre 2016

La supplication (Svetlana Alexievitch)

[...] Reconstituer les sentiments et non les événements.

Nous sommes sur le point de clôturer cette année 2016 qui fut des plus radioactives, la faute aux anniversaires : celui des 5 ans de Fukushima et celui des 30 ans de Tchernobyl :
- Kazuto Tatsuta nous a emmenés Au cœur de Fukushima avec son manga sur les travailleurs chargés de démonter la centrale
- Lucile Bordes nous a fait revivre 86, année blanche et les événements de Tchernobyl.
Dix ans après la catastrophe de Tchernobyl, la biélorusse Svetlana Alexievitch publiait dans La supplication le résultat des nombreuses interviews qu'elle avait recueillies auprès des populations. Un livre fondateur.
Un devoir de mémoire, non pas sur les événements eux-mêmes mais bien sur les traces que laissent ces événements dans la vie des hommes et des femmes.
[...] Un événement raconté par une seule personne est son destin. Raconté par plusieurs, il devient l’Histoire. Voilà le plus difficile  : concilier les deux vérités, la personnelle et la générale.
[...] Plus d’une fois, j’ai eu l’impression de noter le futur.
[...] Reconstituer les sentiments et non les événements.
[...] Je vous ai prévenue... Je n’ai rien de bien héroïque à raconter, rien pour la plume d’un écrivain.
Avec ce remarquable travail, l'auteure se limite à une courte introduction et s'efface pour laisser toute la place à la parole de ceux qui ont été recrutés comme liquidateurs, de celles et ceux qui ont été évacués manu militari des zones contaminées, de celles et ceux qui n'ont pas voulu quitter leur village et qui se sont accrochés à leur potager radioactif aux douces lueurs bleutées ou pire, de celles et ceux dont les villages n'ont pas été évacués faute de moyens et pire encore, de celles et ceux qui sont arrivés plus tard pour occuper ces villages désertés, venus de la Tchétchénie ou du Tadjikistan, fuyant des périls plus mortels encore que le césium.
Un chœur d'humaine parole. Une humanité passée à la moulinette dans les broyeurs de notre époque.
Autant vous prévenir : la lecture est éprouvante, certaines tranches de vie sont ahurissantes et il vaut mieux apprécier ce livre à petites doses (prévoyez votre dosimètre) pour éviter de sombrer après avoir entendu celles et ceux qui se racontent ici.
Des russes qui racontent cela à la russe et nous permettent de les mieux connaître, un peu.
[...] Tout le monde était bien payé  : trois fois le salaire mensuel plus des frais de mission. Et puis, on buvait... Vous savez, la vodka, ça aide... Elle enlève le stress.
[...] Chez nous, la victoire n’est pas un événement, mais un processus. La vie est une lutte. Il faut toujours surmonter quelque chose. C’est de là que vient notre amour pour les inondations, les incendies, les tempêtes. Nous avons besoin de lieux pour “manifester du courage et de l’héroïsme”.
[...] Un lieu pour y planter un drapeau.
L'étiquette de roman choral n'a peut-être jamais été aussi juste : mais cette polyphonie sonne comme un chant funèbre aux accents de dérisoire.
[...] Je vais vous raconter une histoire drôle. Un prisonnier évadé se cache dans la zone de trente kilomètres autour de Tchernobyl. On finit par l’attraper. On le fait passer au dosimètre. Il “brille” à un point tel qu’il est impossible de le mettre en prison ou à l’hôpital. Mais on ne peut pas le laisser en liberté, non plus. Vous ne riez pas  ? (Il rit.)
[...] Nous chassons aussi pour nous-mêmes, et nous mangeons notre gibier. Au début, nous avions tous peur. Puis nous nous sommes habitués. Il faut bien manger quelque chose. Nous n’allons tout de même pas déménager sur la Lune, ou sur une autre planète.
[...] Avez-vous entendu parler des hibakushi de Hiroshima  ? Les survivants de l’explosion... Ils ne peuvent se marier qu’entre eux. On n’en parle pas, chez nous. On n’écrit rien à ce sujet. Mais nous existons, nous autres, les hibakushi de Tchernobyl...
[...] Comment croire une chose inconcevable  ?
Le livre de Svetlana Alexievitch est remarquable et l'accumulation de ces monologues effarants est éprouvante : paradoxalement, il nous manquerait peut-être bien la parole de l'auteure qui s'est effacée derrière ses compatriotes.
On repart bientôt pour Tchernobyl avec une BD d'Emmanuel Lepage (où justement, sur l'une des premières planches de l'album, un personnage lit ... La Supplication).

Pour celles et ceux qui aiment les gens.
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mercredi 28 septembre 2016

Cartel (Don Winslow)

[...] Les Américains ne retiennent jamais les leçons.

Peut-être est-ce la sortie récente de Infiltrator (l'histoire de Bob Mazur qui fit tomber une partie du cartel de Medellin, celui de Pablo Escobar) mais on n'a pas pu laisser passer la sortie du pavé de Don Winslow : Cartel, qui évoque lui, les affaires mexicaines d'El Chapo (l'évadé interviewé par Sean Penn).
Faut dire qu'il faut à peine quelques pages de prologue pour que Don Winslow nous accroche fermement et définitivement : une fois hameçonné, le lecteur n'aura de cesse de tourner les 700 pages de ce gros pavé. Le genre qui pèse dans les mains (vive la liseuse électronique !) plusieurs nuits d'affilée, jusqu'à 1 ou 2 heures du mat'.
On n'avait pourtant pas lu le succès précédent (La griffe du chien) dont c'est la suite, annoncée comme encore meilleure.
Mais c'est peut-être pas plus mal parce que Winslow prend soin de nous résumer habilement les précédentes années de guerre contre les cartels mexicains.
[...] Ce n’était que le début de la longue guerre de Keller contre les Barrera, un conflit de trente ans qui allait lui coûter tout ce qu’il possédait : sa famille, son travail, ses croyances, son honneur, son âme.
Ce prologue est passionnant (presqu'un bouquin dans le bouquin) et on a droit à quelques explications bien senties sur le marché de la drogue qui unit les US à 'leur' Mexique dans une étreinte fatale.
[...] Le prétendu problème mexicain de la drogue est en fait le problème américain de la drogue. Pas de vendeur sans acheteur. La solution ne se trouve pas au Mexique et elle ne s’y trouvera jamais.
[...] Cette prétendue « guerre contre la drogue » est une porte à tambour : vous faites sortir un gars, quelqu’un d’autre s’assoit sur la chaise vide en bout de table. Cela ne changera jamais, tant qu’existera un appétit insatiable pour les drogues. Et cet appétit existe chez ce mastodonte qui vit de ce côté-ci de la frontière.
[...] Le NAFTA était parfois surnommé le « North American Free Drug Trade Agreement ».
Ce prologue nous permet également de faire connaissance avec les deux protagonistes qui vont reprendre leur duel entamé dans La griffe du chien : l'américain Art Keller, franc tireur de la DEA ou de la CIA (selon l'officine qui veut bien le couvrir bon gré mal gré) et le mexicain Adán Barrera, patròn du Cartel.
Une fois le décor planté pour les nouveaux lecteurs venus, c'est parti et la machine de guerre est (re)lancée ...
Des tonnes de drogue vont passer la frontière, des millions de dollars vont changer de main, des dizaines de cadavres vont tomber en chemin ou carrément cramer dans des fûts de gasoil.
Les gangs mexicains vont s'entredéchirer pour le contrôle de ce trop juteux trafic et les officines américaines vont rester prises dans un engrenage où elles n'ont plus d'autre choix que de favoriser temporairement l'un des cartels pour démanteler les autres, puis un autre pour défaire le pouvoir du précédent, puis ...
[...] Car les Américains ne retiennent jamais les leçons.
[... DEA, CIA, ...] Un tas d’autres agences, une véritable soupe aux pâtes alphabet, qui coopèrent et/ou rivalisent à divers degrés au sein de juridictions qui se chevauchent.
On est au cœur même des haletantes scènes d'action, des âpres et mortelles négociations, des trahisons et des compromissions, des exécutions sommaires, des morceaux de bravoure (la fête de Noël à la prison, le mariage, la grève de la faim, ...), des assauts donnés sur l'altiplano, ...
Mais au-delà de la violence et de la force du sujet, qu'est ce qui fait donc la puissance et le succès des bouquins de Don Winslow ?
Ce n'est certainement pas le style d'une prose assez neutre, même si c'est très professionnel, fluide et agréable à lire.
Peut-être la luminosité des explications, données l'air de rien, sur ces complexes rouages : sans fatuité pédagogique ni pédantisme savant, juste ce qu'il faut pour éclairer intelligemment le lecteur (même à 2h du mat').
Et assurément, le sens confirmé de la narration et de la mise en scène : on s'installe dans ce bouquin comme dans un bon gros fauteuil de cinéma, musique, générique, et c'est parti pour un blockbuster 100% plaisir de lecture (en dépit de l'effarante violence des faits rapportés) !
D'ailleurs, côté cinoche, c'est déjà signé : Ridley Scott est en train de remettre le couvert après son précédent et déjà Cartel (c'était en 2013 sur un scénario de Cormac McCarthy).
Ce film de Don Winslow est un peu long : plus de 700 pages, plus de 6 heures de lecture éprouvante pour le lecteur français. Ce qui n'est rien comparé aux 365 jours par an vécus par la population mexicaine.
Une dernière citation à méditer (qui annonce peut-être le prochain bouquin de Winslow) :
[...] Quand vous prononcez le mot « narcotrafiquant » à Washington en dehors des couloirs de la DEA, vous n’obtenez plus que des bâillements. Mais si vous dites « narcoterrorisme », vous avez droit à un budget.

Pour celles et ceux qui aiment les films d'action.
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samedi 24 septembre 2016

Bull Mountain (Brian Panowich)

[...] Ça se lisait comme une tragédie grecque.

La rentrée 2016 sera peut-être celle des romans noirs américains.
Après la Louisiane des Maraudeurs de Tom Cooper et le Kentucky d'Alex Taylor avec Le verger de marbre, voici un troisième roman noir US, en Géorgie cette fois-ci : Bull Moutain de Brian Panowich.
Un roman noir dans les règles de l'art, encore, où tous les personnages sont déjà en place pour que tout cela finisse très mal, à la manière d'une tragédie antique : Clayton Burroughs est le shérif local qui reçoit la visite d'un agent du FBI. Les autorités sont décidées à éradiquer le trafic de méth qui arrive de Floride.
Sauf que le shérif Clayton est le fils indigne d'une longue lignée de hors-la-loi et que c'est son propre frère, Halford Burroughs, planqué dans sa montagne, qui est à la tête du clan familial et du trafic dans la région (l'alcool jadis, puis le cannabis et maintenant la méthamphétamine).
[...] Elle avait dû commencer à écrire ce journal quand elle était tombée malade. Ça se lisait comme une tragédie grecque.
Quelques flashbacks nous font deviner que chez les Burroughs la violence se transmet de père en fils et que les jeunes apprennent très tôt à creuser la tombe d'un empêcheur de trafiquer en paix.
[...] Un cimetière d’assassins et de voleurs. Elle était surprise que l’herbe luxuriante et la mousse vert vif autour de l’étang ne soient pas en train de pourrir, vu les quantités de sang corrompu qui avaient irrigué la terre.
[...] Vous ne comprenez pas comment les choses fonctionnent ici. Pour mon frère, l’argent n’est pas une fin en soi. Ça ne l’a jamais été. Ce n’est qu’un produit dérivé du mode de vie que lui a inculqué mon père.
Dans le clan Burroughs, de grand-père en père puis en fils, ce sont l'alcool et la violence qui coulent dans le sang de la famille et Panowich réussit à nous décrire des personnages qui ne sont pas seulement des affreux jojos insensibles au mal mais également des hommes héritiers d'une sombre destinée, élevés dans la violence, incapables de quitter les rails sur lesquels ils sont lancés.

En contrepoint de ce monde d'hommes, on a même droit à quelques beaux portraits de femmes : des femmes pas ordinaires, évidemment pour avoir épousé des Burroughs ...
Même si ce n'est là que son premier bouquin, la prose de Panowich est suffisamment soignée et imagée pour nous emmener dans ces forêts et montagnes de l'humide Géorgie aux côtés de sa bande de cul-terreux.
[...] Elle avait un rituel. Elle s’enveloppait le corps d’une serviette avant de tirer le rideau de douche, et une autre autour de sa tête en une espèce de turban que seules les femmes arrivent à faire.
[...] Il portait un pantalon en toile kaki tombant qui laissait voir ses fesses et son boxer bleu layette, ainsi qu’un marcel à travers lequel on distinguait ses muscles affûtés. Il se trimballait aussi un gros flingue noir coincé dans son pantalon, devant. Le fait que son pantalon ne lui tombe pas aux chevilles sous le poids de l’arme demeurait un mystère.
[...] Il tenait une gueule de bois colossale. Il avait l’impression d’être une dinde de Thanksgiving trop cuite, toute desséchée, farcie à la sueur froide et aux cendres de cigarettes.
À mi-parcours on en découvrira un peu plus sur cet étrange agent du FBI venu jouer les trouble-fêtes ... Et puisqu'on évoquait l'art dramatique, on aura même droit à une série de coups de théâtre pour terminer cette tragédie - c'en est presque too much mais il était sans doute difficile de terminer autrement : Panowich avait placé trop de pièces pour bâtir son astucieux puzzle ...

Pour celles et ceux qui aiment les cabanes dans les bois.
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mercredi 21 septembre 2016

86, année blanche (Lucile Bordes)

[...] J’aurais aimé prier, si j’avais su. Mais j’étais une vraie communiste.

2016 sera radioactive, la faute aux anniversaires : celui des 5 ans de Fukushima qui nous a valu un très intéressant manga [1] et celui des 30 ans de Tchernobyl qui incite Lucile Bordes à revivre ici l'été de ses quinze ans.
Avec ce 86, année blanche, l'auteure nous invite à partager l'été 1986 de trois femmes : elle-même, jeune ado d'une famille communiste dans le sud de la France, et l'été de deux femmes russes nées du mauvais côté du fameux nuage.
Tandis que sa famille est traumatisée par la fermeture des chantiers navals de la NORMED de La Ciotat et La Seyne/mer, la jeune Lucile n'a d'yeux et d'oreilles que pour la télé qui annonce timidement la fin du monde quelque part dans l'est.
[...] Est-ce que ça pouvait être la fin du monde à un endroit et pas à un autre ?  
Aucune polémique dans ce bouquin qui se contente (et c'est son charme et c'est sa force) de décrire par le menu les doutes de ces trois femmes, toutes trois baignées dans l'idéal communiste (revisité avec tendresse et bienveillance), toutes trois désemparées par ce qui leur arrive (ce qui arrive au monde).
[...] On ne se doutait pas. On ne doutait de rien.
[...] J’aurais aimé prier, si j’avais su. Mais j’étais une vraie communiste. 
Les pages les plus fortes résonnent comme un écho au manga de Kazuto Tatsuta et décrivent comment les hommes, les liquidateurs, furent envoyés à la guerre contre l'atome.
[...] Je n’ai imaginé à aucun moment que c’était la guerre. Que certains donnaient leur vie.
[...] Les dosimètres claquent si fort que les machines ne tiennent pas le coup. Les robots (les robots allemands même) tombent en panne et se jettent dans le vide. Seuls l’homme, et la pelle, et la main, quand la pelle n’est pas commode.
[...] Très vite, aucun homme de sa section ne s’embarrasserait plus des appareils de mesure, bridés une fois pour toutes à une dose forfaitaire, ils arrêteraient de compter, ils en seraient là, ils ne compteraient plus, au sens propre. 
Certains les compteront tout de même et parleront de plus de 500.000 liquidateurs.
Le plus intrigant, le plus inquiétant, n'est pas tant le combat mené par cette 'chair à centrale' envoyée nettoyer la 'zone' mais bien la vie qui continue pour les épouses et les enfants restés en arrière.
Le dévouement de l'épouse qui accompagne les derniers jours de son mari gravement irradié reste imprimé pour longtemps dans la mémoire du lecteur.
Trois voix de femmes, très attachantes, qui ne vivent pas directement au cœur de l'événement mais qui, en quelque sorte, le regarde et le commente : c'est bien pire et tout cela préfigure ce que notre siècle est en train de devenir, où la vie ordinaire s’accommode tant bien que mal de la radioactivité grandissante. Et où la cueillette des champignons est interdite.
Dans un silence assourdissant.
Un petit livre rouge indispensable.

Pour celles et ceux qui aiment les communistes.
Bientôt d’autres avis sur Babelio.

vendredi 16 septembre 2016

Été rouge (Daniel Quiros)

[...] Le mieux à faire ici, c’est de passer la journée au bar.

L'an passé, on avait épinglé le Costa-Rica sur notre carte du tour du monde en classe polar grâce à Daniel Quirós et sa Pluie des ombres.
Quirós, un Tico qui enseigne l'espagnol aux États-Unis, continue de nous faire visiter son pays et ses saisons, avec cette fois l'Été rouge.
[..] Le mieux à faire ici, c’est de passer la journée au bar de doña Eulalia, d’où on peut voir la mer, qui envoie de temps à autre une rafale de vent : avec une cigarette et une bière bien fraîche, une journée devient alors quelque chose d’à peu prèssupportable.
On y retrouve bien sûr Don Chepe, ancien guerillero, à demi supplétif des forces de police, à demi électron libre qui cette fois encore mène sa propre enquête sur l'assassinat d'une femme, un meurtre que les flics n'ont ni les moyens ni l'envie d'élucider.
L'enquête précédente nous emmenait du côté des Nicas, les immigrés venus du Nicaragua voisin pour récolter les oranges.
Cette fois Don Chepe nous invite à remonter dans le passé pour découvrir les troubles relations entre son pays et ce même Nicaragua, au temps de la révolution sandiniste.
Tout cela aurait pu être passionnant mais malheureusement cet épisode nous a paru moins prenant que le premier et la prose très distanciée de Daniel Quirós - qui parfois produit de beaux effets - nous a paru ici bien laborieuse. Ses descriptions mécaniques et factuelles sont ici répétitives et pesantes.
[...] À l’intérieur, le local était assez vaste. Il y avait trois rangées de tables rouges, avec chacune deux fauteuils de la même couleur face à face : des fauteuils du même bois bon marché que celui de la table, sur lesquels pouvaient s’asseoir une ou deux personnes. Seule quatre tables étaient occupées.
On espère que la prochaine saison sera plus clémente.
Seule consolation, le prix du ebook est, pour une fois, correct : merci aux éditions de L'Aube.

Pour celles et ceux qui aiment les guérilleros.
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vendredi 9 septembre 2016

Le verger de marbre (Alex Taylor)

[...] On ne pouvait pas revenir d’avoir tué un homme.

Après la Louisiane des Maraudeurs de Tom Cooper, on change d'état pour le fin fond du Kentucky mais on reste dans le même registre du roman noir, avec Le verger de marbre d'Alex Taylor.
Un roman noir dans les règles de l'art, où tout commence très mal en nous laissant penser que ça va finir encore plus mal.
Dans la famille Sheetmire, je voudrais Beam, le fils de Clem et Derna, chargé de manœuvrer le bac qui permet de traverser la Gasping River, version locale du Styx.
Un beau soir à la nuit tombée, Beam tue plus ou moins par accident un passager trop agressif.
Mais Clem reconnait le passager qui n'est autre que le fils de Loat - l'homme le plus puissant du comté - et il n'a qu'un conseil à donner à Beam :
[...] Tu dois quitter cet endroit, et tu dois partir ce soir.
Le fuyard n'ira pas bien loin, comme emprisonné par les paysages des environs et tout ce petit monde va donc jouer au chat et à la souris. Un jeu de cache cache où la meilleure planque semble être un cimetière.
[...] — Tu aimes les cimetières ? demanda Pete.
Beam se réveilla en grognant, surpris.
— J’peux pas dire que j’y pense trop souvent.
— On peut savoir un paquet de choses sur un bout de terrain en regardant ceux qu’on y a enterrés. Qui était à la guerre, quand et où ils ont combattu. On peut savoir si un hiver était rude au nombre de bébés et de femmes enterrés une année donnée. Tout ça, c’est sur ces pierres. (Pete agita la main dans la lumière du feu.) Le grand verger de marbre. Voilà tout ce que c’est.
Un jeu mortel évidemment où les histoires et les rancœurs du passé vont remonter peu à peu à la surface : qui était exactement le passager du bac, qui est réellement Beam, quelles sont les relations troubles et complexes entre Loat, Clem et Derna, qui est Daryl le manchot excité, qui est le mystérieux camionneur en costume, ...
Il y a beaucoup trop de chats et de souris dans le jeu.
[...] Beam savait que seules les zones d’ombre étaient passées sous silence. Les bons moments et les jours heureux étaient racontés si souvent que les histoires en devenaient rabâchées et inutiles. Mais les mauvais moments demeuraient non-dits, comme si leur simple évocation risquait de faire remonter les vieilles afflictions à la surface.
[...] Une fois qu’une chose meurt, elle commence à pourrir. Et c’est quoi la pourriture sinon une sorte de fantôme ? Tu crois pas que le sang reste là où il coule ? Tu crois que tous les malheurs qui viennent frapper certains endroits reculés s’évanouissent quand l’histoire est finie ?
L'écriture est riche et soignée. Plusieurs scènes sont de véritables bijoux, taillés et ciselés avec le plus grand soin. On vous en livre une [ici] en intégralité : un sans faute, à savourer sans retenue même si ces quelques lignes livrent une ou deux clés de l'intrigue (mais sans dévoiler la suite ni gâcher le plaisir de la lecture du roman).
Il y a beaucoup de références mystiques dans cette histoire (le Styx, le diable, la faute, Abel et Caïn, ...) mais sans exagération ni ostentation (on est un peu allergique et on n'aurait pas supporté). Non, c'est plutôt comme un poids qui vient écraser un peu plus les destins de ces personnages que la 'chute' a précipités au fin fond de ce Kentucky bien loin de l'Eden.
Donc tout comme pour les Maraudeurs, nous voici encore à deux doigts du coup de cœur .... (l'écriture mériterait un petit dégraissage pour atteindre à la perfection).
Et toujours comme pour les Maraudeurs, il ne s'agit 'que' d'un premier roman : indubitablement voici deux bouquins à lire et deux auteurs à suivre.

Pour celles et ceux qui aiment les cimetières.
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samedi 3 septembre 2016

La rose de fer (Peter Temple)

[...] Le passé n’est pas enterré.

Encore une belle occasion de voyager, cette fois jusqu'en Australie avec La rose de fer de Peter Temple.
Un polar ou un roman noir qui nous emmène du côté de Melbourne : mais le décor down under n'est pas vraiment dépaysant (hormis le fameux footy) et l'histoire s'avère finalement très 'américaine', tout comme le style de cet auteur ... né en Afrique du Sud.
Le personnage principal, Mac Faraday, battait tranquillement le fer jusqu'à ce qu'il découvre Ned, son meilleur ami et voisin, pendu dans sa grange. Pour notre forgeron, il ne peut s'agir d'un suicide et nous voici à enquêter sur le passé d'un étrange manoir, Kinross Hall, un pensionnat où des jeunes filles auraient été maltraitées ...
[...] C’est quoi, Kinross Hall ?
– Un foyer d’accueil pour jeunes filles, un centre de détention, Dieu seul sait quel nom on attribue aujourd’hui à ces institutions.
[...] Ç’aurait pu être un hôtel de campagne onéreux, mais l’ensemble avait ce caractère commun à tous les lieux de résidence forcée : silence, odeur de désinfectant, apparence très ordonnée de chaque chose, impression de soudaine froideur dans l’air.
[...] Les tribunaux nous envoient toutes sortes de jeunes filles : des riches, des pauvres, certaines que nous pouvons aider, d’autres non. Toutes ont une chose en commun. Personne ne veut d’elles, à moins que ce ne soit pour les pires raisons.
Qu'avait donc découvert Ned le pendu ? Qui voulait le faire taire à jamais ?
[...] Une jeune fille nue, à la nuque brisée, jetée dans un puits de mine, peu après 1984. Une jeune fille nue, battue, sur le bord d’une route déserte en octobre 1985. Ned avait travaillé à Kinross Hall en novembre 1985. Et n’y avait plus jamais remis les pieds. Jusqu’à quelques jours avant d’être assassiné.
Mais il n'y pas que Kinross Hall à être hanté par des fantômes, Mac Faraday a lui aussi un lourd passé : c'est un ancien agent fédéral qui a quitté les stups avec pertes et fracas.
[...] Est-ce que j’appartenais vraiment au passé ? Qu’avait dit Berglin ? Le passé n’est pas enterré.
Et comme l'Australie est un petit pays (bon d'accord : un grand pays, mais quand même très peu habité) les deux histoires pourraient bien finir par s'entremêler ...
Peter Temple possède l'art et la manière de raconter une histoire et même plusieurs, de camper de solides et nombreux personnages, d'enrichir son roman de détails et d'anecdotes, ... peut-être au risque de perdre un lecteur éventuellement peu concentré.
C'est là un de ses premiers romans, récemment traduit en français, après le succès des suivants.
Et l'on assiste là sans doute à la naissance de ce que seront les thèmes de prédilection de l'auteur : le souvenir d'un père regretté, l'absence d'une épouse, la difficulté de comprendre ou retenir les jeunes, la corruption d'une ville gangrenée, l'impunité des riches et des puissants, ...
Et il nous donne une vision très américaine de l'Australie.
[...] Avez-vous remarqué que les gens malfaisants sont mus par une sorte de force ? Une sorte d’indépendance qui confère un grand pouvoir à ceux qui la possèdent. C’est une forme de sérénité, une absence de doute, une indifférence à l’égard du monde. Ça attire les autres. Le vide moral aspire les gens.

Pour celles et ceux qui aiment les australiens.
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vendredi 2 septembre 2016

Dust (Sonja Delzongle)

[...] La mauvaise réputation des yellow men…

À éviter !
Avec ce Dust situé au Kenya, l'auteure franco-serbe Sonja Delzongle réussit à nous massacrer une bonne idée.
Une idée de départ plutôt bien vue qui mettait en scène la 'chasse aux albinos' telle qu'elle peut se pratiquer en Afrique, région où cette maladie génétique a été 'découverte' et où elle est le plus répandue.
[...] Dans de nombreux pays d’Afrique, dont le Kenya, l’albinos est considéré comme un être aux pouvoirs surnaturels ou, parfois, comme une créature maléfique.
[...] Les sorciers diffusaient ces croyances auprès de la population en promettant longue vie, richesse et pouvoir à qui consommerait des poudres et des substrats obtenus à partir des membres, des organes ou des cheveux d’albinos, qui se vendaient à prix d’or.
[...] La fabrication et la vente de poudres d’origine humaine. De la poussière d’homme aux vertus magiques. La miraculeuse poudre d’albinos, aussi chère et précieuse que la cocaïne.
Malheureusement c'est tout et la bonne idée tourne court.
Ou plutôt s'étire au fil des pages d'un thriller qui traîne en longueur pour se terminer dans un délire apocalyptique digne de la fin du régime nazi.
Et pour faire bonne mesure, l'écriture de ce navet est bâclée (avec même encore des fautes de français et des tournures de phrase vraiment approximatives). On n'en parlera donc pas plus.
Reste, on l'a dit, la mise en lumière du trafic autour de ces malheureux albinos. Décidément le trafic humain est à la mode et nous voici quelque part entre Lagos Lady pour le côté africain et Fabrika pour l'indigence du style et de l'intrigue.

Pour celles et ceux qui aiment les albinos.
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lundi 29 août 2016

Les maraudeurs (Tom Cooper)

[...] Au mauvais endroit au mauvais moment.

Belle découverte que ces Maraudeurs de Tom Cooper.
On ne peut pas vraiment parler de polar, plutôt un roman noir, un roman qui nous plonge dans le bayou de Louisiane (décidément un décor propice aux aventures), après Katrina et après Deepwater.
[...] Tu es inquiet pour la marée noire ? » demanda Villanova. Lindquist répondit que oui. Tout le monde à Jeanette était inquiet. Ou plutôt carrément pété de trouille. « C’est peut-être pas aussi grave que ce qu’on raconte, dit Villanova. Mais j’ai comme le pressentiment que c’est peut-être pire. ».
[...] Les nouvelles liées à la marée noire, suite à l’explosion du site de Macondo, étaient de plus en plus mauvaises. La fin du bayou tel qu’on le connaissait, disaient les gens.
Malgré les destructions de l'ouragan, malgré la marée noire de BP, dans le bayou de Barataria quelques pêcheurs s'obstinent à vivre comme avant et chaluter les crevettes de plus en plus rares.
[...] – M’en parle pas, dit Naquin. On fait ce qu’on peut. Si jamais j’écris un bouquin sur ma vie, c’est comme ça que je l’appellerai : On fait ce qu’on peut, bordel.
[...] C’était le bon temps alors, pour tous les habitants de la Barataria. Avant que le bayou ne se mette à recracher de moins en moins de crevettes. Avant la marée noire. Avant Katrina.
[...] Combien les marais avaient changé depuis que les compagnies pétrolières avaient débarqué avec leurs pelleteuses et s’étaient mises à bouffer la terre. Aujourd’hui, les pêcheurs s’estimaient heureux de gagner de quoi payer leurs factures et nourrir leur famille.
Le talent de cet étonnant romancier qu'est Tom Cooper (ce n'est là que son premier roman), c'est d'abord la peinture de ces personnages hauts en couleurs, que l'on dirait tout droit sortis d'un film des frères Coen ou de Tarentino.
Sans pour autant tomber dans la caricature facile, l'auteur nous emmène faire la connaissance d'un manchot shooté aux médocs et aux blagues vaseuses (normal dans le bayou ...), d'une paire de jumeaux un brin déjantés qui cultivent la marie-jeanne de façon intensive sur les îles cachées des marais, de deux losers sortis de prison pour quelques travaux d'intérêt général et quelques enrichissements plus personnels, d'un fils du pays revenus arnaquer ses anciens voisins pour le compte de la BP et surtout de la famille Trench, père et fils, symboles de ces générations malmenées par les crises et catastrophes successives.
Il faut se laisser porter par les histoires de ces personnages (les chapitres alternent à la façon d'un roman choral, centrés sur un ou deux personnages qui s'entrecroisent), par cette ambiance de fin du monde où l'on se dit que c'est mal parti et que ça va forcément mal finir ...
Le manchot (quelque part entre Don Quichotte et le Capitaine Crochet) parcourt les îles à la recherche d'un trésor, peut-être celui du pirate Jean Lafitte. Les jumeaux cultivent et trafiquent leur magot aux herbes, ...
[...] Il se plaisait à imaginer le jour où enfin il rapporterait un véritable trésor sur son bateau. Une pièce d’or espagnole. Un collier de pierres précieuses, une bague en diamant. Il aimait imaginer la tête qu’ils feraient tous quand ils verraient ces merveilles briller dans la paume de sa main.
Chacun cherche fortune et le moyen d'échapper à sa condition, chacun tourne autour du pot, se croise et se recroise au détour d'une île ou d'un chenal, jusqu'à ce que ...
[...] Il était désespéré. Désespéré et, il fallait bien l’avouer, curieux. Curieux de voir comment toute cette histoire allait se terminer.
[...] Parfois, il faut laisser les gens faire leurs conneries jusqu’au bout, dit son père. Parce que, quoi qu’il arrive, ils les feront.
[...] Parce qu’ils s’étaient trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.
[...] Il lâcha : « C’est le plus gros bordel de foirade que j’aie jamais vu de ma vie.
Dépaysement garanti avec cette virée aux confins du monde, portée par une écriture facile et un rythme agréable.
Seule la poursuite finale, apocalyptique et hallucinatoire, s'enlise un peu dans les marais pour quelques pages de trop : Tom Cooper s'est un peu laissé emporté par son enthousiasme !

Pour celles et ceux qui aiment les crevettes.
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