lundi 20 février 2023

Dans les murmures de la forêt ravie (P. Alauzet)

[...] Ça recommence comme avant.

    L'auteur, le livre (112 pages, 2023) :

Scénariste et homme de cinéma, Philippe Alauzet signe son premier roman avec Dans les murmures de la forêt ravie, un roman noir rural comme on dit.

     On n'aime pas vraiment :

Un noir prometteur qui s'annonçait sec et rude comme les pâturages du midi mais qui s'avère complètement noyé dans une prose lyrique et introspective mais surtout beaucoup trop verbeuse.
Déception pour ce rendez-vous manqué.

      Le contexte :

Les troupeaux de brebis et les ravages causés par les loups.
[...] Depuis qu’il est de retour, on compte les cadavres d’ovins par dizaines. Personne n’a les moyens d’encaisser une telle perte sans broncher.

      L'intrigue :

Un vieux berger veuf, son chien, ses brebis, sa fille (dans l'ordre), et un ouvrier agricole.
Ah, j'allais oublier l'essentiel : une forêt et un loup. Le genre de loup qui égorge les brebis.
Le drame est inévitable, il n'y a pas de place pour tout le monde et trop d'acteurs dans ce "huis clos" cerné par la forêt menaçante.
[...] Jean, à leurs yeux, c’est la caricature du paysan tel que l’imaginent ceux de la ville : un péquenaud taiseux, fruste, méchant, arriéré, arc-bouté sur sa bêtise. Il les ferait tous passer pour des sauvages.
[...] Il se figea. Lentement, il fit glisser son fusil, l’empoigna, le pointant devant lui. Tous crocs dehors, dressé sur ses pattes puissantes, un loup de grande taille le fixait de son regard de foudre, vibrant d’un grondement sinistre.

Pour celles et ceux qui aiment les loups et les brebis.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.

vendredi 17 février 2023

Le stradivarius de Goebbels (Yoann Iacono)

[...] On dit que les violons ont une âme.

      L'auteur, le livre (268 pages, 2021) :

Le bordelais Yoann Iacono, haut fonctionnaire politique dans le civil, est né en 1980.
En 2021 il publie Le stradivarius de Goebbels, son premier roman, résultat de sa longue enquête sur l'histoire du violon offert par Goebbels à la jeune musicienne prodige japonaise Nejiko Suwa
Un roman où il explore l'instrumentalisation de l'art par la politique.

      On aime un peu :

❤️ Une petite histoire vraie au cœur même de la grande et terrible Histoire. La guerre vue sous un angle inhabituel.
❤️ Le destin peu ordinaire de cette toute jeune japonaise qui traverse "innocemment" les horreurs de l'époque, uniquement préoccupée de sa musique, dans les douces coulisses feutrées des auditoriums, salles de concert et grands hôtels.
❤️ Le mystère qui entoure l'instrument jusqu'aujourd'hui encore puisque Nejiko est décédée en 2012 et que son neveu garde toujours le violon et son secret.

      Le contexte :

La jeune violoniste prodige n'a que 23 ans et poursuit ses études de musique à Paris, lorsque le nazi Goebbels lui offre le violon et une place au Philharmonique de Berlin, histoire de fêter dignement l'alliance entre les deux pays.
[...] La culture autoritaire et impérialiste japonaise de l'ère Showa épouse assez exactement celle du régime nazi.
C'est un instrument de musique rarissime, sans doute le résultat de la spoliation des juifs.

      L'intrigue :

[...] L'histoire commence en Allemagne le 22 février 1943, vingt jours après la chute de Stalingrad. Le matin, à Munich, Sophie Scholl, 21 ans, est guillotinée avec son frère pour avoir distribué à I'Université des tracts appelant à la résistance contre Hitler. Le soir, à Berlin, le ministre de l'Education du Peuple et de la Propagande du Reich Joseph Goebbels offre un violon Stradivarius à Nejiko Suwa, jeune virtuose japonaise.
Le Stradivarius controversé est certainement un instrument confisqué à ses propriétaires juifs et l'auteur s'invente un double littéraire chargé d'enquêter à la Libération sur ce fameux violon en vue de le retrouver.
[...] On dit que les violons ont une âme. Les luthiers parlent toujours à voix basse de cette pièce d'épicéa placée à l'intérieur de la caisse de résonance et située à quelques millimètres du pied droit du chevalet. Le placement de l'âme à l'intérieur de l'instrument se fait quand il est terminé, avec une pointe aux âmes.
[...] Et cette question qui revient toujours: qui jouait de ce violon avant elle ? Quelle était la sensibilité de ce mystérieux musicien ? Son répertoire, son style, son rythme ?
[...] La guerre, elle laisse cela aux hommes, aux Oshima, aux Gerigk, Goebbels. Elle s'est persuadée que toute idéologie est par essence impérialiste, elle n'a jamais cherché à creuser le sujet. Sa guerre à elle est bien plus personnelle, obsessionnelle, dompter ce maudit violon. Le faire plier, le dresser, l'asservir.

      On aime moins :

En dépit du travail de recherche fourni par l'auteur, on a été un peu déçu par le style un peu distancié, le survol un peu fade de cette histoire qui hésite entre roman historique et enquête journalistique : ce mystérieux violon était vraiment un sujet passionnant, mais le bouquin manque d'émotion, de souffle, d'âme (un comble pour une histoire de violon !).
Peut-être parce que Nejiko tout comme son violon restent insaisissables ...

Pour celles et ceux qui aiment la musique.
D’autres avis sur Bibliosurf, Babelio et une interview de l'auteur.

mercredi 15 février 2023

Lady Chevy (John Woods)

[...] Nous avons laissé ça arriver.

      L'auteur, le livre (466 pages, 2022, 2020 en VO) :

L'américain John Woods connait bien les Appalaches de l'Ohio qui l'ont vu grandir. 
Après quelques nouvelles, Lady Chevy est son premier roman que le New York Times a retenu comme l'un des meilleurs romans noirs de 2020.


      On aime un peu :

❤️ Un premier roman plutôt bien maîtrisé avec une histoire puissante. Un roman noir, désenchanté, réaliste, désabusé, dérangeant et tout à fait amoral.
❤️ Un ton, un style, qui évitent le misérabilisme tout comme le pamphlet polémique (la pollution, la pauvreté, le racisme, ...) : bien sûr les messages passent au fil des pages, l'air de rien, mais l'héroïne Chevy est une boule de colère pétrie d'énergie contenue et c'est elle qui donne le ton.
❤️ Des personnages franchement borderline et qu'on n'oublie pas comme cette Lady Chevy originale au caractère bien trempé, qui n'a pas froid aux yeux (de beaux yeux orangés) et qui "déménage" comme on dit, et puis ce Hastings, un shérif adjoint aux comportements pour le moins inattendus.
[...] - Je croyais que vous étiez un gentil monsieur.
- Dans ce cas. Je tuerais d'abord ton chien.
[...] La vie d'un homme ne peut quand même pas se résumer à essayer de rendre heureuse une salle conne.

      Le contexte :

Le bouquin a été écrit en 2020, juste avant l'assaut sur le Capitole.
Une immersion au cœur de l'Amérique profonde, celle des laissés pour compte qui n'ont plus grand chose à perdre. Ni à gagner d'ailleurs. 
[...] Un curieux brassage de hippies vegan anti-déforestation et de fermiers racistes pro-armes.
Un Ohio pauvre et sans avenir, déserté par les industries, où les plus pauvres ont dû louer leurs terres aux "frakers" des grandes entreprises minières qui pratiquent la fracturation hydraulique pour pomper le gaz de schiste. 
L'eau polluée est devenue imbuvable, la terre tremble pendant la messe, les enfants naissent difformes.
[...] Les experts soutiennent que la fracturation hydraulique est sans danger. C'est ce que dit le journal local, comme il a commencé à le faire cinq ans avant leur arrivée, pour nous préparer, pour nous convaincre. Leurs discours rassurants promettaient richesse et sécurité à cette partie oubliée de la vallée de l'Ohio.
[...] Peu après l'installation des tours, mon petit frère est né difforme. Son oreille gauche est repliée sur elle-même, comme une aile de chauve-souris. Et ses yeux bleus sont toujours baignés de larmes. Les crises reviennent chaque semaine gencives serrées dans des spasmes, bave teintée de sang. Ses membres potelés pris de secousses tapent contre le sol Ses cris sont des gargouillements étouffés dans une bouche noyée d'écume. Papa prend rarement son fils dans ses bras, pose rarement un regard sur lui. Il l'évite comme si mon frère était un trou dans lequel il pouvait tomber. Nous avons laissé ça arriver.
[...] J'adore mon frère, mais j'ai vu d'avantage de réactions intelligentes chez des veaux tout juste nés.

      L'intrigue :

Amy Wirkner est une jeune fille de 18 ans, pas trop gâtée par la nature.
[...] On m'appelle Chevy parce que j'ai le derrière très large, comme une Chevrolet. Ce surnom remonte au début du collège. Les garçons de la campagne sont très intelligents et délicats.
Elle s'apprête à prendre le large pour quitter cette contrée oubliée des dieux : c'est la seule à pouvoir prétendre à des études universitaires pour devenir vétérinaire.
Si elle réussit à dégoter une bourse et si tout se passe bien.
Mais y'a-t-il encore des lecteurs suffisamment naïfs pour croire que tout va bien se passer ?
Car nous sommes dans un roman noir, au fin fond de l'Ohio.

     On aime moins :

Quelques envolées introspectives un peu pesantes sur les états d'âme de Chevy ou le suprémacisme blanc (le grand-père de Chevy était le grand manitou du KKK pendant les belles années, ça vous forge une famille).
Plus généralement, la prose de John Woods aurait sans doute gagné à être allégée, épurée et grattée jusqu'à l'os tant son histoire se suffisait à elle-même.
Et la toute dernière partie du bouquin, très désabusée, pourra décevoir quelque peu où John Woods s'apitoie un peu trop sur son triste sort d'américain dont le pays part en sucette (et c'était pourtant avant le 6 janvier 2021). 

Pour celles et ceux qui aiment les rednecks.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.

dimanche 12 février 2023

Rapimentu (Jan Länden)


[...] Elle a accepté de jouer l'appât.

      L'auteur, le livre (448 pages, 2022) :

Après un premier épisode avec Leena, on avait hâte, avec ce Rapimentu, de retrouver le petit suisse Jan Länden dont le pseudo cache un vrai flic helvétique encore en activité.

      On aime mais on préfère le précédent :

❤️ L'exotisme helvétique, les expressions colorées et le gentil chauvinisme de nos voisins.
❤️ Un épisode digne du précédent, tout aussi rythmé, haletant et bien construit. 
❤️ La visite guidée des ramifications européennes du banditisme et des collaborations inter-polices.

      Le contexte :

La Suisse au cœur des trafics internationaux et la police criminelle de Genève en première ligne de la lutte contre le grand banditisme.

      L'intrigue :

Un Rapimentu, un kidnapping corse, un épisode qui fait suite au précédent qu'il faut donc avoir lu auparavant
L'héroïne Leena a pris du galon dans la brigade criminelle genevoise et en fait des tonnes façon Lara Croft ou autres héroïnes invincibles. 
[...] Mais n’empêche que ce mec a réussi à accomplir sa mission au nez et à la barbe du NYPD et du FBI. 
 – À nous de prouver que la police genevoise est meilleure, lui répond-elle. 
[...] – Putain, mais c’est Sarah Connor, ta collègue. 
D'autant qu'elle se retrouve chargée de l'enquête après le kidnapping de l'enfant d'un banquier suisse que l'on soupçonne rapidement d'avoir blanchi l'argent de la mafia corse. 
C'est pas fréquent en Suisse les rapts d'enfants : 
[...] Le dernier enlèvement d’enfant avec une remise de rançon datait de 1983. Il s’agissait du rapt de la fille de l’écrivain Frédéric Dard. 
Dans le même temps pour faire bonne mesure, un mafieux italien (décidément la Suisse est au cœur de tous les trafics ...), celui du premier bouquin, cherche toujours à se venger de Leena à qui il a envoyé son meilleur "nettoyeur". 
[...] – Ce sont les ordres. Ils veulent se laisser une chance de coincer l’enfoiré qui cherche à la tuer. 
 – Mais c’est super risqué, répond le dernier arrivé dans le groupe. 
 – Oui, mais c’est elle qui a choisi cette stratégie. Elle a accepté de jouer l’appât. 
Bref, autant dire que ça démarre sur les chapeaux de roue de grosses berlines et vues comme ça, les Alpes Suisses sont loin d'être aussi calmes qu'on le croyait.

Pour celles et ceux qui aiment les parrains.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.