dimanche 16 juin 2019

La souplesse des os (Dave W. Wilson)

[...] – Tu es un vrai pote, Mitch.

Quelques très bonnes nouvelles venues, non pas des étoiles mais presque : de la Kootenay Valley en Colombie-Britannique, l’ouest pluvieux et montagneux du Canada, près de Vancouver.
Avec La souplesse des os, voici de très courtes tranches de vie, des instants volés au temps qui passe où l’on croise des fils, des pères, souffrants de fêlures et de cassures : on ignore tout de leur passé, on ne découvrira qu’à peine leur devenir mais on aura l’impression de n’avoir qu’à tendre la main pour les toucher tellement Dave W. Wilson sait nous les rendre vivants et attachants.
[...] Kelly se pelotonna contre lui. La chaleur qui émanait d’elle se diffusa dans son dos ; le corps humain produit autant d’énergie qu’une ampoule de cent watts. Ray laissa la nuit remplir son office. Des orteils Kelly repoussa doucement ses pieds et plus tard, noua ses doigts aux siens. Il resta sans broncher. Sans frissonner, même. Remettant ses problèmes à plus tard.
C’est vraiment de la belle ouvrage et les nouvelles baignent dans une unité de ton et de lieu (Invermere est une toute petite bourgade) unité qui fait qu’on rencontre les mêmes personnages d’un épisode à l’autre, qu’on croise les mêmes objets (les T-shirts, les mugs, ...) : c’est qu’on est drôlement bien en compagnie de la famille et des potes de l’ami Wilson.
[...] Si le café était chaud, s’il restait chaud, il aurait une raison de ne pas quitter la table, et ils pourraient jouer leur rôle de fils et de père, le temps de quelques inspirations encore.
[...] Assis côte à côte sur des tourets, les épaules voûtées et les poignets sur les cuisses, les coudes largement écartés et les genoux qui se cognaient presque. La mine réjouie de deux types qui n’ont aucune raison de ne pas sourire.

Pour celles et ceux qui aiment les relations père/fils.
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samedi 8 juin 2019

De bonnes raisons de mourir (Morgan Audic)

[...] – C’est vraiment le pire endroit où mourir.

Il y a pas mal de bonnes raisons de lire ce très bon polar De bonnes raisons de mourir du breton Morgan Audic, qui est fasciné comme nous tous par cet événement si proche et si redouté dont, plus de trente ans après, on explore toujours les traces gravées durablement dans les esprits de tous et les chairs de quelques uns.
Après la BD reportage (Un printemps à Tchernobyl), après le roman journalistique (La Supplication), après l'introspection autobiographie (86 année blanche), voici donc le polar.
Tous ouvrages très remarquables, à la hauteur de la gravité des lieux et des événements.
Comme il est d’usage au rayon polar, tout commence par un cadavre : celui d’un fils de notable russe, torturé et mutilé, accroché sur la façade d’un immeuble de Pripiat, la ville désertée près de la centrale.
Un meurtre qui semble faire écho à un cold case non élucidé qui se serait déroulé trente ans plus tôt, le jour même de l’explosion.
[...] Pripiat, une ville fantôme abandonnée depuis 1986 à cause de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl. 
Morgan Audic nous évite de justesse le polar dépliant touristique, façon Tchernobyl comme si vous y étiez, et réussit à placer la barre assez haut.
L’un des chapitres s’intitule d’ailleurs ‘Nouvelles de la fin de monde’.
Le décor est planté : bien sûr la fin de l’innocence nucléaire (un hiver nucléaire que certains croyaient réservé à l’impéritie communiste jusqu’à ce que les insoupçonnables nippons soient également rattrapés à Fukushima), la fin du monde soviétique (Pripiat n’est plus en URSS), la fin même de cette Ukraine dont les sécessionnistes pro-russes grignotent la région du Donbass (à Donetsk nous sommes en pleine guerre civile), et la fin tout court pour quelques uns des personnages dont les derniers jours s’écoulent au rythme trop rapide du crépitement des compteurs Geiger.
[...] Les gens veulent croire que c’est du passé, Tchernobyl. Mais toutes les victimes de la catastrophe ne sont pas nées. 
La première partie du bouquin laisse se développer lentement mais sûrement une intrigue policière solide mais Audic enchaînera ensuite les twists rocambolesques et les coups de théâtre avec un peu trop de facilité.
Un auteur (français !) à suivre de près et surtout un documentaire passionnant à lire au moment même où les autorités françaises élargissent le périmètre de sécurité [clic] autour de nos centrales.
On peut aussi découvrir Slavutitch, la ville surréaliste construite après l’explosion, à quelques dizaines de kilomètres de là, avec ce petit article de Libé.

Pour celles et ceux qui aiment se faire peur.
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lundi 3 juin 2019

Le chant de l'assassin (Roger Jon Ellory)

[...] Tout commença par un baiser.

Voilà bien longtemps longtemps qu’on n’avait rien lu de Roger Jon Ellory : on a sauté plusieurs épisodes depuis le fameux Silence lu en 2010.
Ah oui, il y avait eu Les neuf cercles en 2015, autre grand moment.
[...] Tout commença – comme c’est souvent le cas dans ce domaine – par un baiser.
C’est dire tout le plaisir que l’on a à découvrir les premières notes du Chant de l’assassin, d’autant que l’on sent très vite qu’il s’agit là d’un autre grand roman de cet auteur. Un autre grand roman tout court.
Le plaisir de retrouver une belle plume, forte et généreuse, plus assurée encore au fil des années, de ces plumes qui savent nous raconter une belle histoire.
L’étonnant Roger Jon Ellory, natif de Birmingham, West Midlands of England, écrit le Texas et les états du Sud comme seuls les plus grands américains savent le faire.
Au fil des années sa prose s’est encore affirmée et il n’a besoin que de quelques mots pour planter un décor ou faire apparaître un personnage.
[...] Un café, bien entretenu mais totalement démodé, avec sa rangée de tabourets de bar et son long comptoir incurvé visibles de la rue. Jusqu’à la tenue du serveur qui n’aurait pas déparé l’endroit cinquante ans plus tôt.
[...] Même si Stella n’avait pas encore soixante-dix ans, la cigarette et l’alcool s’étaient chargés d’en ajouter une bonne dizaine à son visage et à sa voix. Quand elle parlait, ses mots ressemblaient à des morceaux de charbon flottant dans un baril de goudron.
Et nous voici plongés au cœur des états du Sud.
[...] Si certains cherchaient à faire entrer Calvary, Texas, de plain-pied dans les années 1970, ils ne se tuaient pas à la tâche. Se précipiter tête la première vers le XXe siècle constituait peut-être une priorité pour les métropoles, mais ce siècle-ci convenait fort bien à des endroits comme Calvary.
Peut-être même que, tout bien réfléchi, c’est encore le siècle dernier qui aurait eu leur préférence s’ils avaient pu choisir.
Cette fois, en dépit du titre de la VF (Mockingbird songs en VO), Ellory délaisse un peu le classique polar (Seul le silence, Les neufs cercles) ou le thriller politique (Vendetta) pour un vrai roman noir, une tragédie où le destin implacable s’acharne sur quelques pauvres vies.
Un détenu sort de prison avec une lettre qu’il a promis de remettre à la fille de son ancien compagnon de cellule ...
[...] – Codétenu ?
– Ouais.
 – Et il t’a envoyé perdre ton temps, parce que c’est ce que tu vas faire, à essayer de retrouver une fille qu’il a pas vue depuis plus de vingt ans et qui vit quelque part dans une famille dont il ignore le nom ?
– C’est exact.
– Et toi, t’as accepté ? demanda Riggs avec un sourire moqueur.
– Oui, j’ai accepté. 
Les chapitres alternent entre deux drames qui se font écho : celui, fondateur, qui datent des années 50 et celui qui, vingt ans plus tard, est en train de se nouer sous nos yeux.
[...] – Fils, peu importe ce qui est arrivé dans le passé…
– Le passé importe bel et bien, p’pa. J’ai pas toujours pensé comme ça, mais je m’aperçois aujourd’hui que c’est vrai. C’est le passé qui détermine tout. C’est de là que nous venons tous, qu’il soit bon ou mauvais.
Deux belles histoires, deux grands classiques, racontés avec talent.
[...] – Vois-tu, je voudrais pas qu’on me signale du grabuge en ville. [...]
– Y a pas de danger, m’sieur. Je suis pas venu ici pour causer des histoires, avec personne.
 – Heureux de l’entendre, mon gars. 
Entre deux petites phrases comme ça on entend le murmure du destin implacable : et ben si, va y’en avoir des histoires ... Bon, faut dire qu’on est un peu là pour ça !
On se glisse entre les pages de ce gros pavé confortable avec la certitude douillette du plaisir à venir comme dans de vieilles pantoufles ou dans un bon gros fauteuil.
[...] « Sacrée histoire », dit le père d’Evie. Commentaire succinct qui parut clore la discussion de manière adéquate et satisfaisante pour tous. 
PS : On essaie d’oublier que mister Ellory semble être lui-même un drôle de personnage. Un auteur capable de magnifiques romans mais aussi coupable de viles actions : il est connu pour avoir falsifié des commentaires (élogieux à son endroit évidemment) sur des sites comme amazon, et il a également été repéré comme grand adepte de la scientologie [clic]. 
Quel grand écart entre l'homme et l'artiste ! 


Pour celles et ceux qui aiment les tragédies sudistes.
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