samedi 31 octobre 2020

Tragédie à l'Everest (Jon Krakauer)

[...] J’avais passé moins de cinq minutes sur le toit du monde.

[...] En mars 1996, le magazine Outside m’envoya au Népal pour participer à une ascension de l’Everest et en faire le récit. 
En 1852, Sikhdar , un arpenteur indien au service de la couronne britannique mesure pour la première fois la hauteur du nouveau toit du monde. 
[...] L’explorateur américain Robert Peary avait annoncé qu’il avait atteint le pôle Nord en 1909. Roald Amundsen avait mené une expédition norvégienne au pôle Sud en 1911. L’Everest, le « troisième pôle », devenait l’objectif le plus convoité des explorateurs terrestres. 
 Les premiers au sommet furent en 1953, Edmund Hillary et le sherpa Tensing Norgay :
[...] Cent un ans s’écoulèrent après la découverte de Sikhdar avant que le sommet soit finalement atteint. Quinze expéditions s’étaient succédé et vingt-quatre hommes avaient perdu la vie. 
En 1996, les expéditions "commerciales" sont devenues monnaie courante (mauvais jeu de mots) et l'on peut se faire amener à l'altitude de croisière des avions pour environ 65.000 dollars (et deux mois de congés). 
Au printemps 1996 il y avait quatorze cordées et plus de 300 tentes au camp de base à 5.300 mètres. 
Jon Krakauer accompagne l'une de ces cordées. 
On connait désormais l'issue de la tragédie que l'on a pu voir au cinéma en 2015 dans le film de l'islandais Baltasar Kormakur : 8 morts ce jour-là perdus en plein blizzard et tempête de neige à 8000 mètres. La saison fut l'une des plus meurtrières (sans compter les amputations de doigts ou de nez). 
Jusqu'où peut aller la folie des hommes ? 
Krakauer nous en donne un assez bon aperçu, même s'il se perd un peu parfois (mais jamais trop longtemps) dans les justifications et explications pas très utiles rétrospectivement : qu'est-ce qui a foiré ? qui a merdé ? etc ... 
Il souffre un peu du complexe du survivant, on le comprend. 
[...] Au printemps 1996, l’Everest tua en tout douze hommes et femmes. Ce fut la pire saison depuis que des alpinistes vont sur cette montagne, c’est-à-dire depuis soixante-quinze ans. 
[...] Une tragédie de cette importance était prévisible étant donné le nombre d’alpinistes si peu qualifiés qui se rendent en foule sur l’Everest de nos jours. 
[...] Entre 1921 et mai 1996, 144 personnes sont mortes pour 630 ascensions réussies, soit une sur quatre. 
Et puis là-haut on est bien loin de la solidarité entre sportifs, que ce soit entre les cordées concurrentes ou même au sein d'une même équipe : des pieds à la tête, le corps va si mal que c'est plutôt chacun pour soi. 
Et que dire de la satisfaction de ceux qui arrivent au sommet ? 
Le froid, la soif, l'épuisement, les engelures, la faim, la fatigue, le sommeil, le manque d'oxygène, ... les zombies prennent une photo rapide et hagards, entament la redescente au plus vite. 
Trop tard pour certains qui n'arriveront pas au camp. 
[...] Dans ces conditions, je sentais que j’avais froid, que j’étais fatigué, et rien d’autre. 
[...] J’avais passé moins de cinq minutes sur le toit du monde. 
❤️ Paradoxalement, le récit est à la fois une triste peinture de cette folie meurtrière et un formidable roman d'aventures hors du commun.

Pour celles et ceux qui aiment la montagne, même en colère.
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BD : La trilogie Nikopol



La récente exposition Enki Bilal à Landerneau aura été l'occasion de renouer avec les BD de cet auteur et notamment la Trilogie Nikopol : La Foire aux Immortels, la Femme Piège et Froid Equateur.
Rappelons nous que ces trois albums ont été écrits respectivement, en 1980, 1986 et 1992 ! 
Pourtant ils n'ont pas pris une ride, ce doit être ça le talent. 
Enfin si, une ride tout de même : Bilal projette un futur lointain en ... 2023. Aïe, là ça fait mal et on se dit que si les albums n'ont pas vieilli, nous si ! 
Trois beaux épisodes pour des dessins superbes qu'on ne présente plus et une histoire qui, ma foi, à la relecture tient franchement la route.
Bilal signe les deux, scénario et dessin, ce qui est assez rare dans le monde de la BD. 
Une histoire bourrée d'humour (les aliens qui jouent au Monopoly au-dessus de Paris !) et une critique acerbe de notre monde courant à sa perte. 
À relire impérativement, il ne vous reste que peu de temps avant 2023 !
Pour celles et ceux qui aiment les belles images et les belles histoires.
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samedi 24 octobre 2020

Sorbonne plage (Edouard Launet)

[...] Le pedigree des personnages.

Sorbonne plage de Edouard Launet (journaliste scientifique) : voici un excellent et opportun contrepoint au gros album sur La Bombe dont on parlait ici même il y a quelques jours. 
Ce roman historique est en quelque sorte le point de vue 'français' sur la naissance de cette bombe atomique.
Un point de vue d'autant plus intéressant et original que l'auteur a choisi de nous retracer cette histoire (une "histoire qui commence bien et qui finit mal" comme chacun sait) à travers le prisme des vacances que nos scientifiques allaient passer régulièrement en Bretagne ! Savoureux. 
Un angle d'attaque où, de l'aveu même d'Edouard Launet, il peut 
[...] sembler excessif d'aller traquer les prémices de la catastrophe jusque dans les balades en mer et les photos de famille, de donner un arrière-plan dramatique à chacune de ces anodines scènes de vacances. 
[...] Ces images sont en effet bien banales si l'on fait abstraction du pedigree des personnages qui les composent.
Pedigree, voilà bien un mot-clé : Launet nous décrit par le petit bout de la lorgnette et de l'historiette, le microcosme très fermé de ces universitaires bardés de diplômes et de prix Nobel, la double-crème de l'intelligentsia française. 
Aveuglés par leur arrogance, ils refuseront de voir les conséquences de ces recherches, tout comme ils ne verront pas venir les américains qui les devanceront dans la course à la bombinette. 
Avec cette peinture acide et désabusée, on n'apprendra pas grand chose sur l'histoire de la bombe (l'album déjà évoqué est clairement plus instructif sur ce plan) mais beaucoup sur l'exception intellectuelle franco-française.
Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire.
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BD : La bombe



La Bombe : plusieurs scénaristes (dont le journaliste Laurent-Frédéric Bollée), un dessinateur québécois (Denis Rodier), le parrainage du Monde et plusieurs années de travail pour retracer dans ce gros album de 500 pages l'histoire (que dis-je ! l'Histoire) de la bombe atomique.
Tout le monde est au rendez-vous, des mines du Katanga belge à Los Alamos en passant par Narvik et la bataille de l'eau lourde, tout le monde est convoqué : Einstein, Oppenheimer, Fermi, Heisenberg, ... et toux ceux dont l'Histoire a oublié les noms comme ce général Groves directeur du projet Manhattan. 
Très vite la course poursuite est lancée (dès avant 1940) et la BD se lit comme un thriller alors que chacun connait pourtant le sinistre dénouement le 6 août 1945 à 8h15. 
L'histoire est vue du côté US et le bouquin permet de voir comment les américains basculent peu à peu d'une arme de dissuasion face à l'Allemagne nazie (vaincue en 1940) à une arme de domination mondiale ("testée" en 1945, et plutôt deux fois qu'une), une arme qui ne modifia pas vraiment le cours de la guerre mais qui changea assurément le monde. 
Un album documentaire de référence où les auteurs arrivent à faire passer suffisamment d'émotion pour nous emporter avec le souffle de cette bombe et de cette Histoire.
Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire.
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Le grand jeu (Peter Hopkirk)


Le Grand Jeu
de Peter Hopkirk
Après les Alpinistes de Staline, on poursuit notre découverte de cette région méconnue qu'est l'Asie Centrale : le Grand Jeu, c'est celui de la rivalité entre les empires britannique et russe tout au long du XIX° siècle pour la maîtrise de ces montagnes inhospitalières et de ces rivières infranchissables qui donnaient accès aux Indes. 
[...] Jusqu’alors, les stratèges de Londres et de Calcutta considéraient les grandes montagnes au nord des Indes comme impénétrables.
[...] Les renseignements militaires, généraux et topographiques recevaient de temps à autres l’aide – non officielle – de jeunes officiers entreprenants et d’autres explorateurs.
[...] Les Russes s’inquiétaient des activités menées par des officiers, explorateurs et autres voyageurs britanniques dans une région qu’ils en étaient arrivés à considérer comme faisant partie de leur sphère d’influence.
Le bouquin de P. Hopkirk retrace ces années de guerre froide avant l'heure, entre petits espionnages entre amis et vrais massacres entre ennemis qui façonnèrent notre monde actuel des Balkans à l'Afghanistan et même jusqu'au Xinjiang des Ouïghours : l'auteur ne manque pas une occasion de tracer des parallèles ou des transversales avec les événements de nos siècles plus récents.
[...] Il faudrait encore un siècle – l’hiver 1979 – pour que les troupes et les blindés russes ne franchissent l’Oxus et ne pénètrent en Afghanistan.
Le gros pavé de 600 pages pourrait être indigeste mais non, P. Hopkirk sait nous faire partager avec élégance la passion de ces explorateurs intrépides qui parcouraient ces mondes inconnus pour la gloire (parfois !) de leurs Empires respectifs. 
Loin du pensum historico-géo-politique que l'on pouvait craindre, l'écriture est fluide et la lecture agréable : nul besoin de prendre des notes pour se rappeler les noms de tous les acteurs, les dates de tous les événements ou même les emplacements de toutes les villes.
L'auteur est un bon pédagogue et l'Histoire y est expliquée comme un roman d'aventures. 
Les plus curieux se doteront tout de même de quelques cartes pour mieux 'visualiser' la région : tout le monde a entendu parler de Samarcande et des routes de la soie mais personne ne sait trop où situer cela sur une carte. 
C'est passionnant comme un roman d'aventures et instructif comme une leçon de géopolitique. 
On s'en doute, la couronne britannique ne sort pas vraiment grandie de tout cela ... Quels dégâts aura donc produit la colonisation occidentale !
Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire.
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Terres brûlées (Eric Todenne)


[...] Une frontière, au milieu du village ?

Nous voici repartis à Nancy avec le duo qui se cache derrière le pseudo d'Eric Todenne  : le vosgien Eric Damien et l'espagnole Teresa Todenhoefer qui vivent en Allemagne. 
Avec ce nouveau polar, Terres brûlées, on retrouve la recette du précédent épisode : le flic à l'ancienne Andreani, amateur de jazz, désabusé et un peu alcoolisé, plus vraiment de son époque, qui a la mauvaise habitude d'enquêter hors des clous, remuant d'anciennes pages sombres de notre passé. 
Après l'Algérie, il sera question cette fois d'Alsace et de Lorraine lorsque les frontières passaient au beau milieu des villages de Moselle, faisant d'anciens voisins de nouveaux ennemis. 
 [...] Bon, la limite, c’était la rivière. Rive gauche, la France, rive droite, l’Allemagne. 
— Une frontière, au beau milieu du village ? 
— Oui, c’était comme ça par chez nous. " 
[...] Et c’est reparti comme en 1914, nez à nez avec leurs voisins d’en face. Parfois même des cousins. Alors j’vous raconte pas, après la guerre, ça pas été joli, joli." 
[...] On essayait de ne plus trop y penser, à cette foutue guerre. Les boches avaient disparu, la douleur s’estompait lentement, mais les cicatrices ne voulaient pas se refermer." 
À l'occasion d'un incendie d'apparence anodine, l'inspecteur Andreani va rouvrir d'anciennes blessures mal refermées ... 
On retrouve avec autant de plaisir le flic solitaire et ses compagnons : la psy, son collègue "geek" et bien sûr le bistrotier lettré du Grand Sérieux, un bar qui existe pour de vrai à Nancy. 
Une enquête sans esbroufe ni tapage, qui prend son temps, c'est assez rare dans le polar d'aujourd'hui.
Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire.
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Les disparus de la lagune (Donna Leon)


[...] Une île, on ne peut y garder des secrets.

    L'auteure, le livre (360 pages, 2018, 2017 en VO) :

Avec Les Disparus de la LaguneDonna Leon l'américaine qui adopta Venise, arrive encore à se renouveler.

    On aime :

❤️ Voguer à la rame entre les hauts fonds de la lagune : parmi les plus belles pages écrites par l'auteure.

      Le contexte :

On retrouve bien sûr l'un de nos commissaires préférés Guido Brunetti qui, cette fois, a besoin de prendre du repos et se réfugie seul sur une île de la lagune, loin de la foule et des tracas vénitiens.
[...] Je passe mes journées à faire de l'aviron ou de la bicyclette, donc je n'ai pas beaucoup de temps pour réfléchir, pour réfléchir sérieusement, et ça me plait bien.

      L'intrigue :

Cela nous vaut quelques unes des plus belles pages écrites jusqu'ici par Donna Leon où Brunetti goûte tranquillement les charmes de l'été et vogue à la rame vénitienne entre les hauts fonds.
Il faudra même attendre la moitié du bouquin pour que l'intrigue se noue lentement avec un cadavre retrouvé noyé (mais on serait volontiers resté à ramer au soleil jusqu'au bout !).
[...] Les autres ont changé de sujet. J'ai senti confusément qu'il y avait là quelque chose qu'un étranger ne devait pas savoir. Ce fut juste une fausse note et je n'y ai pas prêté attention sur le moment. Mais une île, c'est tout petit, et on ne peut y garder des secrets.
Un épisode un peu dans la veine de Requiem pour une cité de verre (2006).
Pour celles et ceux qui aiment Venise.
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Fille de l'air (Fiona Kidman)


[...] Je vis un rêve.

    L'auteure, le livre (480 pages, 2017, 2013 en VO) :

Fille de l'air, de la néo-zélandaise Fiona Kidman : la véritable histoire, à peine romancée, de Jean Gardner Batten une pionnière de l'aviation en solo.

    On aime :

❤️ Une histoire légère mais prenante, écrite résolument au féminin.
❤️ Le très beau portrait d'une femme qui aura traversé les déserts et les océans, le siècle, une grande dépression et deux guerres mondiales.

      Le contexte :

Douée pour le piano et la danse, elle ne rêvait que d'une chose : voler, voler et battre des records, voler et devenir célèbre.
À force de courage et d'obstination, contre les vents, l'adversité et même son entourage (seule sa mère la soutenait) elle arrivera à ses fins, pulvérisera bientôt les records tant masculins que féminins et connaîtra enfin la célébrité, celle que l'on surnomma la Garbo des airs ou encore Hine-o-te-Rangi, la fille des cieux en maori.
[...] Je vis un rêve. Mais c'est un rêve que j'ai fabriqué moi-même."

      L'intrigue :

L'histoire d'une jeune femme intrépide et indépendante (elle n'a que 25 ans quand elle réussit enfin le trajet Angleterre-Australie en moins de 15 jours), à une époque insouciante et un peu inconsciente (l'aventurière s'est quand même crashée au Pakistan entre chameaux et tribus baloutches!).
[...] - Ne fais pas l'idiote, ma chérie. Les filles ne volent pas."
Mais des femmes qui pilotent des avions, il y en avait, Jean le savait, et elle en ferait partie."
Le voyage à ses côtés est instructif et amusant qui nous fait découvrir ces drôles d'aristocrates néo-zed perdus à l'autre bout du monde, loin de leur chère patrie britannique.
[...] - Cesse de hurler, Jean. Nous sommes britanniques. Les Britanniques ne pleurent pas."
Jean Batten réalisa son rêve mais la seconde guerre mondiale changera la donne et elle connaîtra une fin un peu triste, seule et oubliée, loin des feux de la rampe. Sic transit ...
Un bouquin qui rappelle un peu le Looping de l'italienne Alexia Stresi (excellent, lui aussi !).

Pour celles et ceux qui aiment avoir la tête dans les nuages.
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