lundi 29 août 2016

Les maraudeurs (Tom Cooper)

[...] Au mauvais endroit au mauvais moment.

Belle découverte que ces Maraudeurs de Tom Cooper.
On ne peut pas vraiment parler de polar, plutôt un roman noir, un roman qui nous plonge dans le bayou de Louisiane (décidément un décor propice aux aventures), après Katrina et après Deepwater.
[...] Tu es inquiet pour la marée noire ? » demanda Villanova. Lindquist répondit que oui. Tout le monde à Jeanette était inquiet. Ou plutôt carrément pété de trouille. « C’est peut-être pas aussi grave que ce qu’on raconte, dit Villanova. Mais j’ai comme le pressentiment que c’est peut-être pire. ».
[...] Les nouvelles liées à la marée noire, suite à l’explosion du site de Macondo, étaient de plus en plus mauvaises. La fin du bayou tel qu’on le connaissait, disaient les gens.
Malgré les destructions de l'ouragan, malgré la marée noire de BP, dans le bayou de Barataria quelques pêcheurs s'obstinent à vivre comme avant et chaluter les crevettes de plus en plus rares.
[...] – M’en parle pas, dit Naquin. On fait ce qu’on peut. Si jamais j’écris un bouquin sur ma vie, c’est comme ça que je l’appellerai : On fait ce qu’on peut, bordel.
[...] C’était le bon temps alors, pour tous les habitants de la Barataria. Avant que le bayou ne se mette à recracher de moins en moins de crevettes. Avant la marée noire. Avant Katrina.
[...] Combien les marais avaient changé depuis que les compagnies pétrolières avaient débarqué avec leurs pelleteuses et s’étaient mises à bouffer la terre. Aujourd’hui, les pêcheurs s’estimaient heureux de gagner de quoi payer leurs factures et nourrir leur famille.
Le talent de cet étonnant romancier qu'est Tom Cooper (ce n'est là que son premier roman), c'est d'abord la peinture de ces personnages hauts en couleurs, que l'on dirait tout droit sortis d'un film des frères Coen ou de Tarentino.
Sans pour autant tomber dans la caricature facile, l'auteur nous emmène faire la connaissance d'un manchot shooté aux médocs et aux blagues vaseuses (normal dans le bayou ...), d'une paire de jumeaux un brin déjantés qui cultivent la marie-jeanne de façon intensive sur les îles cachées des marais, de deux losers sortis de prison pour quelques travaux d'intérêt général et quelques enrichissements plus personnels, d'un fils du pays revenus arnaquer ses anciens voisins pour le compte de la BP et surtout de la famille Trench, père et fils, symboles de ces générations malmenées par les crises et catastrophes successives.
Il faut se laisser porter par les histoires de ces personnages (les chapitres alternent à la façon d'un roman choral, centrés sur un ou deux personnages qui s'entrecroisent), par cette ambiance de fin du monde où l'on se dit que c'est mal parti et que ça va forcément mal finir ...
Le manchot (quelque part entre Don Quichotte et le Capitaine Crochet) parcourt les îles à la recherche d'un trésor, peut-être celui du pirate Jean Lafitte. Les jumeaux cultivent et trafiquent leur magot aux herbes, ...
[...] Il se plaisait à imaginer le jour où enfin il rapporterait un véritable trésor sur son bateau. Une pièce d’or espagnole. Un collier de pierres précieuses, une bague en diamant. Il aimait imaginer la tête qu’ils feraient tous quand ils verraient ces merveilles briller dans la paume de sa main.
Chacun cherche fortune et le moyen d'échapper à sa condition, chacun tourne autour du pot, se croise et se recroise au détour d'une île ou d'un chenal, jusqu'à ce que ...
[...] Il était désespéré. Désespéré et, il fallait bien l’avouer, curieux. Curieux de voir comment toute cette histoire allait se terminer.
[...] Parfois, il faut laisser les gens faire leurs conneries jusqu’au bout, dit son père. Parce que, quoi qu’il arrive, ils les feront.
[...] Parce qu’ils s’étaient trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.
[...] Il lâcha : « C’est le plus gros bordel de foirade que j’aie jamais vu de ma vie.
Dépaysement garanti avec cette virée aux confins du monde, portée par une écriture facile et un rythme agréable.
Seule la poursuite finale, apocalyptique et hallucinatoire, s'enlise un peu dans les marais pour quelques pages de trop : Tom Cooper s'est un peu laissé emporté par son enthousiasme !

Pour celles et ceux qui aiment les crevettes.
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samedi 20 août 2016

Le livre des âmes (James Oswald)

[...] On ne lit pas le Liber Animorum. C’est lui qui vous lit !

Cet été sera pour nous celui des séries écossaises post-Rankin : celle (excellente) de Gordon Ferris et de son journaliste-détective d'après-guerre, et celle (plus étrange) de James Oswald, à la fois éleveur de moutons et auteur ayant fait ses débuts dans le fantastique avant de s'attaquer au rayon polar.
Après une savoureuse Mort naturelle, voici la nouvelle enquête de l'inspecteur Tony McLean : Le livre des âmes ... tout un programme !
Ça commence plutôt bien avec l'enterrement d'un tueur en série, trucidé en prison après avoir été coffré par McLean il y a quelques années. Celui qu'on surnommait Le tueur de Noël repose désormais six pieds sous terre. De quoi se réjouir.
Sauf que ...
[...] — Tu m’écoutes ?
— Excuse-moi, Emma… J’essaie juste de reprendre mes esprits. Tu disais ? Ah, oui ! Pourquoi tes collègues me haïraient-ils ?
— Parce que c’est le soir de Noël. En principe, il est interdit de découvrir des crimes ce jour-là. C’est une règle non écrite…
[...] Enlevée, séquestrée durant environ une semaine, violée et enfin égorgée avec un couteau bien aiguisé. Le cadavre lavé, puis placé dans l’eau sous un pont…
De nouveaux meurtres sont commis, similaires en tous points ...
[...] — Vous allez bien, Tony ? On dirait que vous venez de voir un fantôme.
[...] — Le Tueur de Noël…, lâcha-t-il soudain.
— C’est impossible, Bob. Il est mort. Je viens d’assister à ses funérailles.
Vraiment ? Si fou que ce fût, McLean avait comme un doute… 
Le tueur de Noël est-il vraiment mort et enterré ? A-t-il fait un adepte ? Était-il finalement innocent ?
Ou bien serait-ce ce sulfureux Livre des âmes, le liber animorum qui aurait pris possession d'un nouveau serial-killer ?
[...] — Le livre ? C’est de lui que tu parles ? L’ouvrage que mentionnait Anderson ? Le Livre des Âmes ?
[...] On ne lit pas le Liber Animorum. C’est lui qui vous lit ! Il soupèse votre âme et, s’il lui trouve des défauts, il la dévore. Ce qui reste ensuite, c’est le mal à l’état pur. Une personne insensible aux remords.
Je ne sais si c'est imputable au manque d'attention des lectures estivales, mais cet épisode m'a paru plus pesant que le précédent : l'intrigue principale tarde à se structurer et surtout, les démêlés de l'inspecteur McLean avec sa hiérarchie se font un peu trop insistants.
Même le petit côté fantastique, marque de fabrique de l'auteur, semble moins subtilement dosé que dans Mort naturelle, comme si Oswald lui-même n'y croyait qu'à moitié.

Pour celles et ceux qui aiment les grimoires.
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mardi 16 août 2016

Au plus près (Joy Castro)

[...] Une histoire qui pourrait m'exploser dans les mains.

Comme promis Après le déluge, voici le second roman de l'américaine Joy Castro : Au plus près.
On retrouve donc la jeune latina Nola Céspedes, journaliste d'origine cubaine au Times-Picayune de La Nouvelle-Orléans.
[...] En un an, bien des choses peuvent changer. J’étais une journaliste frustrée qui se contentait de sujets superficiels, la mode, les bals de charité et les ouvertures de galeries d’art. Et maintenant, je suis au bureau d’information de la ville du Picayune et mes articles parlent de viols et de meurtres. Et des saisies de drogue, lorsque la police locale a de la chance. J’adore ce boulot, et mon rédac’ chef, Bailey, aime mon travail. Le crime est mon métier.
Toujours très ancrée dans son décor social, la série permet de découvrir la Nouvelle-Orléans post-Katrina : son racisme, ses noirs, ses latinos et ses blancs, son passé historique, son présent pas toujours très glorieux, son exploitation forcenée du pétrole du golfe, les dégâts de l'ouragan passé et ceux de la crise actuelle, ...
Cette fois-ci Nola découvre, lors de son jogging matinal, le cadavre d'une prof de journalisme. Un meurtre mis en scène pour faire croire à un serial-killer.
Et série il y aura : le jeune amant de la prof cougar, un autre cadavre encore ... Il semble bien que l'on cherche à faire disparaître quelques preuves d'une affaire compromettante ...
[...] — Nola, tu te rends compte de ce que tu dis ?
— J'en ai bien peur. Le sénateur est dans le coup. Ou la police. Et ça fait quand même une sacrée série noire. Joe Shorter, Judith Taffner, Cory Brink.
— Et maintenant toi, potentiellement du moins.
— Maintenant oui. Mais il reste des zones d'ombre.
— Nola, tu n'as aucune envie d'être la suivante sur cette liste. Cette histoire est énorme. Un peu trop grosse, même. Tu dois faire attention à toi.
— Ce qu'il me faut, c'est des preuves.
Cette fois-ci l'intrigue sera presque décevante et si l'on aime bien la série de Joy Castro c'est plus pour son parti pris résolument féminin (pour ne pas dire féministe) qui nous change agréablement des flics virils et avinés habituellement fréquentés.
[...] Mes talons hauts me font mal, ce qui m'évite de penser à des concepts aussi abstraits que l'amour.
Une série polar au ton inhabituel, façon polar and the city : Nola et ses ami(e)s, c'est beaucoup de féminité et de légèreté sur une toile de fond pourtant grave.

Pour celles et ceux qui aiment les journalistes.
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vendredi 5 août 2016

Les justiciers de Glasgow (Gordon Ferris)

[...] Qui serait le prochain ?

Après La cabane des pendus, retrouvons à nouveau l'écossais Gordon Ferris pour un nouvel épisode des aventures et enquêtes de Douglas Brodie, mi-journaliste mi-détective privé.
Avec toujours cette ambiance très particulière (et fort bien décrite), d'un passé pas si lointain, dans l'immédiat après-guerre, lorsque la Grande-Bretagne se remet à peine de ses blessures et que les valeureux soldats de Sa Majesté retrouvent un pays qui n'a plus grand chose à leur offrir.
Dans ce Glasgow post-industriel qui se relève à peine des bouleversements de la guerre - celle qui apporta richesse pour quelques uns et misère pour beaucoup d'autres - une étrange épidémie frappe la ville ...
[...] La peste bubonique commence par une piqûre de puce. La grippe espagnole par un éternuement. À Glasgow, la vague de meurtres et de mutilations commença de façon assez banale et, à l’instar d’une piqûre de puce, fut à peine remarquée sur le moment.
[...] Ces lettres, cet avertissement… vous pensez qu’on devrait prendre ça au sérieux ? Que j’aurais intérêt à creuser la question ?
– Oui. Il se passe quelque chose. Peut-être même quelque chose de gros.
[...] Elles ne semblaient viser que des ordures notoires, ce qui les rendait populaires – sauf dans le camp de ceux qui en faisaient les frais.
[...] On parlait de plus en plus des agressions. D’autres crapules furent rouées de coups. Apparemment, le passe-montagne faisait fureur.
[...] Des individus avaient décidé de contourner l’usante bureaucratie des tribunaux pour châtier directement les malfaisants.
[...] Se faire justice soi-même était mal. Sauf quand cela apparaissait comme la meilleure solution.
Un petit gang cagoulé joue les Robins des bois écossais et signe ses forfaits salutaires Les marshalls de Glasgow.
Au cœur de  l'enquête on retrouve donc l'ex-flic Brodie, mi-journaliste, mi-détective, accompagné de son amie avocate Samantha.
L'impertinent Brodie mène l'enquête avec une longueur d'avance sur les flics : Les justiciers de Glasgow utilisent le journaliste comme tribune publique.
[...] Vous êtes d’une insolence rare, Brodie. Elle vous tuera un jour.
[...] Vous ne seriez pas un genre de doublure de la Faucheuse, Brodie ? Partout où la mort frappe, hop ! vous apparaissez.
[...] « On dirait que vous avez le don de vous attirer des ennuis, Brodie. » À force de me l’entendre répéter, j’allais finir par y croire.
 [...] En fait, vous avez réussi à énerver tout le monde, Brodie. À ce point-là, ça confine au génie.
Mais tout cela n'est pas aussi simple qu'il y paraît et il ne suffit pas de laisser les Marshalls nettoyer la ville de sa pègre. Brodie se retrouve bientôt embringué dans une affaire qui sent la corruption à plein nez.
[...] À Glasgow – où des décennies de surpopulation avaient donné naissance aux pires quartiers de taudis de l’Europe –, les pères de la ville nourrissaient des rêves grandioses. Ayant entendu dire que les Français avaient du style, ils voulaient rendre hommage au Corbusier ici, dans le Nord.
[...] On va transformer cette ville en paradis des travailleurs. On va raser les taudis et construire des appartements ultra-modernes.
Cette série d'enquêtes de Gordon Ferris est sans hésitation notre préférée du moment.
Le décor d'après-guerre, la description de l'Écosse, l'ambiance journalistique, l'arrière-plan social, font de ces polars des bouquins diablement intéressants.
La plume de Ferris (manieur de mots et visiblement frère d'encre de son héros) est toujours aussi vive, mordante, fluide et c'est un plaisir de lire sa prose qui prend parfois des accents naïfs de Rouletabille pour citer ensuite les poètes écossais.
Une série à découvrir sans tarder et sans hésiter, à savourer dans l'ordre, de préférence, car même si les histoires sont indépendantes, l'évolution des personnages et notamment celle des relations complexes entre Sam et Brodie y gagne en épaisseur.

Pour celles et ceux qui aiment les journalistes.
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lundi 1 août 2016

Scalpel (John Harvey)

[...]  Quand poser les questions et quand écouter.

Troisième épisode de la série Charles Resnick du britannique John Harvey (série qu'on avait débutée il y a quelques mois avec les Cœurs solitaires puis Les étrangers dans la maison).
On connait désormais bien l'inspecteur Charles Resnick de Nottingham, ses origines polonaises, ses vinyles de jazz, ses sandwiches et ses aristo-chats, un inspecteur qui aurait comme des airs de Colombo ...
[...] Lui en tenue de ville, avec son pantalon trop serré à la taille et légèrement en accordéon sur ses chaussures, sa veste dont il ne parvenait à fermer qu’un seul bouton.
[...] – Derek vous a décrit comme un gros, fagoté comme l’as de pique et frisant la cinquantaine.
– Normal que vous ne m’ayez pas reconnu tout de suite.
– C’est parce que vous n’êtes pas vraiment gros.
– Merci.
[...] Resnick avait appris quand poser les questions et quand écouter. Il attendit.
La recette est également connue : une intrigue policière minimaliste, une écriture fluide et bien travaillée et surtout une attention toute particulière portée aux différents personnages, flics et civils, gentils et moins gentils, héros principaux et figurants secondaires.
[...] Quelquefois, Resnick se disait qu’il devait forcément exister sur terre des gens pour qui une sonnerie de téléphone au beau milieu de la nuit ne signifie pas obligatoirement une mauvaise nouvelle.
Avec ce Scalpel, toubibs et infirmières semblent se faire poignarder un peu plus souvent qu'à leur tour ...
De quoi donner du piment à l'intrigue policière puisque cela ressemble bien à un serial-killer !
Comme d'habitude, plusieurs histoires (et donc autant de personnages) vont se croiser et s'entremêler pour notre plus grand plaisir, jusqu'au dénouement des toutes dernières pages.
L'air de rien, John Harvey nous a même pondu là une histoire des plus glaçantes, digne des thrillers les plus angoissants : une histoire qui changera à jamais votre regard sur les salles d'opération !
À ne surtout pas lire avant une intervention bénigne !

Pour celles et ceux qui aiment les toubibs.
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