jeudi 28 mars 2019

Octobre (Søren Sveistrup)

[...] Sa main restait également introuvable.

Octobre, c’est le temps de l’automne, des feuilles mortes et des ... marrons d’Inde.
Vous savez ceux avec lesquels on fait des petits bonshommes avec des bras et des jambes en allumettes ...
Mais chacun sait qu’il est dangereux de jouer avec les ... marrons.
Surtout quand un serial-killer a pris l’habitude de signer ses crimes en déposant un bonhomme en marrons sur le cadavre.
Généralement une jeune femme bien comme il faut, jusqu’à ce qu’il la martyrise à coups de morgenstern et qu’il l’ampute d’une main ou deux, à vif.
[...] Thulin avait commencé à perdre espoir. On n’avait pas retrouvé l’objet contondant ayant servi à la tuer, et la scie utilisée pour l’amputer n’était nulle part dans les environs. Sa main restait également introuvable.
[...] La découverte d’empreintes digitales sorties d’outre-tombe a compliqué un crime en apparence banal, dans un quartier résidentiel avec haies de troènes et ralentisseurs.
Le danois Søren Sveistrup connait son affaire : c’est lui le scénariste de la fameuse série The Killing. Oui, oui !
Et l’on retrouve dans son bouquin tous les bons ingrédients qui liaient déjà la sauce de sa savoureuse série : des personnages bien campés que l’on suit tour à tour, deux ou trois rôles principaux, quelques uns un peu décalés et comme on est dans une série un polar nordique, la spécialité locale qui nous fait visiter les coulisses de la scène politique et démocratique (ici danoise) comme si vous y étiez.
[...] Les membres du gouvernement se retrouveront au palais de Christiansborg puis, selon la tradition, ils se rendront à la Slotskirke, la chapelle du château, pour assister à une messe.
On suit donc les pas de la ministre des affaires sociales sur fond de maltraitance d’enfants.
[...] Ils sont condamnés à se plonger dans des tonnes de documents, à lire page après page des histoires d’enfances sacrifiées, de blessures psychologiques, d’interventions vaines des services sociaux, jouant ainsi le jeu du meurtrier dont le but est probablement de confronter la police et les autorités à cette réalité.
Tout cela est plutôt bien dosé : Søren Sveistrup a le bon goût de nous effrayer mais juste un peu et de nous épargner les descriptions complaisantes de jeunes femmes torturées au fond d’une cave pendant des jours.
Même si le bouquin ne prétend pas rivaliser avec les grands de la littérature noire, c’est un excellent page-turner et un bon divertissement, écrit par un pro.

Pour celles et ceux qui aiment les marrons chauds.
D’autres avis sur Babelio.


jeudi 21 mars 2019

Ce que savait la nuit (Arnaldur Indridason)

[...] Je me dis que le système a déraillé.

Il semble bien qu’un ressort soit définitivement cassé dans le stylo-plume d’Arnaldur Indriðason, l’islandais qui fit découvrir le polar nordique à toute une génération de lecteurs et dont le héros, Erlendur, aura accompagné de nombreuses et longues veillées.
Exit Erlendur, mais de temps à autre, notre œil bienveillant se penche à nouveau sur l’un des derniers romans de l’islandais mais sans que désormais l’on rencontre le souffle de la première série.
Dans Ce que savait la nuit, on retrouve Konrad, qu’on avait déjà croisé pendant l’occupation américaine (je cite).
Konrad est désormais à la retraite mais ne peut s’empêcher de remettre son nez dans une vieille affaire jamais résolue qui le hante depuis des années. Un cold case et les islandais savent de quoi ils parlent quand ils évoquent le froid.
[...] – En quoi ça vous regarde puisque vous n’êtes plus flic ?
 – J’ai longtemps travaillé sur cette enquête. Disons que c’est peut-être devenu une sorte de hobby. Je ne sais pas trop. 
D’ailleurs, seul le global warming, le réchauffement climatique est vraiment en mesure de dégeler les cold case islandais : un glacier vient de ‘rendre’ un cadavre oublié ... air connu.
[...] Dans les vingt-cinq années à venir, le glacier perdrait 20 % de son volume. Cela s’expliquait par le réchauffement climatique, la diminution des précipitations et l’accroissement de l’ensoleillement.
Même si on ne retrouvera pas ici le charme de la série Erlendur, on l’a déjà dit, arrêtons de gémir, cet épisode est plutôt réussi et Indridason semble prendre un soin tout particulier à nous faire découvrir quelques curieuses facettes de son île exotique et glaciale :
Son Histoire ancienne :
[...] Konrad appartenait à la toute dernière génération d’Islandais nés sous domination danoise. Le lendemain de sa naissance, l’Islande était devenue une république indépendante sous une pluie battante au Parlement en plein air de Thingvellir. Pendant quelques instants, des instants si brefs qu’ils comptaient à peine, il avait été sujet du roi de Danemark. 
Ou son histoire beaucoup plus récente, celle du crash économique :
[...] L’argent rend bête. On est bien placés pour le savoir. Tout le pays a pu s’en rendre compte.
[...] Toutes sortes de gens s’étaient enrichis au moment du grand “effondrement économique” de 2008.
[...] Je me dis que le système a déraillé. Que nous avons complètement déraillé. 
Et même des détails très actuels, très curieux :
[...] Le barrage hydroélectrique de Karahnjukar, le plus grand d’Europe. 
Découverte que l’on peut compléter [ici] avec intérêt.
L'Islande exporte désormais plus d'aluminium que de poissons alors qu'elle n'a pas de minerai. Les trois fonderies consomment cinq fois plus d’électricité que les 300 000 habitants de l’île.

Pour celles et ceux qui aiment l'Islande.
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mercredi 13 mars 2019

Le cœur sauvage (Robin MacArthur)

[...] Voilà à quoi ressemblent les femmes de chez moi.

Le cœur sauvage : une douzaine de nouvelles de l'américaine Robin MacArthur.
Voilà vraiment un très beau recueil de nouvelles, écrites au féminin au cœur sauvage des forêts et des collines du Vermont, ce petit état du nord ouest qui lorgne du côté du Québec.
Un état où s'évadent habituellement les hipsters de Boston et New-York mais que Robin MacArthur nous montre plutôt comme le refuge de hippies vieillissants dans leurs mobile-homes.
[...] Voilà à quoi ressemblent les femmes de chez moi. 
Il y a beaucoup d'amertume mélancolique, d'occasions manquées, de souvenirs nostalgiques, dans les vies de ces femmes de là-bas.
[...] Un étrange goût amer qui lui rappelle celui des épingles qu’elle coince entre ses lèvres quand elle fait de la couture.
[...] Il avait un poster de Grace Slick punaisé sur le mur de sa chambre. 
Sans pour autant verser dans la tristesse désespérée. L'équilibre est fragile mais tenu avec brio. Le format court de ces tranches de vie à l'écriture sèche et rythmée, l'unité de ton et de lieu, parviennent parfaitement à installer le décor sans pour autant plomber l'ambiance. On a le sentiment de visiter les voisines du coin, de caravane en maison. Une sacrée réussite et visiblement une belle traduction.

Pour celles et ceux qui aiment les femmes.
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vendredi 1 mars 2019

Doggerland (Elisabeth Filhol)

[...] Une sorte de gué au milieu de la mer.

La Mer du Nord comme vous ne l’avez jamais lue ...
Il est des lectures qui vous laissent avec l'impression d'être, pendant quelques heures, un peu plus intelligent.
Doggerland est de ces bouquins.
La magie du titre choisi par la française Elisabeth Filhol évoque celle des litanies hypnotiques des bulletins de la météo marine : Humber, Fisher, German, Dogger, …
Le Dogger Bank c'est en effet ce gigantesque banc de sable entre Ecosse et Pays-Bas, vestige des moraines glacières d'il y a quelques milliers d'années : vingt mètres de fond seulement, convoités par les chalutiers jadis, par les compagnies pétrolières aujourd'hui et demain par les planteurs d'éoliennes géantes.
[...] Ce qui reste du Doggerland, le Dogger Bank, gît par quinze à trente mètre de fond, à cheval sur le 54e parallèle. Certains y voient une aire poissonneuse, d’autres une élévation du plancher marin propice à l’ancrage des infrastructures offshore, c’est une sorte de gué au milieu de la mer du Nord.
Un territoire régulièrement chahuté par les tempêtes hivernales comme celle de décembre 2013, Xaver, que l'on va suivre tout au long de ces pages.
Attention tout de même : qu'elle nous explique les phénomènes scientifiques à l'oeuvre ou qu'elle explore les sentiments de ses personnages, Elisabeth Filhol est bien fidèle à sa tête de premier de la classe et sa prose est donc exigeante qui allonge de longues phrases, parsemées de détours explicatifs et de virgules respiratoires, enrichies d'argumentations et de circonvolutions qui finissent par former une savante musique à laquelle il faut habituer notre oreille, par composer un rythme que notre œil doit apprivoiser.
Comme le grand tableau noir où la craie fiévreuse du scientifique gribouille et enchevêtre des formules interminables et complexes mais d'où soudain émerge la compréhension.
Avec cet étrange roman, entre fiction scientifique et romance amoureuse, Elisabeth Filhol tente de faire revivre l’Atlantide du nord ...
C’est aussi un bouquin à ranger dans notre rayon cli-fi (climate-fiction) histoire de nous habituer peu à peu, à l'inexorable montée des eaux qui ont déjà submergé nos lointains ancêtres du Doggerland.
[...] Ça monte, on s’organise. On oublie d’une fois sur l’autre. Chaque submersion, chaque raz de marée est sans précédent dans la conscience collective.

Pour celles et ceux qui attendent la fin du monde.
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