vendredi 31 août 2007

Cannibale (Didier Daeninckx)

Une toute petite mais édifiante tranche d'Histoire.

On connaissait de Didier Daeninckx ses polars engagés et militants.
Avec Cannibale, le voici dans un autre registre, qui nous donne une petite mais édifiante leçon d'Histoire, à faire figurer dans notre florilège des opuscules minuscules.
Sobre épisode (une centaine de pages écrites sans fioritures) mais sombre épisode.
En 1931 (oui, y'a pas de faute de frappe : 1931 et non pas 1831), pour l'Exposition Coloniale qui verra la naissance du zoo de Vincennes et de Babar, une centaine de canaques sont "amenés" de Nouvelle-Calédonie, déguisés en sauvages et parqués à côté des singes.
[...] J'étais l'un des seuls à savoir déchiffrer quelques mots que le pasteur m'avait appris, mais je ne comprenais pas la signification du deuxième mot écrit sur la pancarte fichée au milieu de la pelouse : « Hommes anthropophages de Nouvelle-Calédonie ».
Une partie de cette "cargaison humaine" sera même échangée contre une autre curiosité, des crocodiles d'un zoo allemand.
Hasard des promenades, nous passions en vélo un soir devant le Musée des Arts Coloniaux de la Porte Dorée, le zoo et les vestiges des pavillons africains.
Didier Daeninckx brode sur cette histoire véridique une petite fable effarante.
D'une écriture simple, sans développer de thèse politique sentencieuse : juste un oeil ouvert quelques instants sur quelques moments de notre histoire.
En tissant discrètement, comme en filigrane, un autre épisode, situé lui dans les années 80, pendant "Les Evénements" lorsque les kanaks agiteront l'île calédonienne, 50 ans après l'Exposition Coloniale.
Comme pour mettre tout cela en perspective historique.
Mais notre lecture effarée de cette affaire de 1931 (oui : 1931, pas 1831) peut éclairer également un autre parallèle historique : quand on voit l'arrogance et le racisme de la bêtise coloniale de cette époque, comment s'étonner que le monde ait basculé dans la barbarie moins de 10 ans plus tard ?
Édifiant ....

D'autres blogs en parlent ici.

La peur du loup (Karin FOssum)

Histoire de fous sous les sapins norvégiens.

Il faut un peu de patience pour entrer dans l'univers de la norvégienne Karin Fossum et de son faux polar nordique : Celui qui a peur du loup.
La trame policière (un meurtre doublé d'une invraisemblable tentative de braquage) n'est qu'un prétexte à la mise en scène de trois «personnages».
Trois éclopés de la vie. Trois exclus de la société.
Un échappé de l'asile, un échappé de prison et un échappé de l'orphelinat (on aura reconnu ici, trois institutions bien commodes).
Ces trois-là se retrouvent bon gré mal gré errant dans la forêt aux confins de la Norvège, de la Finlande et de la Suède.
Certains chapitres avec de longues digressions en compagnie des «voix intérieures» de ces trois cerveaux malades dérangent un peu et il faut du temps pour se laisser imprégner par l'atmosphère insolite de ce roman.
[...] Une fois, nous étions tout un groupe assis dans le fumoir, en train de jouer aux cartes. Errki était là aussi, mais il ne jouait pas, il ne supporte pas de jouer. Il était tard dans la soirée, il faisait noir au dehors, et le plafonnier était allumé. Tout à coup, Errki a dit de sa voix bizarre et tranquille : nous aurions dû mettre des bougies sur la table. Oui, j'ai pensé, ça pourrait être sympa. Je lui ai demandé s'il voulait aller en chercher une dans la cuisine, mais il n'a pas voulu. Les autres non plus. Ils pensaient que la bougie gênerait le trajet des cartes. J'avais mal pour lui. Pour la première fois, il avait proposé quelque chose, et personne ne voulait l'écouter. Et à ce moment-là, le courant a été coupé. Une obscurité absolue s'est abattue sur le fumoir et sur le reste de la maison, et il y a eu tout un chahut épouvantable tandis que nous nous marchions dessus pour trouver une lampe. «J'ai essayé de prévenir», a dit sèchement Errki.
[des trois échappés, vous devinez que le 'Errki' dont il est question ici, est celui qui vient de l'asile]
Mais la patience est récompensée et il finit par se dégager de ce bouquin un charme étrange.
On se laisse peu à peu prendre au jeu, tout comme nos trois éclopés, de la tête ou du coeur, qui finissent par lier connaissance au fil de l'intrigue.
À un point tel que le commissaire Konrad Sejer (le héros récurrent de Karin Fossum), qui se fait ici porteur de notre regard, semble traverser cette enquête sur la pointe des pieds et sortir de cette forêt comme à regret.
À regret de n'avoir pas vraiment pu pénétrer tous les secrets de ces trois personnalités-là.

Au final, il semble que nous ne sommes pas tombés du premier coup sur le meilleur épisode des enquêtes du commissaire Sejer.
À défaut d'avoir été vraiment convaincus par ce premier numéro, il va nous falloir réïtérer l'expérience avec un autre volume : à suivre donc !

Papillon parle de la série policière de Karin Fossum comme d'autres, sans oublier Critiques Libres.

vendredi 24 août 2007

Le café de l'Excelsior (Philippe Claudel)


On a préféré le Rapport de Brodeck.

Quelques brefs souvenirs à rajouter dans notre liste des opuscules minuscules.
Philippe Claudel décrit son enfance auprès de son grand-père, le tenancier du Café de l'Excelsior dans un petit village.
Repère d'ivrognes ou îlot d'humanité. Au choix.
Comme on dit, voilà une nostalgie qui fleure bon cette vieille France provinciale, celle d'il y a maintenant une ou deux générations. Celle du côté d'Épinal.
[...] Mais le dimanche on s'habillait tout de même : les costumes remplaçaient les bleus. La plupart de ces hommes n'en possédaient d'ailleurs qu'un, le plus souvent celui de leur mariage, qui avait traversé les modes, quelques enterrements, ainsi qu'un demi-siècle dans l'entêtante compagnie de la naphtaline. Si certains corps avaient grossi, le costume s'était adapté, et saucissonnait désormais l'individu que jadis il servait galamment. 
Les  gestes dominicaux en subissaient une majesté guindée, une sorte de lenteur et de gêne protocolaire qui finissaient par déteindre sur les conversations, un semblant plus sérieuses.
À notre goût, à notre oreille, le ronflement savoureux de ces textes appliqués finit cependant par résonner un peu comme celui d'une dictée scolaire. Dans le genre « exercice de style ».
Comme si la mécanique trop bien huilée de cette prose que l'on devine ciselée et polie avec amour, finissait par tourner un peu à vide ...
[...] Les sommeils des siestes paraissent étirer les vies, et les dormeurs du jour se repaissent de force que la nuit jamais ne dévore.
Pour suivre avec Philippe Claudel : Le rapport de Brodeck, excellent ! 

La plupart de nos voisins de blogs sont plus enthousiastes : ici ou . 
Agora en parle aussi et Philippe a bien aimé.

vendredi 17 août 2007

La défense Lincoln (Michaël Connelly)

Un Connelly moins convainquant que les autres.

Après Echo Park et surtout Deuil interdit, voilà le troisième opus de Michael Connelly qui sort de notre PAL cet été.
Mais franchement, celui-ci aurait pu ne pas y entrer (on avait d'ailleurs longtemps hésité) car il nous a un peu déçus.
Même si Connelly fait des efforts louables pour sortir du moule habituel et quitter les enquêtes du LAPD avec
sonnotre détective fétiche Harry Bosch.
Avec La défense Lincoln, nous sommes ici dans la plus pure tradition du roman de "procès", le thriller judiciaire, avec un avocat pas trop regardant qui va se retrouver plongé (et nous avec) dans une intrigue à tiroirs bien tarabiscotée (voire peu crédible à certains moments).
Il s'ensuit une quasi partie d'échecs (d'où le jeu de mots du titre en VF) entre le vilain et son avocat malgré lui, où chacun d'eux cherche à anticiper le coup suivant.
On pense un peu à La faille (le film avec A. Hopkins sorti en mai où l'assassin choisissait lui-même son flic) et c'est plutôt prenant : un polar sympa pour les plages de l'été mais, pour tout dire et sans vouloir être méchant, ça ressemble plus à du Harlan Coben qu'à du Connelly (L'Express fait d'ailleurs lui aussi le rapprochement, peut-être involontairement).
Côté écriture, ça nous a tout l'air d'un petit côté "bâclé en vacances", pourtant le traducteur est bien le même que d'habitude ...
Au-delà de ce gentil et facile divertissement donc, si vous voulez vraiment goûter à du "bon Connelly" (le vrai, celui avec du Harry Bosch dedans !) rabattez-vous plutôt sur l'excellent Deuil interdit, en poche également. 
Cependant ce bouquin pas si fameux connaîtra de beaux succès au cinéma (films et séries).    

Philippe est plus indulgent, d'autres avis sur Critiques Libres (un site découvert récemment, très riche et fort intéressant).

vendredi 10 août 2007

BD : Death note

Dans la série : il sait que je sais qu'il sait ...

Voilà un manga précédé d'une forte réputation et sorti également en "anime".
L'idée de départ de la série Death Note ne manque pas d'originalité : un adolescent récupère un cahier mystérieux (un "death note") dans lequel il peut inscrire et programmer la mort des uns ou des autres.
Au début, notre héros tente d'utiliser cet instrument fatal pour "faire le bien" en trucidant des vilains et des affreux ... mais bien vite cela dérape.
La police entre alors en scène et une équipe mène l'enquête.
C'est presque une partie d'échecs qui s'engage entre les uns et les autres et l'intrigue se focalise sur cet affrontement cérébral : il sait que je sais qu'il sait, etc.
Le côté magique ou fantastique (entre le monde des morts et des vivants) sait se faire suffisamment discret pour ne pas alourdir le récit qui reste lisible même si on a passé (depuis longtemps) l'adolescence et qu'on n'est plus branché sur le fantastique.
Mais au fil des épisodes tout cela devient un peu répétitif et manque un peu d'épaisseur.
L'idée de départ est brodée, tricotée, emberlificotée, ... comme si finalement elle ne tenait pas la distance.
On songe évidemment à l'excellentissime MonsterNaoki Urasawa maîtrisait parfaitement l'art des digressions et des rebondissements multiples.
Il en reste un bon polar au dessin soigné et un manga très accessible.


D'autres blogs en parlent (et très bien) ici même et Cathe aussi.

vendredi 3 août 2007

La colline des chagrins (Ian Rankin)

Un épisode de John Rebus.

Les polars de Ian Rankin sont dans notre bibliothèque depuis quelques années et voici avec La colline des chagrins, l'occasion de parler ici de cet écossais.
Au hit-parade des inspecteurs désabusés, John Rebus est un peu le cousin de l'américain Harry Bosch avec qui il partage une grande soif et une totale inaptitude à la vie amoureuse et familiale.
De plus, les rues sombres d'Edimbourg irriguent les bouquins de Rankin comme les boulevards de L.A. nourrissent ceux de Connelly.
Et comme pour aller jusqu'au bout du parallèle, tout comme son collègue, John Rebus est rarement en parfaite harmonie avec sa hiérarchie ...
[...] - Si quelqu'un est capable de le faire, John, c'est vous. J'ai toujours fait confiance à votre entêtement et à votre incapacité à écouter vos supérieurs. 
Rebus remit sa tasse dans sa soucoupe. 
- Je prendrai cela comme un compliment.
La colline des chagrins fait partie de ces polars sombres comme l'Ecosse, peut-être encore plus déprimants que ceux de Connelly car moins américains et donc plus proches de nous.
Peut-être pas le meilleur de Rankin (si c'est une découverte, commencez par les premiers), mais un épisode plus qu'honnête.

L'Express en parle et Polarweb aussi.