lundi 15 décembre 2008

La traversée du Mozambique (Patrice Pluyette)

Tartarin de Tarascon.

Des critiques élogieuses (était-ce Papillon ?) nous avaient guidés vers ce récit de voyage.
On aurait dû fouiller un peu plus sur le web car le périple fut plutôt décevant.
La traversée du Mozambique par temps calme, voilà un titre peu banal.
L'écriture de Patrice Pluyette est du même tonneau. Ça foisonne, ça onirise, ça fait feu de tout bois et de n'importe quoi. Y'a de l'absurde et de la poésie, de la rêverie et du cauchemar, du surnaturel et du pas naturel, une bonne dose d'humour de potache et une pincée de Tartarin ou de Tarascon.
On pense parfois à l'ambiance surréaliste des voyages en bandes dessinées de Fred.
Une brochette de personnages peu banals s'embarquent pour le Mozambique à la recherche d'un trésor et finiront dans les neiges canadiennes ou dans les jungles amazoniennes.
Mais tout ce petit monde s'agite sous nos yeux sans qu'on n'y prenne vraiment part. Un peu comme des clowns de cirque : on regarde, on s'amuse, mais on n'est pas vraiment concernés.

[...] Les grognements se font entendre à peu près chaque nuit depuis trois jours et ça devient inquiétant; de toute évidence un animal féroce, femelle de type panthère d'Amérique, jaguar adulte ou tigre Amba, les suit à la trace. À plusieurs reprises, on a même pu sentir son souffle contre la toile de tente. En vérité, la situation n'offre pas d'échappatoire; le sort de nos aventuriers est lié au bon vouloir de cette bête affamée qui n'attendra pas éternellement que la viande soit cuite; il est probable que notre histoire s'arrête dans trois pages sans plus de personnages à notre charge que cette bête dont nous ne saurions à elle seule tirer une histoire en rapport avec le sujet de la nôtre sans ennuyer le lecteur. Nous dirons donc que les hommes et femmes composant ce récit, nonobstant le danger rôdeur, ne perdent pas leur courage, continuent chaque matin à démonter le camp pour mener à bien leur progression lente et difficile, tous les soirs à planter la tente dans un endroit différent, toutes les nuits à trembler dans leurs lits en s'obligeant à prier, à invoquer l'aide d'un dieu tout-puissant à défaut d'un car de CRS armés.

Qu'on aime ou qu'on n'aime moins, il reste la prouesse technique du sieur Pluyette qui manie la plume avec habileté.


Pour celles et ceux qui aiment les histoires à dormir debout.
Seuil édite ces 317 pages qui datent de 2008.
Papillon a bien aimé, Essel un peu moins.

samedi 13 décembre 2008

BD : Le complexe du chimpanzé (2)

La tête dans les étoiles.

On avait déjà parlé des deux premiers tomes de cette BD il y a peu, et la revoici sur le devant de la scène avec le troisième et dernier volume paru juste avant Noël.
Le complexe du chimpanzé, c'est Marazano à la plume (Genetiks, Zéro absolu, ...) et Ponzio au pinceau (Genetiks, ...).
On aime toujours autant le dessin quasi photographique de Ponzio, qui rappelle celui de Christophe Bec (qui d'ailleurs était déjà le dessinateur de Marazano dans Zéro absolu) dont on avait déjà parlé avec Sanctuaire.
Le scénario de Marazano nous plonge dans un avenir très proche (en 2035), avec juste ce qu'il faut d'anticipation pour rendre crédible le projet de la Nasa d'aller poser le pied sur Mars, même si la crise financière actuelle reporte cela à au moins ... 2035 !
Justement, alors que le Congrès vient de couper les budgets, une mystérieuse capsule amerrit dans l'océan avec à son bord ... Neil Armstrong et Edwin Aldrin ! Apollo 11 est de retour ... à nouveau ?!
Que s'est-il passé en 1969 ? Que faisaient les Russes à cette époque ? Qui sont ces étranges « ersatz » qui reviennent sur Terre 65 ans après ? Le mystère ira en s'épaississant au fil des pages et permet de revisiter l'histoire de la conquête spatiale depuis Gagarine.

[...] Le complexe du chimpanzé, un phénomène qui a été observé pour la première fois chez les chimpanzés ayant servi de cobayes pour des vols spatiaux. Les chimpanzés sont suffisamment intelligents pour comprendre qu'ils sont les sujets d'une expérience qu'ils ne maîtrisent pas ... le stress causé par cette dichotomie entre capacité de comprendre la situation et incapacité à la gérer peut vraiment vous faire péter les plombs.

Sauf que cette fois, les chimpanzés, c'est nous ... !
Au cœur d'un mystère qui met en images le principe d'incertitude d'Heisenberg, auquel on ne comprend plus forcément grand chose mais qui nous fait toujours rêver depuis les bancs de l'amphi !
Au centre de cette histoire, une astronaute de la Nasa qui a la tête dans les étoiles et donc justement, une seule idée en tête : être la première à poser le pied sur Mars. Quitte à entretenir une relation conflictuelle avec sa fille laissée à elle-même en Floride. Ce qui nous vaut une belle alternance de planches entre l'espace (voir un exemple ici) et le bord de mer (un exemple ici).
Une belle histoire pour tous ceux qui comme moi, le 20 juillet 69, avaient le nez en l'air.
Le troisième tome confirme l'intérêt des deux précédents et clôture le bal spatial avec une très belle fin.
Dans notre précédent billet, nous avions repris ce bel aphorisme du russe Tsiolkovski, le père de l'astronautique, cité en tête du second album :

[...] La Terre est le berceau de l'humanité.
Mais passe-t-on sa vie entière dans un berceau ?

L'exergue du dernier tome cite Apollinaire :

[...] Il est grand temps de rallumer les étoiles.

À l'approche de Noël, on peut toujours rêver ...


Pour celles et ceux qui auraient aimé faire un petit pas avec Neil Armstrong.

jeudi 11 décembre 2008

Casco bay (William G. Tapply)

Je t'emmène encore dans le Maine.

Comme promis il y a quelques semaines après une Dérive sanglante, on a enchaîné avec le second volume de William G. Tapply : Casco Bay.
Nous voici donc repartis sur les rivages du Maine où l'on a retrouvé avec grand plaisir Stoney Calhoun et son passé d'amnésique, la belle Kate et le shérif Dickman.
Ah, j'allais oublier Ralph, le chien.
Les cadavres s'accumulent sur les îles de la baie de Casco et même si les histoires de pêche à la mouche sont toujours là (et on les aime, pourtant dieu sait qu'on n'y connait rien !), cette fois le bouquin ressemble un peu plus à un vrai polar, c'en est presque dommage tellement on avait apprécié l'ambiance équivoque (entre deux eaux, c'est le cas de le dire !) du premier épisode. Ici Stoney Calhoun arbore même un temps l'étoile d'adjoint de son pote le shérif.
Visiblement, Tapply installe et développe ses personnages et, pour une fois, on ne saurait trop vous conseiller de lire ces deux tomes dans l'ordre (celui-ci est le second) de façon à profiter pleinement du charme du premier.
[...] Il fallut une bonne minute à Calhoun pour reconnaître ce qu'il avait sous les yeux. 
Un corps humain. 
Un cadavre noir comme du charbon, calciné, assis sur le dos contre le mur est du bâtiment, les mains reposant sur ses genoux, les jambes étendues devant lui et la tête inclinée en avant. 
Vecchio, tournant les yeux vers Calhoun, murmura : 
- Un fantôme ? 
- M'étonnerait, dit Calhoun ... 
Une faible odeur de chair pourrie flottait dans l'air humide. 
- ... je ne pense pas que les fantômes puent comme ça.
Et Calhoun s'y connait en fantômes ...
On en a maintenant l'habitude : les drames du Maine d'aujourd'hui sont fortement ancrés dans ceux d'hier ...
[...] - Quelqu'un s'est dit qu'il y avait autant d'îles dans Casco Bay que de jours dans le calendrier. Et je crois bien que si vous y mettez les rochers découverts à marée basse, on n'est pas loin du compte. Bon, ils ont construit cette sorte d'hôpital ici, sur Quarantine Island, pour les immigrants qui arrivaient en Amérique. Ils les gardaient ici avant de les laisser mettre le pied sur le continent. Tous ceux qui d'après eux pouvaient avoir la grippe, ou bien avaient été en contact avec un malade - ou, comme c'est probable, ceux dont ils n'aimaient pas l'allure tout simplement -, ils les envoyaient ici. Hommes, femmes, vieillards, même les bébés. Des Italiens, pour la plupart. C'étaient des religieuses catholiques qui s'occupaient de cet établissement. Elles ne soignaient pas les gens avec des médicaments, c'était pas vraiment un hôpital. Elles les gardaient là, juste pour qu'ils n'aillent pas contaminer les citoyens américains. Bon, une nuit, en février 1918, l'établissement a été détruit par un incendie et tout le monde est mort. Les religieuses, les enfants, tout le monde. À peu près deux cent personnes.Ils n'avaient pas d'équipement pour lutter contre l'incendie, bien sûr. Ils n'ont rien pu faire. Entre le feu et le froid terrible, personne n'a survécu. 
[...] On a suspecté quelques bons citoyens de l'État du Maine d'être venus en barque cette nuit-là avec des torches pour mettre le feu à l'établissement. On n'a jamais rien pu prouver. Officiellement ce fut un incendie accidentel.
Comme lors du premier épisode, l'intrigue policière est mince et importe peu : c'est elle, le décor, et pas le Maine.
Le plaisir vient des histoires racontées ici ou là avec, au final, l'impression d'avoir passé une semaine de vacances au bord de la mer à écouter les vieux pêcheurs nous parler de leur métier et de leurs histoires.
Tapply confirme qu'on tient là une bonne série ! à suivre donc.

Pour celles et ceux qui aiment toujours la pêche à la mouche. 
Gallmeister édite ces 291 pages traduites de l'américain par François Happe. 
Jean-Marc en parle. D'autres avis sur Critiques Libres.

mardi 9 décembre 2008

Lac (Jean Echenoz)


Fausse modestie.

C'est sans doute la sortie récente de Courir qui aura fait revenir sur le devant des rayons des libraires un autre ouvrage de Jean Échenoz : Lac, qui date de 2005.
Un des rares bouquins d'Échenoz qui ne traînait pas encore dans nos étagères aux côtés de l'Équipée malaise, de Je m'en vais et autres Cherokee.
Bref, l'occasion de re-découvrir plusieurs années après, cet excellent auteur français trop discret, à l'écart des modes.
Et avec un roman «facile» d'accès, car ce Lac est un faux-polar ou plus exactement un faux-roman d'espionnage.
Un espionnage à l'humour pince-sans-rire et très second degré, aux relents de DST et aux odeurs de Piscine, avec un petit air rétro qui évoque les films de Bernard Blier ou Lino Ventura.
Mais ce décor de 007 franchouillard  n'est qu'un simple prétexte à une galerie de personnages dépeints avec la feinte nonchalance habituelle d'Échenoz, une sorte de dandy de l'écriture, coutumier de la meilleure des proses.
[...] Une petite dizaine de clients de l'hôtel se trouvaient à cette heure-ci sur la terrasse, sur les fauteuils blancs bardés de coussins vifs. Au milieu se reposaient, affalés, deux ou trois nababs dont le visage cuivré d'ultra-violets dénotait l'aisance, l'usure, accompagnés de secrétaires mammaires et d'épouses à vapeur.
Sans avoir l'air d'y toucher, Échenoz, justement, touche souvent à l'essentiel :
[...] Suzy, bien sûr, n'était pas folle quand elle était petite, c'est juste qu'elle baptisait les organes de son corps : son estomac s'appelait alors Simon, son foie Judas, ses poumons Pierre et Jean. Son cœur changeait à volonté d'identité, ayant d'abord à l'âge de quatorze ans pris celle d'un nommé Robert qui avait été le premier à l'embrasser. Suzy l'avait bien aimé, Robert, il n'était pas tellement causant mais c'était sûrement lui le plus joli garçon de la Zup. Avant qu'il ne parvienne à l'embrasser vraiment, pendant des semaines ils s'étaient tenu la main pendant des heures, adossés côte à côte au mur près des garages, sans se parler, considérant les autres qui riaient fort en faisant vrombir leurs mobylettes gonflées à l'éther, ensuite ils se raccompagnaient indéfiniment à travers la cité, du pied d'une tour à  l'autre. Après Robert, la succession de prénoms attribués au cœur de Suzy n'était plus très distincte, elle se souvenait de ceux du frère de sa correspondante anglaise, puis du fils d'un officier de gendarmerie, pas mal de bruns dans l'ensemble dont un maître-nageur assez mou mais très, très marrant. Gérard.
L'écriture d'Échenoz est toute en fausse modestie, en fausse nonchalance : on se laisse emberlificoter, emmener par une main faussement innocente qui pendant quelques mots nous promène ici ou là et, toc, au détour d'une ligne, le maître es observation nous aura asséné quelques moments de pure poésie du quotidien. Et comme ça tout du long de ses bouquins, de paragraphe en page puis en chapitre.
Découvrez vite Jean Échenoz, sans tarder. Ou relisez-le, encore. Et encore.

Pour celles et ceux qui aiment la belle langue.
Les éditions de minuit éditent en poche ces 192 pages qui datent de 1989.
Une bio d'Échenoz.
Les Éditions de Minuit proposent intelligemment de découvrir les premières pages du bouquin : c'est ici.

samedi 6 décembre 2008

Loin de Chandigarh (Tarun J. Tejpal)

Kamasutra.

Un petit tour en Inde, un grand voyage plutôt puisqu'il s'agit d'un pavé de près de 700 pages.
Un roman en deux parties, presque deux histoires en une, un peu l'histoire dans l'histoire, puisqu'il est question d'un écrivain qui bien sûr cherche l'inspiration qui lui dictera son roman.
On commence par la fin, et au final on se retrouvera au début du livre : la boucle sera bouclée.
La première partie justement décrit les affres de l'écrivain en panne d'inspiration.
C'est touffu, foisonnant, exotique, mais on n'accroche guère (lire le billet de Babsid sur Critiques Libres).
Et personnellement on a trouvé que Tarun J Tejpal se regardait un peu trop le nombril (voire un peu en-dessous), tout comme (hasard ?) un autre indien qu'on a lu il y a peu : Hanif Kureishi.
Il faudra attendre la seconde partie, l'histoire dans l'histoire, pour vraiment décoller, lorsque l'écrivain tourmenté découvre les carnets intimes d'une anglaise de l'époque post-coloniale.
Cette seconde partie nous conte l'histoire d'une dame anglaise mariée à un prince indien (on est au pays des maharajas) mais qui, malheureuse en mariage comme l'on dit, découvrira les sommets du plaisir dans les bras d'un ou deux autres amants indiens.
Le charme sensuel de ces deux histoires tient à leur sujet commun : l'alchimie du désir (c'est le titre original en VO), la chimie des corps et du plaisir.

[...] Il n'y a pas de doute : dans le sexe, les hommes stationnent au camp de base. Ils peuvent jouir des nombreux plaisirs de la moyenne montagne, mais les sommets vertigineux leur sont refusés. Il leur manque le souffle, l'imagination, l'abandon, l'anatomie. Leur tâche consiste à préparer les vrais grimpeurs : les femmes, artistes des hautes cimes. Ces chamois capables de sauter d'arête en arête, de sommet en sommet, jusqu'à la vastitude de l'éternité. Depuis des millénaires les hommes luttent contre cette certitude. Ils connaissent l'existence des altitudes inaccessibles.

Ce gros pavé est une ode sensuelle entièrement consacrée à la femme et à son plaisir (et donc, en miroir, au désir de l'homme). Nulle pornographie, à peine quelques pages d'érotisme (un peu quand même sur 700 !), mais surtout un fleuve débordant de sensualité car on s'y frotte, caresse et baise sans fin. Qu'il s'agisse des ébats de l'auteur avec son épouse dans la première partie (si l'écrivain est en panne d'inspiration, il n'y a rien d'autre en panne chez lui !) ou qu'il s'agisse des amours tumultueuses de l'anglaise dans la seconde histoire. De l'exotisme et de l'érotisme !
Quelques pages superbes dans ce roman touffu qu'on aurait voulu plus économe, comme cette description d'un interminable embouteillage à un passage à niveau, lorsque le «serpent de voitures» attend le passage du train :

Le python semblait avoir sombré dans le coma, incapable de se ranimer. Puis tout à coup, un frémissement le parcourut. Un mouvement, un bruissement. Le train n'était ni visible, ni audible. Pourtant, des hommes, des femmes et des enfants remontèrent à bord des véhicules. Nous aussi. Les moteurs vrombirent. Au loin, un sifflement retentit, une trépidation parcourut le sol, il y eut un cliquetis de roues d'acier; sans avoir rien vu, on comprit que le train était passé. Tout était figé. Les derniers pisseurs avaient émergé des fossés pour regagner leur voiture. Le serpent semblait retenir son souffle. Puis, dans un rugissement et un crachat soudains, il entra en action. D'abord il se souleva, ondula, s'ébranla. Ensuite, le serpent venant en sens inverse commença à se mouvoir vers nous. Et le nôtre à se redresser : tout ce qui dépassait s'aligna, dans un tumulte de cris et d'insultes. Le serpent devait passer par un sas étroit et il s'effila de lui-même pour s'y faufiler. Après de longues minutes de klaxons, coups de freins et bousculades, on franchit la bosse de la double voie ferrée, tandis que le serpent avançait en face.


Pour celles et ceux qui aiment, tout simplement.
Le livre de poche édite ces 692 pages qui datent de 2005 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Annick Le Goyat.
Ducharme, Fashion, Florinette et Katell en parlent avec plus d'enthousiasme que nous. D'autres avis sur Critiques Libres.

lundi 10 novembre 2008

BD : Le photographe


Carnets de voyage.

C'est encore Frédéric Féjard qui nous l'a prêté après qu'on ait déjà manqué plusieurs occasions de découvrir cette BD parue pourtant depuis 2003.
Voici donc Le photographe, le récit autobiographique de Didier Lefèvre, photo-reporter, qui accompagne une mission de MSF en Afghanistan.
Une BD qui partage plusieurs points communs avec Maus ou Le Piège dont on vient de parler récemment :
- toutes les trois racontent des histoires vraies, en prise directe sur la guerre ou les évènements historiques (le nazisme pour Maus, le franquisme pour Le Piège et l'Afghanistan sous l'occupation russe pour Le photographe)
- toutes les trois présentent des idées graphiques originales (le noir et blanc sous deux formes très différentes pour Maus et Le Piège, et bien sûr la photo pour Le Photographe).
En l'occurrence, ce Photographe offre un mélange très heureux de dessins (d'Emmanuel Guibert, on dirait parfois du Tintin) et des photos de Didier Lefèvre : une planche ici.
En 1986, peu de temps avant que les Russes abandonnent le terrain et bien avant que les talibans reprennent le contrôle du pays, Didier Lefèvre accompagne une mission de MSF qui part du Pakistan pour monter des hôpitaux de fortune dans les montagnes afghanes. Accompagnés de moudjahidines, ils rejoignent des vallées proches du Panjshir, tenues par les partisans du commandant Massoud. Ce contexte politique est à peine effleuré dans la BD : Didier Lefèvre raconte d'abord son voyage.
Son voyage aux côtés de l'équipe de MSF, avec un recul propre à tous les photographes : il raconte, les faits, les images, les photos, les dessins, sans donner de leçon, ni de politique ni de quoi que ce soit. Il ne joue pas au héros (en clair, le petit parisien va en baver dans ces montagnes) et laisse tout juste transparaitre son admiration pour le boulot des toubibs de MSF.
En fait, il décrit tout simplement «les gens». Les gens de là-bas, qu'il s'agisse des médecins de MSF ou des moudjahidines qui les accompagnent ou qu'ils soignent.
Du coup, on se passionne facilement pour cette aventure. Le premier tome raconte le départ depuis Peshavar et le voyage dans les montagnes, avec le franchissement de plusieurs cols à 5000 mètres. Le second volume décrit le séjour dans le village de montagne et la mise en place de l'hôpital de fortune. Jusqu'au retour raconté dans le dernier tome.
C'est passionnant, facile et agréable à lire et on y apprend beaucoup de choses : sur les afghans bien sûr mais aussi sur le travail humanitaire.
[...] - L'ennemi c'est l'hélicoptère.
Les avions sont redoutables mais ils passent et, le temps qu'ils reviennent, tu peux éventuellement te cacher.
Alors que l'hélicoptère, il survole, il s'arrête, il reste en vol stationnaire, il te cherche, il te traque, c'est horrible.
Si tu es dans un endroit où il est difficile de se cacher, tu te jettes sous ton patou. Le patou c'est la couverture des afghans.
- Oui je sais, j'en ai une, marron.
- Couleur de la terre.
Tu ne bouges plus et surtout, tu fais en sorte que rien ne dépasse.
Tu serres les poings avec le pouce à l'intérieur, comme ça. Tu sais pourquoi ?
- Non.
- Parce que l'hélicoptère repère tout ce qui brille. Même un ongle.

La guerre et les russes seront à peine évoqués dans ce voyage : un hélicoptère parfois au loin, quelques boums boums de temps à autre. Par contre, de nombreux blessés affluent à l'hôpital pour bénéficier des soins des toubibs de MSF.
Un récit de voyage intelligent.

Pour celles et ceux qui aiment les récits de voyage.
Dupuis édite ces 3 tomes dans la collection Air Libre.
Lo en parle.

mardi 4 novembre 2008

BD : Les rêves de Milton

Grand déprime.

Frédéric Féjard, un collègue, n'est pas étranger à la vague de bulles qui envahit ce blog cet automne ...
Il est donc juste qu'on lui rende ce qui lui appartient (outre les albums qu'il nous a prêtés !), à savoir le scénario des Rêves de Milton aux côtés de Ricard. Et de Maël aux pinceaux.
Ces Rêves de Milton étaient quelque peu prémonitoires puisque, parus en 2005/2006 trois ans avant la crise financière mondiale, ils nous replongent en 1929 lors de la Grande Dépression qui jeta tant d'américains sur les routes.
À commencer par la famille Cry aux nombreux enfants dont le grand simplet Milton et le petit hargneux Billy.
Le petit teigneux à la haine. Le grand benêt fait des rêves étranges. Des rêves qui semblent se réaliser au fur et à mesure que les vilains disparaissent le long de la route.
Ces deux tomes nous content une très belle histoire. Une histoire de haine et de violence (c'était l'époque des souris et des hommes) mais aussi une histoire d'amour-haine fraternel.
Une triste et belle histoire servie par de magnifiques dessins à l'aquarelle comme ici et .
Poussée sur les routes par la crise (et donc par la méchanceté et la bêtise humaine), l'humanité semble se diluer dans les pinceaux de Maël comme dans la pluie, la boue ou la misère. Jusqu'à ce que seules la violence et la haine subsistent.
Le seul trait d'humour ou de légèreté de cette sombre BD viendra avec deux agents fédéraux (obligés de reprendre l'enquête devant l'incapacité de la police locale !) préfigurant ainsi les Dupont et Dupond du FBI !


Pour celles et ceux qui aiment les épisodes historiques.
Dupuis édite ces 2 tomes dans la collection Air Libre.
Krinein en parle.

samedi 1 novembre 2008

BD : Le piège

Devoir de mémoire.

Décidément, la période est propice aux découvertes BD.
Après le très dérangeant Maus, voici un autre devoir de mémoire : Le Piège.
Les points communs avec Maus sont multiples : deux albums en noir et blanc, deux périodes sombres qui ressurgissent du passé. Le nazisme des camps de juifs pour Maus et le franquisme espagnol pour Le Piège.
Et dans les deux histoires, des portraits de «héros» en demi-teinte ni tout à fait noir, ni tout à fait blanc. Étonnant parallèle.
Ce qui frappe en premier lieu dans Le Piège, ce sont les dessins en noir et blanc, en noir surtout avec de grands aplats très graphiques. Certains dessins sont de véritables prouesses.
Avec en prime, une idée astucieuse : le scénario du Piège met en scène ... un dessinateur de BD et on a donc bien sûr droit à "la BD dans la BD". Le héros prépare un épisode des aventures d'un super-héros en prise avec un affreux méchant. Les dessins de cette nouvelle BD s'intercalent dans la BD elle-même. Les dessins de la BD en création sont clairs et naïfs, les dessins de la vraie vie sont noirs et oppressants.
Peu à peu, au fil des pages, les deux histoires se rapprochent ou se répondent ...
Une planche pour vous ici et d'autres sur le site de l'éditeur.
L'autre versant du Piège , c'est bien sûr le franquisme.
Les années de l'après-guerre, de cette dictature policière que l'Espagne a tenté d'oublier en refermant le couvercle sur cette sombre période.
Plusieurs épisodes sont évoqués dans Le Piège comme les camps de réfugiés en France ou encore le rapatriement d'un train de grandes oeuvres de peinture qui avaient été mises à l'abri en Suisse pendant la guerre.
Un album sombre et oppressant, comme ses dessins, que l'on doit à Felipe H. Calva (scénario) et Federico del Barrio (dessins).

Pour celles et ceux qui aiment garder les yeux ouverts, même dans le noir. 
Actes Sud l'An 2 édite ces 64 pages traduites de l'espagnol par Benoit Mitaine. 
Télérama en parle, Herwann aussi.

mardi 28 octobre 2008

BD : La légende des nuées écarlates (2)

Du sang sur la neige.

Depuis janvier 2007 on attendait avec impatience la sortie du second tome de La légende des nuées écarlates, une superbe japonaiserie de l'italien Saverio Tenuta.
Les dessins (les peintures, devrait-on dire) sont absolument splendides et plutôt qu'un long discours, voici une planche du dernier volume et une autre du premier tome, avec ces images superbes qui rappellent bien entendu estampes et calligraphies japonaises. Trop beau !
D'autres planches sont également visibles sur le site des Humanoïdes (derrière l'imagette à gauche).
Le scénario est riche et à la hauteur des dessins avec toute une alchimie complexe entre passé et présent.
L'histoire commence dans le Japon médiéval par un théâtre de bunraku puis la jeune marionnettiste doit prendre rapidement la fuite avec un ronin manchot, borgne et amnésique, en proie à des voix intérieures.
Le côté fantastique offre une belle toile de fond mais reste suffisamment discret pour ne pas étouffer l'histoire et les personnages qui vont peu à peu retrouver leur passé et ainsi nouer l'intrigue.
Le premier album plante le décor (magnifique) et les personnages (complexes).
Le second nous permet d'aller plus loin dans la connaissance de ces personnages, dans leur histoire et donc dans les relations qui les unissent depuis les drames du passé.
Voici un aperçu de la légende (ou ici en images) :

[...] - Douce Myobu, parle-moi de ton village encore une fois.
- Non, cette fois-ci, je vais vous raconter une autre histoire ...
Une histoire qui parle d'espoir.
Un jour, il y a longtemps, un petit garçon de mon village marchait dans la forêt de glace. Son petit loup et lui avaient perdu leur chemin.
Ils erraient depuis longtemps, épuisés et apeurés. Leur faim grandissait et l'enfant voyait avec désespoir son petit loup s'éteindre lentement.
Il prit son couteau, observa le métal brillant et prit sa décision.
Il enfonça la lame dans son visage. Un des propres yeux, c'était là l'unique repas que le garçon pouvait offrir.
Pas un gémissement ne sortit de sa bouche.
Sans comprendre, le louveteau affamé mangea pendant que l'enfant perdait ses forces.
Cependant, une ombre noire et terrifiante les observait.
Le lendemain, les gens du village retrouvèrent le petit corps recroquevillé parmi les feuilles.
Il était faible mais il vivait encore.
Lorsqu'il se réveilla, le petit garçon allait bien.
Seul un de ses yeux brillait d'un couleur différente. Mais avec le temps même cette nuance disparut.

L'imagerie japonaise est à la mode depuis plusieurs années dans le monde de la BD occidentale et ces Nuées écarlates sont celles des sommets, celle du sommet du Fuji San !
Les talents déployés par l'italien Saverio Tenuta rappellent inévitablement les dessins animés de Miyazaki avec ses chevauchées à dos de loups et l'envahissement du monde de l'homme par celui de la nature (ici la forêt de glace).
Les nuées écarlates en question c'est le nom des sabres du ronin : l'éclat du sang sur la neige, voilà qui s'avère ici particulièrement BDgénique.
Une autre critique ici.


Pour celles et ceux qui aiment le sang sur la neige.

dimanche 26 octobre 2008

BD : Climax

Année polaire.

Avec un titre pareil, Climax, sûr que la fréquentation de ce blog va monter en flèche !
Mais qu'on ne s'y trompe pas, le sujet est sérieux.
Même s'il s'agit là d'un sujet à la mode, vendu à toutes les sauces, rebattu et rabâché, mais en ces temps de crise financière, il est bon de se rappeler qu'il n'y a pas que les profits en Bourse qui fondent mais les banquises aussi, enfin peut-être.
Et puis c'est l'année polaire internationale.
Alors (histoire de reboucler sur la crise financière !) pendant que les Russes volent au secours de l'économie islandaise ... et peut-être aussi à la recherche du gaz arctique, suivons les traces de la belle Leia, une chercheuse en mission au Pôle Sud.
Une bien jolie chercheuse qu'on aurait aimé avoir comme prof de maths ... mais non on avait un vieux grognon qui faisait tomber les cendres de ses gitanes maïs dans nos cartables en parcourant les rangs ! Bon, revenons à la belle Leia ...
On retrouve dans les cases de la BD les mêmes images : bientôt, les silhouettes des stations Concordia ou Vostok nous deviendront aussi familières que celles des Apollo ou Soyouz.
Avec en prime le mystère du lac Vostok enfoui sous les glaces depuis des millions d'années.
Au fil des deux tomes parus, tout y est : superbes paysages glacés, suspense technico-policier, infos scientifiques sur l'évolution du climat et des pôles, une BD pas bête qui surfe sur la glace et un sujet à la mode.
Une planche ici.


Pour celles et ceux qui aiment le froid et la neige.

jeudi 23 octobre 2008

Dérive sanglante (William G. Tapply)

Je t'emmène dans le Maine.

Dérive sanglante : la navrante traduction du titre original (Bitch creek) rend bien mal le charme campagnard de ce polar bien sympathique.
C'est Michel, le sérial lecteur, qui nous avait fait découvrir ce nouvel auteur Willliam G. Tapply, amoureux de la pêche.
Et (hasard ?) the last week-end, c'est Françoise qui nous parle à son tour d'un bouquin qu'elle avait beaucoup aimé, une histoire de pêcheurs dans le Maine et qui avait pour titre, ah ... Biscoe Bay ? ah ... Sisco Bay ? ah ...
Plus tard, internet aidant, ce sera Casco Bay de ... William G. Tapply !
Certes il y a une histoire policière et même quelques cadavres mais c'est avant tout une balade, même sanglante, à la campagne, au bord de mer, dans le Maine quoi.
Une histoire de pêcheurs à la mouche et chacun sait que pour attraper quelque chose il faut s'armer de patience et taquiner longtemps le poisson qui mordra, mordra pas, ...
Pourtant on ne s'ennuie pas un instant à suivre Stoney Calhoun, un amnésique (il a été frappé par la foudre) qui refait sa vie dans le Maine. Ancien militaire ? ancien flic ? qui est-il ? On ne le saura pas plus que lui-même.
[...] - Comment c'était Stoney ? - Je ne sais pas. Je ne me rappelle plus rien. J'ai bien des éclairs de conscience, quand j'entends le tonnerre ou la pluie, mais ils disparaissent si vite que je n'arrive pas à les épingler. Je ne sais pas ce que je faisais sur une montagne, je ne connais même pas celui qui m'a sauvé la vie. Je n'ai pas arrêter de poser la question aux médecins, mais ils ne savaient pas, ou ils ne voulaient pas me répondre. Il y a quelqu'un, quelque part, envers qui j'ai une sacrée dette.
Lui et son chien crapahutent dans les collines à la recherche, sinon du passé, au moins de quelques coins à truites.
On se promène donc à leur suite, aux côtés du shérif ou de la belle qui tient la boutique de pêche du coin.
Pour découvrir peu à peu, presque nonchalamment, sans trop y penser, la résurgence d'un drame du passé survenu lors du terrible incendie de 1947 qui avait ravagé cette belle région.
Un polar qui change du lot habituel : Stoney Calhoun ne supporte même plus l'alcool et boit du coca depuis son accident !
C'est plutôt sympa, même si parfois on a du mal à croire au héros si gentil et à la si belle héroïne.
Mais ne boudons pas notre plaisir : si l'islandais Arnaldur Indridason nous avait dissuadés à jamais d'aller en Islande, bien au contraire l'américain William G. Tapply semble nous inviter à passer nos prochaines vacances dans le Maine !
À suivre, puisqu'on a lu aussi le deuxième épisode : Casco Bay.

Pour celles et ceux qui aiment la pêche à la mouche. 
Gallmeister édite ces 268 pages traduites de l'américain par Camille Fort-Cantony. 
Michel nous l'a fait découvrir. D'autres avis sur Critiques Libres.

samedi 18 octobre 2008

Tête de chien (Morten Ramsland)

Saga nordique.

On avait déjà eu droit à une saga norvégienne avec Le demi-frère, de Lars Saabye Christensen.
Voici une autre saga familiale qui lui ressemble beaucoup.
Tête de chien, du danois (stop, j'évite les mauvais jeux de mots) Morten Ramsland.
Une famille de danois, mais de danois qui oscillent entre la Norvège et le Danemark.
La Norvège n'est pas le seul point commun avec Le demi-frère évoqué plus haut : on retrouve ici la peinture (il est d'ailleurs question de peinture) d'une famille haute en couleurs (décidément) avec par exemple le grand-père, magouilleur collabo puis rescapé des camps allemands, ingénieur naval, qui dessine des plans de bateaux d'inspiration ... cubiste, ce qui lui vaut quelques déboires professionnels.
Ou la grand-mère vieillissante qui se fait expédier des boîtes de conserves emplies de l'air de sa bonne ville de Bergen que la vie et le grand-père l'auront obligée à quitter trop vite.
À travers les années et l'histoire de l'arrière-grand-père, du grand-père, du père et du fils, toute la famille défile sous nos yeux. Avec ses personnages attachants et leurs histoires.
Car Morten Ramsland (qui a écrit également des livres pour la jeunesse) possède l'art de raconter les histoires.
[...] «Dieu est venu cette nuit, et Il a emporté tes chatons.»
Voilà ce qu'avait dit un jour Hans Carlo Petersen, le précédent patron de l'atelier d'encadrement, à sa fille Leila, alors âgée de six ans, en lui tapotant doucement la tête de cette même main qui, la veille au soir, avait mis les sept chatons dans un sac avant de les noyer dans le ruisseau derrière la maison. Leila, à qui son père venait d'offrir une grosse glace, sentit un goût amer se mêler à celui de la crème glacée. Cinq ans plus tard, lorsqu'il vint la chercher chez sa tante maternelle et la conduisit au bord du lac où il acheta la plus grosse glace du marchand, il déclara : «Dieu est venu cette nuit, et Il a emporté ta mère.» Par ces mots, il ne causa pas seulement un profond cha
grin à sa fille, mais il lui inspira une aversion durable à l'égard de Dieu et des sucreries.
Quel talent ! Tout est dit, l'air de rien.
L'art de raconter des histoires, mais pas n'importe lesquelles :
[...] Stinne et moi, nous n'avions plus envie d'entendre des histoires. Elles trainaient avec elles un je-ne-sais-quoi de douloureux et de mensonger. À cette époque, aucun de nous ne savait que ces histoires formaient le ciment qui liait notre famille, et c'est seulement quand elles ont disparu que tout a commencé à s'effriter, et que nous nous sommes dispersés aux quatre vents.
Des histoires de famille, des histoires qui touchent, qui touchent à tout au travers d'une galerie de personnages, tous profondément humains et tous plus pittoresques les uns que les autres.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires de famille.
Gallimard édite ces 437 pages qui datent de 2005 en VO et qui sont traduites du danois par Alain Gnaedig.

dimanche 12 octobre 2008

Funérailles célestes (Xinran)

Deux chinoises au Tibet.

Nous avions déjà découvert Xinran, l'animatrice de radio chinoise, avec son excellent bouquin : Chinoises, qui mettait en scène quelques vies de quelques femmes de son pays.
Là revoici avec Funérailles célestes, une nouvelle histoire vraie, un nouveau destin de femme mis sur le papier.
L'histoire d'une chinoise bien sûr, Wen, médecin militaire, qui en 1958 part à la recherche de son jeune mari disparu au Tibet pendant la campagne de «pacification» engagée par l'Armée populaire de libération.
Wen «redescendra sur terre» ... quelques trente années plus tard !
Pendant trente ans elle se sera fondue au sein d'une famille nomade du Tibet qui l'a recueillie après qu'elle ait perdu ses camarades soldats.
Un destin peu commun que Xinran a eu l'occasion de saisir de la bouche même de Wen et qu'elle retranscrit ici sur le papier.
Cette écriture-là ne nous a pas semblé avoir tout à fait la même force que les témoignages recueillis dans Chinoises, mais l'intérêt bien sûr est d'y découvrir un peu le Tibet dont on a tant parlé cette année.
Le contexte politique est d'ailleurs évoqué avec doigté et mesure par Xinran.
Enfin, découvrir est un bien grand mot : avec Wen et les mots de Xinran on partage la vie de ces cavaliers des montagnes, fiers, pieux et sauvages.
Capables de la plus belle élévation d'âme comme du plus sombre obscurantisme religieux.
Mais au bout du compte (ou du conte), comme Xinran, chinoise étrangère au Tibet, on ne semble pas avoir vraiment compris la mentalité et la culture de ces nomades bouddhistes.
Beaucoup de choses nous échappent et ils gardent leur mystère, leur secret, leur attrait aussi.
Habitants d'une région impossible qu'ils comparent eux-mêmes à «un grand monastère».
À cet égard et pour rester dans la région, Le cercle du karma de la bhoutanaise Kunzang Choden nous avait semblé plus à même de nous faire approcher la surprenante culture bouddhiste de ces contrées.
On y retrouve d'ailleurs la même patience inépuisable (mais les mots nous manquent : constance, résignation, sérénité ?) qui veut que l'on puisse camper au bas d'un col pour y attendre le passage d'un frère, d'un ami, d'un voisin pendant trois jours, trois mois ou trois ans sans sourciller.
Comment notre civilisation pressée et urgente pourrait-elle appréhender ne serait-ce que le début d'un commencement d'un bout de cette culture millénaire ?
Il reste que l'histoire de Wen est celle d'un destin extraordinaire qui mérite le voyage pendant quelques pages sur les traces de cette chinoise qui se sera perdue sur le toit du monde (mais trouvée aussi, on s'en doute) alors que, pendant ces trente années, la Chine s'éveillait douloureusement à travers les horreurs de la Révolution Culturelle.
Quant aux funérailles célestes (qui nous valent les plus belles pages), il s'agit bien sûr de cette étrange coutume tibétaine qui veut qu'on démembre les morts et les offre en pâture aux aigles et vautours.
Une tradition presque aussi choquante que celle de ces peuplades occidentales qui enferment les morts dans un coffre en bois et les laissent pourrir dans la terre humide.

Pour celles et ceux qui aiment les montagnes.
Piciquier édite ces 182 pages qui datent de 2004 en VO et qui sont traduites de l'anglais par Maïa Bhârathî.
Vaovan, Kattel et Émeraude en parlent. D'autres avis sur Critiques Libres.

mercredi 8 octobre 2008

BD : RG

Edvige, souriez ma chère, vous êtes fichée.

Au rayon BD, ce n'est pas Hergé mais RG.
Deux tomes sont parus : Riyad sur Seine et Bangkok-Belleville.
Tout un programme. Celui des RG, les Renseignements Généraux bien sûr.
C'est pas exactement un corps constitué qu'on porte vraiment dans notre cœur (doivent bien avoir une vieille photo avec nos cheveux longs dans leurs fichiers ...) mais c'est quand même une excellente BD, reconnaissons-le.
On y retrouve un peu du Tueur qu'on avait déjà encensé ici.
Un scénario bien mis en valeur, un vrai texte étoffé (avec comme dans Le Tueur, pas mal de voix off ou intérieure), un dessin résolument moderne.

[...] J'obtiens le numéro du passeport du costard gris ... citoyen américain ... sans blague ! vraiment un gros coup de cul !
"Reste planqué ... je file à Roissy ... et fais moi une sortie de la photo de ce mec !"
Une heure plus tard ... aéroport de Roissy Charles de Gaulle
Dans ce boulot tout dépend de l'information. Et l'information c'est une question de contacts.
En la matière, je ne crois pas au chantage ou à la manipulation, c'est inefficace. Je laisse ça aux politiques.
Je suis partisan du mot doux et de la boîte de chocolats.

On ne se refait pas et même si on sait apprécier les BD sans bulles, on aime bien les BD à textes.
Comble de l'ironie (ou du marketing, mais ça fait rien l'idée est bonne), la série serait née de la rencontre «obligée» entre un vrai RG et les dessinateurs qui gravitaient autour de Charlie Hebdo lors de l'affaire des caricatures de qui vous savez !
Car derrière le pseudo de l'un des deux auteurs se cache un vrai RG dans la vraie vie. Un qui se met en scène lui-même : les planques, les filatures, les descentes de police, la paperasse aussi, ...
Sans trop de concessions, on joue pas au héros, juste au vrai flic.
Et puis les méchants sont pas de chez nous : rien que des étrangers politiquement incorrects, comme l'indiquent les titres des deux épisodes.
Ce qui nous vaut deux albums qui se dévorent en quelques minutes comme une série TV (et pour une fois c'est pas péjoratif).
Sous des apparences brouillonnes mais trompeuses, le dessin est vivant, toujours en mouvement, assez cinoche et on boucle donc avec le polar télé. Une planche ici.
De la bel ouvrage, bref, deux albums (le troisième est en préparation) qui valent le détour.


Pour celles et ceux qui aiment les séries policières.

samedi 27 septembre 2008

BD : Maus

Des souris et des hommes.


On avait pourtant lu de nombreux éloges sur cette BD mais le dessin (entre Comics et manga) nous avait jusqu'ici rebuté.
Il aura fallu que Frédéric nous prête son Maus pour qu'on regrette vivement nos hésitations et qu'on achète sans plus tarder cette incontournable BD.
Non seulement on s'habitue très vite au dessin (une planche ici), pourtant bien loin de la ligne claire à laquelle on est habitué, mais on tient là un excellent album.
C'est autobiographique et Art Spiegelman nous raconte son histoire, ou plus exactement celle de son père, juif en Pologne au pire moment et rescapé d'Auschwitz.
Enfin, Art Spiegelman nous raconte aussi son histoire à lui aussi : et c'est même là tout l'intérêt du bouquin, pardon de la BD (ça se lit comme un roman).
Art, le fils, part à la recherche de la mémoire de Vladek, le père.
Le plus vieux et le plus jeune se chamaillent sans cesse et les deux histoires s'entremêlent habilement : les dialogues entre père et fils où le jeune essaie de soutirer la mémoire du vieux et bien sûr les terribles souvenirs du père, broyé par la Grande Histoire, écrasé par le devoir de mémoire, taraudé par la culpabilité des survivants, incapable de «refaire sa vie» comme on dit (comme avec sa nouvelle épouse, la première n'ayant pas survécu à Birkenau à quelques kilomètres d'Auschwitz).
Un peu comme dans le récent dessin animé de Ari Folman, le dessin semble être là pour à la fois mettre un peu de distance entre nous et d'effroyables événements mais aussi pour nous y attirer avec encore plus de force et  conviction.
Bien sûr, tout le monde connait ces terribles moments dont on nous a rebattu les oreilles, les yeux et la conscience.
Mais il n'est jamais inutile de rouvrir les yeux de temps à autre ... et de renouveler la conscience justement.
La vie du père Spiegelman, marchand juif plus vrai qu'une caricature, est décrite sans complaisance. Ses petits trafics pour échapper aux rafles, puis pour survivre dans les camps, ... il n'en est que plus humain dans ce monde qui ne l'était plus. Et au passage, Spiegelman épingle l'anti-sémitisme polonais (heureusement pour nous, le père de Spiegelman n'est pas né en France).
Comme dans Le Pianiste, on approche encore une fois le mystère incompréhensible de ces gens qui n'ont pas fui mais attendu presque patiemment la solution finale, encadrés par leur propre milice.
Déjà reprise dans Fievel, l'allégorie est évidente lorsque les chats nazis traquent les souris juives. Mais si Spiegelman a choisi une souris (Maus en allemand) c'est aussi en hommage à une célèbre Mouse américaine puisque le petit Mickey avait été mis à l'index des nazis.
Et Spiegelman de citer un journal des années 30 :
[...] le plus grand porteur de bactéries du règne animal ne peut être le type animal idéal. Finissons-en avec la tyrannie que les Juifs exercent sur le peuple ! À bas Mickey Mouse ! Portez la croix gammée !
Maus sera récompensée plusieurs fois à Angoulême et Spiegelman recevra le prix Pulitzer en 1992.
Il est grand temps de (re)découvrir cette BD (idéale aussi pour les ados).

Pour celles et ceux qui aiment garder les yeux ouverts. 
Flammarion édite ces 296 pages (l'intégrale des 2 volumes) traduites de l'anglais par Judith Ertel. 
Yohann en parle, comme d'autres : ici, ou .

jeudi 18 septembre 2008

Quand l'empereur était un dieu (Julie Otsuka)

Interdit aux Japs.

Quand l'empereur était un Dieu, de l'américaine Julie Otsuka.
Un petit bouquin obligatoire pour prendre connaissance d'une sombre page de l'histoire US : après Pearl Harbor, tous les américains d'origine nippone sont évacués dans des zones de regroupement, bref en d'autres termes, déportés dans des camps de concentration.
D'une voix blanche, Julie Otsuka nous conte l'horreur tranquille vécue par ses grands-parents.
Presque sans émotion, elle décrit le quotidien le plus banal. Le plus terrible.

Celui d'une famille d'américains moyens, enfin de ressortissants japonais, une famille brisée (le père est envoyé à l'autre bout de l'état, la mère et les deux filles se retrouvent seules), qui aura tout perdu et ne retrouvera jamais son équilibre.
une lettre à son père
[...] «Papa, il y a pas mal de soleil ici aussi, dans l'Utah. La nourriture n'est pas trop mauvaise et nous avons du lait tous les jours. À la cantine, nous faisons la collecte des clous pour l'oncle Sam. Hier, mon cerf-volant est resté coincé sur la clôture».
Les règles concernant la clôture étaient simples : interdiction de passer par-dessus, interdiction de passer par-dessous, interdiction de passer autour, interdiction de passer au travers.
Et si votre cerf-volant restait coincé dessus ?
Là, c'était encore plus simple : on devait l'abandonner.
Il y avait également des règles concernant le langage : Ici, on dit
«salle à manger» et non «cantine», «conseil de sûreté» et non «police interne», «résidants» et non «évacués»,  enfin et surtout «climat mental» et non «moral».
Il y avait des règles concernant la nourriture : il était interdit de se resservir, sauf du lait et du pain.
Et concernant les livres : pas de livres en japonais.
Il y avait aussi des règles concernant la religion : pas de shintoïstes, avec leur culte de l'empereur.
Et plus loin :
[...] Au début de l'automne, les grandes exploitations agricoles envoyèrent des agents de recrutement et le Service du transfert des populations autorisa de nombreux jeunes gens - hommes et femmes - à aller aider aux travaux des récoltes. [...] D'aucuns [...] revinrent avec les mêmes chaussures qu'ils portaient à leur départ, jurant que plus jamais ils ne quitteraient le camp. Ils racontaient qu'on leur avait tiré dessus, craché dessus, refusé l'entrée au restaurant du coin, au cinéma, au magasin de nouveautés. Ils expliquaient que, partout où ils étaient allés, ils avaient vu la même pancarte en vitrine : INTERDIT AUX JAPS. La vie était plus simple de ce côté-ci de la barrière, concluaient-ils.
Derrière un style d'apparence glaciale, au-delà de l'énumération clinique, couve l'émotion pure :
[...] À la tombée du jour, alors que le soleil virait au rouge sang, sa soeur l'entraînait à la lilmite des baraquements pour aller admirer le coucher de soleil sur les montagnes. «Regarde, détourne les yeux. Regarde, détourne les yeux.» C'était ainsi qu'il convenait d'observer le soleil, lui apprit-elle. Si on le fixait trop longtemps du regard, on devenait aveugle.
Alors, pour ne pas rester aveugle, il faut lire ce petit bouquin qui cache sous son écriture d'apparence froide et placide, un véritable réquisitoire.
Une belle histoire humaine aussi entre cette mère et ses deux filles.

Pour celles et ceux qui aiment savoir.
10/18 édite ces 152 pages qui datent de 2002 en VO et qui sont traduites de l'américain par Bruno Boudard.
Célia en parle (très bien), Naina aussi. La Nymphette vient juste de le lire également.

samedi 6 septembre 2008

La cité des jarres (Arnaldur Indridason)

Foutu marécage !

Le cinoche nous annonce l'adaptation à l'écran d'un polar de l'islandais Arnaldur Indridason : La cité des jarres (ce sera Jar City au ciné).
On ne pouvait donc laisser passer cette occasion de ressortir des étagères le bouquin en question, lu il y a maintenant quelques années, avant même ce blog, un des premiers polars d'Indridason, sur les conseils avisés du vendeur de la librairie Compagnie.
Une belle occasion qu'il ne fallait pas manquer : le bouquin est toujours excellent.
Comme dans toutes les histoires mettant en scène l'inspecteur Erlendur, ça démarre loin dans le passé.
Un passé d'où ressurgissent d'affreux drames.
Il y a 40 ans une sordide affaire de viol s'est soldée par une enquête de police bâclée (c'est peu dire), par la naissance d'une petite fille, par la mort de cette petite 4 ans plus tard d'une tumeur au cerveau et finalement par le suicide de la maman 3 ans plus tard.
40 ans après l'affreux bonhomme à l'origine de tout cela est retrouvé assassiné chez lui.
Bon débarras. Ce pourrait être une simple histoire de vengeance tardive bien sûr.
Mais ce serait beaucoup trop simple pour Erlendur, surtout quand l'affreux bonhomme assassiné ... ressurgit !
C'est peut-être un des romans les plus noirs d'Indridason. Il en a pourtant écrit des durs comme sait l'être la terre d'Islande (La femme en vert, par exemple). Mais celui-ci baigne dans une poisse toute polaire.
Il pleut d'ailleurs tout au long du bouquin.

[...] La pluie cinglait la voiture et Erlendur, qui ne suivait pas le bulletin météo, se demanda si elle allait s'arrêter un jour. Peut-être s'agissait-il d'une version abrégée du Déluge, pensa-t-il en lui-même en regardant à travers la fumée bleutée de la cigarette. Il n'était peut-être pas inutile de laver les péchés du genre humain de temps à autre.

Ou encore quelques pages plus loin :

[...] C'était tôt dans la matinée. Dehors le temps était couvert, il tombait une fine bruine et l'obscurité de l'automne se blottissait contre la ville, comme pour confirmer que l'hiver arrivait à toute vitesse, que les jours raccourcissaient encore plus et que le temps se refroidissait. On disait à la radio qu'on n'avait pas connu d'automne aussi humide depuis plusieurs dizaines d'années.

Dans cette sombre ambiance distillée insidieusement au fil des pages, Indridason et son inspecteur fantasment toujours autant sur les disparitions îliennes (sujet récurrent chez cet auteur : comment donc peut-on disparaître sans laisser de trace sur une petite île comme l'Islande ? une question qui taraude l'inspecteur Erlendur depuis son enfance et la disparition de son frère) :

[...] - Au cours des années 70, l'année de la disparition de Grétar, treize personnes ont disparu, précisa Elinborg. Douze dans les années 80, sans compter les hommes morts en mer.
- Treize disparitions, demanda Sigurdur Oli, est-ce que ça ne fait pas un peu beaucoup ? Aucune n'a été élucidée ?
- Elles ne cachent pas obligatoirement un crime, commenta Elinborg. Les gens disparaissent, s'arrangent pour disparaître, souhaitent disparaître, disparaissent.

Ou encore, un peu plus loin :
- Je ne me rappelle aucun exemple de ce genre, dit Erlendur.
- De quel genre ? demanda Sigurdur Oli.
- D'un homme qui refasse surface après toute une vie. Quand quelqu'un disparaît en Islande, c'est pour toujours. Il n'y a jamais personne qui revienne des dizaines d'années plus tard.
Jamais.

Brrrrr... à lire par un sombre jour d'automne, un jour de pluie de préférence !
Pour corser le tout, en marge de son enquête, Erlendur le père divorcé, se retrouve à nouveau aux prises avec sa junkie de fille, Eva Lind.
Ce qui nous vaut de très belles pages. On vous en offre ici deux ou trois qui méritent vraiment le détour et qui donnent également en prime, un aperçu de l'enquête (sans rien dévoiler heureusement).
À noter qu'on vous avait déjà offert un chapitre de L'homme du lac, un autre roman d'Indridason : c'est dire si cet auteur compte parmi nos préférés !
Si avec ces quelques mises en bouche vous n'êtes pas encore convaincus qu'il vous faut partir séance tenante à la découverte de cette fameuse cité des jarres ...
Car oui, elle existe bel et bien cette cité des jarres. Et pour de vrai dans la vraie vie.
Enfin dans la vie islandaise bien sûr.
On trouvera sur le web quelques propos sur cette fameuse cité des jarres islandaise, propos qu'on peut lire avant le film mais qu'il vaut mieux éviter avant le bouquin pour ne pas trop en dévoiler et garder le plaisir du mystère : c'est ici.
Indridason avait déjà eu droit au Best-Of 2006 alors désormais on s'interdit chaque année de le nominer à nouveau mais c'est pas l'envie qui nous manque. Espérons que le film sera à la hauteur du roman. Mais c'est un film réalisé par un islandais, alors ça promet !


Pour celles et ceux qui aiment les îles lointaines, même froides et pluvieuses.
Métailié édite ces 286 pages traduites de l'islandais par Éric Boury.
Herwann en dévoile un peu plus. Émeraude et le Lézard l'ont lu également.

jeudi 4 septembre 2008

Battement d’ailes (Milena Agus)

Deuxième étage de la fusée littéraire sarde.

L'an passé, le premier roman de Milena Agus : Mal de pierres avait fait un tabac, défrayé les chroniques et blogs et tam-tams avaient retenti de son écho.
On s'est donc jeté sur le nouvel ouvrage de cette sarde : Battement d'ailes.
On retrouve comme dans le précédent, le portrait d'un beau personnage féminin un peu décalé, sur fond d'âpres paysages de Sardaigne.
Une femme à l'approche de la cinquantaine qui a, il faut bien appeler ça comme ça, un petit grain, notamment pour les choses de l'amour, voire pour les choses du sexe.
C'est ce qui lui permet sans doute d'échapper à la dure réalité : celle qui a un goût d'épouvante.

[...] Un jour Madame a pris son courage à deux mains, et a demandé à l'amant s'il l'aime un peu. Il a souri et il a dit qu'on n'aime pas un peu. Ou on aime, ou on n'aime pas. Madame était allongée sur le lit, nue à côté de lui, qui s'est relevé brusquement, s'est rhabillé, est passé dans la pièce d'à côté. Alors Madame a senti l'épouvante la frôler, elle s'est rhabillée aussi en se promettant de ne plus jamais poser de questions aussi idiotes. Des questions aussi idiotes détruisent toute la magie et, sans magie, la vie a un goût d'épouvante.

L'écriture est toujours aussi belle et chacune des phrases semble être ciselée pendant de longs après-midi au soleil méditerranéen sans pour autant sombrer dans les effets de style à la mode.
Mais ...
Est-ce parce qu'on attendait trop et que la magie de la première découverte ne se répète pas ?
Est-ce parce que le bouquin hésite entre plusieurs personnages et plusieurs histoires ?
Est-ce parce que cela nous est raconté par la voix et les yeux d'une jeune adolescente ?
Il semble que, paradoxalement, une certaine froideur (et non pas le soleil) baigne ce roman et que Milena Agus mette une certaine distance entre ses personnages et nous.
Comme si on était passé à côté de quelque chose.
C'est l'occasion pour celles et ceux qui n'avaient pas encore découvert Milena Agus de se plonger dans le Mal de pierres.


Pour celles et ceux qui ont aimé le Mal de pierres.
Cathe partage un peu notre avis comme Benoit.
Bien sûr d'autres blogs en parlent comme Papillon ou Sylvie.
D'autres avis encore sur Critiques Libres.

mercredi 3 septembre 2008

Brothers (Yu Hua)

Faux-frères.

Excellente découverte que ce Brothers du chinois Yu Hua (un ancien dentiste !).
Un auteur contemporain qui décrit la Chine contemporaine.
Son bouquin est une véritable saga qui déroule cinquante ans de l'Histoire récente de la Chine moderne, depuis avant les années noires de la Révolution Culturelle jusqu'à l'avènement de l'économie de marché, il y a peu.
Rien que pour ce passionnant voyage dans le temps, ce gros pavé mérite le détour.
On retrouve là un peu de l'intérêt qu'on avait porté aux écrits de Chi Li (dans Tu es une rivière, par exemple) qui faisait, elle aussi, défiler l'Histoire de la Chine moderne.
Mais la comparaison s'arrête là : le néo-réalisme de Chi Li nous décrivait une Chine pauvre, misérable, sordide.
Au contraire, Yu Hua donne dans le truculent, l'humour bon enfant, et même le grivois, pour nous raconter la vie de deux demi-frères, Song Gang et Li Guangtou.
Même si cette ironie et ces amusements parfois un peu naïfs (à la chinoise) ne cherchent même pas à cacher l'émotion.
La réalité décrite par Chi Li et Yu Hua est pourtant la même et les dures années de la Révolution Culturelle auront également marqué tous les chinois.
D'ailleurs, les deux demi-frères de Brothers y perdront leurs parents, piétinés par la révolution prolétarienne en marche et s'y retrouveront orphelins. Ça crée des liens, comme on dit.

[...] Il avait eu un frère, nommé Song Gang, auquel il était très lié. Song Gang était son aîné d'un an, il le dépassait d'une tête et c'était un type honnête et intransigeant. Il était mort trois ans auparavant et n'était plus qu'un tas de cendres dans une minuscule boîte en bois. Quand Li Guangtou pensait à cette petite boîte où Song Gang était enfermé, il soupirait : même un arbuste calciné aurait produit plus de cendres.

Des liens indéfectibles qui marqueront la vie de ces deux personnages tout au long du roman.
Au point qu'ils tomberont amoureux de la même femme.
Ce roman social ou historique est donc aussi une belle histoire d'amour, dans le décor exotique d'une petite ville de Chine.

[...] Avant de quitter le bourg des Liu pour prendre son deuxième envol, Li Guangtou se rendit comme l'autre fois à la boutique de dim sum de la mère Su pour y manger des petits pains farcis à la viande. Tout en mastiquant, il sortit son passeport de sa veste râpée et le montra à la mère Su pour élargir son horizon. La mère Su prit le document avec curiosité, l'examina sous toutes les coutures et, comparant la photo du passeport avec l'individu qu'elle avait sous les yeux, elle remarqua :
- On dirait vraiment que le type sur la photo c'est toi.
- Comment ça, on dirait ? mais c'est moi, répliqua Li Guangtou.
La mère Su n'arrivait pas à détacher ses yeux du passeport :
- Et avec ça, tu peux sortir de Chine et aller au Japon ? s'étonna-t-elle.
- Évidemment, répondit Li Guangtou, qui reprit son passeport des mains de la mère Su : Tu as les mains grasses.
La mère Su, confuse, s'essuya les mains sur son tablier, et Li Guangtou frotta le passeport avec sa manche râpée pour en effacer les taches de gras.
- Tu vas aller au Japon habillé comme ça ? demanda la mère Su en regardant les vêtements râpés de Li Guangtou...

Au fil des pages, des saisons et des ans, on partage la vie de ces deux frères et de leur village en route vers la modernité.
On regrettera juste dans le dernier quart du bouquin l'apparition d'un personnage un peu fantasque qui donne l'occasion de quelques péripéties grivoises et peu crédibles. Mais cela ne suffit pas à gâcher le voyage.
Un livre idéal pour découvrir la Chine et ses chinois.


Pour celles et ceux qui aiment les sagas lointaines.
Actes Sud édite ces 693 pages qui datent de 2005 en VO et qui sont traduites du chinois par Angel Pino et Isabelle Rabut (dont il faut, au passage, saluer les notes explicatives sur le contexte historique ou social du pays).
Une interview de Yu Hua (en anglais).

mardi 2 septembre 2008

Rue Sans-souci (Jo Nesbo)


Il y a des tziganes en Norvège !

Sans doute le meilleur polar lu cet été (si l'on excepte l'inclassable japonais Out).
Un excellent Jo Nesbo, très supérieur au récent Bonhomme de neige, lu, lui aussi, cet été.
Assurément l'un des meilleurs polars de cet auteur, même s'il n'a pas l'exotisme de L'homme chauve-souris (en Australie) ou des Cafards (à Bangkok).
Enfin, on a quand même droit ici à une petite excursion au Brésil, sur les traces de l'inénarrable inspecteur Harry Hole, toujours aussi imprévisible pour ses collègues.
On retrouve également le vilain ripoux Waaler, ennemi juré de l'inspecteur.
Côté romance (si avec Harry on peut appeler ça comme ça !), Rakel et son petit Oleg sont à Moscou en train de négocier avec le père du garçon.
Rue Sans-souci (Sorgenfri Gatan en VO), c'est l'adresse où l'on retrouve le cadavre d'une ... amie de Harry (amie avec laquelle il vient de passer la soirée).
Ça commence mal pour l'inspecteur qui a déjà la gueule de bois !
Dans le même temps, un braquage tourne mal et la caissière de la banque est froidement descendue.
On errera bien évidemment de fausses pistes en coups tordus tout au long de cette captivante enquête.
Dans Rouge-Gorge, Jo Nesbo  convoquait déjà une figure de la mythologie (Urias) et cette fois c'est Némésis, la déesse de la vengeance, qui est au rendez-vous.
La toile de fond de l'intrigue dépeint le milieu des tziganes (mais oui il y en a aussi en Norvège !), un peuple au cœur de l'actualité cette année.
Si comme nous, vous voulez en savoir un peu plus sur ces Roms méconnus venus du fin fond du Rajasthan, on vous propose un intéressant article de Courrier International paru cet été.

Pour celles et ceux qui aiment les polars instructifs.
Folio édite ces 587 pages traduites du norvégien par Alex Fouillet.
Herwann l'a lu et l'a aimé cet été lui aussi. Polar Noir et Jean-Marc en parlent.

vendredi 8 août 2008

À genoux (Michaël Connelly)

La guerre des polices.

Polar d'été et valeur sûre : Michael Connelly !
Avec sa dernière livraison : À genoux (ou Overlook en VO pour MAM).
Un médecin est assassiné sur Mulholland Drive (of course) qui avait accès à des matières radioactives utilisées pour soigner des cancers. On craint les préparatifs d'une bombe sale et le FBI déboule en marchant sur les pieds de notre détective préféré, Harry Bosch.
Pendant quelques chapitres on peut se dire, tiens, étrange, Michael Connelly a fini par céder à la mode du terrorisme et du thriller facile ...
Évidemment, la guerre des polices est un prétexte et Connelly jubile à mettre en scène les rivalités entre les apparatchiks hautains du FBI et le teigneux tenace du LAPD. On se régale.
Et puis bien entendu, quelques chapitres plus loin, on réalise qu'on s'est gentiment fait avoir : Michael Connelly nous a roulé dans la farine et promené là où il n'y avait rien à voir. Excellent !
Même si ce n'est pas le meilleur cru de ce maître es polars (ne manquez, par exemple, les deux derniers : Echo Park et surtout Deuil interdit).

Pour celles et ceux qui aiment les fausses vérités.
Seuil édite ces 237 pages traduites de l'anglais par Robert Pépin.

lundi 28 juillet 2008

Malavita (Tonino Benacquista)

Et paf le chien.

Tonino Benacquista ne nous avait guère laissé un souvenir impérissable il y a quelques années avec La Maldonne des sleepings et un style un peu brouillon limite vulgarité.
Quelques années ont passé et l'écriture a gagné en maturité.
Voici donc Malavita un petit polar sans prétention, amusant et pas prise de tête. Presque une nouvelle et où il n'y a même pas de serial-killer à chercher.
Puisque c'est le méchant lui-même qui est devenu le héros, amusant, sinon gentil.
Fred Blake et sa famille s'installent en Normandie, aux bons soins du FBI puisque Fred est un mafieux repenti qui a dénoncé ses pairs.
Les affreux vilains le recherchent et veulent sa peau, le FBI le protège.
Ce côté polar ne casse pas trois pattes à un canard même si on peut s'amuser de l'incroyable suite de coïncidences qui remettra les méchants sur la piste du presque gentil.
Ce qui rend le bouquin piquant sinon intéressant c'est le côté «un américain en Normandie».
Y'a pas plus ricain que la famille Blake et y'a pas plus France profonde que le petit village de Cholong (bien vite devenu So Long).
D'autant que Fred s'ennuie à tourner en rond planqué dans sa maison et se met bientôt en tête d'écrire ses mémoires (ce qui nous vaut d'ailleurs des extraits du bouquin dans le bouquin, habile contrepoint).

[... discussion entre les deux ados de la famille ... ] - Trois mois qu'il s'enferme dans sa putain de véranda, dit-il, tout son vocabulaire doit y passer plusieurs fois par jour.
- Dis que ton père est analphabète ...
- Mon père est un Américain de base, tu as oublié ce que c'était. Un type qui parle pour se faire comprendre, pas pour faire des phrases. Un homme qui n'a pas besoin de dire vous quand il sait dire tu. Un type qui est, qui a, qui dit et qui fait, il n'a pas besoin d'autres verbes. Un type qui ne dîne, ne déjeune et ne soupe jamais : il mange.  Pour lui, le passé est ce qui arrivé avant le présent, et le futur ce qui arrivera après , à quoi bon compliquer ? As-tu déjà listé le nombre de choses que ton père est capable d'exprimer rien qu'avec le mot "fuck" ?
- Pas de cochonneries, s'il te plait.
- C'est bien autre chose que des cochonneries. "Fuck" dans sa bouche peut vouloir dire : "Mon Dieu, dans quelle panade me suis-je fourré !", ou encore : " Ce gars-là va me le payer cher un jour", mais aussi "J'adore ce film". Pourquoi un type comme lui aurait besoin d'écrire.

Ce n'est certainement pas de la grande littérature mais ça se laisse plaisamment dévorer.
Sympa pour cet été.


Pour celles et ceux qui aiment les hamburgers au camembert.
Folio édite ces 374 pages.
ValDeBaz et Lo en parlent.
Herwann parle de la suite : Malavita encore.

mercredi 23 juillet 2008

Le bonhomme de neige (Jo Nesbo)

Glaçant.

Une idée rafraîchissante pour l'été : Le bonhomme de neige du norvégien Jo Nesbo.
Ce n'est peut-être pas le meilleur opus du plus américain des auteurs de polars européens (on aura préféré les précédents) mais c'est certainement le pavé de l'été pour la plage.
L'intrigue semble avoir quelque mal à démarrer et on patauge dans la neige fondue pendant quelques chapitres. Est-ce parce qu'au début du bouquin le détective Harry Hole ne boit plus, ne fume plus, ne ... ?
Heureusement cet ascétisme ne saurait durer bien longtemps et bien vite on file sur les traces d'un serial-killer à la mode norvégienne.
[...] - J'ai demandé à l'Institut de météorologie de vérifier les dates et les lieux qui nous intéressent. Et tu sais quoi ?
Harry savait quoi. Et il aurait dû le savoir depuis longtemps.
- La première neige, répondit-il. Il les chope le jour où tombe la première neige.
- Exactement.
Et avec la première neige, vient forcément la joie de faire un bonhomme de neige.

[...au téléphone ...] - J'appelle les troupes.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Il y a un bonhomme de neige, ici.
- Et alors ?
Harry expliqua.
- Je n'ai pas pigé la fin, cria Holm. La couverture est mauvaise, ici ...
- La tête, répéta Harry. C'est celle de Sylvia Ortensen.
Le silence se fit à l'autre bout du fil.
Jo Nesbo nous embarque alors dans un dédale de fausses-pistes.
Et l'on frissonne : de froid et d'angoisse.
Avec en prime, quelques vérités très norvégiennes sur la rivalité entre Oslo et Bergen (cette fois Harry travaille avec une équipière originaire de Bergen) :
[...] - Mmm. Pourquoi ne voulais-tu pas que je dise à tes collègues de Bergen que tu étais là ?
- Quoi ?
- Je me disais qu'ils trouveraient ça cool de savoir que tu bossais sur une grosse affaire de meurtre dans la capitale.
Elle haussa les épaules et ouvrit la portière.
- Les Berguénois ne considèrent pas Oslo comme la capitale. Bonne nuit.
- Bonne nuit.
Et toc.
On a lu aussi Rue Sans-Souci récemment et c'est encore meilleur !

Pour celles et ceux qui aiment les frissons.
Gallimard édite ces 524 pages traduites du norvégien par Alex Fouillet.