mercredi 31 janvier 2024

The old man (Thomas Perry)


[...] Un vieil homme avec deux chiens.

●   L'auteur, le livre (350 pages, 2024, 2017 en VO) :

On ne connaissait pas jusqu'ici l'américain Thomas Perry auteur de polars et scénariste.
Voici The old man qui fut adapté en série télé (avec Jeff Bridges dans le rôle principal).

●   On aime un peu :

❤️ On aime bien ce thriller qui aurait pu s'intituler "La cavale pour les nuls" car c'est un véritable manuel du parfait fuyard qui nous est proposé. Sous son apparence d'aimable retraité, le héros Dan Chase s'avère, quelque part entre DGSE et CIA, un redoutable agent secret en fuite qui a soigneusement et méthodiquement organisé sa "retraite".
Sa devise :
[...] La plupart des gens qui ne croient pas aux coïncidences sont encore en vie. Et ce n’est pas une coïncidence.
😕 Le grincheux aime moins les dialogues qu'il a trouvé un peu froids ou mécaniques et plus descriptifs ou explicatifs que vraiment révélateurs des personnages. Des personnages qui sont d'ailleurs un peu superficiels et stéréotypés comme ce Dan Chase, héros peu crédible car trop infatigable et trop invincible, mais c'est le propre des héros, non ?
Paradoxalement, c'est le personnage de l'un de ses poursuivants qui lui a semblé le plus fouillé, le plus humain.

●   L'intrigue :

Dan Chase est aujourd'hui un veuf retraité qui promène ses deux chiens.
[...] Un vieil homme avec deux chiens n’avait aucune raison d’attirer l’attention sur lui.
Mais son lointain passé est beaucoup plus sombre puisqu'il travaillait à l'époque pour quelque organisme qui ressemble fort à la CIA. 
Une opération en Lybie qui s'est terminée comme bien souvent en eau de boudin : Dan doit livrer quelques subsides aux rebelles anti-Kadhafi, tout cela part en sucette et Dan se retrouve seul, lâché par sa hiérarchie (le gouvernement niera avoir eu ...) et avec les millions "sur les bras" ...
Il était soudain devenu "quelqu’un qui avait eu la mauvaise idée de voler plusieurs millions de dollars appartenant aux services de renseignement du gouvernement des États-Unis".
En homme bien avisé, Dan fit prospérer le magot et s'en servit pour se construire une nouvelle vie sous une fausse identité.
Mais voilà que quarante ans après, le passé se rappelle à son bon souvenir : des chasseurs sont sur ses traces ...
[...] À l’époque de son installation à Norwich, il multipliait les précautions, mais il avait fini par baisser la garde à mesure que passaient les années.
[...] D’un autre côté, il savait que le jour venu, le danger se présenterait de façon aussi anodine et ténue. Quelqu’un dont il ne savait rien s’intéresserait brusquement à lui d’un peu trop près et l’affrontement qui suivrait serait aussi soudain que brutal.
[...] Il guettait les ailerons noirs au large, dans l’espoir de repérer un banc d’orques. Il n’y était jamais parvenu jusque-là, mais il finirait bien par y arriver. Armitage était aussi patient qu’attentif. Surtout, il connaissait à merveille les mœurs des prédateurs et savait que ceux-ci se manifestaient toujours quand on se lassait de les surveiller.

Pour celles et ceux qui aiment les cavales.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions de l'Archipel.

Le secret de Copernic (Jean-Pierre Luminet)


[...] Cette œuvre grandiose : mesurer l’univers.

●   L'auteur, le livre (413 pages, 2008) :

Après la remarquable fresque de L'astronome de Samarcande, on a voulu entamer la suite des œuvres de Jean-Pierre Luminet sur les grands hommes qui ont fait l'astronomie.
JP. Luminet est avant tout un homme de sciences, mathématicien et astrophysicien notamment, chercheur de renom dans plusieurs labos.
Mais c'est aussi un écrivain et un poète qui nous fait profiter d'une plume magique capable d'évoquer et de vulgariser ses sujets de prédilection de manière lumineuse (il porte bien son nom !).
La série judicieusement intitulée Les bâtisseurs du ciel, comporte les histoires de Johannes Kepler, Tycho Brahé, Isaac Newton et bien sûr Galilée.
Mais commençons par le début avec Le secret de Copernic.

●   On aime moins :

❤️ On aime partager l'enthousiasme de l'auteur pour ces savants qui tentent de se mesurer aux étoiles. Même si l'on devine un ton un peu trop bienveillant envers cette époque un peu idéalisée mais sans doute pas aussi éclairée que notre regard moderne veut bien l'imaginer aujourd'hui.
😕 Mais le grincheux a été un peu déçu par ce foisonnant portrait qui, voulant certainement éclairer le personnage sous toutes ses facettes, s'étend trop longuement sur une jeunesse étudiante en Italie, ou encore d'obscures batailles politiques en Pologne, véritables querelles de clochers, ...
Il manque à ce Copernic un peu du souffle épique qui nous avait emmené sur les traces du Ulugh Beg de Samarcande, mais peut-être est-ce le lot de ces personnages historiques dont les "découvertes sont tellement extraordinaires qu’elles éclipsent les péripéties de leur existence".

●     L'intrigue :

Nous voici invités à (re-)découvrir toute l'histoire de Nicolas Copernic, la sienne mais aussi celle de son époque et de son pays.
Mikołaj Kopernik est né à la toute fin du XV° siècle en Pologne (à l'époque, la Prusse Royale conquise sur les fameux Chevaliers Teutoniques, était sous tutelle polonaise).
Au fil de son parcours de Pologne jusqu'en Italie, le lecteur va croiser du beau monde : Albrecht Dürer, Nicolas Machiavel, Erasme (Le Sage de Rotterdam), les Hohenzollern, les Médicis et les Borgia, ...
Le portrait de Copernic brossé par JP. Luminet est assez ambigu : gentilhomme bien né (un père échevin, un oncle évêque, ...), homme d'église (il était chanoine d'un chapitre), il fut un humaniste touche-à-tout, des mathématiques à la médecine en passant par le droit religieux ou la politique monétaire.
[...] Copernic, se terrait dans sa tour, en administrateur du chapitre scrupuleux, inattaquable, et même tatillon.
[...] Nicolas Copernic, docteur ès arts et ès droit canon, médecin, bourgeois par naissance, gentilhomme par fonction.
Mais c'est surtout sa propre réticence à rendre public le résultat de ses recherches astronomiques qui interpelle, comme s'il avait lui-même peur de ce qu'il avait "découvert" (ou plutôt re-découvert) et des conséquences que cela impliquait. 
Il faut dire que nous sommes en pleine Réforme : l'Église est sur les dents et il faut évidemment se méfier des réactions des religieux dont les Saintes Ecritures sont remises en cause par l'héliocentrisme.
Curieusement aussi, on se méfiait à l'époque de l'imprimerie, encore balbutiante, qui permettait la diffusion "rapide" de tout et n'importe quoi (tout comme nos réseaux sociaux d'aujourd'hui !).
[...] Il ne convient pas de divulguer à tout le monde ce que nous avons acquis avec de si grands efforts.
[...] Je n’osais aller jusqu’au bout de mon raisonnement, je ne pouvais formuler les conclusions qui s’imposaient.
[...] — Abrège, mon garçon, et cesse de tourner autour du pot. On dirait que tu as peur de ce que tu veux me dire.
[...] Copernic n’est pas encore mis à l’index, il est « au purgatoire » tant côté catholique que côté protestant.
[...] Cette méfiance des grands esprits de ce temps pour la chose imprimée.
Finalement donc, Copernic garda son secret pour quelques rares amis et son œuvre ne fut publiée qu'à sa mort.
[...] Alors, de Londres à Naples et de la Suède jusqu’à l’Andalousie, se répandit la rumeur qu’au fond de la Pologne, un certain Nicolaus Copernicus avait osé mettre le Soleil au centre de l’Univers et réduire la Terre à une simple planète.

Pour celles et ceux qui aiment avoir la tête dans les étoiles.
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Quand le chat n'est pas là (M. J. Arlidge)


[...] Elle avait un assassin à ses trousses.

●  L'auteur, le livre (512 pages, 2024, 2023 en VO) :

Le britannique Matthew Arlidge fut scénariste et producteur d'une série policière (Cape Wrath) avant d'écrire une suite de polars qui mettent en scène Helen Grace, à Southampton.
Quand le chat n'est pas là ... est le onzième épisode.

●   On n'aime pas trop :

😕 Le grincheux n'a pas trop aimé ce thriller qui ressemble vraiment trop à une série télé policière de TF1, avec tous les clichés qui vont avec et des personnages dessinés à l'emporte pièce. Et la prose simpliste de M. J. Arlidge ne réhausse pas vraiment le niveau.
Bref, il ne nous reste qu'une intrigue un peu originale pour agrémenter un voyage TGV par exemple.

●   L'intrigue :

À Southampton, un affreux jojo s'introduit dans les belles maisons des quartiers chics et massacre les occupantes solitaires à coups de hache.
L'équipe des homicides est mobilisée sous la conduite de la commandante Helen Grace, increvable et insubmersible, qui ne reculera devant rien (poursuite en moto, plongeon dans le port glacé, courses et bagarres diverses et variées, ...) et surtout pas devant sa hiérarchie qui trouve qu'elle accapare un peu trop la vedette.
[...] Elle était devenue trop importante. Trop puissante, trop gâtée, trop convaincue d’avoir raison, à diriger la brigade criminelle comme son fief personnel.
D'autant plus que Helen est en pleine parano depuis que le méchant Blythe lui a échappé lors d'une précédente enquête et a juré de lui faire la peau.
[...] Certes, elle avait réussi à mettre fin à une vague de crimes sans précédent, résolu le mystère derrière une série de meurtres déroutants, mais le coupable lui avait échappé. Surtout, il avait crié vengeance et juré à Helen qu’un tueur anonyme viendrait lui régler son compte quand elle s’y attendrait le moins.
[...] Elle ne se sentait en sécurité que lorsqu’elle avalait le bitume sur sa bécane.
À mi-parcours on croit tenir le coupable des intrusions nocturnes dans les beaux quartiers mais dans la seconde partie du bouquin l'enquête va s'avérer bien plus compliquée et dans l'attente, la ville de Southampton est terrorisée.
[...] Tant que les médias clameraient qu’un forcené armé d’une hache était en liberté dans Southampton, la ville serait terrorisée.
[...] Elle avait un assassin à ses trousses, un patron qui voulait sa tête, un tueur sadique qui continuait de leur échapper, un fantôme qui entrait et sortait de domiciles privés avec une facilité déconcertante.

Pour celles et ceux qui aiment les motardes ou les séries télé.
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Livre lu grâce à Netgalley et aux éditions Les Escales.

mardi 30 janvier 2024

Les parias (Arnaldur Indridason)


[...] Il valait mieux garder le silence.

●   L'auteur, le livre (304 pages, 2024, 2022 en VO) :

Il n'est sans doute plus très utile de présenter Arnaldur Indriðason, l'islandais devenu un véritable phénomène littéraire, qui fit connaitre au continent le polar nordique et découvrir la passion de ses concitoyens pour la littérature.
La veine de la série "Erlendur" s'est tarie au fil des années et la série des "Kónrað" a pris la relève : une série bien sombre, avec un héros qui n'en est pas vraiment un, aussi mal à l'aise dans sa vie privée que dans son métier de flic, et qui porte sur ses épaules tout le poids d'un père toxique, violent et à moitié escroc.
Voici un nouvel épisode, Les parias qui s'annonce peut-être comme le dernier de cette série puisque les mystères y sont enfin dévoilés : un épisode très proche et dans le ton du précédent (Le mur des silences) qu'il faut avoir lu avant.
Le titre de celui-ci en VO, c'est Kyrrþey, soit quelque chose comme "garder le silence", tout un programme dans le monde d'Indriðason ...
[...] Au fil du temps, Kónrað avait compris qu’il valait mieux garder le silence.

●   On aime :

❤️ On aime, ou plus exactement on finit par s'attacher au personnage de Kónrað, un flic à la retraite pétri de contradictions, rarement sympathique, ayant à son passif quelques faits d'armes peu glorieux, tout autant dans sa vie privée (il a trompé sa femme hospitalisée, ...) que dans sa vie professionnelle (il a trempé dans un trafic de ripoux, ...). Son père n'était qu'un petit escroc qui a fini assassiné et son fils n'a de cesse de revenir sur un passé qui a laissé en lui des blessures profondes et une obsession tenace, une faim qu'il lui faut nourrir sans fin, quitte à harceler tout son entourage pour remuer les souvenirs.
❤️ De même, on finit par s'intéresser au curieux personnage de Eyglo, la médium qui "voit" les esprits des morts venus solliciter les vivants : la frontière entre ce monde-ci et l'au-delà a toujours été un sujet récurrent des histoires d'Indriðason et la série des "Kónrað" explore cette limite de plus en plus ténue au fil des épisodes.
❤️ Ainsi il aura fallu de la persévérance au lecteur pour fréquenter cet insupportable Kónrað, accepter d'être obnubilé par les obsessions de son passé. L'épisode précédent (Le mur des silences) nous a facilité ce premier pas difficile pour mieux apprécier celui-ci, très réussi, dans toute sa sombre complexité.

●   L'intrigue :

La découverte bien tardive d'une arme ancienne (un Lüger) va raviver d'anciennes histoires non élucidées : l'arme est identifiée comme ayant servi lors d'un meurtre en 1955 dans les bas quartiers de la capitale.
Une arme en tous points identique à celle que possédait Seppi, le père de Kónrað.
[...] –  Nous avons retrouvé l’arme du crime commis en 1955. Tu te souviens ? Un homme tué d’une balle tirée à bout portant dans la tête, à Mulahverfi. 
–  Quoi ? Vous avez trouvé l’arme ? 
–  Eh oui. 
–  Et c’est un Luger ?!
Il n'en faut évidemment pas plus pour relancer Kónrað sur la piste de ce qui est arrivé à son père.
[...] Dans sa carrière, il ne s’était jamais intéressé aux enquêtes irrésolues, mais depuis qu’il était à la retraite et qu’il cherchait à savoir ce qui était arrivé à son père, il était obsédé par ces vieilles histoires.
[...] –  Pourquoi remuer cette histoire ? Ça remonte à tellement loin. 
–  C’est que j’aimerais bien en avoir le fin mot un jour. 
–  Elle te pèse ? 
–  Oui, et depuis longtemps, avoua Kónrað. Peut-être plus encore que je n’en ai conscience.
D'autant que son amie Eyglo (celle qui a un don de médium) continue d'avoir des "visions" et d'entrevoir des morts venus du passé pour questionner les vivants, un peu comme le commissaire Ricciardi de Maurizio di Giovanni.
[...] Elles avaient l’air tellement réelles qu’Eyglo avait cru un instant qu’elles faisaient partie des invités, puis elle avait compris qu’il n’en était rien. Elles n’étaient pas de ce monde. Elles venaient d’un autre espace, d’une autre époque.
Connaissant les thèmes chers à l'auteur, on devine que c'est un passé bien trouble et bien nauséabond que va remuer Kónrað alors que la tempête de neige s'acharne sur Reykjavik ...
[...] Toute cette boue. Autrefois, c’était une vraie plaie en Islande. Ces ignominies étaient une vraie plaie et personne ne réagissait. 
[...] –  Ce n’était vraiment pas joli. Surtout pour son petit frère. On les avait séparés, Gardar avait été envoyé ailleurs et le frère était resté là-bas. Un homme venait à l’institution, il y en a même sans doute eu plusieurs, je ne m’en souviens pas vraiment, en tout cas il emmenait le gamin et quand il le ramenait… Il lui avait fait du mal, si vous voyez ce que je veux dire.
[...] Personne ne réagissait face à ces choses-là à l’époque. Personne ne trouvait gênant que des hommes viennent chercher des gamins vulnérables pour leur faire du mal.
Le passé qui remonte à la surface est celui d'une époque où les pédocriminels étaient rarement inquiétés ... à la différence des homosexuels.
[...] La vie de paria des homosexuels à Reykjavik dans les années 60, une époque où ils n’osaient pas avouer qu’ils aimaient les hommes. Ils vivaient cachés, se rencontraient en secret et n’avaient nulle part où se retrouver sauf les uns chez les autres, ils vivaient dans la honte et la peur d’être démasqués comme des criminels.
À force de remuer passé boueux et souvenirs nauséabonds, Kónrað ne se fait pas que des amis et réussit à se faire détester de tous.
[...] Tu n’es qu’un pauvre crétin, Konrad. Nom de Dieu, tu as vraiment un sacré problème !
Mais son entêtement obstiné finira par porter ses fruits et on aura enfin le fin mot de toutes ces histoires ...
[...] Il se sentit libéré d’un poids. Il savait qui avait tué son père et la réponse à sa question n’était pas celle qu’il avait le plus redoutée.

Pour celles et ceux qui aiment remonter le temps.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Métailié.

La faille (Franck Thilliez)


[...] Memento mori. « Souviens-toi que tu vas mourir. »

●   L'auteur, le livre (504 pages, 2023) :

Franck Thilliez fait partie de nos auteurs incontournables dans le monde français du polar.
Son flic récurrent, Franck Sharko, et sa compagne Lucie Hennebelle, sont devenus de vieilles connaissances au fil des épisodes d'une longue série, tous deux déjà bien abîmés par la vie en général et leur boulot en particulier : les flics d'élite du 36 Quai des Orfèvres (ou désormais du Bastion) ne fréquentent pas toujours le meilleur de notre belle société.
Des polars toujours survoltés où Thilliez aime bien broder autour de faits scientifiques et de données réelles.

●   On aime bien :

❤️ On apprécie toujours l'équipe de flics de F. Thilliez et l'écriture très professionnelle de ses polars, on l'a dit, cet auteur est une valeur de référence du polar français.
❤️ On aime bien aussi l'équilibre savant qu'il réussit à maintenir entre des histoires qui d'un côté, flirtent habilement avec le fantastique et de l'autre, sont ancrés dans une violence hélas bien réaliste. 
L'exercice difficile qui consiste à s'approcher de trop près des failles dans notre monde cartésien.
Cet épisode est particulièrement bien monté et l'on se passionne pour la découverte du monde des EMI (les expériences de mort imminente, le fameux tunnel de lumière !), les ondes cérébrales énigmatiques (l'onde de la mort !) et les neurosciences. 
Franck Thilliez nous explique même ses sources de documentation dans une postface très instructive.

●   L'intrigue :

Cette fois-ci Franck Thilliez s'intéresse à la frontière ténue qui sépare la vie de la mort, avec notamment une céroplasticienne. Ce bien étrange métier sera pour le lecteur, l'occasion d'apprendre plein de choses grâce aux recherches et à la documentation de F. Thilliez, notamment sur les EMI, les expériences de mort imminente.
[...] En art funéraire, un transi est un genre de sculptures particulier apparu dans le sillage de la peste noire et de la famine, au Moyen Âge, à une époque où la mort rôdait à chaque coin de rue.
[...] Une discussion passionnée sur l’âme, sur la survivance de l’esprit au corps lorsque sonne la dernière heure.
[...] — Que crois-tu qu’il y a, de l’autre côté ? lâcha Lucie. Après la mort, je veux dire. Est-ce que tu penses que tout s’arrête quand on meurt ou que… qu’il y a quelque chose ?
[...] Il voyait son visage reposé, ses paupières closes, comme si elle dormait. Où était son âme ? Le policier avait beau être rationnel, il ne pouvait nier que certains phénomènes demeuraient inexplicables. Le spiritisme, les esprits, les communications avec les défunts…
Fort heureusement, on sait que Franck Thilliez et son flic Sharko sont tous deux des cartésiens qui gardent les pieds sur terre. Tout cela doit donc avoir, malheureusement, de sombres ancrages dans la dure réalité.
[...] Tout cela ne pouvait être qu’un amas de conneries. Un délire mystique.
[...] Sharko ne croyait pas au diable. Mais ce n’était pas pour ça que le diable n’existait pas.
[...] Un tueur s’en prend à des gens qui ont réchappé à la mort et s’arrange pour figer leur visage dans une expression de terreur absolue. Un type planqué dans une abbaye se croit traqué par des démons et cache des secrets.

Pour celles et ceux qui aiment Frankenstein.
D’autres avis sur Bibliosurf et sur Babelio.

mercredi 24 janvier 2024

Il s'appelait Doll (Jonathan Ames)


[...] Le seul ancien flic à suivre une analyse.

●  L'auteur, le livre (304 pages, 2024, 2021 en VO) :

Romancier et scénariste, l'américain Jonathan Ames connu pour des récits semi-autobiographiques assez humoristiques, nous propose ici ce roman noir, façon hard boiled, "à la manière de" ses compatriotes comme Chandler & co, un peu comme Baldacci nous avait proposé récemment Une bonne action.

●  On aime :

❤️ Le charme gentiment rétro de ce roman noir avec lequel, sans se prendre trop au sérieux, J. Ames nous emmène pour une sympathique balade sans angoisse ni prise de tête, même si les cadavres vont s'accumuler autour de son "privé" et même si le sujet (qu'on ne dévoilera pas) est somme toute, pas cool du tout.
❤️ On aime le soin apporté au dessin du personnage, le privé Happy Doll, un flic rangé du LAPD qui arrondit désormais ses fins de mois comme vigile pour un institut de "massage thaï" et plus si affinités. 
Un ancien flic qui voit une psy plusieurs fois par semaine.
[...] Mon premier souffle a coïncidé avec le dernier de ma mère. Il est difficile de se pardonner une chose pareille et ça ne facilite pas non plus les choses pour votre père qui a du mal à vous absoudre, voire à vous aimer. C'est tout cela qui m'a amené à ma relation un peu bizarre avec George et au divan de ma psy quatre fois par semaine. Pour autant que je le sache, je dois bien être le seul ancien flic à suivre une analyse, mais je peux me tromper.
Un homme plus amoureux de son chien George que des serveuses de bar qui lui tournent autour.
[...] À la différence de la plupart des propriétaires de chiens, je ne le prends pas pour mon enfant, en l'occurrence mon fils. Nous avons en fait une relation plus trouble que cela. Pour moi, c'est un ami très cher avec lequel il se trouve que je vis. Ainsi, nous sommes comme deux célibataires reclus qui cohabitent à l'ancienne sans penser que le reste du monde sait très bien qu'ils sont amants. Il a bien sa propre couche vers laquelle je l'expédie parfois, mais c'est très rare, et nous dormons ensemble presque toutes les nuits le reste du temps. Au début, il pose sa tête à côté de la mienne sur l'oreiller et me fait des yeux doux pendant que je lis - je lis toujours avant de m'endormir- puis, quand j'en ai assez et que je suis fatigué, je range mon livre et j'enfouis mon visage dans son cou afin de respirer son odeur terreuse de chien, chose que j'adore.
Un privé au cœur trop généreux et trop impulsif pour éviter les ennuis.
[...] Tu as raison, ai-je dit. Ce n'était pas très malin de ma part, ce qui était aussi proche que possible de la vérité.

●   L'intrigue :

Happy Doll ne voit pas les ennuis arriver quand son meilleur ami Sheldon vient le solliciter pour une greffe de rein. 
Sheldon repasse le lendemain mais avec une balle en plein dans le buffet et meurt dans ses bras. La greffe ne sera finalement pas très utile.
Dès lors les coups vont pleuvoir sur Happy et les cadavres s'accumuler autour de notre héros au cœur trop généreux et au caractère trop impulsif.
[...] Au milieu de son front, il y avait un petit trou noir. J'ai poussé le corps du bout du pied. C'était mon deuxième mort de la journée et le troisième en deux jours. Je commençais à être blasé.
[...] Après ma sortie de l'hôpital, Lou était mort, j'avais trouvé sur mon chemin un homme blond qui avait une balle dans la tête, j'en avais balancé un autre depuis un balcon, j'avais menti à la police, je m'étais fait tabasser par un flic et on m'avait emmené dans un autre hôpital.
Fort heureusement, on vous rassure tout de suite, tout est bien qui finit plutôt bien.
Il ne reste plus qu'à attendre la suite de ce qui pourrait faire une excellente série.

Pour celles et ceux qui aiment les privés.
D’autres avis sur Babelio et sur Bibliosurf.
Livre lu grâce à Babelio et aux éditions Joëlle Losfeld.
Mon billet dans 20 Minutes.

lundi 22 janvier 2024

Disparue à cette adresse (Linwood Barclay)


[...] Il y a nécessairement une explication.

●   L'auteur, le livre (448 pages, 2024, 2022 en VO) :

On ne connaissait pas encore Linwood Barclay, auteur canadien de thrillers.
Le voici avec Disparue à cette adresse et un pitch qui s'annonce très proche d'un roman bien connu que l'on vient tout juste de lire : Les apparences de l'américaine Gillian Flynn, adapté au cinoche avec Ben Affleck et Rosamund Pike, c'était Gone girl.

●   On aime beaucoup :

❤️ On est tout d'abord surpris par la qualité de l'écriture, très pro, de ce thriller qui a priori pouvait s'annoncer comme un simple polar tgv. Visiblement, Linwood Barclay s'annonce comme un auteur qui a visiblement plus d'un tour dans son sac et chez qui il faudra revenir.
❤️ Et puis on adore les tours de prestidigitation où l'artiste attire notre regard d'un côté pendant que, de l'autre, il prépare son chapeau pour en sortir soudain toute une ribambelle de lapins et de colombes.
Une belle affiche que ce page-turner que l'on ne lâchera pas avant le clou du spectacle, et oui il y a même un petit twist final !

●   L'intrigue :

C'est donc encore l'histoire d'une femme qui disparait mystérieusement. Mais là où Les apparences et le film Gone girl mettaient l'accent sur la réaction du mari et les soupçons de la police, Linwood Barclay change radicalement le point de vue du metteur en scène.
Six ans plus tard, Andrew (le mari de Brie qui avait disparu) a refait difficilement sa vie : il a déménagé et changé de ville, changé de nom pour ne plus être traqué par les médias, il a même une nouvelle famille, ...
[...] Ma vie était devenue un spectacle public, matière à émission policière racoleuse et à spéculations sur les réseaux sociaux, j’avais eu besoin d’un nouveau départ.
[...] Pendant très longtemps, j’ai été une épave. C’est ce qui arrive quand votre femme disparaît et qu’on murmure dans votre dos que vous êtes coupable. J’ai perdu mes amis, à l’exception d’un seul.
Lorsque soudain ... Brie réapparait ! Voici Back girl !
Est-ce bien elle ? Qu'est-elle devenue pendant ces six années ? Serait-ce plutôt une autre femme qui lui ressemblerait ? Mais pourquoi cette soudaine réapparition ?
[...] Et puis j’ai reçu le coup de téléphone de Max. Je ne savais pas quoi en penser. « Je pense que c’était Brie. »
Ma femme, qui avait disparu depuis six ans et que beaucoup présumaient morte, se serait présentée à mon ancienne adresse ? Impossible.
[...] Si c’était Brie, où était-elle pendant ces six années ? Pourquoi est-ce qu’elle sortirait de nulle part ? Je veux dire, qu’est-ce qu’elle a fait pendant tout ce temps ? Si c’était vraiment elle, pourquoi aurait-elle décidé de revenir précisément à ce moment-là et pas à un autre ? Est-ce que quelqu’un la gardait prisonnière et qu’elle a fini par s’échapper ? Et dans ce cas, pourquoi n’est-elle pas allée directement voir la police ?
Une réapparition qui pose beaucoup de questions et qui vient bouleverser la nouvelle vie d'Andrew comme celle de la famille de Brie qui commençait tout juste à faire son deuil d'une fille, d'une sœur.
Pour corser le tout, la fliquette de service s'empresse de rouvrir le dossier, elle qui s'était déjà acharnée en vain six ans plus tôt à prouver la culpabilité du mari.
[...] — Si on l’a vue, c’est que vous ne pouvez pas l’avoir tuée, n’est-ce pas ? 
— Qu’est-ce que vous insinuez ? Que j’ai mis ça en scène ? Que j’ai engagé une femme pour qu’elle se fasse passer pour Brie ?
— Il y a nécessairement une explication.
À mi-parcours le lecteur comprend déjà le fin mot de l'histoire. À mi-parcours seulement, le lecteur se dit que "Oh mon Dieu ! C’est… C’est de la folie." et se rappelle soudain de quoi sont faits les chemins de l'enfer.
[...] — Tu sais de quoi l’enfer est pavé. 
— Oui, je sais.
[...] — Vous avez laissé le génie sortir de la lampe, dit Hardy. C’est la loi des conséquences non intentionnelles. 
— Je vous demande pardon ? 
— On commence avec l’intention de faire une chose, et on finit par provoquer quelque chose d’autre.
Le lecteur se rend compte qu'il s'est fait balader par l'auteur et son faux remake de Gone Girl : pendant que les spectateurs regardaient d'un côté, le magicien édifiait patiemment un véritable château de cartes qu'il va écrouler dans un brillant feu d'artifice.
[...] — Oh mon Dieu ! C’est… C’est de la folie. 
— Je ne vais pas vous contredire. Mais revenons à vos aveux.
[...] On arrive parfois à un stade où on ne croit plus personne.

Pour celles et ceux qui aiment les tours de magie.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Belfond.

samedi 20 janvier 2024

Kremulator (Sasha Filipenko)


[...] Il les a tous incinérés.

●   L'auteur, le livre (208 pages, 2024, 2022 en VO) :

Opposant déclaré au régime pro-russe de Loukachenko, Sasha Filipenko est un écrivain biélorusse qui vit en exil dans différents pays d'Europe dont la Suisse et la Belgique.
Avec son Kremulator, il s'est emparé d'un personnage étonnant mais authentique : Piotr Ilitch Nesterenko était le responsable du crématorium funéraire de Moscou chargé d'incinérer les décédés et accessoirement, les multiples victimes des purges staliniennes.
Un homme né avec le siècle dernier et donc au parcours étonnant qui finit comme tant d'autres dans une geôle du NKVD, accusé de trahison. Le livre est basé principalement sur les interrogatoires dont il fit l'objet.
C'est toute l'histoire du début du siècle qui défile dans ces fiches grâce au parcours étonnant de ce Nesterenko, véritable girouette politique (un nom qui pourrait se traduire par L'Ineffaçable, on ne peut mieux dire !).
Evidemment, au vu du pedigree de l'auteur, ce portrait sera un dossier à charge contre la machine répressive soviétique.

●   Le contexte :

Le mieux est sans aucun doute de laisser la parole à l'auteur dans sa préface :
[...] En 1941, le directeur du crématorium de Moscou, Piotr Nesterenko, est arrêté. Il sait mieux que personne ce qui arrive aux victimes des Grandes Purges staliniennes. 
Opposants, espions présumés, anciens héros de la révolution et autres ennemis du peuple – il les a tous incinérés. 
Au fil des interrogatoires, il doit répondre de sa vie tumultueuse : officier de l’Armée blanche ayant fui les bolcheviks jusqu’en Ukraine, survivant d’un étrange accident d’avion, émigré à Istanbul puis à Paris, amoureux fidèle à la passion de sa jeunesse – voici un parcours qui ne plaît pas aux autorités soviétiques… 
[...] Tu parles d’une vie ! Un officier blanc, mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, qui a trouvé le moyen de servir pour l’Armée blanche et pour l’Armée rouge, pour les Allemands et pour la Rada ukrainienne. Un pilote ayant survécu au crash de son avion, combattant de l’armée de Denikine, contraint à émigrer, transitant par plusieurs pays européens, travaillant comme chauffeur de taxi à Paris avant de revenir à Moscou, où il est devenu le premier directeur du crématorium de la ville, édifié dans l’enceinte du monastère de Donskoï. Une destinée loin d’être triste, bien que couverte de cendre. Une girouette-modèle ? Un vrai caméléon ? Ou un pauvre type, qui a juste eu le malheur de venir au monde dans l’Empire russe de la fin du XIXe siècle ? 
[...] Le matin, il incinérait les têtes du régime soviétique : Ordjonikidze, Gorki et Maïakovski. La nuit, il réceptionnait les cadavres des fusillés qu’il devait brûler pour faire disparaître la trace des crimes rouges. Mais quand donc dormait-il ? 
[...] Kremulator, le mot russe pour « crémulateur ». Un mot dans lequel le lecteur entend à la fois un écho du Kremlin et le nom d’un métier qui n’existe pas. Le crémulateur est un instrument précis, un broyeur qui pulvérise définitivement ce qui subsiste d’un individu après sa crémation (oui, certains cartilages résistent même à une heure et demie au four). Il me semble qu’il n’y a pas de meilleure métaphore pour désigner la machine répressive soviétique.

●   On aime :

❤️ On aime bien entendu le sujet dont s'est emparé Filipenko : quel remarquable personnage au parcours étonnant avec qui on révise l'Histoire d'une période un peu trouble que l'on connait mal.
On aurait même apprécié que l'auteur développe un peu plus le contexte politique du "travail" de Nesterenko : tant de "traîtres" sont passés entre les mains de ce nouveau Charon ...
[...] Une fois, j’ai incinéré quarante-cinq personnes de l’Institut pédagogique de la ville de Gorki, des doyens, des professeurs et des étudiants. Chaque nuit, mon four dévorait des membres des Jeunesses communistes et du Politburo, comme le secrétaire général Kossior ou le Commissaire du peuple Tchoubar. J’ai incinéré les secrétaires polonais et yougoslaves du Comité central ...
❤️ On aime l'humour noir, grinçant, caustique de l'auteur : c'était sans doute aussi celui du personnage, une ironie et une distance indispensables à ceux qui côtoient chaque jour la mort d'aussi près.
[...] Dans la cave du crématorium, l’humour et le sarcasme étaient précisément les petites choses qui me préservaient de la folie.

●   L'intrigue :

En 1941, les Allemands attaquent l'URSS et les soviétiques sont aux abois, pressés d'éliminer les espions en tout genre. Mais il ne reste que très peu de candidats après les grandes purges des années 30. On ramasse ce qu'on peut et vient le tour de Nesterenko.
[...] Les arrestations ne sont pas si nombreuses –  tout juste mille soixante-dix-sept individus. 
[...] Une quantité dérisoire, le sort de la plupart ayant été réglé dès 1937, où le seul soupçon de travailler pour la Pologne a condamné plus de cent mille personnes à être fusillées (très exactement  : cent onze mille quatre-vingt-onze citoyens). 
[...] «  Mieux vaut trop de zèle que pas assez  », commente l’un des tchékistes.
Le roman se base sur les interrogatoires kafkaïens de Nesterenko par le NKVD et les fiches qui retracent le parcours étonnant du bonhomme dans un début de siècle très agité : c'était l'époque de la déroute de l'Armée blanche russe jusqu'à Gallipoli, l'époque de la Grande Guerre et de la Triple-Entente, celle du fiasco des Dardanelles, ...
Après être passé par la Serbie, la Bulgarie, la Pologne et Paris où il sera taxi, Nesterenko revient à Moscou en 1926 et se retrouve responsable des cimetières de la ville.
Avec l'aide d'une honorable société allemande, il installe le premier crématorium.
[...] L’entreprise «  Topf et fils  » n’a pas seulement aidé à construire le premier crématorium de Moscou, elle s’est ensuite chargée de la conception et de la construction des fours crématoires pour les camps de la mort nazis.
Le jour, il officie pour accompagner les cérémonies funéraires des moscovites. 
La nuit, le NKVD lui livre un camion de fusillés à faire disparaître ...

Pour celles et ceux qui aiment l'humour noir.
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Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Noir sur blanc.
Mon billet dans 20 Minutes.

mercredi 17 janvier 2024

Melody (Martin Suter)


[...] La différence est si mince entre poésie et vérité.

●   L'auteur, le livre (480 pages, 2024, 2023 en VO) :

Le suisse alémanique Martin Suter a la plume facile : homme d'affaires, journaliste business, il a même écrit des textes pour Stephan Eicher !
Melody est l'un de ses romans que l'éditeur présente judicieusement comme un bouquin "qui questionne chacun sur son propre rapport à la réalité et à la fiction. La vérité n’est jamais telle qu’on la raconte".

●   On aime :

❤️ Et justement, on aime cette histoire bien racontée. L'histoire d'un vieil homme qui raconte une histoire. Dès le début nous sommes prévenus que "la différence est si mince entre poésie et vérité" et puis "les histoires ne sont-elles pas toutes inventées  ? Alors fiction ou vérité, quelle importance  ?".
Le lecteur se retrouve vite piégé entre l'histoire racontée par le vieil homme, une belle histoire d'amour à laquelle on a forcément envie de croire, et celle racontée par Martin Suter, l'histoire d'une histoire qui en cache peut-être une autre encore.
Un roman à énigme, tous publics, écrit avec élégance, sans autre prétention que celle de passer un bon moment à siroter du sherry ou du cognac au coin du feu.

●    L'intrigue :

Il était une fois un riche et vieil homme sentant venir sa fin prochaine : Peter Stotz.
Il fit venir à ses côtés, Tom Elmer, un jeune juriste tout juste sorti des écoles, pour mettre de l'ordre dans ses volumineux papiers et archives : Peter Stotz fut un homme d'affaires influent au réseau étendu, qui s'impliqua jusque dans la politique de son pays.
[...] Recherche  : Jeune homme fiable et cultivé pour classement de fonds. Connaissances juridiques souhaitées. Plein temps. Rémunération honorable.
Mais très vite les entretiens entre les deux hommes reviennent sans cesse sur le fantôme d'une belle jeune femme, Melody, dont plusieurs portraits ornent la grande demeure bourgeoise. Peter Stotz était follement amoureux de la jeune femme qui a disparu mystérieusement, il y a des années de cela.
[...] Melody  ! Et c’est bien ce qu’elle était  : une musique qui traverse l’espace et emporte tout le monde dans les rêves. Moi le premier.
[...] Les rares failles entre les étagères étaient occupées par les alcôves où étaient dressés des autels dédiés à Melody. Des photos encadrées la représentant souriante, lisant, élégante, en pantalon de randonnée, un petit sac au dos, encoconnée de neige, levant son verre au restaurant.
Mais faut-il vraiment croire tout ce que raconte le vieux Peter qui sait si bien, trop bien, raconter sa propre histoire ?
[...] La différence est si mince entre poésie et vérité.
[...] Ne crois pas tout ce qu’il te dit. C’est un écrivain. Ces gens-là préfèrent la fiction à la réalité. 
[...] Les histoires ne sont-elles pas toutes inventées  ? Alors fiction ou vérité, quelle importance  ?
[...] Laisse tomber cette histoire, je n’arrêtais pas de lui dire. Que ça sorte après toutes ces années ne servira à personne. Quand le mensonge s’est installé, la vérité n’apporte que le chaos.
Le jeune Tom se retrouve bientôt à douter de qu'on lui raconte et finit même par enquêter pour découvrir le fin mot de l'histoire, comme on dit. 
Mais le roman, lui, est loin d'avoir dit son dernier mot.

Pour celles et ceux qui aiment qu'on leur raconte des histoires.
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Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Phébus.

mardi 16 janvier 2024

Trois femmes disparaissent (James Patterson)


[...] Le bénéfice du doute.

●   L'auteur, le livre (360 pages, 2024, 2020 en VO) :

L'américain James Patterson est un auteur prolixe avec plusieurs "séries" de polars à son actif dont la suite des Alex Cross adaptés au cinéma avec Morgan Freeman.
Trois femmes disparaissent est un "hors série", avec une intrigue façon "les hommes qui n'aimaient pas les femmes" tout à fait dans l'air du temps.

●   L'intrigue :

Nous sommes en Floride à Tampa. Un beau gosse de la mafia, neveu d'un parrain influent, est retrouvé assassiné dans sa luxueuse villa, tué de multiples coups de couteau.
Trois femmes ont également disparu : sa femme Anna, sa cheffe cuistot Sarah et sa femme de ménage Serena.
En plus de leur éventuelle culpabilité, ces trois femmes avaient, chacune, d'excellentes raisons de fuir la scène de crime.
Pour corser ce scénario déjà bien tordu, le flic chargé de l'enquête n'est autre que le mari de ... Sarah, et sans doute un peu ripoux, il fricotait avec le mafieux.
N'en jetez plus !

●  On aime un peu :

❤️ On aime se faire mener en bateau au milieu de ces quatre personnages (les trois femmes et le flic) : aucun(e) n'est sans doute réellement ce qu'il parait être, chacun(e) est peut-être l'auteur du crime, tou(te)s cachent bien leur jeu et nous racontent ce qui les arrangent en nous cachant soigneusement le reste ...
La commandante Heidi Haagen va avoir bien du mal à dénouer ce sac de nœuds.
[...] — On a déjà évoqué tout ça, m’interrompit Heidi. Heidi. Mon ancienne coéquipière, ma cheffe désormais. C’est elle qui m’avait retiré ce dossier.
[...] Outre le fait qu’elles s’étaient toutes les trois enfuies, Heidi n’avait aucune preuve contre elles. Rien de concret. Tout ce qu’elles avaient à faire, c’était s’accuser mutuellement.
[...] Je ferais en sorte que Sarah incrimine Serena, qu’Anna incrimine Sarah, que Serena incrimine Anna. Ou peut-être que chacune incriminerait les deux autres. Aveuglée, Heidi n’aurait d’autre choix que de leur donner le bénéfice du doute.
😕 Mais si l'idée de départ (ou plutôt de fin) n'est pas mauvaise, la construction du bouquin ne rend pas la lecture aussi plaisante qu'on l'espérait : la mise en place est longuette, les flash-back (avant, après, avant, ...) ne sont pas toujours faciles à repérer et des trois récits des trois femmes qui alternent au gré des chapitres, on ne sait trop lequel suivre de plus près. Si James Patterson cherchait à embrouiller la commandante Heidi, il perturbe aussi beaucoup son lecteur !

Pour celles et ceux qui aiment les coups tordus.
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Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions de l'Archipel.

Le bal des folles (Victoria Mas)


[...] Les folles les fascinent et leur font horreur.

●   L'auteure, le livre (256 pages, 2019) :

Le bal des folles est le premier roman de Victoria Mas (oui, c'est la fille de la chanteuse Jeanne Mas) : il a obtenu le prix Renaudot des lycéens et a été adapté au cinéma par Mélanie Laurent en 2021.
À ne pas confondre avec le film Captives, sur le même sujet bien dans l'air du temps, qui sort cette année 2024 avec Mélanie Thierry.

●   Le contexte :

L'hôpital parisien de la Salpêtrière (près de la gare d'Austerlitz) fut construit par Louis XIV au XVII° siècle dans l'ancien arsenal, comme lieu de détention pour les femmes indésirables (prostituées, voleuses ou simples pauvresses, ...) et où beaucoup attendront leur déportation au Québec. 
[...] Quand la dernière pierre de l’édifice avait été posée, le tri avait commencé : c’est d’abord les pauvres, les mendiantes, les vagabondes, les clochardes qu’on sélectionnait sur ordre du roi. Puis ce fut au tour des débauchées, des prostituées, des filles de mauvaise vie, toutes ces « fautives » étant amenées en groupes sur des charrettes.
Juste avant la Révolution qui coïncida avec sa "médicalisation", c'était devenu le plus grand hospice de la planète qui concentra jusqu'à 10.000 personnes.
L'hypnose connaît son âge d'or à la fin du XIX° avec les écoles de Nancy et Paris : le neurologue Jean-Martin Charcot officie à la Salpêtrière et son équipe tente de maîtriser le corps de ces femmes, un corps qu'ils ne connaissent pas. Ce qui n'empêche pas Charcot de faire de ses consultations de véritables spectacles. 
[...] Un dépotoir pour toutes celles nuisant à l’ordre public. Un asile pour toutes celles dont la sensibilité ne répondait pas aux attentes. Une prison pour toutes celles coupables d’avoir une opinion. Depuis l’arrivée de Charcot il y a vingt ans, il se dit que l’hôpital de la Salpêtrière a changé, que seules les véritables hystériques y sont internées. Malgré ces allégations, le doute subsiste. Vingt ans n’est rien, pour changer des mentalités ancrées dans une société dominée par les pères et les époux.
[...] Les compresseurs ovariens parvenaient à calmer les crises d’hystérie ; l’introduction d’un fer chaud dans le vagin et l’utérus réduisait les symptômes cliniques ; les psychotropes – nitrite d’amyle, éther, chloroforme – calmaient les nerfs des filles.
[...] Et, avec l’arrivée de Charcot au milieu du siècle, la pratique de l’hypnose devint la nouvelle tendance médicale.
[...] La séance s’est bien déroulée. Charcot et Babinski ont pu recréer une belle crise, le public était satisfait. L’auditorium était rempli, comme chaque vendredi. Le docteur Charcot mérite son succès.
[...] Les cours publics du vendredi volaient la vedette aux pièces de boulevard, les internées étaient les nouvelles actrices de Paris, on citait les noms d’Augustine et de Blanche Wittman avec une curiosité parfois moqueuse, parfois charnelle. Car les folles pouvaient désormais susciter le désir. Leur attrait était paradoxal.
Fort de sa notoriété, c'est Charcot qui réactive la tradition hospitalière du fameux "bal des folles" où vient s'encanailler la bonne bourgeoisie du Tout-Paris.
[...] Les folles n’effrayaient plus, elles fascinaient. C’est de cet intérêt qu’était né, depuis plusieurs années, le bal de la mi-carême, leur bal, l’événement annuel de la capitale.
[...] Pour ces gens que la moindre excentricité affole, qu’ils soient bourgeois ou prolétaires, songer à ces aliénées excite leur désir et alimente leurs craintes. Les folles les fascinent et leur font horreur.

●   On aime beaucoup :

❤️ Bien sûr Victoria Mas nous interpelle avec ce sujet, mais le lecteur sera tout d'abord surpris par sa prose très soignée : une élégance sans effets ni fausse note, étonnamment maîtrisée pour un premier roman. L'auteure a trouvé le ton juste pour nous faire partager son histoire : elle n'en fait ni trop ni trop peu en restant concentrée sur ses deux personnages pour nous faire passer les quelques messages essentiels.
❤️ Et puis bien sûr, on se passionne pour l'histoire de ce lieu, à cette époque révolue où les hommes ne se savaient pas encore ignorants et se croyaient toujours les maîtres, du monde comme du corps des femmes.
❤️ Si l'on est un peu curieux, on ne pourra qu'apprécier ce court roman, d'une lecture facile, qui a le mérite d'éclairer une époque charnière, un lieu singulier et la violence de la domination de genre, comme on dit de nos jours. 

●   L'intrigue :

Pour mieux comprendre tout cela, Victoria Mas nous propose de suivre dans ce lieu singulier, le destin de deux femmes.
Geneviève est une infirmière, véritable pilier de l'institution, que les aliénées surnomment l'Ancienne.
[...] Son travail consiste au mieux à les soigner, au pire à les maintenir internées dans des conditions décentes.
Eugénie est une jeune fille de la bonne bourgeoisie (famille de notaires). Elle sera internée à la Salpêtrière à la demande de son propre père : elle a eu le malheur de dire qu'elle "voyait" les morts, un peu comme le commissaire Ricciardi de Maurizio di Giovanni ou encore l'amie Eyglo de Konrad chez Indridason, et papa n'apprécie pas du tout le spiritisme d'Allan Kardec.
[...] Le temps d’une seconde, elle avait oublié qu’elle était ici. Dans cet hôpital pour folles. Une aliénée de plus parmi les autres, leurrée par sa famille, traînée ici par la main qu’enfant elle embrassait avec crainte et respect.
Pour mieux asseoir son récit, l'auteure met en scène plusieurs références de l'époque dans son roman : Leymarie, l'éditeur de Kardec, la fin de Victor Hugo, la danseuse Jane Avril, rescapée de la Salpêtrière qui sera l'une des muses de Toulouse-Lautrec, ...
Mais laissons à Victoria Mas le dernier mot :
[...] La folie des hommes n’est pas comparable à celle des femmes : les hommes l’exercent sur les autres ; les femmes, sur elles-mêmes.

Pour celles et ceux qui aiment faire les folles.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.

samedi 13 janvier 2024

Le clan Snæberg (Eva Björg Aegisdottir)


[...] — C’était un accident, pas vrai ?

●   L'auteure, le livre (416 pages, 2024, 2021 en VO) :

Eva Björg Aegisdóttir fait partie de l'équipe qui prend la relève du polar islandais après le passage du phénomène Indridason.
Depuis la série des épisodes "Elma" cette auteure n'est plus tout à fait une inconnue pour nous.
La revoici avec ce qui s'apparente à un "hors-série" : Le clan Snæberg, ou plutôt un "préquel" comme on dit, qui (petit clin d'œil aux lecteurs) dans les toutes dernières pages annonce justement l'arrivée de Elma dans la brigade de la petite ville d'Akranes.

●    L'intrigue :

Pour un week-end, la riche famille des Snæberg (ils ont fait fortune dans les pêcheries bien sûr) a loué tout un hôtel de luxe dans la péninsule de Snæfellsnes, celle du célèbre glacier Snæfellsjökull au nord d'Akranes, ville fétiche de l'auteure.
Randonnée, excursion en bateau, bonne chère et alcools forts sont au programme de ce rendez-vous façon "4 générations sous un même toit" ou plutôt "Cluedo" !
[...] Ce n’est pas une famille ordinaire. Les Snæberg font partie des gens les plus riches et influents d’Islande.
[...] Il n’y a rien de plus intéressant qu’une famille, ce rassemblement de gens qui passent du temps ensemble uniquement parce que le même sang coule dans leurs veines. C’est fascinant, à bien y réfléchir, ce qui relie des individus entre eux, et jusqu’où ils sont prêts à aller à cause de ces liens.
Tout le monde sait que les réunions de famille sont rarement de tout repos et dès les premières pages on sait déjà que le week-end s'est mal terminé : la police vient de retrouver un corps au pied des falaises. 
De qui s'agit-il ? Meurtre, suicide, accident, que s'est-il passé ? 
Bon sang, pourtant chacun sait bien qu'en Islande, il ne faut jamais aller se promener seul dans la lande !
[...] La météo pouvait être très mauvaise et les voyageurs se perdaient souvent, sans se rendre compte qu’il y avait un précipice.
[...] Les secours avaient été envoyés sur place durant la nuit pour retrouver un client de l’hôtel disparu dans la tempête, et au petit matin, ils avaient informé la police de la découverte d’un corps.
[...] Baissant la voix, je m’efforce de paraître calme :
— Dis-moi la vérité, Viktor. Pourquoi mentir, hein ? C’était un accident, non ?
Viktor s’humecte les lèvres mais garde le silence.
— C’était un accident, pas vrai ? 
À ce stade, le lecteur n'en saura pas plus et une très longue exposition va nous faire revivre le déroulé du week-end et approcher d'un peu plus près les membres du clan Snæberg : lentement, peu à peu, on devine que chacun cache quelque chose, un affreux mensonge, un sombre passé, un terrible secret, une douloureuse faille, un coupable silence, ...
[...] Porter un secret n’est pas de tout repos. Depuis des années, ce fardeau m’empoisonne, affectant ma relation avec ma famille et mes amis.
[...] Un secret qui pèse sur mes épaules depuis des années et a ruiné tant de choses.

●   On aime beaucoup :

❤️ On aime la prose soignée de cette auteure, constante au fil de ses ouvrages. Avec sans doute une belle traduction, c'est toujours un plaisir que de découvrir chacun de ses bouquins, tous très bien écrits et d'une lecture fluide et agréable. Il faut le souligner.
Des intrigues solides et sans violence : du polar classique qui ne bouleverse pas le genre mais qui devrait plaire au plus grand nombre.
❤️ On aime découvrir avec elle les différentes facettes de la vie actuelle et moderne des habitants de l'île, c'est une autre constante de ses romans avec la description de la vie ordinaire des islandais d'aujourd'hui.
Bon d'accord, avec cet épisode, c'est plutôt la vie des riches !
❤️ Et puis on est admiratif de la construction de ce bouquin : durant plus de la moitié du bouquin, le lecteur est dans l'attente. Certes on découvre peu à peu les différents membres du "clan", mais bon sang, que s'est-il passé ce week-end ? Qui donc gît au pied de la falaise ? Où veut nous emmener l'auteure ? À quoi rime tout cela ?
Et puis tout d'un coup, on sent les fils se resserrer et le drame se nouer : il devient impossible de lâcher le livre avant l'explication finale. 
Les nombreux indices semés adroitement ici ou là (on n'a rien vu venir !) prennent leur place dans le puzzle complexe dessiné par Eva Björg Aegisdóttir.
[...] Les fragments de souvenir s’assemblent comme un puzzle, chaque pièce prend enfin sa place.
Disons qu'on tient peut-être là le meilleur bouquin de l'auteure.

PS : on regrette juste que l'éditeur n'ait pas placé un arbre généalogique du "clan" comme celui qu'on a dû établir ici pour s'y retrouver plus facilement dans tous ces noms aux consonnances étranges et ambiguës.

Pour celles et ceux qui aiment les réunions de famille.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à Netgalley et aux éditions de La Martinière.
Mon billet dans 20 Minutes.

mardi 9 janvier 2024

Le sang des innocents (S.A. Cosby)


[...] Le Sud ne change pas.

●    L'auteur, le livre (400 pages, 2024, 2023 en VO) :

L'année commence bien avec Shawn Cosby, un romancier noir américain qui a grandi dans le sud, en Virginie, où il réside toujours.
Le sang des innocents est le dernier roman (le troisième en VF) de cet écrivain de la violence et de la colère : le portrait sombre d'une petite ville du sud des US, rongée par le racisme et le fanatisme religieux.

●    On aime beaucoup :

❤️ On aime ce roman noir qui appartient à la catégorie des braseros dans lesquels on déverse tous les ingrédients nécessaires à un dangereux incendie.
Ici le brasero s'appelle Charon, une bourgade de Virginie, état du sud.
Une bourgade où vivent sans aucune harmonie les communautés blanche et noire, où cohabitent pas moins de vingt et une églises (les méthodistes, les pentecôtistes, les catholiques, les luthériens, les corinthiens, etc ...) et où l'on compte plus d'armes à feu que d'habitants.
Une bourgade à majorité noire, dirigée par les blancs et où le shérif est ... noir.
Il suffit d'une étincelle pour que tout s'embrase, une étincelle que Shawn Cosby s'empresse d'allumer avant la fin du premier chapitre : "Il y a une fusillade en cours au lycée et le standard est en train d’exploser sous les appels".
❤️ Derrière une prose soignée, fluide et agréable à lire, Shawn Cosby ne manque pas une occasion de s'attaquer aux deux pêchés originaux sur lesquels s'est construit le pays et qui condamnent les descendants des pères fondateurs sur plusieurs générations : l'esclavage avec un racisme profondément ancré des deux côtés de la barrière, et l'hypocrisie des pasteurs et prédicateurs religieux en tout genre.
Sa plume sait se montrer féroce pour vilipender le mal, sans mâcher ses mots, même si parfois un humour bien senti pointe le nez.
[...] Titus songea que l’esclavage était une tache incrustée à jamais dans les fondations de son comté natal.
[...] Peu importe d’où ils viennent et où ils habitent, les gens sont tous les mêmes. Jaloux, haineux, tordus, pervers… Ils volent et ils mentent, et ils mentent en affirmant qu’ils n’ont jamais rien volé. Les hommes trompent leur femme, les femmes trompent leur mari. Et ensuite, tout ce petit monde va à la messe le dimanche pour prêcher la fraternité et l’amour du Christ.
[...] L’Ancien Testament, le Nouveau Testament, ce n’étaient que des mots avec un m minuscule, une brochure écrite par des fanatiques afin de promouvoir leur culte à la gloire d’un charpentier cloué sur une croix.
[...] Nombreux sont les paroissiens à traverser une crise spirituelle et à se tourner désormais vers les cartouches de chasse et les balles de calibre .357 Magnum plutôt que vers le charpentier de Galilée.
❤️ Pour autant on apprécie que Shawn Cosby ne profite pas de son sujet (une pédocriminalité particulièrement horrible) pour nous livrer un thriller voyeur et complaisant. Bien au contraire, l'auteur épargne son lecteur et son shérif protège son équipe : nul besoin de décrire longuement le mal pour l'imaginer. Il vaut mieux garder la tête froide et se concentrer sur la traque des criminels.
[...] Ils les ont tués. Des adolescents et des adolescentes noirs. Ils leur ont fait des choses dont je préfère même pas te parler parce que je veux pas te mettre les images dans la tête.
[...] Les photos du téléphone étaient révoltantes. Les vidéos se révélèrent insoutenables.
[...] « Quel monstre a pu faire ça ? murmura Carla.
– Pas un monstre, un homme, rectifia Titus. Les monstres ne font pas preuve d’un tel sadisme. »
❤️ On apprécie également le soin apporté par l'auteur à brosser en quelques lignes les portraits de ses personnages, même lorsqu'il s'agit de personnages secondaires qui ne feront qu'une courte apparition dans le roman. Cette mosaïque de personnages, c'est le portrait de la petite ville de Charon.
[...] Paul Garnett avait un secret. Il aimait grommeler et se plaindre lorsqu’il devait sortir le husky que sa femme avait ramené à la maison un an plus tôt sans lui demander son avis. Ses enfants adoraient le chien, sa femme nourrissait le chien mieux qu’elle ne le nourrissait lui, et tous ses voisins estimaient que le chien était plus sympathique que lui. Ils avaient raison. Mais ce secret qu’il gardait si jalousement, ce mensonge qu’il entretenait, c’était qu’il avait beau prétendre le contraire, il s’était attaché à cette fichue boule de poils.

●     L'intrigue :

Nous sommes en Virginie, dans l'un de ces états du sud où les blancs s'accrochent encore aux manettes et où ceux qui ne se sont toujours pas remis de la défaite du général Lee ne voient pas d'un très bon œil l'étoile du shérif épinglée à la chemise d'un noir, Titus Crown, pourtant légitimement élu.
Titus ne fait pas l'unanimité, pas même au sein de sa propre communauté puisque certains voient en lui "un oncle Tom à la solde du système" et que "beaucoup le considéraient comme l’ennemi. C’était le prix à payer lorsqu’on portait l’insigne".
[...] Charon était semblable à la majorité des villes et des comtés du Sud : son sol était imbibé de plusieurs générations de larmes et, ici comme ailleurs, violence et chaos.
[...] Le Sud ne change pas. On a beau essayer d’oublier le passé, il finit toujours par se rappeler à nous de la pire des manières.
Un beau matin donc, la ville de Charon se réveille traumatisée : un ancien élève a déclenché une fusillade dans le lycée. Un enseignant a été tué. Deux adjoints du shérif ont réussi à abattre le forcené. Un fait divers dont sont coutumiers les US.
[...] Une fusillade dans un établissement scolaire à Charon… J’ai encore du mal à le croire. On se dit que ça n’arrive qu’ailleurs. 
– C’est aussi ce que se disent les gens qui habitent ailleurs.
L'ancien élève, le tueur, est un afro-américain. L'enseignant innocent est un blanc qui faisait l'unanimité dans toute la ville. Les deux adjoints qui ont abattu le jeune noir ... sont blancs.
Alors que chacun est en train de choisir son camp, les choses vont se compliquer très vite d'une manière inimaginable : l'innocent enseignant estimé de tous va rapidement s'avérer un salopard de la pire espèce, et encore le mot est faible puisqu'il s'agira de pédocriminalité.
[...] Il aurait pu dire à Scott que Jeff Spearman était soupçonné d’être un pédocriminel doublé d’un tueur en série. Il aurait pu lui dire que Latrell avait probablement rendu service à l’humanité en assassinant l’enseignant. Il aurait pu lui dire qu’un troisième suspect non identifié courait toujours. Mais toutes ces informations faisaient partie d’une enquête en cours.
[...] Au total, six vidéos se terminent par la mise à mort de la victime. » Titus referma le carnet d’un coup sec. Six, songea-t-il. Ils ont tué six gamins. Six familles quelque part qui se demandent où est passé leur enfant.
Un meurtrier qui court encore, des cadavres qui s'accumulent, voilà une situation explosive à l'approche du festival annuel de la ville et le shérif Titus va devoir déterrer de sombres secrets du passé.
[...] Titus constata que quatre de ses cinq tirs avaient atteint la tête. Ce serait un enterrement avec cercueil fermé.

Pour celles et ceux qui aiment le sud.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à Netgalley et aux éditions Sonatine.
Mon billet dans 20 Minutes.

dimanche 7 janvier 2024

Le tour du monde en 72 jours (Nellie Bly)


[...] Faire le tour du monde en moins de quatre-vingts jours.

●    L'auteure, le livre (216 pages, 2017, 1890 en VO) :

L'américaine Elizabeth Jane Cochrane (Nellie Bly sera son nom de plume) est née en 1864 en Pennsylvanie. Ce fut une journaliste d'investigation intrépide, réputée pour ses reportages "immersifs" : elle travaillait "infiltrée" là où il ne fallait pas mettre son joli petit nez, dans une usine de conserve où les femmes étaient exploitées par exemple. À 23 ans, elle se fit même passer pour folle pour les besoins d'un reportage sur les conditions effroyables d'un asile d'aliénées. Reportage qui fit grand bruit à l'époque et dont on parle aujourd'hui encore : Virginie Ollagnier en a même tiré une BD : Dans l'antre de la folie.
Entre deux missions sous couverture, en guise de vacances !, la jeune femme de 25 ans se lance dans un tour du monde en 72 jours, histoire de battre le record virtuel de Phileas Fogg, le héros de Jules Verne.

●    On aime :

❤️ Les amateurs d'aventure seront sans doute déçus : la jeune américaine voyage en première classe sur de beaux vapeurs affrétés à coup de dollars par son journal.
Son principal exploit aura été de faire tenir dans un seul sac de voyage tous ses effets dont une seule robe taillée sur mesure.
Alors quel peut donc être l'intérêt de son journal de bord ?
D'abord la personnalité de son auteure : une toute jeune femme (elle n'a que vingt-cinq ans !), intrépide et sûre d'elle-même, qui voyage seule dans un monde d'hommes qui laissait peu de place aux dames, même aussi mignonnes.
On apprécie cette immersion rétro (Nellie a une jolie plume) dans le charme désuet d'une époque bien révolue. 
On s'intéresse à son regard porté sur le monde qu'elle parcourt : la jeune américaine émancipée voyage en compagnie des maîtres des mers, ces britanniques un peu coincés : le contraste est savoureux.
[...] L’amour indéfectible des Anglais pour leur reine m’impressionnait beaucoup. Même moi, fervente Américaine, convaincue que l’homme est caractérisé par ce qu’ il devient, et non par sa naissance, je ne pus m’empêcher d’admirer leur dévotion pour la famille royale.
Et puis surtout, étonnant et très instructif, il y a ce doux et innocent racisme qui n'a rien à envier à l'arrogance coloniale des anglais.
En bateau :
[...] La douce mélodie des chansons de nègres entonnées par les hommes dans le fumoir.
Au Moyen-Orient :
[...] Le requin n’attaque pas l’homme noir, m’expliqua-t-on. Une fois que j’eus senti l’odeur de la graisse dont ils s’enduisaient le corps, je compris pourquoi ce prédateur se tient éloigné.
En Asie :
[...] Les coolies ont la désagréable manie de grogner comme des cochons. Je ne saurais dire si leurs bruits ont une signification particulière.
[...] Ce coolie était de plus assez farouche - il y a autant de tempéraments chez les coolies que chez les chevaux.
Au Japon :
[...] Le personnel « jap », si alerte, discret et bienveillant, est en tout point supérieur à nos domestiques. Avec leurs collants bleus et leurs tuniques blanches, ils sont aussi plus élégants.

●      L'intrigue :

Rien de bien extraordinaire on l'a dit, dans la relation de ce voyage.
Il y eut bien sûr quelques tempêtes dans le Pacifique (et d'autres de neige dans le train depuis San Francisco).
[...] - Si j’échoue, je ne remettrai plus jamais les pieds à New York, me lamentai-je un jour. Je préférerais encore arriver morte mais victorieuse que vivante et en retard. 
- Ne dites pas ça, mon enfant, répondit Mr Allen, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous conduire à la victoire. J’ai poussé les machines au maximum.
On notera juste que la demoiselle s'est payée le luxe d'aller rencontrer Jules Verne lui-même à Amiens : il la félicitera d'ailleurs chaleureusement, une fois l'exploit accompli et le record de Phileas Fogg battu.
[...] Monsieur et Madame Jules Verne adressent leurs sincères félicitations à la jeune et intrépide Miss Nellie Bly.
Mais le passage le plus émouvant est sans nul doute l'accueil triomphal de son retour en Amérique, "parmi les siens".
[...] Un orchestre s’était déplacé pour moi mais, dans l’excitation, les musiciens avaient oublié de jouer.
[...] Mes compatriotes étaient très fiers que ce fut une des leurs qui ait relevé pareil défi, quant à moi je me félicitais que ce fut une femme qui ait réalisé cet exploit.

Pour celles et ceux qui aiment les jeunes femmes intrépides.
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Reine Rouge (Juan Gomez-Jurado)


[...] Il a exigé de moi quelque chose d’impossible.

●    L'auteur, le livre (560 pages, 2022, 2018 en VO) :

L'espagnol Juan Gómez-Jurado fut journaliste avant de prendre sa plume.
Reine rouge est le premier épisode d'une série de polars (à suivre : Louve noire et Roi blanc déjà traduits en français).

●     L'intrigue :

Ce polar repose sur un improbable duo d'enquêteurs.
Lui, c'est Jon Guttiérez, un flic que sa hiérarchie vient de mettre sur la touche après qu'il ait trafiqué de fausses preuves pour les beaux yeux d'une dame de petite vertu, pas très malin notre gars. 
Elle, c'est Antonia Scott, une étrange alien au QI surdéveloppé et à la mémoire infaillible qui jongle avec de petites pilules rouges et bleues pour tempérer son mental chaotique. C'est elle la Reine rouge.
[...] — J’imagine que vous avez remarqué qu’Antonia est spéciale. 
— Spéciale ? C’est un euphémisme. Au premier abord, on croirait plutôt qu’elle est dingue ou idiote. 
— Ce qui serait une lourde erreur. Antonia Scott est l’être le plus intelligent de la planète.
[...] Oui, Antonia Scott est insupportable, renfermée, autoritaire, imprévisible et vraisemblablement folle à lier, ou pas loin, en plus de manger n’importe quoi. Mais.
[...] Les yeux vitreux, la mâchoire tendue. Cette expression qui indique que son cerveau tourne à plus grande vitesse que la normale, qu’il est en surrégime.
Pour corser l'affaire, tous deux sont manipulés par un type mystérieux au bras très très long, éminence grise du pouvoir, chargé des basses besognes un peu borderline quand les grands de ce monde ne veulent pas traiter avec la "vraie" police. Avec Antonia, on dirait un remake de Nikita.
[...] — La police ne travaille pas comme ça. Nous ne sommes pas la police. La police est lente, sûre, prévisible. C’est un éléphant qui fonce tête baissée vers son but et écrase tout sur son passage. Nous sommes autre chose.
Cet étrange trio se retrouve à enquêter sur deux enlèvements qui touchent deux des familles les plus riches et les plus influentes du pays. Sauf qu'aucune rançon n'a été demandée et que le premier enlèvement a déjà très mal tourné.
[...] La personne qui a fait ça est extrêmement intelligente et va tuer à nouveau. Ceci n’est que le début. 
— Nous avons affaire à un tueur en série ? demande le Dr Aguado. 
— Non, répond Antonia. C’est autre chose. Un type d’animal différent. Je n’ai jamais rien vu de pareil.
[...] — Il a exigé de moi quelque chose d’impossible. [...]
— Avec tout le respect que je vous dois, madame, que vous a-t-il demandé que vous n’ayez pu lui donner ?

●   On aime un peu :

❤️ Difficile de ne pas se laisser prendre par ce polar au ton original : un peu d'exotisme hispanique, des enlèvements sans rançon, un méchant bien mystérieux, un duo d'enquêteurs improbables et cerise sur le gâteau, cette Reine rouge au cerveau trop rapide. Voilà de quoi passer un bon moment.
😕 Pour autant, le grincheux n'est pas certain d'en redemander : la mise en scène est vraiment artificielle et l'on a du mal à croire à la rencontre de tous ces personnages comme à certaines péripéties d'un scénario un peu rocambolesque. Finalement le dénouement s'avère moins original que le contexte de départ.

Pour celles et ceux qui aiment les coups tordus.
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