lundi 25 juin 2012

Un traître à notre goût (John Le Carré)


Debriefing.

D'habitude on n'est pas trop fan des espions de John Le Carré, un auteur prolixe qu'on trouve souvent un peu loin de ses personnages.
Mais celui-ci, Un traître à notre goût, nous était gentiment proposé par Babelio, alors ...
... alors, ce fut finalement une bonne surprise et on a effectivement trouvé cet espion à notre goût.
On accompagne un gentil couple d'anglais, bcbg c'est rien de le dire, Mr est sportif (tennis, alpinisme) et intello (prof d'université), Mme est jolie (forcément) et intelligente (avocate), bref aucun réalisme(1) mais on ne peut pas s'empêcher de les trouver à notre goût.
Mr et Mme passent de charmantes vacances à Antigua (aux Antilles hein, pas aux Canaries !).
Ils y rencontrent un gros mafioso russe qui les prend en amitié et joue au tennis avec Mr Bond tandis que Mme Bond s'apitoie sur les gentilles petites filles du vilain qui est venu sur l'île accompagné de toute une smala. La vie des mafieux russes a l'air bien compliquée et l'on comprend vite que l'affreux repenti (y'a sans doute des encore plus vilains derrière) cherche à passer à l'ouest moyennant quelques infos croustillantes sur les compromissions des puissances occidentales dans l'industrie du blanchiment d'argent sale, industrie dans laquelle les russes ont désormais damé le pion aux ringards parrains de Sicile.
Voilà, vous savez tout ou presque.
L'intérêt du bouquin n'est pas dans cette histoire qui nous vaut quand même quelques petites parenthèses bien sympas comme celle sur le goulag comme usine à fabriquer de la mafia (ah s'ils avaient su ...) ou sur quelques rouages du blanchiment ou encore sur les fausses pudeurs d'une City londonienne qui ne se montre pas très regardante en ces temps de crise et qui se moque bien de savoir d'où viennent ces liquidités providentielles.

C'est un ponte du Secret Service qui parle ...
[...] Si on regarde les choses en face, qu'est-ce qu'il y a de mal à transformer de l'argent sale en argent propre, en fin de compte ? Oui, l'économie parallèle, ça existe, et dans des proportions énormes. Nous le savons tous. Nous ne sommes pas nés d'hier. L'économie de certains pays est plus sale que propre, nous le savons aussi. En Turquie, par exemple. En Colombie. Et oui d'accord, en Russie aussi. Alors, cet argent, vous préférez le voir où ? Sale là-bas ou propre à Londres, entre les mains d'hommes civilisés, disponible pour des buts légitimes et le bien public ?

Effectivement, présenté comme ça, à l'heure où la machine à laver du Vatican déborde, on comprend qu'il faut se montrer accommodant avec ce nouvel ami venu de l'est. Surtout s'il détient quelques numéros de comptes en Suisse capables de faire tomber quelques personnalités occidentales.
Alors Mr et Mme Bond se retrouvent malgré eux embarqués dans une histoire qui les dépasse.

[...] Moi, je me retrouve avec pour ami et protégé un criminel endurci et impénitent, assassin de son propre aveu et numéro un du blanchiment d'argent.

Finies les vacances à La Barbade. Les voici chaperonnés par une équipe du Secret Service de Sa Majesté, guidés pas à pas pour finaliser la transaction avec l'affreux mafieux repenti qui détient des infos qui nous intéressent et surtout qu'on préfère avoir nous, plutôt que d'autres.
Le livre est une succession de dialogues savoureusement agencés, judicieusement construits, entre Mr/Mme et le vilain, entre Mr/Mme et les agents de Sa Majesté ou entre Mr et Mme tout simplement. Par touches successives on découvre tout cela, la grande histoire et le passé du parrain moscovite et de sa famille, les petites histoires et les dessous des agents du Secret Service chargés de débriefer Mr et Mme ou encore d'habiliter, comme on dit, le candidat transfuge.
Malgré l'absence d'émotion qui caractérise encore une fois Le Carré (ou le milieu qu'il dépeint ?), le livre se dévore agréablement et le suspense sera conservé jusqu'aux dernières pages ...

(1) - non, je dis pas ça parce que madame est belle ET intelligente, mais quand même ce gentil petit couple propre, riche et beau est vraiment too much, et finalement c'est ce qui fait un peu le charme du bouquin


Pour celles et ceux qui aiment les espions amateurs.
Points édite ces 446 pages qui datent de 2010 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Isabelle Perrin.

mardi 19 juin 2012

Zona frigida (Anne Birkefeldt Ragde)

La croisière picole.

C'est d'abord le lieu (le Spitzberg, la Zona frigida, le Svalbard en norvégien) qui nous a accroché : il y a déjà longtemps, BMR & MAM y avait passé une semaine frigorifique, kayakant entre phoques et glaçons. Beau mais froid, même au mois d'août !
Le bouquin de la norvégienne Anne Birkefeldt Ragde retrace tout cela parfaitement : l'atterrissage à Longyearbyen en provenance de Tromsø tout en haut de la Norvège, la colonie russe de Barentsburg(1), le jour continuel et la fin des horaires, la peur des ours qu'on ne voit pratiquement jamais mais dont on parle tout le temps, l'obsession norvégienne pour garder ces terres propres et sans mégots de cigarettes(2), tout y est.
Mais au-delà de la balade touristique (réussie), on a découvert une auteure méconnue ici et réputée chez elle, quelque part entre Bridget Jones et Anna Gavalda.
Sauf que Anne B. Ragde décoiffe : elle n'a rien de politiquement correct, sa prose est juste et féroce, on se marre, on rit jaune, on jubile, on dévore son bouquin comme un ours dévorerait un phoque.
L'écriture est vive, la traduction visiblement à la hauteur.
L'héroïne de son bouquin (Béa) est caricaturiste pour les journaux politiques : c'est dire si le trait est acéré.
Ça commence avec une petite déprime,

[...] J'ai pris deux cafés en même temps, pour éviter de retourner faire la queue. Ce genre de chose aurait énervé Torvald. Le café était servi à volonté. mais il fallait se lever pour aller le chercher. J'ai donc dépensé quinze couronnes pour pouvoir rester assise. Ça l'aurait rendu fou. Il disait que mon côté panier percé raccourcirait sa vie de plusieurs années. Heureusement pour lui que je l'ai quitté, donc. Même si, au fond, il était adorable quand il dormait. À ce moment-là, il ressemblait à un ange. Sauf que ce n'est pas une vie d'avoir un partenaire qui vous plaît surtout quand il dort. On m'a dit que certaines personnes éprouvaient ça avec leurs enfants, mais je ne suis pas la personne pour en parler.

Et voici Béa notre dessinatrice partie en voyage organisé au Svalbard.
Sauf que la jeune dame ne se contente pas de larguer ses mecs, de dédaigner son rôle de mère potentielle et de boire des cafés.
En réalité elle picole comme un trou. Que dis-je, un gouffre. Elle est organisée. Quasi une scientifique du biberonnage.

[...] C'est un exercice délicat, cette histoire de bière light. Il faut savoir bien doser, pour sentir les effets de l'alcool et éviter la somnolence. On n'a pas ce genre de problèmes avec une bière plus alcoolisée. On est sûr d'avoir l'ivresse avant de devenir léthargique.

Elle ne se cache même pas d'avoir choisi cette destination parce que les alcools y sont détaxés.
Nos flics et inspecteurs avinés habituels sont relégués au dernier rang de la classe. Béa est désignée major de promo, sans contestation possible. Et en plus, sympa, elle n'a pas le vin triste.
Mais tout ça, c'est à la surface de la glace. Dès le début, grâce à quelques indices soigneusement dosés, on nous laisse deviner qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. L'alcool. Le titre. Béa semble avoir entrepris ce voyage moins pour le cognac ou le gin détaxé que pour se venger de quelque chose, sans doute un passé terrible ?
Le mystère se dévoile aux deux tiers du bouquin et on est un peu surpris de découvrir si tôt le pot aux roses et le dénouement. Malgré l'ombre du passé, on s'amusait bien en compagnie de Béa. Pochetronnée ou pas, elle ne gardait pas sa langue dans la poche de sa doudoune et on aimait bien suivre avec elle la croisière dans les eaux glacées et ensoleillées, au rythme des jours et des jours(3).
Mais finalement la dernière partie du bouquin tiendra ses promesses, d'autres masques tombent, d'autres passagers de la croisière se révèlent sous un autre jour : Anna B. Ragde s'avère une sacrée portraitiste.

[...] « Alors, c'était bien ton voyage ? » Bien sûr, je lui raconterai plus tard. Tout. C'est-à-dire rien.

Une fois embarqué à bord, impossible de lâcher le bouquin qu'on dévore en quelques heures, un bouquin qui mériterait presque un petit cœur ... le prochain peut-être ?

(1) - c'est le charbon qui fut un temps la richesse de l'archipel
(2) - la Norvège n'a que des droits d'administration sur ces îles et se voulant irréprochable aux yeux des Nations, elle veille jalousement sur leur écosystème : on y débarque avec ses sacs poubelles et on repart avec, aucune trace !
(3) - notez cet habile jeu de mots(4) puisqu'il n'y a pas de nuit là-haut ...
(4) - oui bien sûr, l'habitude vous a rendus attentifs à ces traits d'esprit, fins, spirituels et désormais fameux, mais des fois je souligne quand même, des fois que l'un de vous somnole un peu après une dure journée et passe à côté de l'un de ces grands moments de la blogoboule, ce serait dommage, après tout le mal que je me donne !


Disponible en ebookPour celles et ceux qui n'aiment ni les ours, ni les phoques.
Balland édite ces 396 pages qui datent de 2011 et qui sont traduites du norvégien par Hélène Hervieu et Eva Sauvegrain

mardi 5 juin 2012

Mathématiques congolaises (In Koli Jean Bofane)

Géométrie appliquée.

BMR & MAM, deux baobab-coolAvec son titre curieux, Mathématiques congolaises est un bouquin qui ne paie pas de mine mais qui vaut vraiment le détour : enfin un roman africain moderne et à l'écriture très contemporaine, avec de l'humour et même un petit air de polar pour rendre le tout encore plus lisible à nos yeux européens.
Le Congo dont il s'agit n'est pas l'ancienne colonie française mais celui d'en face, le Congo-Kin, celui de la RDC et de Kinshasa.
À travers une très belle galerie de personnages savoureux qui se croisent et dont les vies s'entrecroisent, In Koli Jean Bofane nous fait découvrir la vie quotidienne de Kinshasa et au-delà, la vie quotidienne de nombreux pays africains(1).
Dans les rues de Kinshasa, Célio Mathématik trime et frime.
Son (sur)nom, il le tire d'un manuel de maths qui ne le quitte plus :

[...] Lui, qui n'avait plus de parents et personne d'assez intime pour lui servir de guide à travers la vie, commença à bâtir ses convictions à partir de ce qui était écrit dans le manuel. En grandissant, sa confiance en le livre s'était renforcée. [...] Parfois même, lorsqu'il lui avait fallu jauger ses semblables, il lui avait été utile de savoir que deux pyramides, qu'elles soient droites ou obliques, étaient identiques si les bases et les hauteurs étaient les mêmes. L'apparence ne comptait pas, il fallait savoir mesurer ce qu'il y avait à l'intérieur, comme chez les êtres humains.

Leçon de choses ou leçon de maths, leçon de gens surtout : petites gens, frimeurs, militaires, politicards, ...

[...] Les bailleurs de fonds nous ont fuis depuis longtemps. Tout cela donne du carburant aux troubles sociaux de toutes sortes. Comment voulez-vous démocratiser dans ces conditions ? [...] Toujours là à donner des leçons. Pourtant les Occidentaux ont bien bâti leur puissance sur l'oppression du monde, eux ! Combien de peuples n'ont-ils pas dû opprimer et massacrer avant d'asseoir leur soi-disant démocratie ? On ne bâtit pas sur rien, Celio. Ils le savent pourtant bien. Il y a un prix à payer pour tout. Qu'on nous laisse un peu de temps, bon Dieu !

Très intéressant regard (à la fois tendre et lucide) sur les africains. 
In Koli Jean Bofane est né en RDC mais vit désormais à Bruxelles et c'est là son premier roman. Chapeau.

(1) : ceux qui ont eu la chance de vivre quelques temps ici ou là, retrouveront dans ces descriptions, tout “leur” quotidien


Pour celles et ceux qui aiment l'Afrique.
C'est Actes Sud (Babel) qui édite ces 318 pages qui datent de 2008.
D'autres avis ici et .

lundi 4 juin 2012

Sukkwan island (David Vann)

Robinson des glaces (1/2).

Finalement, on avait bien fait.
Bien fait de ne pas céder aux sirènes de Sukkwan Island, le premier roman de David Vann. Bien fait de résister à l'effet de mode qui nous avait paru suspect.
Bien fait d'attendre un peu et de ne prendre un billet que pour le vol suivant, direction Alaska toujours bien sûr, pour Caribou Island et Désolations, voyage éprouvant dont nous ne sommes pas revenus tout à fait indemnes.
À la lecture (surtout dans cet ordre-là !), Sukkwan Island n'est finalement qu'une pâle copie, un brouillon du roman suivant, beaucoup, beaucoup plus abouti.
Autant Désolations nous aura marqué d'une forte empreinte, autant Sukkwan Island nous laisse sur notre faim de saumon fumé.
On y (re)trouve les mêmes thèmes et les mêmes personnages : parents et enfants, couple plus que finissant, mâle coureur de jupons, homme fuyant sa propre vie sur une île déserte et glacée, cabane en planches de guingois, vaine pêche au saumon, paysages grandioses et hostiles, homme en perdition que seule l'obstination entêtée semble maintenir en vie, désolations ...

Il aurait voulu ne pas être celui qu'il était, ne jamais trouver personne. S'il trouvait quelqu'un, il faudrait lui raconter son histoire qui, il devait bien l'admettre, semblerait terrible.

Certes l'histoire est terrible mais celle de Désolations, moins tape-à-l'œil s'avère finalement plus puissante et mieux construite et il faut avouer qu'ici on peine un peu à suivre ces deux personnages, père et fils, perdus sur Sukkwan Island. Emporté par la violence sourde et la force inéluctable de son histoire, David Vann a délaissé l'écriture. C'est tout l'inverse dans Désolations où il ne se passe presque rien et le second roman, peaufiné, affiné, est beaucoup, beaucoup plus fort.

Qu'y avait-il de magique dans ces endroits ? Qu'y avait-il dans cette idée de Frontière qui le poussait à penser que rien d'autre n'avait d'intérêt ? Ça n'avait aucun sens, il aimait son confort et ne supportait pas la solitude. À chaque instant de la journée, désormais, il avait envie de voir quelqu'un. Il avait envie d'une femme, de n'importe quelle femme. Peu lui importait le paysage s'il devait l'admirer seul.

Alors résumons-nous : si vous ne connaissez pas encore David Vann précipitez-vous sur l'île des Désolations, et si vous aviez déjà succombé aux charmes de Sukkwan Island, ne manquez pas le remake en bien plus mieux.
Dans tous les cas, ne passez pas à côté !
Évidemment avec des romans d'une telle puissance dévastatrice on se dit que David Vann n'a pas dû avoir une vie toujours facile, alors on se renseigne : James Vann, le père de David donc, aime les femmes, la pêche et la chasse. Quand son fils nait, il est dentiste sur l'île d'Adak à la pointe ouest de l'Alaska. Mais James Vann est infidèle. Les parents se séparent, le père reste dans ces froides contrées tandis que la mère, David et sa sœur partent pour la Californie. Finalement le père se suicidera au pistolet.
Trente ans après, David Vann a refait surface : il est devenu écrivain célèbre (!) et fait de la voile dans les eaux turques.
Il s'apprête finalement à réaliser le rêve du garçon de Sukkwan Island : faire le tour du monde en bateau ...
Après avoir lu ses deux bouquins, bon sang, c'est tout ce qu'on lui souhaite : bon vent !


Pour celles et ceux qui aiment les histoires (terribles) de père et fils.
C'est Nature Writing de Gallmeister qui édite ces 200 pages qui sont traduites de l'américain par Laura Derajinski.
D'autres avis sur Babelio.