dimanche 19 avril 2020

L'attaque du Calcultta-Darjeeling (Abir Mukherjee)

[...] Qu’est-ce que je fais là, dans ce pays ?

On est habituellement pas trop fan des polars ‘historiques’ mais on n’a pas regretté l’exception faite pour ce polar (premier d’une série) de Abir Mukherjee : L’attaque du Calcutta-Darjeeling
D’abord parce que si Mukherjee nous emmène loin en Inde à Calcutta, il ne remonte pas très loin dans le temps : 1919, la Grande Guerre vient juste de se terminer, pas mal de britanniques essayent de se refaire une vie (et une bonne fortune) dans les colonies d’un Empire pourtant déjà à l’agonie.
♥ Ensuite parce que l’auteur n’est pas tout à fait ordinaire : c’est un écossais (d’origine indienne bien sûr) et il profite de son bouquin pour nous détailler la fin de l’Empire indien en égratignant généreusement ses concitoyens ‘anglais’ à l’arrogance typique des colons.
Son regard caustique, acerbe, presque cynique sur le racisme des britanniques et plus généralement l’Inde politique et sociale de cette époque est tout simplement passionnant.
[...] On trouve une arrogance particulière chez l’Anglais de Calcutta qui n’existe pas dans beaucoup d’autres postes avancés de l’Empire. Elle vient peut-être de la familiarité. Après tout, les Anglais sont au Bengale depuis cent cinquante ans et semblent considérer les indigènes, notamment les Bengalis, comme assez méprisables.
[...] En Inde, on dirait que même la loi et l’ordre sont subordonnés à la dure réalité de la race.
Le cas des métis anglo-indien (les tchee-tchee) est également évoqué de même que de curieux parallèles avec la situation irlandaise des îles britanniques.
Côté histoire policière, Wyndham, un ancien de Scotland Yard, vient d’arriver dans une Calcutta trop chaude et trop humide. Sa vie a été ravagée par la Guerre, il est devenu opiomane.
[...] Qu’est-ce que je fais là, dans ce pays où les indigènes vous méprisent, où le climat vous rend fou et où l’eau peut vous tuer ? 
Accompagné d’un sergent indien (habile personnage) il va lui falloir démêler le meurtre d’un haut fonctionnaire britannique retrouvé égorgé dans une sombre ruelle aux portes d’un bordel et l’attaque du train où rien n’a été volé et personne n’a été blessé.
[...] C’est pourquoi l’assassinat de MacAuley a fait tant de bruit. C’est une attaque sur deux niveaux. D’abord elle nous montre que certains Indiens au moins ne se considèrent plus comme inférieurs, au point de réussir à assassiner un membre aussi en vue de la classe dominante, et ensuite parce qu’elle détruit la fiction de notre supériorité. 
Ces deux affaires sont-elles liées, s’agit-il de crimes crapuleux ou d’attaques terroristes à l’heure où le mouvement pour l’indépendance prend de l’ampleur ?
Cette lente enquête (il faudra attendre les dernières pages pour avoir le fin mot des deux ou trois histoires que l’on croise) est l’occasion d’une immersion instructive dans l’Inde de cette époque.
Le livre se termine au moment du massacre d’Amritsar (dans une autre région, le Pendjab) dont l’Inde a commémoré le centenaire l’an passé.


Pour celles et ceux qui aiment l'Inde.
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mardi 14 avril 2020

J'ai fait comme elle a dit (Pascal Thiriet)

[...] On a fait comme elle avait dit.

Petit problème ? nous voici accros à l’écriture de Pascal Thiriet.
Après un coup de cœur pour le remarquable Sois gentil, tue-le, on repique quelques jours après seulement avec un précédent épisode : J’ai fait comme elle a dit.
[...] Elle a juste dit : — On se change, on va dîner, on lit les journaux et puis on parle.
On a fait comme elle avait dit. 
La recette était déjà bien au point : c’est l’histoire d’un mec un peu paumé, pas trop futé, qui se laisse mené par le bout du nez et de la q... par des jolies filles faciles et fatales.
Faciles, pas toujours, mais fatales, très souvent.
[...] — Tu l’aimes d’amour ? — Non. Enfin pas d’amour. Je lui suis dévoué je ne trouve que ça pour expliquer. Comme un chevalier à sa reine au Moyen Âge. Un peu son servant, un peu son amant, selon qu’elle veut l’un ou l’autre.
[...] Le tee-shirt était trop grand et elle avait l’air d’une gosse là-dedans. J’ai eu une espèce d’émotion en la regardant. 
Un loser ... dont le lecteur jalouse secrètement les aventures !
Le b.a.ba du roman noir en quelque sorte.
Pascal Thiriet joue au Donald Westlake français et il nous embarque cette fois dans une drôle d’échappée en Belgique et en Suissse dans les pas de nos héros pourchassés par d’affreux jojos. Humour noir.
[...] Voilà, on est de nouveau riches. On va se prendre un hôtel chic. Ici, pour se planquer on est mieux parmi les riches. Les pauvres sont tous turcs ou italiens et on les surveille pire que des virus.
[...] Ne t’en fais pas, ici le secret bancaire, ça existe encore.
— Ils n’ont pas été obligés de laisser tomber leur secret, les Suisses ?
— Officiellement oui, mais en secret ils continuent.
[...] Sur le tapis du salon il y avait les pieds de la vieille. Pas la vieille, juste ses pieds coupés au-dessus des chevilles.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires simples.
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samedi 11 avril 2020

Je suis Pilgrim (Terry Hayes)


[...] Il faut les écouter.

En ces temps confinés, rien de tel qu’un bon gros thriller d’un peu plus de 900 pages.
Terry Hayes tombe à pic avec son Je suis Pilgrim.
Et c’est d’autant plus d’actualité (ou presque) qu’il est ici question de bioterrorisme et d’épidémie (même si le coronavirus ne relève pas de la même guerre) !
[...] On l’avait baptisé Hiver Noir. C’était le nom d’une simulation de bioterrorisme conduite à la base Andrews de l’armée de l’air au printemps 2001. 
L’écriture est très pro comme bien souvent dans ce genre de thriller, fluide, rythmée, un brin d’humour désabusé, et l’on ne s’ennuie jamais au fil des digressions et des flash-back qui composent un récit très prenant.
[...] Lorsque des millions de gens, tout un système politique, d’innombrables citoyens qui croient en Dieu, disent qu’ils vont vous tuer. Il faut les écouter. 
L’agent Pilgrim (il n’a pas vraiment de nom, ou plutôt il en a tellement que cela ne veut plus rien dire), l’agent Pilgrim lui, a bien écouté les intégristes musulmans et il sait qu’ils iront jusqu’au bout. Ses talents d’enquêteur sauveront peut-être le monde occidental ?
[...] - Qui est-ce ? demanda-t-il.
- Il y a des années de cela, on l’appelait le Cavalier de la Bleue. Sans doute le meilleur agent de Renseignement qui ait jamais existé.
L’assistant sourit. - Je croyais que c’était vous ?
- Moi aussi, répondit Murmure, jusqu’à ce que je le rencontre. 
L’agent Pilgrim va donc mener son enquête en suivant les traces de l’insaisissable Sarrasin, d’Afghanistan en Allemagne en passant par le Liban et la Turquie.
Amère ironie, les autorités des États-Unis, nation riche et puissante, réagissent ici face à la menace comme on les a tant vu réagir dans tant de films et tant de bouquins.
Las, on sait désormais que dans la vraie vie, la réalité est vraiment vraiment tout autre et que nos nations riches et puissantes font piètre figure.

Pour celles et ceux qui aiment les pavés pour la plage.
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lundi 6 avril 2020

Sois gentil, tue-le (Pascal Thiriet)

[...] Il avait suffi d’une lettre, d’un mot de quatre lignes.

Oh ! Coup de cœur pour ce bouquin du soixante-huitard et touche-à-tout au pied marin Pascal Thiriet : Sois gentil, tue-le.
Son livre (ce n’est pas son premier, ça promet d’autres bons moments) n’est pas vraiment un polar, plutôt un roman noir où il sera question de mer et de pêche, d’îles et de ‘gens’, de sacrés personnages.
À commencer par son homonyme, Pascal, patron du fileyeur Mort à crédit (sacré nom pour un bateau de pêche !).
[...] — Le Mort à Crédit c’est un nom pas commun.
 Je voulais pas trop dire. J’ai juste répondu : — C’est un livre.
 — Un livre de bateau ?
 — Je sais pas, je l’ai jamais lu. 
Comme les autres marins de son île atlantique, Pascal est un taiseux, avare de ses mots.
 Lui, il a l’esprit un peu simple. Il est ‘gentil’ aurait dit ma grand-mère.
Jusqu’au jour où il reçoit cette lettre de son ex-amie : Sois gentil, tue-le. 
Pascal prend donc la route avec son fusil pour la rejoindre dans son autre île (l’auteur a des origines corses).
[...] Il avait suffi d’une lettre, d’un mot de quatre lignes et j’avais traversé le pays. 
Difficile d’en raconter plus parce que ce qui fait la puissance de ce petit bouquin (150 pages), c’est la force de l’écriture de Thiriet : une musique mélodique et rythmée qui fait que l’on tourne, tourne les pages, non pas pour découvrir le fin mot de l’histoire, non surtout pas, mais juste pour pas que la musique s’arrête.
Tout comme son héros taiseux, l’écrivain est avare de ses mots qu’il pèse avec soin avant de nous les livrer, juste pour dire ce qu’il faut, pas plus, pour aller à l’essentiel.
[...] Il a fait semblant de réfléchir. Mais je savais bien que c’était juste qu’il n’aimait pas raconter.
[...] Les estivants habitaient des villas sur la mer, là où on voulait surtout pas habiter, vu que la mer c’est là qu’on travaille et que c’est pas un travail facile. Et puis on avait tous un proche qu’elle avait rendu tout gonflé et couvert de vase, la mer. 
Les portraits brossés par l’artiste (des marines ?) dégoulinent d’humanité littéraire : le portrait de Pascal le Simple, et ceux des femmes qu’il aura côtoyées : deux ou trois bonnes amies, sa sœur et son amie, quelques gars aussi.
En prime, une petite excursion (pas de tout repos) vers les plateformes offshore abandonnées par lesquelles transitent des migrants vers l’eldorado européen : instructif.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires simples.
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dimanche 5 avril 2020

Juste parmi les hommes (François Dupaquier)

[...] Enfin dénoncer ces dérives de l’aide humanitaire.

Avec son premier roman, Juste parmi les hommes, François Dupaquier nous conte deux histoires qui vont s’entremêler, deux histoires tirées de son engagement personnel dans la vraie vie : l’une commence en 2011 quand le jeune Ali vit les premiers jours d’un printemps syrien que le régime de Bachar el-Assad va étouffer dans le sang.
Ce sera bientôt la bataille d’Alep.
En 2018, le même Ali est maintenant réfugié aux Etats-Unis et tombe sur une affaire de trafic de farine destinée à l’aide humanitaire USAid.
 Mais sans le savoir, il a visiblement dû mettre son nez où il ne fallait pas et le voilà pris en chasse par des mercenaires surentraînés qu’il ne fallait pas rouler dans la farine.
Dupaquier réussit une double prouesse, façon Le dessous des cartes.
Avec sa première histoire il nous raconte la guerre de Syrie au ras non pas des pâquerettes mais des décombres, des gravats, des kalash et des fuyards, mais tout en nous expliquant, l’air de rien, toute la géopolitique complexe de ce p... de pays. Remarquable de clarté.
[...] Elle qui a toujours refusé les armes, la militarisation de la contestation, se demande comment la Syrie a pu en arriver là. Comment ce combat pour la liberté a attiré des quatre coins de la planète ce que l’homme a de plus mauvais.
[...] La guerre a pris un nouveau tournant. C’est le moment où il va falloir se débarrasser de tous les témoins gênants et effacer de l’histoire les atrocités commises. 
Le second volet est peut-être encore plus passionnant : une plongée sans concession, à la limite du cynisme, dans les dessous de l’aide humanitaire.
[...] On produit davantage qu’on ne consomme. Il faut alors trouver quoi faire de ces surplus pour continuer à soutenir les agriculteurs des pays occidentaux.
[...] On en est à deux générations nées dans ces camps qui reçoivent de la farine comme nourriture mois après mois, année après année. 
On ne vous raconte pas pour vous laisser découvrir tout cela au fil des pages mais c’est tout simplement effarant, il n’y a pas d’autre mot et l’on préférerait ne pas savoir tout ça. Trop tard maintenant.
L’écriture reste modeste et standard mais la lecture fluide et agréable, la bluette entre le syrien et la journaliste est parfois peut-être un peu trop rocambolesque, mais ces petits défauts sont à pardonner sans hésiter au vu de l’intérêt de cette détonante histoire.

Pour celles et ceux qui aiment voir le dessous des cartes.
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jeudi 2 avril 2020

Banditi (Antoine Albertini)

[...] Bon, fit-il. Ton affaire, là, elle sent le moisi.

Le journaliste corse Antoine Albertini maîtrise évidemment parfaitement son sujet et réussit à nous raconter avec son Banditi, une part de l’histoire contemporaine de son île.
[...] Après sa jeunesse et ses désillusions de militant, toutes ces années passées à se tenir éloigné de la politique n’avaient pas réussi à tuer complètement son espoir de voir un jour cette île libérée de ses démons. 
Une histoire faite de luttes et trafics en tous genres. Armes et pouvoir, argent et corruption, factions et révolutions, Dieu n’y reconnaîtra pas les siens et il faut tout le didactisme de l’auteur pour que le lecteur ne se perde pas entre FLNC, Mafia, barbouzes, officines secrètes et Brigades Rouges.
[...] — Cette affaire empeste.
 — Je ne comprends rien, désolé.
 — Et en terrorisme italien, vous y comprenez quelque chose ?
 — Autant qu’en artisanat togolais. Peut-être un peu moins.

[...] Derrière chaque histoire de flingues et de came, derrière chaque assassinat et chaque trafic se dissimulaient des mobiles planqués sous d’autres mobiles. 
Le bouquin n’est pas exempt de quelques défauts (dont une fascination un peu complaisante pour la loose du héros, ex-flic confit dans un chagrin d’amour alcoolique) mais ce polar a le mérite de nous faire partager le dessous de quelques cartes de notre histoire récente.

Pour celles et ceux qui aiment la Corse.
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mercredi 1 avril 2020

L'espion inattendu (Ottavia Casagrande)

[...] Les lettres de toute une vie.

Voici un roman inattendu qui partage quelques points communs avec le Looping d’Alexandra Stresi : une biographie romancée de grands-parents, l’Italie du Duce et la revue légère d’une période de l’Histoire, façon feel good story sans prise de tête.
Avec L’espion inattendu, l’italienne Ottavia Casagrande entreprend ici de nous retracer la vie de son grand-père Raimondo, un aristo mi-dandy mi-espion de Mussolini, ou du moins une partie de sa vie et plus précisément ses amours avec Cora, une jeune et belle espionne britannique.
[...] Nous avons trouvé au grenier une vieille valise cabossée, et [...] cette valise contenait toute la vie de Raimondo. Photographies, billets n’ayant plus cours, factures impayées, pinces à cheveux et lettres, une montagne de lettres. Les lettres de toute une vie.
Époque oblige, on fera même une excursion dans le Haut-Adige dont nous avions découvert l’Histoire tragique avec l’admirable roman de Francesca Melandri, Eva dort (encore un autre coup de cœur) :
[...] Le Sud-Tyrol, allemand depuis des générations, n’est devenu italien qu’en 1919, à titre de dédommagement pour la Grande Guerre. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ici, entre Italiens et Allemands, ce n’est pas le grand amour. Et la politique fasciste d’italianisation forcée n’a certainement rien arrangé. 
L’espion d’opérette et son apprentie Mata Hari se piquent de vouloir éviter l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés du Führer.
[...] Il avait tenté par tous les moyens de dissuader les haut gradés de l’armée et les dirigeants du gouvernement d’entrer en guerre. 
L’intrigue se déroule du côté des forces de l’Axe donc et il n’est pas inintéressant de partager un point de vue inhabituel sur cette période, bien éloigné de notre Histoire Officielle.
[...] Beaucoup voyaient dans le régime nazi une force nouvelle, alternative à la démocratie et au communisme.
[...] En 1940, la nouvelle Allemagne nazie exerçait une fascination irrésistible. On vantait son extraordinaire puissance. On admirait ses incroyables progrès technologiques et économiques en chantant les louanges de l’obéissance, de la discipline, de l’assurance, du dynamisme, de la vitalité et de l’inégalable énergie virile du peuple allemand. 
Et tout cela sans prise de tête puisque Raimondo et Cora vivront insouciants et inconscients des aventures pour le moins rocambolesques.
[...] Les nobles idéaux n’étaient pas faits pour lui. Il l’avait compris, désormais. Ils le faisaient sourire. Pire, ils le mettaient mal à l’aise.
[...] L’amour du risque, les vertiges du danger et un vague sentiment de révolte. Un besoin irrésistible de dépasser les bornes, d’enfreindre les règles, de fouler aux pieds les conventions.
[...] Des raisons de vivre – quoique moins nobles –, trois au moins lui venaient à l’esprit : le corps superbe de Cora ; l’ivresse, quelle que fût son origine ; les blagues stupides qu’il faisait sans distinction à ses amis et à ses ennemis… Sans compter ces broutilles essentielles à sa survie : les douces soirées d’été, le parfum des tubéreuses, le frou-frou des combinaisons de soie, les films d’Errol Flynn, les nuits étoilées dans le parc. 
Un excellent roman sans prétention, une écriture légère sur des événements graves.

Pour celles et ceux qui aiment les espions.
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