lundi 30 décembre 2013

Étranges rivages (Arnaldur Indridason)

Taphéphobie et hypothermie.

Ah, quel beau cadeau de fin d’année que cet Indridason qui coule de la meilleure veine, celle où le commissaire Erlendur est au sommet de sa forme.
Depuis plusieurs épisodes, on savait le policier islandais en vacances prolongées et les enquêtes étaient désormais conduites par ses acolytes (Sigurdur Oli et Elinborg). On avait d’ailleurs laissé tomber la série qui avait perdu beaucoup de son intérêt.
Mais voilà donc le retour inespéré du commissaire tourmenté … dans ce qui ressemble fort à une dernière enquête en forme de testament.
Erlendur n’aura jamais été aussi proche de ce qui le tourmente depuis l’enfance et la disparition de son frère cadet. On découvrira d’ailleurs avec ces Étranges rivages, plusieurs clés des cauchemars du commissaire, de sa culpabilité latente et de ses motivations à sonder sans cesse les mystères des disparitions inexpliquées .
On tient là (outre ce qui semble donc bien être la dernière apparition d’Erlendur) l’un des meilleurs bouquins d’Arnaldur Indridason.
L’auteur y abandonne presque le côté polar pour se consacrer exclusivement  aux mystérieuses “disparitions” islandaises que nous connaissons maintenant presque aussi bien que notre cher Erlendur.
Le commissaire est en ‘vacances’ dans les fjords de l’est et il n’y a quasiment pas d’enquête au sens policier du terme : les faits évoqués remontent bien loin, aussi loin que la disparition du petit frère d’Erlendur et il y a prescription depuis belle lurette.
[…] - Je travaille dans la police.
– Vous ne devez pas beaucoup vous amuser.
– Non. Souvent, ce n’est pas drôle.
[…] Boas s’était immobilisé et avait regardé Erlendur.
– Qu’est-ce que vous me disiez que vous faites dans la police ?
– Je dirige des enquêtes.
– De quel genre ?
– De différentes natures, grand banditisme, meurtres, crimes violents.
– Toute la lie de l’humanité ?
– On peut le dire.
– Et les disparitions ?
– Oui, aussi.
[…] Erlendur ne s’était pas présenté, mais il le fit à ce moment-là, il expliqua qu’il venait de Reykjavik, mais qu’il était né dans les fjords de l’est et qu’il s’intéressait aux histoires de gens qui s’étaient perdus dans les montagnes, de gens dont les corps n’avaient jamais été retrouvés et dont personne ne connaissait le destin avec certitude.
[…] Erlendur défendait depuis longtemps une théorie selon laquelle, parmi toutes ces disparitions, aussi diverses soient-elles, se cachaient sans doute quelques meurtres ici et là.
Erlendur profite de ses vacances sur les lieux de son enfance pour tenter de renouer le fil de ses souvenirs, ceux qui le hantent de puis la disparition de son jeune frère.
Au fil de ses recherches, il croise ses propres fantômes mais également les mystères d’une autre disparition, celle de Matthildur.
Le commissaire en vacances, pose donc ses questions de ci de là, persévérant et obstiné, s’attachant à exhumer les vérités d’un lointain passé, enfouies sous la glace ou la terre. Ce qui nous vaut de beaux portraits et de savoureux dialogues.
[…] - Quelqu’un m’a raconté que vous étiez policier à Reykjavik. C’est pour cette raison que vous venez m’interroger sur Matthildur ?
– Non, répondit Erlendur, plutôt par curiosité personnelle. Je m’intéresse à ce genre d’histoires.
[…] Kjartan le regarda de ses yeux fatigués, il n’était pas certain de comprendre où Erlendur voulait en venir.
– Je suis policier à Reykjavik et je suis en vacances ici, dans les fjords de l’est. Le hasard veut que je sois originaire de la région et que j’aie entendu parler de Matthildur lorsque j’étais encore gamin. Son histoire a piqué ma curiosité. Mon but n’est pas de dévoiler quoi que ce soit ou de démasquer quiconque. Ce que je fais là n’a rien à voir avec une enquête de police. 
[…] – Vous m’avez dit que vous étiez policier, observa Hrund au bout d’un long moment.
– En effet.
– J’ai toujours pensé que… Elle inspira profondément, éreintée.
– Que… ?
– J’ai toujours pensé que… la disparition de Matthildur aurait mérité qu’on ouvre une enquête.
[…] – Vous avez découvert de nouveaux éléments concernant Matthildur ? interrogea-t-il sans ambages, comme si Erlendur avait ouvert une enquête sur cette disparition datant de plus de soixante ans.
– Non, aucun, répondit-il en s’allumant une cigarette afin d’accompagner Boas. D’ailleurs, comment pourrait-il y avoir du neuf ? Elle a péri dans cette tempête. On en a vu d’autres.
– Ah, j’en ai bien peur, convint Boas en avalant son café coloré au lait. Oui, on en a vu d’autres.
Alors oui on s’intéresse bien sûr aux raisons de la disparition de Matthildur que l’on devine peu à peu : tout cela nous est raconté comme un presque polar. Mais ce qui fait la réelle saveur de ce bouquin, c’est bien sûr le récit des questionnements d’Erlendur, ses échanges et ses dialogues avec les islandais qu’il croise, ce que chacun apporte peu à peu au récit et les clés des mystères qui nous sont délivrées peu à peu : le mystère de la disparition de Matthildur et le mystère de la disparition de Beggur, le petit frère d’Erlendur. Elles n’ont rien en commun ces disparitions : sauf d’être des disparitions islandaises comme seul Arnaldur Indridason sait nous en raconter.
Si Erlendur ne semble passionné que par les morts et les disparus, Indridason lui s’intéresse bien aux vivants, meurtriers ou victimes, qui portent sur leurs trop frêles épaules le poids de ces fantômes.
Indiscutablement, cet auteur vient là de couronner brillamment son œuvre.
Toute bonne série a (malheureusement) une fin et celle-ci est particulièrement réussie.
Alors en guise de conclusion et d’hommage à toutes nos lectures Indridasoniennes, on retiendra cette citation :
[…] Il avait en mémoire d’autres enquêtes sur lesquelles il avait travaillé et qui, chacune à sa manière, l’avaient marqué. Elles étaient nombreuses et de nature diverse, mais aucune d’entre elles ne l’avait conduit à pénétrer dans un cimetière à la faveur de la nuit, une bêche à la main.
Si vous ne connaissiez pas encore (mais est-ce vraiment possible ?), on ne saurait trop vous conseiller de commencer par les autres ouvrages avant d’arriver vous aussi à cette belle conclusion.


Pour celles et ceux qui aiment les mystères des disparitions islandaises.
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dimanche 29 décembre 2013

Esprit d’hiver (Laura Kasischke)

Joyeux Noël.

Il y a des jours où l'on devine que l'on ferait mieux de rester couché.
Le 25 décembre de cette année-là est l'un de ces jours pour Holly.
Une journée de Noël qui commence on ne peut plus mal : une panne d'oreiller tout d'abord.
Ni le réveil, ni leur fille Tatiana ne les ont réveillés. Le mari Eric part en catastrophe chercher ses parents à l'aéroport.
Et puis un mauvais pressentiment qui semble surgir du passé, quand Eric et Holly étaient allés en Russie pour adopter une petite fille.
On connait Laura Kasischke pour sa férocité à démonter pièce par pièce le rêve américain et on se rappelle son Oiseau blanc dans le blizzard qui tenait presque du polar.
Cette fois son Esprit d’hiver tient plus du roman psychologique même si la première partie, inquiétante et sournoise flirte avec le fantastique.
[…] Ce matin-là, elle se réveilla tard et aussitôt elle sut : Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux. […]
Quelque chose qui avait été là depuis le début. À l’intérieur de la maison. À l’intérieur d’eux-mêmes. Cette chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux.
Accablée par son pressentiment et les préparatifs à terminer en hâte, Holly broie du noir, déteste ces repas de Noël imposés, se débat avec le rôti et l'argenterie.
La journée catastrophe continue : le blizzard s'abat sur la ville et Eric reste coincé quelque part par la neige.
Les autres invités vont bientôt décommander. C'est presqu'une bonne nouvelle pour Holly qui déteste la plupart d'entre eux. Et puis de toute façon le rôti sort à peine cuit du four. Et puis Holly manque s'empaler sur le couteau de cuisine et puis les verres en cristal qu'on sort pour ces grandes occasions finissent en mille morceaux par terre. Tatiana ne s'est toujours pas levée. Crise d'ado ?
Les souvenirs de Holly remontent à la surface.
Sa propre enfance peu enviable.
Le voyage en Russie pour aller chercher leur fille adoptive.
Les infirmières qui voulaient à tout prix donner un nom américain à la petite : Bonnie (comme Bonnie et Clyde), Sally, ….
[…] Incroyable, leur semblait-il, que les infirmières les aient tout simplement laissés quitter l’orphelinat Pokrovka n° 2 avec cette princesse fée ! Juste un adieu tranquille, la porte s’était ouverte, et ils avaient dorénavant cette petite fille rien que pour eux. Pour toujours ! (Bien sûr, cela leur avait coûté des milliers de dollars, des montagnes de paperasses et presque deux années de leur vie, ils ne l’oubliaient pas, mais ils y étaient !
[…] Les infirmières l’avaient baptisée Sally. Elles avaient expliqué à Eric et Holly : « On donne un nom américain pour que, dans sa vie et dans sa mort, elle ne soit pas agitée en Amérique, ou qu’elle n’essaie pas de revenir en Russie. — Mais nous voulons qu’elle soit fière de ses origines russes, avait tenté d’expliquer Holly, à son tour, sans être certaine pourtant que son anglais puisse être compris. Nous voulons l’appeler Tatiana car c’est un superbe prénom russe pour une superbe petite fille russe. »
Finalement ce sera l'une des poules du jardin qui s'appellera Sally.
Et qui finira dévorée par ses congénères. Un épisode sanglant qui comme d'autres remontent à la surface des souvenirs de Holly.
Car en ce beau jour de Noël blanc, il faut compter avec la plume acérée de Laura Kasischke qui entreprend de démonter pièce par pièce le rêve américain de Holly. Et Holly aura eu beau développer au fil des années une capacité peu commune à oublier, à ne pas voir, à ne pas regarder les choses en face, depuis sa stérilité jusqu'à l'adolescence de Tatiana en passant par le sombre épisode de l'orphelinat sibérien …
[…] Eric s’était mis en colère. Il avait dit : « Seigneur, Holly. Toute cette merde que tu essaies d’ignorer en t’enfouissant la tête dans le sable et tu choisis ce sujet pour être complètement ouverte et cool ? Elle n’a pas besoin de ça ! » Mais qu’entendait-il par là ? À propos de quoi Holly s’enfouissait-elle la tête dans le sable ? Quoi donc ?
Rien n'y fera : le scalpel affuté et sans pitié de Laura Kasischke dissèquera ses peurs et ses faiblesses jusqu'au plus profond.
Qu'est devenue Tatiana, cette adolescente à la peau bleutée ?
BMR a eu du mal avec la première partie d'exposition, un peu longue, mais évidemment nécessaire pour démontrer le lent glissement de Holly dans la folie ordinaire.
Le rêve américain finira comme les verres en cristal.

Pour celles et ceux qui aiment les fêtes de Noël qui tournent mal.
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mardi 17 décembre 2013

L’armoire des robes oubliées (Rikka Pulkkinen)


Il n'y a pas que des polars en Scandinavie.

Non, il n’y a pas que des polars en littérature nordique.
On connaissait déjà la norvégienne Anna B. Ragde ou la suédoise Katarina Mazetti, voici maintenant, la jeune finnoise Riikka Pulkkinen qui sait nous raconter, elle aussi, de belles histoires.
L’histoire d’une famille finlandaise.
Il y a Elsa, la grand-mère. Il y a Martti le grand-père.
Il y a Eleonoora leur fille et ses filles à elle (aujourd’hui majeures et vaccinées) : Maria et Anna.
Et il y a les pièces rapportées comme dans n'importe quelle famille.
Elsa était une psychologue réputée, une sorte de Françoise Dolto finlandaise si l'on veut.
Elsa a soixante-dix ans et un cancer.
[...] Grand-mère à l'air content.
- Bien. Tout est prêt. Il y aussi de la tarte à l'oignon, dit-elle fièrement. Je l'ai faite hier, quand je me suis lassée d'avoir le cancer.
De quoi brasser un peu l'air appesanti et secouer la poussière qui s'est déposée sur les vieux meubles, les vieilles armoires comme L'armoire des robes oubliées.
[...] Dans l'armoire, de vieilles vestes, des robes, deux ou trois chemises d'homme. La robe de Bianca est noire et blanche, elle est pendue à un cintre. Anna ne la prend pas, elle veut quelque chose d'autre.
Elle parcourt du regard les robes, les caresse l'une après l'autre : des décennies accrochées aux cintres. elle ouvre la porte de la deuxième armoire. Qui grince et résiste. Les vêtements ont l'air vieux, ils traînent ici depuis une éternité.
Elle en sort un qu'elle ne se souvient pas avoir jamais vu. La robe claire, largement évasée, date peut-être des années cinquante.
[...] Anna ôte son chemisier et son jean, enfile sans difficulté la robe. Elle lui serre un peu la poitrine.
[...] - Où l'as-tu trouvée ?
Grand-mère est à la porte.
- Elle était là, dans l'armoire. Ce n'est pas ta robe des années cinquante ?
Grand-mère jette un regard sur le vêtement.
- Prends-là.
[...] - En fait ce n'est pas la mienne.
- Comment ça ?
- C'est celle d'Eeva. J'ignorais qu'elle était restée dans le placard toutes ces années. J'ai été surprise de la voir sur toi.
- C'est la robe de qui ? demande Anna.
- Celle d'Eeva, répète grand-mère.
Une histoire de famille donc avec ses non-dits, ses secrets, ses silences qui vont sortir de l’armoire oubliée.
[…] Il n’avait jamais réussi à en parler. […] Personne n’avait jamais non plus interdit qu’on en parle. mais il avait toujours su qu’il fallait protéger toute la scène et la douleur du souvenir en restant muet.
[...] À quel moment les membres de votre famille deviennent-ils un miroir douloureux à regarder ?
Une écriture un peu incisive, un peu hachée : au début cela ajoute à l’exotisme finnois mais à la longue tout cela fait qu’on n’accroche guère et qu’on n’arrive pas à faire partie de la famille.
On passe d’un personnage à un autre, d’une femme à une autre, d’un regret à un autre, dans une atmosphère peu réjouissante et avouons qu’on a eu du mal à terminer ce livre. Petite déception.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires de famille.
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jeudi 5 décembre 2013

La vérité sur l’affaire Harry Quebert (Joël Dicker)


À vérité, vérité et demie …

La vérité sur l’affaire Harry Quebert ?
La vérité c’est qu’avec tout le bruit qui entourait ce bouquin, on ne l’aurait sans doute jamais lu si l’amie Véro ne nous l’avait pas prêté. On se méfie (parfois à tort) des engouements médiatiques et des emballements de la blogoboule.
Pour une fois on aurait eu bien tort : ce gros pavé (650 pages) est une bonne affaire. Une bonne affaire difficile à classer.
Inclassable ce roman qui parle de littérature, d’écriture et d’écrivain, qui s’étend sur les affres des auteurs devant leur page blanche. C’est plein d’humour et d’autodérision, une histoire comme seuls les américains juifs new-yorkais savent les écrire. On connait bien. Sauf que ?
Sauf que Joël Dicker est … suisse !
Chapeau l’artiste qui, encore tout jeune(1), sait reprendre et sans faute, le style de ses meilleurs confrères d’outre-Atlantique ! On s’y croirait vraiment.
Inclassable ce roman qui mélange les genres, roman littéraire, histoire d’amour ou comédie et puis polar ou thriller psychologique ! On navigue d’un style à l’autre, sans heurts et en douceur, et dès que la redite pointe le bout du nez, hop, on bascule d’un autre côté.
Haletant et hilarant. Un “page-turner” comme on se plait à la dire désormais : prévoyez une ou deux nuits blanches.
C’est donc (entre autres choses) l’histoire de deux écrivains : le vieux maître blasé de succès et le jeune ambitieux plein d’avenir. En 2008, plus de trente ans après leur première rencontre, le jeune Marcus est en panne d’inspiration, pressé par son agent et son éditeur de pondre à nouveau, après un premier et gros succès(2).
Histoire de se ressourcer, Marcus Goldman part retrouver son ancien mentor, Harry Quebert, dans une petite ville de province (Aurora, Massachussetts), dans la belle-maison-si-typique-de-l’écrivain-en-bord-de-mer.
Et hop, on bascule dans le polar : on découvre le squelette d’une jeune fille enterrée depuis trente ans dans le jardin de la résidence de Harry !
Un amour interdit de Harry qui fut jadis fou amoureux de Nola, une gamine de quinze ans (lui, en avait trente en 1975). Un amour qui aura mal finit (la jeune Nola fut donc assassinée) mais (et hop !) qui inspira un best-seller à Harry (on retrouve d’ailleurs le manuscrit avec le cadavre de l’adolescente et un mot d’amour et d’adieu).
[…] L’opinion publique était bouleversée : non seulement la présence du manuscrit parmi les ossements de Nola incriminait définitivement Harry, mais surtout la révélation que ce livre avait été inspiré par une histoire d’amour avec une fille de quinze ans suscitait un profond malaise. Que devait-on penser de ce livre désormais ? L’Amérique avait-elle plébiscité un maniaque en élevant Harry au rang d’écrivain-vedette ? Sur fond de scandale, les journalistes, eux, s’interrogeaient sur les différentes hypothèses qui auraient pu conduire Harry à assassiner Nola Kellergan. Menaçait-elle de dévoiler leur relation ? Avait-elle voulu rompre et en avait-il perdu la tête ?
Harry jure qu’il est innocent mais se retrouve en prison en attendant son procès. Marcus commence à enquêter sur les anciens évènements des années 70 et se promet d’innocenter son vieil ami.
Et hop, retour du côté de la littérature : pressé par son éditeur, Marcus se met à écrire un roman sur l’affaire Harry Quebert. Le bouquin dans le bouquin. Et hop, etc …
On passe d’un style à l’autre, d’une époque à une autre. C’est fluide et passionnant.
On frôle parfois le roman facile un peu cucul (alors c’est un écrivain qui mène une enquête …) mais non, Joël Dicker maîtrise bien son écriture et nous maintient en éveil tout au long de ce gros pavé.
Les amateurs de bons romans tout comme les fans de polars et d’enquêtes sont ravis ! Pour peu qu’on soit un peu des deux, c’est le bonheur !
Et comme on évoque une histoire à moitié littérature et à moitié thriller, sachez que Joël Dicker nous mène dans son bateau jusqu’au bout : à côté des rebondissements “policiers”, il faudra donc aussi compter sur des rebondissements “littéraires”. C’est d’ailleurs là tout le sel de ce roman.
Au fil de ces pages, Joël Dicker prend le temps de bien camper ses personnages, comme par exemple ce flic qui, en 2008, reprend l’enquête sous la pression de l’ami Marcus.
[…] - Mais ceci ne nous explique pas pourquoi il y a ce mot d’amour écrit à même le texte.
- C’est une bonne question, concédai-je. Peut-être la preuve que le meurtrier de Nola l’aimait. Devrait-on envisager la piste d’un crime passionnel ? Un accès de folie qui, une fois passé, pousse le meurtrier à écrire ce mot pour ne pas laisser le tombeau anonyme ? Quelqu’un qui aimait Nola et n’a pas supporté sa relation avec Harry ? Quelqu’un au courant de sa fuite et qui, incapable de l’en dissuader, a préféré la tuer plutôt que de la perdre ? C’est une hypothèse qui tient la route, non ?
- Ça tient la route, l’écrivain. Mais comme vous dites, ce n’est qu’une hypothèse et il va maintenant falloir la vérifier. Comme toutes les autres. Bienvenu dans le difficile et méticuleux travail de flic.
- Que proposez-vous sergent ?
On sent que le sergent Gahalowood et l’écrivain Marcus composent un tandem très ciné-génique.
[…] - Vous conduisez trop lentement.
- Je conduis prudemment.
- Cette voiture est une poubelle, sergent.
- C’est un véhicule de la police d’État. Un peu de respect, je vous prie.
- Alors c’est une poubelle d’État. Si on mettait un peu de musique ?
- Même pas dans vos rêves, l’écrivain. Nous sommes sur une enquête, pas en train de faire une virée entre copines.
- Vous savez, je le dirais dans mon livre, que vous conduisez comme un petit vieux.
-  Mettez la musique, l’écrivain, Et mettez-la très fort. Je ne veux plus vous entendre jusqu’à ce que nous soyons arrivés.
Je ris.
Fausses pistes, faux semblants, coups de théâtre, cadavres (oui, y’en aura même plusieurs) et rebondissements en tous genres, … On ne s’ennuie pas un instant et on tourne, tourne, tourne les pages, pressé de lire enfin les derniers mots de l’histoire, de découvrir qui se cache ou se cachait derrière tel ou tel masque … Et alors qui est ce Harry qui ne semble pas lui-même convaincu de sa totale innocence ? Et finalement cette jeune fille autour de qui tout le monde tournait, la jeune Nola était-elle aussi pure que le rêvait Harry, aveuglé par son amour ? Qui était réellement Nola ?(3)
[…] Depuis New-York, où elle reprenait avec un dévouement et une efficacité rares mes feuillets, Denise me téléphona un après-midi et me dit :
- Marcus, je crois que je pleure.
- Pourquoi cela, demandai-je.
- C’est à cause de cette petite, cette Nola. Je crois que je l’aime moi aussi.
Je souris et je lui répondis :
- Je crois que tout le monde l’a aimée, Denise. Tout le monde.
Oui, beaucoup trop de monde tournait autour du petit papillon Nola …
[...] - Et comment sait-on que l'on est écrivain, Harry ?
- Personne ne sait qu'il est écrivain. Ce sont les autres qui le lui disent.
Et bien, Joël Dicker, tout suisse que vous êtes, sachez que vous êtes un sacré écrivain et un habile faiseur de mélanges !
[…] - Pour un véritable écrivain. Écrivain c’est être libre.
Il se força à rire.
- Qui vous a mis ces sornettes en tête ? Vous êtes esclave de vos idées, de vos succès. Vous êtes esclave de votre condition. Écrire, c’est être dépendant. De ceux qui vous lisent, ou ne vous lisent pas. La liberté, c’est de la foutue connerie ! Personne n’est libre. J’ai une partie de votre liberté dans les mains, de même que les actionnaires de la compagnie ont une partie de la mienne dans les leurs. Ainsi est faite la vie, Goldman. Personne n’est libre. Si les gens étaient libres, ils seraient heureux. Connaissez-vous beaucoup de gens véritablement heureux ? (Comme je ne répondis rien, il poursuivit.) Vous savez, la liberté est un concept intéressant. J’ai connu un type qui était trader à Wall Street, le genre de golden boy plein aux as et à qui tout sourit. Un jour, il a voulu devenir un homme libre. Il a vu un reportage à la télévision sur l’Alaska et ça lui a fait une espèce de choc. Il a décidé qu’il serait désormais un chasseur, libre et heureux, et qu’il vivrait du bon air. Il a tout plaqué et il est partit dans le sud de l’Alaska, vers le Wrangler. Eh bien, figurez-vous que ce type, qui avait toujours tout réussi dans la vie, a également réussi ce pari-là : c’est devenu véritablement un homme libre. Pas d’attache, pas de famille, pas de maison : juste quelques chiens et une tente. C’était le seul homme vraiment libre que j’ai connu.
- C’était ?
- C’était. Ce bougre a été très libre pendant trois mois, de juin à octobre. Et puis il a fini par mourir de froid l’hiver venu, après avoir bouffé tous ses chiens par désespoir. Personne n’est libre, Goldman.
Ce n’est certainement pas le roman du siècle (l’écriture reste simple, l’histoire superficielle, les rebondissements divertissants et certaines figures un peu convenues) et l’engouement dont ce bouquin a été l’objet est certainement disproportionné, ok, mais voilà quand même un bon gros moment de plaisir. À ne pas bouder, même si le tapage fut assourdissant (plus de 450 avis sur Babelio ! pas tous d’accord avec nous d’ailleurs).
(1) - il n’a pas trente ans
(2) - passionnantes descriptions du milieu littéraire
(3) - on retrouve ici certains renversements de perspective comme ceux qu’utilise avec brio Pierre Lemaitre

Pour celles et ceux qui aiment lire la nuit.
D’autres avis (plus de 450 !!!) sur Babelio.

lundi 2 décembre 2013

Dix rêves de pierre (Blandine Le Callet)


RIP.

Le sujet était pour le moins intrigant : Blandine Le Callet compose dix petites nouvelles à partir de dix épitaphes relevées au hasard de ses pérégrinations, sur dix pierres tombales : Dix rêves de pierre.
[…] L’idée de ce recueil m’est venue il a plus de vingt ans, lors d’une visite au Musée gallo-romain de Lyon au cours de laquelle je suis tombée en arrêt devant l’épitaphe de Blandinia Martiola.
C’est d’abord la coïncidence entre son prénom et le mien qui a attiré mon attention; puis j’ai été frappée par le caractère émouvant de ces lignes qui, au-delà des siècles, évoquaient le chagrin d’un homme à la disparition de sa très jeune épouse.
J’ai recopié l’épitaphe sur une page arrachée à mon agenda, et me suis prise à imaginer …
L’astuce consiste à nous raconter une petite histoire (dont on devine rapidement que l’un ou l’autre des protagonistes est mort et enterré depuis belle lurette) et de conclure par la fameuse épitaphe, comme si c’était la morale de l’histoire.
Les premières nouvelles sont un peu déroutantes, presque décevantes qui nous emmènent dans le passé, dans l’antiquité : cela nous éloigne et ces premières histoires nous restent un peu étrangères, le temps ancien ajoute une distance supplémentaire à celle déjà présente de la mort.
Mais au fil des nouvelles à lire dans un ordre chronologique, tout cela se resserre autour de notre siècle et autour du personnage même de l’auteure : la dernière nouvelle est même autobiographique et se conclut par une étrange pirouette que la postface (l’instructive postface) de Blandine Le Callet nous garantit authentique.
À mi parcours, la nouvelle des hortensias (celle des âmes d’enfants perdus dans les limbes) vaut à elle seule la visite du cimetière(1).
Rien de macabre dans tout cela : Blandine Le Callet entreprend seulement d’imaginer des histoires et des secrets perdus à jamais.
[…] On a beau savoir que c’est pour bientôt, au bout du compte, on n’est jamais prêt quand arrive le moment.
Quand les vivants sont là, il y a des sujets qu’on évite d’évoquer, des questions qu’on évite de poser, pour ne pas froisser, pour ne pas blesser. Mais quand les chers disparus nous ont quitté, il est trop tard et ils ont emporté avec eux ces secrets, ces non-dits …
Alors il faut bien quelqu’un pour sortir tout cela de l’oubli et du néant, à partir de quelques mots gravés sur la pierre. C’est le travail entrepris par Blandine Le Callet, à sa façon, pour une dizaine de chers disparus.
(1) - dans son excellente postface à garder pour la fin comme son nom l’indique, Blandine Le Callet nous indique que l’Église aura attendu 2007 (oui : 2007 !) pour refermer le chapitre des limbes … L’obscur Moyen-Âge aura duré vraiment très longtemps.


Pour celles et ceux qui aiment les cimetières.
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