mardi 27 octobre 2009

Sur le sable (Michèle Lesbre)

Improbable rencontre.

Après Simple chute et Le canapé rouge que nous avions adorés, on ne pouvait manquer le dernier roman de Michèle Lesbre, Sur le sable.
Clignement d'œil D'autant qu'il nous est arrivé dédicacé par l'auteure grâce aux bons soins de Nadine  : Sur le sable, cette rencontre improbable où la mémoire se mêle aux vagues ...
Michèle Lesbre place ses histoires (ses rencontres) entre parenthèses, dans l'intervalle, dans l'entrebâillement temporel qui s'ouvre lors d'un voyage.
C'était en train dans ses précédents romans, c'est ici entre deux hôtels, sur la grève de sable entre terre et mer.
Un homme et une femme s'y retrouvent un soir, tous deux largués de leur passé.
Lui, se raconte peu à peu. Elle, se souvient.
Au fil des chapitres, son histoire à lui et ses souvenirs à elle vont et viennent comme le ressac de la mer à leurs pieds.
[...] Son discours parfois incohérent exerçait sur moi un effet d'hypnose dans lequel je m'étais peu à peu installée et très vite je n'ai plus été tout  fait présente, j'étais là et ailleurs, comme lorsqu'un choc vous met dans une absence artificielle, une parenthèse.
Mais il semble que ce roman nous a moins accrochés que les précédents.
Michèle Lesbre en a-t-elle fait quelque chose de trop personnel, trop intime ? Peut-être aussi les références à Patrick Modiano sont elles trop appuyées, même si elles constituent un bel hommage et donnent envie de le (re)lire ?
Reste l'évidence de l'écriture impeccable de cette auteure qui ne cède ni aux modes ni aux tics de la sphère franco-littéraire. Rien que pour cette belle et sobre plume, elle mérite notre fidélité.

Pour celles et ceux qui aiment les parenthèses.
Sabine Wespieser édite ces 148 pages qui datent de 2009.
Bellesahi, Hélène, Lilly, ont aimé. Pascale l'a interviewée.

vendredi 23 octobre 2009

Petits crimes japonais (Kyotaro Nishimura)

Petits crimes entre amis japonais.

Savoureuses petites nouvelles policières venues du pays du soleil levant.
Un peu dans la même veine que les nouvelles de Matsumoto Seicho dont on avait parlé en début d'année, voici un recueil de Kyotaro Nishimura : Petits crimes japonais.
On y retrouve un peu de cette fascination pour le crime parfait et de cet amour des histoires policières à l'ancienne.
Les sept nouvelles sont inégales mais plusieurs valent le détour par Tokyo.
Comme celle de ce policier compatissant qui alpague les SDF pour les mettre à l'abri en prison, à leur demande.
De quoi lui donner l'idée d'un crime sinon parfait, du moins avec un coupable consentant ... ou presque, bien sûr !
Ou encore celle du pickpocket qui ouvre le bouquin et les poches de ses voisins de métro. La plus réussie avec un dénouement tout en subtilité qu'on prend la liberté de vous dévoiler ici.
D'autres sont plus "japonaises", plus étranges, comme celle du jeu de la charité où tel est bien pris qui croyait prendre.
Loin des agitations occidentales, Kyotaro Nishimura prend son temps pour nous emmener en quelques pages au cœur de son lointain pays.


Pour celles et ceux qui aiment les crimes presque parfaits.
Clancier Guenaud édite ces 212 pages en poche qui datent de 1978 en VO et qui sont traduites du japonais par Jean-Christian Bouvier ou de l'anglais par Jean-Paul Gratias.
Cottet en parle.

vendredi 16 octobre 2009

L’acrobatie aérienne de Confucius (Dai Sijie)

Quinte flush royale.

Dai Sijie n'est pas un inconnu.
Depuis Balzac et la petite tailleuse chinoise, dont on parlait il y a deux ans, un livre qu'il a mis lui-même en images.
Le revoici de nouveau avec (encore un titre improbable) : L'acrobatie aérienne de Confucius.
Comme dans son précédent bouquin, Dai Sijie excelle dans l'art d'interpeller la littérature pour mieux la mêler à son propre roman. 
Il est par exemple ici question de Rabelais ou encore d'un manuscrit de Tomé Pires, une sorte de Marco Polo portugais.
Dai Sijie construit sa propre histoire sur une anecdote (une légende ?) historique : celle de l'empereur chinois Zheng De qui, vers 1500, craignait tellement pour sa vie qu'il s'était entouré de quatre sosies parfaits. On l'appelait (on les appelait) la Quinte Souveraine.

[...] Voilà un surnom qui mérite des éclaircissements : connu pour sa peur obsessionnelle de la mort, cet empereur apparaissait toujours, en public ou en privé, accompagné par quatre sosies qui, non seulement lui ressemblaient comme des gouttes d'eau, mais avaient atteint une telle perfection dans l'art de synchroniser leurs mouvements, leurs mimiques, leurs paroles que personne ne pouvait dire lequel d'entre eux était le vrai, pas même sa mère, ni l'Impératrice ou les concubines auxquelles il accordait ses faveurs, encore moins ses ministres.

L'Empereur finira noyé dans un accident, mais s'agit-il d'un accident ou d'un attentat et s'agit-il de l'Empereur ou de l'un des sosies ?
Une idée plutôt originale qui en croise une autre, lorsque les chinois de l'époque découvre leur premier Noir (qu'ils confondent avec ... une autruche) :

[...] Comme trophées, il avait capturé quatre animaux exotiques :
un couple de rhinocéros,
un éléphant,
une créature muette, d'origine africaine, qu'un marchand d'Ormuz avait vendue, avec une girafe, au cirque du roi Birman. Elle était noire de la tête aux pieds, à l'exception du blanc des yeux. Une espèce jamais répertoriée dans notre Empire.

Comme chacun sait les Noirs sont équipés d'un membre viril imposant (1).
L'Empereur Zheng De se fait donc greffer celui du malheureux captif et se retrouve obligé de faire peindre ceux de ces sosies dans la même couleur, même si la taille n'y est pas ...
On passe alors dans le registre coquin, celui du roman historico-érotique ...
D'où ce fameux titre :

[...] " L'acrobatie aérienne de Confucius ! Il l'a réussie, dit le Monarque."

Mais voilà que moi aussi, comme Dai Sijie, je me mets à plaisanter ...
Malheureusement n'est pas Umberto Eco qui veut. Et Dai Sijie empile ici les anecdotes amusantes, les histoires érudites, les polissonneries chinoises ... sans vraiment réussir à nous embarquer sur sa jonque impériale.
Il y avait peut-être de quoi donner vie à une nouvelle ou deux mais la dilution dans le roman finit par ôter toute saveur à la soupe qui se voulait pourtant épicée.
Dai Sijie s'amuse, visiblement, mais malheureusement un peu tout seul.

(1) : mais ça, pour le coup, c'est vraiment une légende, n'est-ce pas les filles ?!


Pour celles et ceux qui aiment les curiosités.
Flammarion édite ces 249 pages qui datent de 2009.
D'autres avis sur Critiques Libres.

jeudi 8 octobre 2009

Bangkok psycho (John Burdett)

Voyage à Bangkok.

John Burdett nous avait déjà emmenés à Hong-Kong et surtout en Thaïlande avec Bangkok 8. On avait apprécié l'humour futé de ce voyage dans les bas-fonds du district 8 de la cité des anges (Krung Thep en VO) et l'intelligence amusée avec laquelle cet auteur américain essayait de nous instruire du fossé culturel entre les occidentaux (nous, les farangs) et les asiatiques.
Il récidive avec Bangkok Psycho (entre temps il y aura eu Bangkok Tattoo, qu'on n'a pas lu).
De nouveau Burdett met en scène Sonchaï, le flic métis qui a raté sa vocation de moine bouddhiste et l'américaine Kimberley, miss FBI, élevée au biberon judéo-cartésien, ce qui lui fournit bien évidemment tous les prétextes pour opposer les deux cultures.
[...] - Bon, d'accord [...] pour toi, l'esprit occidental est le croisement digne de Frankenstein d'une religion mal ficelée et des idées d'une bande de pédophiles grecs [...] ? 
- Oui, à peu près.
Ah, celle-là je l'adore ! Aristote et Platon doivent se retourner dans leur tombe !
Ou encore (c'est toujours miss FBI qui parle)  :
[...] Tu es le fils d'une pute, proxénète, tu diriges un bordel, tu fais partie d'une des polices les plus corrompues d'Asie, mais tu es innocent. 
Je n'ai jamais enfreint une loi, fraudé, menti ni participé à une affaire tordue de ma vie, et pourtant je suis corrompue, je me sens sale.
Dans cet épisode, Kimberley tombe même amoureuse du bel adjoint de Sonchaï ... un transsexuel sur le point de se faire opérer ! Kimberley considère cela comme un véritable gâchis (!) et n'aura de cesse de convaincre Sonchaï d'amener son ami(e) à renoncer !
Comme Bangkok 8, la première partie de Bangkok Psycho est une promenade, certes mouvementée (c'est quand même un polar) mais une promenade quand même, amusante, passionnante, cocasse, pittoresque, instructive, dans la culture thaï et les arcanes d'incompréhension où s'égarent les farangs.
C'est savoureux, finaud, ironique, on avait déjà tout dit dans notre précédent billet sur Bangkok 8 mais on ne s'en lasse pas.
Mais tout comme dans Bangkok 8, la seconde partie du bouquin bascule dans l'horreur, fini de rigoler.
La région n'est pas de tout repos, la vie y est rarement facile et on a même droit à quelques incursions au-delà de la frontière Khmère.
Ça secoue, et je ne parle pas du 4x4 sur la piste !
On y apprend notamment les règles, heureusement méconnues, du jeu de l'éléphant et je peux vous assurer que, lors de votre prochaine visite au zoo, vous ne regarderez plus ces paisibles pachydermes du même oeil ...
Plus sérieusement, John Burdett nous décrit une Thaïlande où nos catégories cartésiennes si commodes semblent se diluer dans la moiteur tropicale.
Il n'y a plus guère de frontière entre les hommes et les femmes : il est beaucoup question dans ce livre des travestis, transsexuels et autres katoeys (un peu l'équivalent des rae-rae de Tahiti).
Il n'y a plus guère de frontière entre le bien et le mal : le grand patron de Sonchaï (Vikorn) est tout autant un parrain de la mafia locale que le colonel en chef de la police et l'on ne sait jamais trop dans quel registre il opère, passant de l'un à l'autre avec une aisance très déconcertante mais toute bouddhiste.
Et il n'y a plus guère de frontière entre les vivants et les morts : au pays de la réincarnation, quand une vie humaine n'est somme toute qu'un petit moment d'un grand tout kharmique, les fantômes viennent vous hanter la nuit, voire reviennent carrément pour solder leurs comptes (le titre en VO est Bangkok Haunts).
Dans la dernière partie du bouquin, John Burdett nous donne (et avec beaucoup d'habileté alors que l'exercice est périlleux) deux versions à comprendre en filigrane d'une même histoire à lire : la version logique où les méchants se font rattraper comme dans toute bonne intrigue policière et puis la version magique où les morts ne se contentent pas de crier vengeance mais entendent bien régler eux-mêmes leurs histoires avec les vivants.
Le plus fort (et Dieu sait qu'on a pourtant été élevé au même biberon que miss FBI) c'est que, malmenés jusqu'ici par l'histoire que nous a contée Burdett, on ne sait finalement pas trop quelle lecture on a envie de privilégier ...
Dans cette aventure, il est également beaucoup question de sexe (bien plus, me semble-t-il, que dans mes souvenirs de Bangkok 8), pas du sexe-galipettes mais du sexe-puissance qui anime les tréfonds de l'âme humaine, du sexe-tsunami.
Comme si Bangkok n'était pas seulement la capitale mondiale du commerce de la chair mais bien plutôt l'épicentre terrestre de cette vague de fond.
Si pour conclure on ajoute que tout démarre avec un snuff-movie (quand sont filmés en direct et pour de vrai, sexe et meurtre mêlés pour de sordides mais riches amateurs) on comprendra que Bangkok Psycho est décidément un roman passionnant mais dérangeant. Très dérangeant.
Alors quand on dit coup de coeur ici, il faut comprendre aussi un peu de tachycardie !

Hasard de l'actualité, on vous livre ici le texte intégral d'un article (très intéressant, très "factuel", c'est anglo-saxon) de Courrier International sur les katoeys de Thaïlande (n° 986 du 24.09).
Autre hasard de l'actualité, mais beaucoup moins intéressant, on ne se doutait pas en rédigeant ce billet que notre auto-proclamé ministre de la culture physique allait choisir ce moment pour faire la promo de son bouquin de 2005 vantant les charmes du tourisme sexuel en Thaïlande. Laissons Frédéric Mitterand à ses mensonges et à sa gloire médiatique et reprenons quelques lignes de John Burdett (tirées de Bangkok 8) qui ne s'intéresse dans ses livres ni à sa propre personne, ni aux touristes occidentaux mais aux Thaïs eux-mêmes :
[...] La Thaïlande ne retire pas grand chose d'industries comme celles du vêtement. Les sociétés occidentales se réservent la part du lion. C'est pourquoi nous voyons dans l'industrie du sexe une façon de redistribuer la richesse mondiale de l'Occident vers l'Orient.

Pour celles et ceux qui aiment les fantômes. 
Les Presses de la Cité éditent ces 344 pages qui datent de 2007 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Thierry Piélat. 
Jean-Marc pense, comme nous, que John Burdett est incontournable.

samedi 3 octobre 2009

Shutter island (Dennis Lehane)

C’est l’histoire d’un fou …

L'annonce de la prochaine adaptation ciné (par Scorcese avec Di Caprio) de ce bouquin de Dennis Lehane nous a poussés à (re)découvrir cet auteur dont on parle beaucoup ici ou là mais qu'on ne connaissait guère (il est pourtant l'auteur de Mystic River, autre film superbe).
Alors nous voici embarqués pour Shutter Island, qu'on avait déjà dû lire il y a quelques années mais sans grand souvenir.
Plutôt que de polar, c'est de thriller qu'il s'agit, suspense et angoisse un peu façon Stephen King mais sans le côté gore.
Roman TGV aux personnages sans grande épaisseur, mais plutôt bien écrit, au-dessus de la moyenne dirons-nous.
Et où tout est dans l'intrigue.
Au large de Boston, battue par les flots et les vents, Shutter Island est une sorte d'asile pénitencier pour criminels barjos et violents.
L'une des "pensionnaires" a disparu et le marshal Teddy débarque avec son co-équipier pour mener l'enquête. Les péripéties s'accumulent et c'est vraiment too much. Teddy sort à peine de son veuvage, sa chérie a péri dans un incendie criminel, la tempête fait rage et bloque toute l'île, le pyromane de sa femme pourrait bien être interné sur place, les toubibs sont inquiétants à souhait et semblent se livrer à des expériences peu orthodoxes, ...
Le tout dans une ambiance digne du Village du Numéro 6.
Mais on aurait bien tort de s'en tenir à cette première lecture et la pirouette finale remettra tous les compteurs à zéro !

Au point qu'il vaut peut-être mieux ne pas lire ou relire le bouquin avant le film ...

[...] À votre avis, Chuck, qu'est-ce qui se passerait si vous donniez des hallucinogènes à des malades atteints de schizophrénie extrême ?
- Personne ne ferait une chose pareille.
- Ça se pratique, et c'est parfaitement légal. Seuls les humains souffrent de schizophrénie. Pas les rats, ni les lapins, ni les vaches. Alors, comment tester les traitements d'après vous ?
- Sur des humains.
- Bravo.

Après Clint Eastwood et Mystic River, on peut faire confiance à Martin Scorcese pour nous mettre en images Shutter Island. De là à conclure que les histoires de Dennis Lehane inspirent les grandes caméras et connaissent une vie meilleure à l'écran que dans ses propres bouquins ...
Ce serait loin d'être un sot métier. 


Pour celles et ceux qui aiment les châteaux de sorcières.
Rivages Noir (ré-)édite ces 393 pages qui datent de 2003.
Amanda en parle, Black aussi. D'autres avis sur Critiques Libres.