dimanche 31 mars 2024

Avant la nuit (Maria Malagardis)


[...] Malgré les alertes, l’inertie restait de mise.

L'auteure, le livre (288 pages, avril 2024) :

Maria Malagardis est une journaliste qui a couvert l'Afrique pour plusieurs médias et notamment le conflit du Rwanda. Elle a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet.
Voici l'un d'eux, un roman : Avant la nuit.

Le contexte :

Evidemment, pas question de faire l'impasse sur le rappel du contexte de cette histoire.
Le Rwanda est le théâtre de conflits dits "ethniques" entre Tutsis et Hutus depuis des années, conflits attisés par les colons belges puis par le gouvernement français : pogroms meurtriers et exils forcés se succèdent depuis les années 50.
Le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais est abattu en vol (un attentat jamais élucidé).
Dans le même temps, les troupes du FPR (Front patriotique Tutsi) marchent sur Kigali depuis l'Ouganda avec le soutien discret des britanniques tandis que la fameuse Radio des mille collines appelle au massacre des Tutsis. Dans leur grande sagesse, l'ONU, les belges et les français se désengagent.

On aime un peu :

 Le plus intéressant reste sans nul doute l'image de ces casques bleus perdus au cœur d'un conflit qui les dépasse. Leur hiérarchie s'est désengagée depuis longtemps et le commandement ne sait que faire des quelques contingents qui ont été envoyés là-bas, n'attendant qu'un prétexte pour les rapatrier.
Pendant ces pages tristement instructives, le lecteur partage le quotidien de ces expatriés, entre inertie bureaucratique et impuissance politique, complètement démunis face au rouleau compresseur de l'Histoire post-coloniale.
 Mais le grincheux trouvera sans doute le récit un peu brouillon, avec une intrigue peu consistante qui ne sait pas trop sur quels personnages se fixer.
Un peu comme si la journaliste avait trop longtemps hésité entre reportage factuel et romance littéraire.
Mais on pourra aussi se dire que c'est pour mieux retranscrire l'ambiance confuse qui régnait au Rwanda à la veille du massacre. 
[...] Sur le papier, le pays où il avait atterri venait de mettre un terme à trois ans de guerre. Les Casques bleus devaient assurer l’application des accords de paix et accompagner une nouvelle ère consacrant le partage du pouvoir. Avec l’opposition et les forces rebelles, qui campaient au nord du pays.
[...] Malgré les alertes, l’inertie restait de mise. Après tout, des accords de paix, arrachés au régime en place, n’avaient-ils pas récemment été signés ?
[...] C’était un monstrueux bain de sang qui se préparait, en marge des négociations pour les accords de paix. Il ne visait pas uniquement les rebelles, mais aussi leurs supposés « complices », et tous ceux qui appartenaient à l’ethnie minoritaire.
[...] Les Français se cachaient derrière cet homme. Ils jouaient un rôle trouble dans cette période tendue. Le commandant de la force de l’ONU avait lui-même dénoncé ouvertement leur collusion avec l’armée locale.

Le pitch :

Maria Malagardis a choisi de nous immerger au Rwanda quelques jours avant que le massacre soit déclenché. 
Voici donc la chronique d'un génocide annoncé.
Elle nous invite à suivre les errements de quelques personnages perdus à l'approche de la tempête : des journalistes et leurs "fixeurs", quelques africains de telle et telle ethnie, et (le plus intéressant) quelques casques bleus.
Tout commence avec la découverte de corps d'enfants massacrés ...
[...] Les enfants se trouvaient là, devant eux. Le regard fixe tourné vers le ciel tourmenté. Six petits corps éparpillés sur l’herbe, comme des jouets brisés. [...] Voilà deux jours qu’ils les recherchaient, cinq fillettes et un garçon.
[...] Les enfants n’appartiennent pas à l’ethnie des rebelles. Et ça, tu l’as deviné, j’imagine . Qu’est-ce que tu crois ? La guerre a cessé, mais peut-être qu’elle continue en réalité.

Pour celles et ceux qui aiment les dessous de l'Histoire.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Talents

jeudi 28 mars 2024

Sable noir (Cristina Cassar Scalia)


[...] Le cadavre était celui de la prostituée la plus célèbre de Catane.

L'auteure, le livre (400 pages, mars 2024, 2018 en VO) :

Après avoir été ... ophtalmologiste (!) l'italienne Cristina Cassar Scalia est l'auteure d'une série policière avec la commissaire Giovanna Guarrasi dite Vanina pour les intimes, de la brigade criminelle de Catane en Sicile. Une série télé en a été adaptée.
Sable noir est le premier épisode de ce qui s'annonce comme une très bonne série.

♥ On aime beaucoup :

 On aime bien ces intrigues de série télé où le lecteur tente de se faire tout petit dans les couloirs du commissariat, dans les coulisses de l'enquête, essayant de s'intégrer discrètement à l'équipe de la commissaire Vanina Guarrasi. On tient là plusieurs personnages bien dessinés qui nous promettent une belle série policière.
 De sa prose tranquille, ironique et efficace, Cristina Cassar Scalia dissèque tout son petit monde catanais avec d'autant plus d'acuité que l'intrigue remonte aux années 50 ou 60, à une époque où les maisons closes n'avaient pas encore été fermées et où la mafia était encore toute puissante.
 Voilà un policier au dosage fort bien équilibré qui devrait plaire au plus grand nombre : des personnages savoureux et attachants du petit monde sicilien, un récit soigné et dynamique, teinté d'humour et d'autodérision, une intrigue solide qui fouille de manière passionnante dans le passé de l'île, quelques révélations au moment du dénouement, ... 

Le pitch :

Alors que l'Etna (la Muntagna) est une fois de plus en éruption, faisant pleuvoir son sable noir sur Catane et les alentours, voici que l'on découvre par hasard, dans une vieille demeure presque inhabitée, le cadavre d'une femme quasi momifiée dans un placard discret, sans doute enfermée là depuis les années 50 ou 60. 
La commissaire Vanina Guarrasi et son équipe mènent l'enquête.
[...] Quelque chose rendait la découverte de ce cadavre plus intéressante que tous les meurtres dont elle s’était occupée ces derniers temps. C’était peut-être le cadre « sinistre », comme avait dit Adriano, digne d’un film d’horreur.
[...] Le brouillard autour de cette affaire s’épaississait mot après mot, comme la tempête de sable volcanique qui s’abattait sur la ville et ne semblait pas près de finir.
[...] Son instinct lui dirait si le cadavre était celui de la prostituée la plus célèbre de Catane dans l’après-guerre.
[...] Quelque chose ne cadrait pas dans cette histoire, ça faisait plus de cinquante ans qu’il le sentait.
La découverte du cadavre de cette femme va conduire à interroger quelques vieillards, témoins rescapés de cette belle époque et à reconsidérer un autre meurtre qui avait déjà eu lieu dans ces lieux et dont le dossier avait été clos un peu trop rapidement : c'est devenu "l’affaire du double meurtre à la villa Burrano".

Pour celles et ceux qui aiment la Sicile et les pâtisseries.
D’autres avis sur Babelio et Bibliosurf.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions de L'Archipel.
Mon billet dans 20 Minutes.

mardi 26 mars 2024

L'horloger (Jérémie Claes)


[...] Cette nuit de réveillon ne lui dit rien qui vaille.

L'auteur, le livre (464 pages, février 2024) :

Le belge Jérémie Claes était jusqu'ici inconnu de nos services. Il a été appréhendé en février avec son premier thriller : L'horloger qui promet de faire voyager le lecteur de Bruxelles (en Belgique) à Neuquén (en Patagonie) en passant par Auschwitz (en 1942).
Avant de commettre ce premier crime, le susnommé Claes était un honnête caviste, amateur de cuisine conviviale et du soleil de Provence : c'est là, à Gourdon dans le village de sa grand-mère, qu'il situe son premier crime bouquin.
[...] La cuisine est rustique et vivante. Avec un évier de faïence ébréché, des placards de bois multicolores, d’innombrables pots d’épices et d’herbes, toute une batterie de cuivre suspendue à des crochets de laiton aux côtés d’un jambon ibérique appétissant et de saucissons faits maison, un antique frigidaire crème et surtout, un fourneau massif, six feux et deux fours, le genre d’outil qu’on devait trouver chez Bocuse ou la mère Brazier. On aime manger, on aime boire, tout le proclame.
Solane sirote son rouge avec componction, en bon épicurien.

On aime un peu :

 On s'amuse de voir mis en scène les puissants du moment, les Castaner, Macron et autres Trump. L'Amérique est même citée comme le pays des présidents barjots et Trump (celui de la saison 1, on est en 2018) est surnommé l'agent orange ! On sait bien que les locataires du pouvoir ne font que passer et que ce bouquin risque ainsi de se démoder bientôt, mais aujourd'hui c'est insolent et même si c'est un peu facile, ça fait du bien de sourire un peu de ce monde trop sérieux. 
 On aime bien le personnage de Bernard Solane, super-flic rangé des voitures de patrouille, un bon vivant épicurien sans doute un double de l'auteur, véritable héros du bouquin et prétexte à une prose pleine de gouaille ironique et insolente.
 On goûte les aimables descriptions de la douceur de vivre à la provençale selon Jérémie Claes qui y est visiblement chez lui, même si le "refuge" semble menacé de toutes parts par les miliciens suprémacistes assoiffés de vengeance plutôt que de bon vin.
 Le grincheux se dit même que notre ami belge aurait dû nous concocter une histoire plus simple dans ce cadre provençal où il se sent si bien, un polar plus classique qui ne serait pas emberlificoté dans un thriller complotiste aux relents de conspiration planétaire trop peu crédible pour être captivant.
[...] On mange royalement autour de la grande table, et des fourneaux se dégagent souvent des odeurs affolantes. Cyril finit invariablement par s’asseoir au piano, il joue une heure, les autres écoutent les yeux mi-clos en souriant et font balancer leur tête sur le swing irrésistible du be-bop. Pierre enfin va se coucher et les trois adultes discutent et rigolent ensuite sur la terrasse jusque tard dans la nuit, en finissant le rouge ou en sirotant un whisky ou un vin d’orange. La vie est douce et s’égrène tranquillement.
L’orage, cependant, ne se calme pas.

Le pitch :

L'universitaire américain Jacob Dreyfus a obtenu le Pulitzer pour une opération d'infiltration "sous couverture" au cœur des milices suprémacistes étasuniennes. Un reportage qui fit tomber quelques têtes dont celle d'un puissant sénateur.
[...] Qu’as-tu fait, Jacob ? Qu’as-tu déclenché ? Pourquoi a-t-il fallu que tu t’attaques à ces fous ? Regarde ce que ton obstination a créé, quel monstre elle a engendré ?
[...] Que croyait-il ? Qu’il allait pouvoir mener sa croisade sans répercussions pour ses proches ?
Menacé de toutes parts, pris en charge par le programme WITSEC, Jacob a depuis été mis au vert ... chez nous en Provence où, sous une nouvelle identité (Jacob est devenu Cyril) il coule des jours presque paisibles avec son jeune fils, entouré de quelques nouveaux amis comme son garde du corps, Solane.
[...] Tu échoues dans le 06 à protéger un Amerloque en exil.
[...] Son boulot, c’était de veiller.
Et pour veiller, dans l’histoire récente, y a pas mieux que Solane. Avant Cyril, il a été l’ange gardien de deux présidents, de cinq ministres, d’une flopée de cols blancs paranos et même d’une star de cinoche espagnole. Inutile de préciser que sa réaffectation sur la Côte d’Azur, il l’a vue comme une occasion de se dorer la pilule au soleil.
[...] Solane porte son SIG-Sauer SP 2022 dans son holster, sous sa veste, c’est son tranquillisant à lui, il ne se soigne pas par les plantes.
Mais cette année-là, le 31 décembre à minuit tapant, au douzième coup de l'horloge, tous les proches de Jacob/Cyril sont mystérieusement assassinés, ceux restés aux US mais aussi son petit garçon en Provence.
[...] Il y a un je-ne-sais-quoi dans l’air de cette nuit de réveillon qui ne lui dit rien qui vaille.
Dix années se sont peut-être écoulées depuis que Jacob/Cyril a mis son nez où il ne fallait pas mais visiblement ses ennemis rancuniers n'ont toujours pas assouvi leur soif de vengeance. L'affaire Dreyfus va réellement commencer, tic tac tic tac ...
Nous voilà partis pour des aventures littéralement incroyables et des péripéties rocambolesques dignes d'une BD avec super-méchants et super-héros.
[...] – Ça sonne comme une sacrée conspiration, j’ai l’impression d’être un fêlé de complotiste. Mais y a un truc qui me chiffonne.

Pour celles et ceux qui aiment les complots.
D’autres avis sur BabelioBibliosurf et 20 Minutes.
Livre lu grâce à 20 Minutes Books et aux éditions H. d'Ormesson.

samedi 23 mars 2024

Au nord de la frontière (Roger Jon Ellory)


[...] Vous m’avez vraiment concocté une histoire triste, pas vrai ?

L'auteur, le livre (496 pages, mars 2024, 2023 en VO) :

Ah! Retrouver Roger Jon Ellory s'annonce toujours comme un grand plaisir de lecture et Au nord de la frontière tient ses promesses. 
Cette frontière, c'est celle qui sépare le nord de la Géorgie des Appalaches, région de montagnards taiseux et sauvages (c'est la région de Délivrance) qui fait depuis longtemps le bonheur de nombreux romanciers US … et de leurs lecteurs.
Il n'est donc pas inutile de rappeler que R. J. Ellory n'est pas plus américain que vous et moi : c'est un pur  British de Birmingham ! 

♥ ♥ On aime beaucoup :

 On aime un romancier qui prend tout son temps pour installer son décor, son intrigue et ses personnages.
R. J. Ellory laisse mijoter tout cela à feu doux, la double enquête piétine et le lecteur a tout le loisir de faire ample connaissance avec les uns et avec les autres.
Aux deux tiers du bouquin, le lecteur fait déjà presque partie de la famille lorsque l'intrigue va se nouer, noire et serrée : la balade touristique dans les Appalaches se transforme alors en une redoutable nuit blanche pour terminer ce page-turner.
 Avec R. J. Ellory on sait qu'il faut s'attendre à une histoire d'une grande tristesse et d'une profonde noirceur. Fort heureusement quelques figures féminines lumineuses tentent d'éclairer un peu le sombre ciel de Géorgie : la patience bienveillante d'Eleanor, la femme du frère, ou les réparties redoutables de Barbara, l'assistante du bureau du shérif. 
 Et puis surtout l'obstination têtue de la petite Jenna, la nièce, archétype des personnages de R. J. Ellory dont la résilience leur permet d'échapper aux traumatismes que la vie leur a destinés. 
On la voit peu dans le livre mais ce pourrait bien être elle la véritable héroïne ici : les histoires d'Ellory sont à l'opposé des tragédies antiques peuplées de héros victimes de la fatalité.
 Mais on n'est pas au bout de nos surprises : R. J. Ellory emmènera ses personnages et son lecteur très loin, au-delà de la frontière. Une frontière qui ne sépare pas uniquement la Géorgie du Tennessee mais qui est aussi la frontière entre le bien et le mal, la frontière entre certaines lois et une certaine idée de la justice.
[...] – Bon sang, Victor, vous m’avez vraiment concocté une histoire triste, pas vrai ?
– Je suppose.
[...] Les répercussions vont être considérables. Ne vous attendez pas à mener une vie paisible dans un avenir proche. La presse va se ruer sur cette affaire . Il va falloir limiter les dégâts… Bon sang, je ne sais même pas à quoi comparer ça.

Le pitch :

Il y a Victor Landis, le shérif d'une petite ville du nord de la Géorgie où il cultive sa solitude comme d'autres les orchidées. Un taiseux sombre et solitaire qui s'est soigneusement coupé du monde.
[...] Les événements récents avaient souligné à quel point il était isolé. Pas de parents, pas de femme, pas d’enfants, et désormais pas de frère.
[...] La solitude était une façade qu’il arborait – feignant l’indépendance ou une autosuffisance résolue –tout en se persuadant que c’était le monde qui était responsable. Mais c’était un ramassis de conneries. Il avait fabriqué ça tout seul.
Il y a le frère, Franck Landis, avec qui Victor est définitivement brouillé depuis des années.
Franck est shérif lui aussi et vit au nord, de l'autre côté, au Tennessee.
Enfin, il vivait car il vient de se faire écraser. 
Et comme on lui a roulé dessus à plusieurs reprises, on peut dire que ça ne ressemble pas à un accident.
[...] Frank ne lui avait pas manqué pendant toutes ces années, et maintenant qu’il était mort il n’y avait aucune raison qu’il en aille autrement. Deux heures de route les avaient séparés, mais il aurait tout aussi bien pu se trouver à l’autre bout du monde.
[...] Frank et Victor Landis descendaient d’une lignée de personnes dures et laconiques. Leurs ancêtres se méfiaient des mots qui excédaient trois syllabes.
[...] Sale affaire. C’était un type bien, un bon shérif. 
– Une idée de qui il aurait pu se mettre à dos ? demanda Landis. Il est clair que quelqu’un le voulait mort une bonne fois pour toutes.
Avec qui fricotait Franck pour qu'on veuille l'écrabouiller avec une telle application ?
Mais Victor n'est guère motivé pour enquêter sur la mort de son frère haï : il est surchargé de boulot avec des cadavres de jeunes filles qui refont surface dans la région. 
[...] – J’aurais cru que vous aviez assez à faire sans ces trois ados mortes sur les bras.
– Peut-être que je ne veux pas découvrir la vérité sur Frank. Mon instinct me dit que ça ne va pas être joli, et je ne veux pas avoir raison.
– L’intuition, c’est pas des faits, Victor.
– Je le sais, George.
– Il me semble que le fardeau de ne pas savoir serait plus lourd.
– Oui, acquiesça Landis. Je suppose. »
[...] Des rumeurs, des déductions, une personne qui disait une chose, une autre qui en disait une autre , tout cela donnait une montagne de rien, et pourtant il en sentait le poids sur ses épaules. Quelqu’un connaissait la vérité sur son frère. Quelqu’un savait ce qui était arrivé à ces trois filles. Des gens avaient la réponse à toutes ces questions, et il devait les trouver.
Quel lien peut-il bien y avoir entre ces deux histoires où l'on croise trop souvent ces deux affreux jojos, les frères Russell ?
[...] – Vous voulez un conseil ? Quitte à en tuer un, autant les tuer tous les deux. Et tuez-les deux fois, juste histoire d’être sûr. »

Pour celles et ceux qui aiment les shérifs.
D’autres avis sur Babelio et Bibliosurf.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Sonatine.
Mon billet dans 20 Minutes.
À noter que Fabrice Pointeau, le traducteur attitré de R.J. Ellory, vient tout juste de décéder un peu trop tôt ...

vendredi 15 mars 2024

L'année de la sauterelle (Terry Hayes)


[...] Leur heure est peut-être venue.

L'auteur, le livre (400 pages, mars 2024, 2023 en VO) :

Terry Hayes est un scénariste qui a travaillé sur la série des Mad Max et qui partage sa vie entre Grande Bretagne et Australie.

On a découvert il y a peu son premier thriller : Je suis Pilgrim.
Voici un nouvel épisode, son troisième roman et le second traduit en français : L'année de la sauterelle.
Car chacun sait que les sauterelles ou les criquets (The year of the locust en VO) se développent et croissent sans bruit durant plusieurs années avant que leurs nuées s'envolent et s'abattent sur le pauvre monde. Ainsi, Terry Hayes nous invite à assister à l'essor d'une nuée de djihadistes qui se préparaient dans les montagnes reculées d'Afghanistan : l'année de la sauterelle est annoncée pour très bientôt. L'occident peut trembler.
[...] «  Une sauterelle, dis-je. —  Pendant des années, il n’y a rien, expliqua Falcon, puis c’est l’invasion, on ne peut plus les arrêter, elles détruisent tout sur leur passage. Peut-être est-ce le moment. Leur heure est peut-être venue.  »
[...] Dans le monde du renseignement, il existe un nom réservé à ces actes terroristes de grande ampleur, et la station de Kaboul était convaincue qu’un autre Feu d’artifice était en préparation.
[...] La CIA avait découvert que l’un des plus grands terroristes au monde était ressuscité d’entre les morts et qu’elle l’avait plus ou moins localisé.

On aime bien la première moitié :

 On aime bien l'écriture très pro, fluide et bien rythmée, de cet auteur qui arrive un peu sur le tard dans le monde très convenu du thriller d'espionnage mais qui réussit à tirer habilement sa plume du jeu. 
Ses bouquins ne révolutionnent pas le genre mais on est bon public et on veut bien encore et toujours, embarquer aux côtés du super héros très fort et très malin qui va sauver les États-Unis (et le reste du monde avec, ouf) des griffes des méchants terroristes islamistes. 
Tout cela avec une bonne dose de clichés éculés, un peu de technologie branchée, un peu d'humour désabusé, un savant mélange de testostérone et d'adrénaline, en somme rien de bien nouveau sous le soleil de Kaboul mais encore faut-il savoir doser ces ingrédients avec soin et un peu de brio si possible. Tout comme son super-héros, Terry Hayes fait le job et il le fait bien.
 On savoure le plaisir de se laisser promener au fil des longues digressions de cet auteur, c'est un peu sa marque de fabrique. Un personnage nous raconte telle anecdote périlleuse, un autre se souvient de telle mission au Moyen-Orient ou de telle aventure au Vietnam, puis on va nous détailler longuement et inutilement telle escale d'avion à Ryad ou tel campement dans les montagnes, ... laissant l'intrigue principale se dérouler peu à peu en arrière-plan, lentement au fil des pages.
C'est ce qui fait d'ailleurs tout le charme de ces gros pavés quand le lecteur se laisse ainsi balader car nullement pressé d'arriver au terme d'un long voyage de 400 pages.
 On s'étonnera sans doute à mi-parcours du culot de Terry Hayes qui se lâche un peu et qui sort de son chapeau une péripétie vraiment too much et d'un genre plutôt surprenant ici. On ne peut rien en dire sans divulgâcher évidemment mais ce tour prendra assurément le lecteur à contre-pied : attention, une sauterelle peut en cacher une autre !
Mais restons bon public et faisons confiance à cet auteur inventif et scénariste exubérant, pour trouver le moyen de retomber sur ses pattes.

Le pitch :

Un agent doit pénétrer en Afghanistan pour exfiltrer un informateur susceptible de renseigner la CIA sur un dangereux terroriste que tout le monde croyait mort mais qui serait en train de préparer rien moins qu'un terrible attentat, un feu d'artifice façon 11 septembre.
[...] —  Imagine une fuite –  un terroriste revenu d’entre les morts, un Feu d’artifice programmé pour Thanksgiving, la majeure partie du monde occidental comme cible potentielle et pas la moindre idée sur la façon dont cela pourrait se produire… La panique à elle seule risquerait de nous anéantir en vingt-quatre heures.  »
[...] Tout commença par une mauvaise nuit, la pire de toute la mission, et cela empira rapidement.
[...] —  Je ne suis pas surpris, commentai-je à voix basse. Pour lui, comme pour l’Agence, c’était un échec. La mission SAUTERELLE était terminée, et le Feu d’artifice restait d’actualité.  »
Bien entendu, l'exfiltration va partir en vrille de manière ni très propre, ni très cool, bref c'est la cata, surtout pour l'informateur et même pour notre héros.
Mais nous ne sommes qu'au tout début du bouquin et le lecteur peut donc se pelotonner plus confortablement dans son fauteuil pour anticiper le plaisir d'encore quelques heures de cinoche sur grand écran en imax et technicolor.

Pour celles et ceux qui aiment les héros invincibles.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions JC. Lattes.
Mon billet dans le journal 20 Minutes.

mardi 5 mars 2024

Le ciel t'attend (Grégor Péan)


[...] Il veut envoyer une boule dans l’espace.

L'auteur, le livre (208 pages, janvier 2024) :

Qui est donc ce Grégor Péan qui tantôt se faisait appeler Jean Grégor ?
Ah, le fils du grand journaliste et écrivain Pierre Péan ! ouais, pas facile de se faire un "nom".
Enfin, c'est donc chose faite avec ce bouquin, Le ciel t'attend, que l'on retrouve un peu partout en ce moment (même si Grégor avait déjà une douzaine de titres à son actif).
Faut dire que ce Grégor n'y va pas avec le dos de la main morte : il va nous conter rien de moins que l'histoire, que dis-je l'Histoire, de Gagarine, le premier homme à quitter le plancher des vaches, le "premier individu de l’histoire de l’humanité à voler en orbite jusqu’à une altitude de trois cent quatre-vingts kilomètres." !
Une histoire que je ne pouvais assurément pas laisser passer, moi qui suis arrivé sur cette terre peu de temps avant que Youri ne la quitte pour me regarder de haut (Grégor, lui, n'arrivera qu'un peu plus tard !).

♥ On aime bien :

On affectionne tout particulièrement ce genre de récit qui nous emporte avec enthousiasme dans le vent tumultueux de l'Histoire, porté par des destins hors du commun. Comme les récits à la Echenoz par exemple.
Ah, on se doute un peu que la dure réalité fut un peu plus sombre et chaotique, un peu moins romanesque mais qu'importe après tout parce qu'on est venu là pour s'instruire, un peu, et se divertir, beaucoup.
❤️ Et il faut reconnaitre qu'on est conquis par le rythme d'enfer auquel Grégor mène son Histoire, le rythme des tambours de la guerre froide, celui de la course effrénée à l'espace et l'on croit voir défiler les actualités de l'époque sur le grand écran du cinéma.
Dans ce petit bouquin qui se lit très vite, au risque de nous frustrer sur certains aspects de l'aventure (la technologie, l'entrainement des cosmonautes, les échecs et difficultés, l'intimité de Gagarine, ...), Grégor se laisse emporter par son art consommé du portrait rapide, cet art de la caricature croqué en quelques coups de crayon sur la place du Tertre à Montmartre.
D'un trait il nous dessine la trajectoire du camarade Youri.
[...] Nikita Khrouchtchev affiche un sourire non feint. Il semble soulagé, et en effet ça n’a pas toujours été rose pour lui. Il fait moins peur que Staline, c’est là sa grande qualité.
[...] Lavrenti Beria, figure éminemment sombre. Il fut le chef de la police secrète sous Staline. Un Géorgien sadique, petit, chauve, malingre avec des lunettes métalliques, une sorte de Himmler du bloc soviétique.
[...] Korolev, au physique de prof de gym, le genre à engueuler ses gars pendant la mi-temps et à leur taper dans le dos à l’issue du match.

Le pitch :

C'est un personnage de fiction qui va nous guider dans cette aventure : une certaine Marina Socovna, éminence grise du Kremlin, chargée d'insuffler de la "communication positive" (! une méthode de marketing apprise aux US qu'elle a visités comme espionne !) dans un monde soviétique terrorisé par les années Staline. Cela va nous donner quelques épisodes bien savoureux.
[...] — Salut, camarade Norodov, dites-moi, vous souvenez-vous de Korolev ? 
— Oui, bien sûr. 
— Eh bien, j’aimerais que vous jetiez un œil au courrier qu’il vient de m’adresser. Il veut envoyer une boule dans l’espace. 
— Une boule ? 
— Oui, une boule, qu’il appelle “satellite” parce que ça tournerait autour de la Terre. J’aimerais avoir votre avis. 
[...] Nikita autorisa l’envoi de la boule dans les airs. Très honnêtement, Nikita n’y croyait pas une seconde. Il pensa même que c’était du grand n’importe quoi. Pourtant, l’envoi du premier satellite par l’homme fut un des événements majeurs du XXe siècle. Nikita Khrouchtchev avait appuyé sur le bouton presque par inadvertance, et il en découlerait un feu d’artifice de fierté nationale qui durerait des années. Spoutnik fut le déclenchement de tout.
Le décor est posé, il ne nous reste qu'à suivre l'aventure épique de l'homme qui, coincé dans sa "boule", une petite boîte de conserve en ferraille, emmena avec lui toute l'humanité dans l'espace, le 12 avril 1961.
La redescente fut moins homérique. Youri commença ses tournées mondiales, ambassadeur et VRP du socialisme que le monde entier voulait toucher ou embrasser. À son grand désespoir, il ne pouvait plus voler : il était devenu beaucoup trop précieux pour qu'on prenne le risque de l’abîmer et la fin de cette trop belle histoire aura un goût un peu amer.

Pour celles et ceux qui aiment s'envoyer en l'air.
D’autres avis sur Babelio.
Mon billet dans 20 Minutes.

lundi 4 mars 2024

Les voisins d'à côté (Linwood Barclay)


[...] Les choses finissent toujours par vous rattraper.

L'auteur, le livre (444 pages, 2010, 2008 en VO) :

Après avoir été bluffé par le style et la construction de Disparue à cette adresse, on s'était promis de revenir chez le canadien Linwood Barclay.
Le revoici donc avec un roman beaucoup plus ancien : Les voisins d'à côté.

On aime :

❤️ Dès les premières pages, on goûte le plaisir d'être installé dans son meilleur fauteuil pour passer un très bon moment, même si on comprend vite qu'avec un tel page-turner qu'on ne saura pas reposer avant la toute fin, la nuit s'annonce bien longue !
❤️ Même si le bouquin date de plus de quinze ans et n'a pas toute la force de Disparue à cette adresse, on sent bien que Linwood Barclay est déjà un "pro" quand il s'agit d'écrire ce type de romans à énigme.

Le pitch :

Ça commence très fort quand dans la petite ville de Promise Falls, typique de la côte Est des US, les voisins sans histoire de Ellen et Jim Cutter sont assassinés.
[...] La nuit où nos voisins, les Langley, ont été assassinés, nous n’avons rien entendu.
[...] En vérité, je n’avais jamais rien vu de pareil. Pas une famille entière. Pas comme ça. Pas à Promise Falls. 
— C’est l’Amérique, soupira Ellen en glissant le pain dans la poêle fumante. Cela peut arriver n’importe où.
Ce soir-là, le fils ado d'Ellen et Jim rodait bêtement autour de la maison des voisins et se retrouve inculpé.
Mais dès le début on devine, on sait, que Linwood Barclay nous cache une bonne partie de l'histoire, ne nous dit pas tout sur le passé des uns et des autres et garde tout un jeu de cartes dans sa manche.
Il se paie même le luxe d'une petite intrigue littéraire (cela doit faire partie des cours d'écriture aux US !) avec l'usurpation d'un manuscrit, un plagiat qui aurait permis au pilleur de vendre un best-seller.
[...] Je n’arrive pas à croire que ce bouquin soit devenu un best-seller.
[...] Sincèrement, les écrivains sont souvent sympa, mais tellement collants. Toujours en quête d’approbation.
[...] — Vous le méprisez réellement, n’est-ce pas ? reprit-elle. Vous pensez que c’est un imposteur ? 
Je réfléchis tout en me garant le long du trottoir. 
— Je pense qu’il est plus qu’un imposteur, répondis-je. Je pense que c’est un assassin.
[...] Les choses finissent toujours par vous rattraper.
Mais il faudra attendre la toute fin, au cœur de la nuit blanche, pour que les derniers masques tombent enfin.

Pour celles et ceux qui aiment les tours de passe-passe.
D’autres avis sur Babelio.

dimanche 3 mars 2024

Retour de flamme (Liam McIlvanney)


[...] Quelqu’un voulait que cet homme souffre.

L'auteur, le livre (592 pages, mars 2024, 2022 en VO) :

On ne connaissait pas encore Liam McIlvanney, un écossais qui vit en NZ.
Mais on connaissait déjà son traducteur : David Fauquemberg, l'auteur de Bluff, roman lu en 2019 (qui se passait non loin de la NZ justement), auquel on avait décerné un de ces coups de cœur dont nous sommes un peu avare.
Bref, nous voici partis pour ce Retour de flamme, qui passe à un cheveu du coup de cœur.
On vous conseille quand même de commencer par l'enquête précédente, Le Quaker (malheureusement pas lu ici), auquel il est fréquemment fait référence dans ce second épisode.

On aime beaucoup :

❤️ On retrouve chez McIlvanney tous les thèmes chers à son compatriote Ian Rankin au point de se demander si ce ne serait pas leur région, cette fameuse Strathclyde entre Edimbourg (le fief de Rankin) et Glasgow (celui de McIlvanney), qui les inspire tous deux : compromissions policières, mafieuses, politiciennes ou affairistes, guerre des gangs, ...
❤️ On apprécie l'intrigue à tiroirs, riche et complexe, construite peu à peu par McIlvanney qui possède parfaitement l'art de dessiner des personnages aux histoires sombres et denses, les bons comme les méchants. Tout cela nous emportera bientôt dans un long et superbe dénouement, quand tous les fils seront peu à peu dénoués, quand une justice presque divine sera rendue dans ce pays tiraillé entre deux églises.
[...] Avant même ses trois ou quatre ans, Chisholm avait été capable de deviner, au bruit de la clé dans la serrure, le degré d’ivresse exact de son père et combien lui-même devait avoir peur.

Le pitch :

Comme chez Rankin avec le tandem Rebus/Siobhan, nous voici avec un duo de flics : Duncan McCormack et une jeune collègue Liz Nicol.
McIlvanney y ajoute une touche toute personnelle puisque son enquêteur fétiche ... est gay. Mais nous ne sommes qu'en 1975 et ce n'est pas franchement dans l'air du temps.
D'autant que McCormack n'est plus trop bien vu de ses collègues après avoir dénoncé la corruption d'un grand chef à plumes ... Ça non plus ça ne se fait pas, à Glasgow, en 1975.
[...] McCormack est devenu célèbre pour avoir démasqué la trahison d’un haut gradé, mais ses collègues n’ont pas apprécié.
[...] Tous les autres savaient ce qu’il était : un type qui dénonçait ses collègues policiers. Qui lavait leur linge sale en public. Un mouchard. Une balance.
Ça démarre avec l'incendie d'un entrepôt qui fait quelques malheureuses victimes collatérales, et la découverte un peu plus loin d'un cadavre salement amoché et torturé.
[...] –  Ça n’a pas été une mort facile, inspecteur. Quelqu’un voulait que cet homme souffre. Et il a souffert, aucun doute là-dessus.
[...] On l’avait torturé avant de l’assassiner et de le balancer dans cette décharge. Le degré de préméditation et de planification suggérait que le tueur avait déjà fait ça. Ou allait le refaire.
Tout cela sent le règlement de comptes entre gangs, sauf que McCormack et son équipe, qui n'entendent pas se contenter des porte-flingues, ont bien du mal à coincer les chefs de bande, les caïds de Glasgow.
Quand une bombe explose devant le pub de l'un des gangs, certains invoquent même les fantômes de l'IRA.
Mais nous sommes en Ecosse, dans le Strathclyde, à Glasgow et les choses vont donc s'avérer bien plus complexes. L'intrigue bâtie par McIlvanney est particulièrement riche, matière d'un sacré bouquin, très noir.
[...] –  C’est Glasgow, répliqua McCormack. On n’est pas trop du genre à réconforter. 

Pour celles et ceux qui aiment les whiskies écossais.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Métailié (SP).
Mon billet dans 20 Minutes.

samedi 2 mars 2024

Les dames de guerre : Saïgon (Laurent Guillaume)


[...] On est à Saïgon, jeune fille. La ville des espions.

L'auteur, le livre (496 pages, février 2024) :

On avait déjà croisé Laurent Guillaume avec deux polars, l'un très parisien (c'était Mako), l'autre très province (c'était Là où vivent les loups). Deux bouquins que l'on avait déjà bien appréciés.
Avec Les dames de guerre : Saïgon, nous partons cette fois à l'étranger, dans l'Indochine des années 50 avec un hommage au célèbre bouquin de Graham Green (Un américain bien tranquille) ou peut-être une sorte de clin d'œil français et romancé à un autre bouquin, celui de William Boyd qui nous contait Les vies multiples d'Amory Clay, une autre photographe.
Ce sera notre second coup de cœur de l'année pour une histoire romancée captivante au cœur d'une grande Histoire passionnante.
Laurent Guillaume nous livre un sympathique roman d'aventures et un joli portrait de dame. Espérons que cet épisode marque le début d'une belle série.
[...] C’est ce que j’ai essayé de faire dans Les Dames de guerre : Saïgon – raconter certes l’histoire de l’opération X, qui a réellement existé et qui était destinée à financer la contre-insurrection en Indochine, mais surtout une histoire romanesque de femmes et d’hommes pris dans les remous de la guerre froide et de la décolonisation.

On aime vraiment beaucoup :

❤️ Tout au fond de la salle de rédaction du magazine Life, le lecteur ne peut que lever la main quand il s'agit d'accompagner Elisabeth Cole, une américaine bien tranquille, journaliste mondaine new-yorkaise pour Life, à qui l'on demande d'aller jouer au Tintin reporter dans l'Indochine des années 50.
Un lecteur qui ne regrettera pas son coup de tête quand la jolie journaliste montera dans l'avion des commandos français pour les montagnes à la frontière du Laos où se cultive l'opium qui finance la guerre coloniale de la France : la jeune femme frivole va sortir de sa chrysalide, troquer robe et escarpins pour rangers et treillis et va se montrer une redoutable enquêtrice pleine de charme.
[...] On est à Saïgon, jeune fille. La ville des espions, en seconde position juste derrière Berlin.
[...] Elle s’était regardée dans un miroir du hall. Elle avait failli ne pas reconnaître son reflet, celui d’une jeune femme au visage dur et fatigué, sans maquillage, les cheveux noués en queue-de-cheval, vêtue d’un battledress, d’un blouson trop grand et d’une paire de brodequins crottée. Le contraste avec les femmes à l’élégance apprêtée qui entraient dans le restaurant du Métropole aux bras de messieurs en costume ou en smoking était saisissant.
[...] Dao la regarda avec une admiration qu’il ne tentait plus de dissimuler. 
— Si vraiment vous n’êtes pas un agent de la CIA, ils feraient bien de vous recruter.
❤️ On s'attache bien vite aux personnages choisis avec soin par l'auteur : des espions chinois redoutables, des commandos français borderline, des corses mafieux pas trop clean, des agents de la CIA au double jeu, ... 
Chacun d'eux tente de s'accommoder de son mieux des contradictions d'un pays en guerre (une sale guerre) et d'enjeux géopolitiques qui les dépassent (nous ne sommes qu'à quelques semaines de Điện Biên Phủ et les américains piaffent d'impatience en attendant que les français leur laissent le terrain).
[...] — On est loin des grands discours. À la guerre, tout le monde ment. Tout le monde se parjure.
[...] — Je ne dis pas qu’il y a un camp du bien et un camp du mal, non, certainement pas. Je dis que le plus souvent il y a un camp du mal et un camp du moindre mal.
— Et vous pensez que nous autres Occidentaux sommes le moindre mal ?
[...] — Quelle horreur, murmura Elizabeth. 
— Oui, c’est une sale guerre, mais je n’en connais pas de propre, dit le Français. 
[...] Vous pensez donc vraiment que vous allez perdre cette guerre ? Bremond haussa les épaules.
— Je vous l’ai dit l’autre soir au mess : elle est déjà perdue.
❤️ On apprécie que l'auteur ait pris soin de dessiner des personnages qui rappellent leurs modèles de la vraie vie : Graham Fowler est un "américain bien tranquille" (le Thomas Fowler de Graham Green), Robert Kovacs est un clone de Capa (qui travaillait effectivement pour Life et qui a effectivement sauté sur une mine dans cette région en 1954), etc. La postface de l'auteur est à ce titre très intéressante.
❤️ On s'intéresse beaucoup à cet épisode de la guerre française d'Indochine (l'opération X) où le trafic d'opium alimente la fameuse French connection et préfigure ce que seront désormais les dessous des conflits coloniaux (pavot afghan, narcos sud-américains, ...).
[...] Un guerrier Méo, un tasseng, s’avança cérémonieusement vers Bremond, portant un panier tressé qu’il déposa devant l’officier en guise d’offrande. Bremond l’ouvrit, regarda ce qui s’y trouvait et marqua une pause très brève. Il referma le panier et remercia le tasseng. Lorsque le notable fut parti, Elizabeth, que la curiosité dévorait, lui demanda : 
— Qu’y a-t-il dans ce panier ? 
— Les oreilles de Viets.

Le pitch :

1953 Indochine. Le photographe reporter de guerre de Life, Robert Kovacs, saute sur une mine. Il accompagnait une expédition secrète des commandos français dans les territoires du nord, quelque part entre Chine, Vietnam et Laos : les montagnes des tribus Hmong que les français (et plus tard les américains) armaient contre les Viet.
À New York, les candidats remplaçants ne se bousculent pas pour connaître le même sort et, contre toute attente, c'est une jeune femme Elisabeth Cole qui part en Asie pour le magazine.
[...] - Vous partez en Indochine comme reporter de guerre pour Life. C’est bien ce que vous vouliez ?
[...] Un hurlement de rire lui répondit. Les reporters qui, quelques instants auparavant, baissaient les yeux, honteux, riaient de cette donzelle manucurée et pomponnée sur un théâtre de guerre. Pour qui se prenait-elle, cette mannequin tout droit sortie de la Cinquième Avenue pour leur assener son caprice puéril, et devant le patron en plus ?
Laurent Guillaume boucle ces préliminaires rapidement et il ne faut que quelques dizaines de pages à Elizabeth pour boucler ses valises, quitter les mondanités frivoles de New York et s'envoler pour Saïgon. 
Mais que cherchait réellement Kovacs chez les commandos français ? Et pourquoi ces derniers ont-ils fait croire qu'il était mort loin des montagnes et de la frontière ?
VietMinhs, Méos, Qingbao chinois, CIA et SIS, SDECE, secte Caodaï, ... les services secrets et les mercenaires s'agitent en Indochine comme les crabes dans leur panier !
Des crabes inquiets de l'arrivée de cette "américaine bien tranquille" qui s'intéresse de beaucoup trop près à la mort de son collègue.
[...] — Eh bien voilà un récit incroyable qui mériterait d’être raconté dans un roman de gare, dit-il avec un large sourire.

Pour celles et ceux qui aiment les espionnes et les photographes.
D’autres avis sur Babelio.
Mon billet dans le journal 20 Minutes.