samedi 30 avril 2022

Mer (Bertil Scali et Raphaël de Andreis)


[...] Même la pluie était salée.

On a déjà oublié le dernier rapport du GIEC opportunément éclipsé par la guerre en Ukraine. Cent ans plus tard, quand même la pluie sera salée, il sera trop tard pour pleurer, c'est que nous raconte le roman de Bertil Scali et Raphaël de Andreis au titre sec qui sonne comme une claque : Mer.
Alors que nous faisons à peine notre deuil du monde d'avant, les deux compères nous plongent (c'est le cas de le dire) dans le monde d'après-demain. En 2100, le réchauffement climatique est là, les villes côtières sont noyées sous les eaux, les plaines centrales ravagées par les incendies géants, le monde envahi par les réfugiés climatiques et quelques autres bestioles qui pullulent dans ce nouvel éco-climat.
Bordeaux n'est plus qu'une nouvelle Venise marécageuse battue par les eaux, ce qui nous vaut cette belle couverture. Le Cap Ferret a disparu, du fameux immeuble Signal, seul le toit émerge encore et sert de quai de fortune aux boat people, et la place des Quinconces est devenu un port de plaisance, ...
[...] Ils marchaient le long d’une digue étroite bordée de filins électriques anti-alligators – le reptile carnassier pullulait dans les nuits suffocantes du delta de Bordeaux.
La mise en scène d'une côte française envahie par les eaux est bien entendu spectaculaire, d'autant qu'elle est plutôt réussie et "réaliste", ce décor suffira à faire la renommée du bouquin mais il en fallait un peu plus pour réussir un bon thriller.
Alors les auteurs ont décidé de mettre en avant le retour à l'esclavage, intelligent clin d'œil au lointain passé bordelais, en noircissant à peine le trait de notre monde actuel : la traite humaine des migrants n'a malheureusement pas attendu le réchauffement climatique.
[...] Il semblerait, selon les derniers rapports de l’Onu, que l’esclavage ait également repris aux États-Unis. Les autorités nord-américaines seraient peu enclines à réguler la résurgence de ce commerce, semble-t-il excellent pour leur économie. 
[...] Les villes peinent à juguler ce commerce de la main-d’œuvre humaine.
Et puis ils imaginent également une sorte de dictature écologique (tiens donc ...), en donnant un tout autre sens au titre de leur bouquin.
[...] Les agents du mer (Migration, Équité, Réaction), service de contrôle des réfugiés climatiques mis en place par l’Onu lorsque le niveau des mers et des océans avait commencé à monter.
Dans ce décor apocalyptique, une enquête policière va nous servir de guide : des réfugiés disparaissent en masse, ça fait désordre et sème le trouble ...
Une fliquette sympathique et un vieux commissaire roublard mènent leur bateau de police dans les canaux de Bordeaux.
❤️ Tout cela est plutôt bien écrit, c'est pas du thriller au rabais (même si le prix est modique) même si l'on regrette quelques personnages un peu 'cliché' aux traits un peu grossiers.
Le thriller idéal pour les plages cet été, ambiance garantie "les pieds dans l'eau".
Sauf qu'on ne sait pas toujours comment prendre certaines petites phrases assassines :
[...] L’homme s’adapte vraiment à tout. Il s’acclimatera même à la fin du monde …

Pour celles et ceux qui aiment avoir les pieds dans l'eau.
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lundi 25 avril 2022

Les ravissantes (Romain Puertolas)

[...] C’est à ce moment-là que l’on commença à parler des « Disparus de Mars ».

Avec Les ravissantes, le facétieux Romain Puertolas nous emmène dans les seventies, au Texas, dans un bled perdu de l'Amérique profonde, avec un roman à suspense ou à mystère, un vrai-faux fait divers raconté un peu à la manière d'un Truman Capote.
Tout va (presque) pour le mieux dans le petit village de Saint-Sauveur, jusqu'au jour où un adolescent disparaît. 
Puis un second et quelques jours après encore un troisième.
[...] Quand cela s’arrêterait-il donc ? L’enlèvement d’un enfant avait déjà une répercussion médiatique immense, l’enlèvement de trois était tout bonnement ingérable.
[...] Les événements n’étaient pas sans rappeler le joueur de flûte de Hamelin.
[...] On va le retrouver, Susan, réussit-il toutefois à dire. Il avait parlé fort, un volume mal dosé, une intonation maladroite, il avait essayé de prendre un air convaincant, mais c’était la troisième fois qu’il mentait cette semaine et cela commençait à s’entendre.
Le shérif a fort à faire, ne serait-ce que pour contenir la grogne de ses administrés qui regardent d'un mauvais œil la communauté de hippies installée sur la commune : les vagabonds de cette secte ont bien des têtes à kidnapper les gosses, non ?
[...] – J’ai entendu dire qu’il s’y passait des choses étranges, continua Denise d’une voix douce mais ferme. On parle d’orgies, de rites sataniques. Vous avez vu ce qui est arrivé avec la secte de Charles Manson il y a quelques années ?
[...] Il se sentait dépassé par les événements, il ne contrôlait plus rien. Cette ville était devenue une cocotte-minute qui menaçait d’exploser à tout moment.
Demande de rançon ? Dérive sectaire des hippies ? Serial-killer pédophile ? Enlèvement extraterrestre (l'affaire Roswell n'est pas si loin) ? Les pistes ne manquent pas et le bouquin comporte peut-être bien quelques longueurs, le temps que Puertolas bâtisse soigneusement son intrigue à tiroirs.
Et puis vient la récompense, la gourmandise, lorsque l'auteur démonte enfin tout son édifice jusqu'au tiroir secret que l'on n'avait pas vu évidemment. Quand le lecteur se retrouve :
[...] À la fois heureux d’avoir la solution à cette éprouvante enquête et soucieux de son dénouement cocasse.

Pour celles et ceux qui aiment les mystères.
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jeudi 21 avril 2022

Et les vivants autour (Barbara Abel)

[...] Il y a toujours un moment où il faut payer.

Barbara Abel nous invite à une réunion de famille.
Le couple Mercier approche de la soixantaine bourgeoise, Monsieur travaille toujours autant, Madame tient la maison, les deux filles sont sur le point de fonder leur propre famille, il y a donc aussi des gendres.
Mais l'une des deux filles dort. Elle dort depuis quatre ans. Dans le coma depuis un accident.
[...] Dans le lit, Jeanne ne bouge pas. Jeanne ne bouge plus depuis quatre ans. Jeanne n’est plus qu’un corps inerte et allongé.
[...] Voilà quatre ans que l’ombre de sa sœur plane sur eux. Comme s’ils n’avaient plus le droit de vivre « pour de vrai » tant qu’elle-même était morte « pour de faux ».
Depuis quatre ans, chacun tente vaille que vaille de "vivre" comme en suspension, avec cette demi-morte qui prend toute la place mais que personne ne se résout à débrancher, jusqu'au jour où le toubib convoque la réunion de famille.
[...] — Si je vous ai fait venir, c’est, vous vous en doutez, pour m’entretenir avec vous de l’état de Jeanne. Il se fait que…
Un conseil de famille où une surprise de taille attend les parents et le lecteur.
[...] — Vous ne faites pas les choses à moitié, dans ta famille ! s’exclame-t-il enfin, ahuri. Pendant quatre ans, il ne se passe strictement rien, on a l’impression de végéter dans une salle d’attente oubliée de tous, et là, tout à coup… C’est… C’est dingue ! 
— Dingue, oui, répète Charlotte, pensive. C’est le mot.
La ficelle est un peu grosse mais peu importe au fond le scénario, le décor et les péripéties de cette intrigue quasi théâtrale : Barbara Abel a entrepris de disséquer la famille Mercier. À vif. Au scalpel.
Et comme dans tout bon polar, l'autopsie révèlera bien entendu une famille toxique.
L'auteure est docteur en chirurgie de la famille, et c'est pas de la chirurgie réparatrice, plutôt la destruction méthodique et systématique d'une famille qui semblait unie et solide mais qui va s'avérer pleine de mystères et de non-dits, de honte et de secrets.
C'est féroce et sans concession.
[...] — J’ai subi ma vie d’épouse et ma vie de mère pendant des années, poursuit-elle en regardant cette fois sa fille dans les yeux. Je ne peux pas dire que ces deux rôles m’aient épanouie, bien au contraire. Quant à ma vie de femme… Elle a presque été inexistante. Sacrifiée au nom de la famille.
Bien sûr on peut trouver à redire à une intrigue un peu rocambolesque, des péripéties un peu too much, mais il fallait bien tout cela pour secouer le cocotier sous lequel dormait cette famille trop tranquille.
Et puis c'est très bien écrit, alors on reste accroché jusqu'au bout, curieux de découvrir ce que cachait les uns ou les autres.

Pour celles et ceux qui aiment la famille.
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samedi 16 avril 2022

Le rouge et le brun (Maurice Attia)

[...] Cette histoire tournait au mauvais feuilleton.

Après le bouquin de Vanessa Schneider qui nous faisait revivre les années 80 d'Action Directe, on ne pouvait pas laisser passer Le rouge et le brun de Maurice Attia qui nous invite quelques petites années avant, à Rome, au moment même où les Brigades Rouges viennent de kidnapper Aldo Moro. 
Maurice Attia compte quelques années de plus que Vanessa Schneider : il est né en 49 et il rappelle donc ici des événements qui ont marqué son parcours.
Son bouquin est assez surprenant : dans une première partie nous suivons les pas d'un ex-flic devenu journaliste (il part donc en Italie pour couvrir ces événements) et tout cela nous est raconté d'un ton un peu désinvolte, avec pas mal d'humour à la limite du vaudeville, d'un style un peu désuet, on se croirait presque en compagnie de Nestor Burma chez Léo Malet.
Pour les plus jeunes, l'auteur se charge de rappeler les tragiques événements et leur contexte.
[...] L’année 77 avait été marquée par une contestation généralisée, sociale et culturelle. L’extrême gauche avait décidé de se confronter violemment à l’État. Les Brigades rouges avaient organisé des sabotages, des séquestrations, des humiliations publiques, puis tiré dans les jambes et enfin assassiné policiers, carabiniers, magistrats, journalistes, universitaires jusqu’au point d’orgue : l’enlèvement d’Aldo Moro.
[...] Le 16 mars 1978 en fin de matinée, l’incroyable dépêche de l’AFP était tombée : Aldo Moro avait été enlevé par les Brigades rouges.
[...] Dans un tel bras de fer, Aldo Moro avait peu de chances de s’en tirer. Il aurait droit à des funérailles nationales ; on donnerait son nom à des rues, des avenues, des places. À moins d’une délation par l’un des complices des BR, il serait sacrifié sur l’autel de la raison d’État. Ce n’était pas le premier et ce ne serait pas le dernier.
[...] En Italie, l’extrême droite rêvait d’un retour au fascisme, l’extrême gauche d’une nouvelle Résistance et de lutte armée. Et dans l’ombre, comme l’avait suggéré Berlinguer, CIA, KGB et Vatican devaient jouer les marionnettistes de cette tragédie…
Le journaliste-détective avance difficilement, tout comme ses confrères italiens : personne ne sait trop comment tout cela va finir (ou plus exactement, tout le monde pressent bien comment tout cela va mal finir).
[...] J’avançais en aveugle, en terre et langue inconnues. À enquêter sur un accident dans une ville en état de siège.
À mi-parcours le bouquin, délaissant Aldo Moro en mauvaise posture, bascule d'un tout autre côté à une toute autre époque : en France, l'épouse du journaliste découvre la correspondance de ses ancêtres et un épisode historique méconnu, celui de "fort Chabrol" [clic] lorsque des radicaux antisémites se retranchent en 1899 dans le bâtiment de leur journal (l'Antijuif) en pleine révision du procès Dreyfus.
Là encore, une narration un peu ironique, un peu désuète, un soupçon d'érotisme (un peu hors de propos !) qui frise l'exercice de style.
[... Des] idéologues médiocres et racistes, de personnages que rien ne fédérait sinon la haine du socialisme, du franc-maçon et du juif.
[...] Au mauvais moment au mauvais endroit. Comme tant de gens, victimes civiles d’un terrorisme aveugle ou pas.
[...]Nul doute que l’extrême droite renaissait toujours de ses cendres. Comme l’antisémitisme.
[...] Le terrorisme. Cette terreur la mieux partagée. Le Rouge et le Brun ne s’épousent-ils pas ?
Oui bien sûr, on l'avait compris dès la couverture, l'auteur entend nous faire comprendre les méfaits de la terreur rouge comme de la peste brune au travers de deux épisodes historiques.
La mise en scène est plutôt naïve et maladroite mais, parti sur les traces d'Aldo Moro, on se retrouve curieux de cet épisode de 1900, aux racines de l'extrême droite française qui, à l'époque, n'avait pas encore l'islam en ligne de mire mais plutôt "le juif" qui vote pour elle aujourd'hui. Curiosité historique.

Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire.
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mardi 12 avril 2022

Une vérité à deux visages (Michael Connelly)

[...] - C'est comme ça, trop gros pour fermer.

Voilà bien longtemps qu'on avait pas ouvert un Michael Connelly et qu'on avait délaissé Harry Bosch.
L'inspecteur retraité Harry se tient désormais loin du LAPD où il n'est plus trop le bienvenu et il fait des piges pour la police de San Fernando où il déterre des cold cases, c'est sa spécialité.
Mais voilà que le bureau du procureur de LA vient jusqu'ici lui chercher des poux sur la tête : un détenu et son avocat veulent ré-ouvrir un vieux dossier au motif que désormais l'ADN parle beaucoup mieux aujourd'hui qu'en 1987 avec les progrès de la science. Des traces d'un autre criminel avéré aurait été découvertes dans les pièces à conviction ce qui viendrait innocenter le prévenu mis à l'ombre par Harry ... erreur de manip de l'époque ? trucage ou magouille de l'avocat ? hasard trop bienvenu pour le condamné ? Harry est pourtant certain d'avoir coffrer le bon coupable et ce genre de scandale remettrait en cause pas mal d'autres arrestations (et sa réputation de super-flic).
[...] Sa carrière l'avait vu traquer et mettre en prison des centaines de tueurs. Se tromper sur un seul d'entre eux risquait de faire douter de tous les autres.
Au même moment, la petite ville tranquille de San Fernando se réveille en émoi après un double meurtre dans une pharmacie : Harry prend la direction d'une enquête qui va le mener (et nous avec) au cœur d'un gigantesque, monstrueux et terrifiant (et véritable) trafic de pilules opiacées.
C'est super documenté et ça donne un relief inattendu aux titres de journaux que l'on avait lu ici ou là [clic] sur les addictions aux opiacés aux US, sans trop y prêter attention jusqu'ici.
[...] - Les cappers rassemblent leurs mules le matin et elles viennent chercher leur ordonnance chez le toubib ... Aucun examen médical digne de ce nom, rien de légal dans tout ça ... Et après, tout le monde sort et monte dans un van, le capper les conduisant aux pharmacies pour y prendre leurs pilules. En général, il y a plus d'une pharmacie dans le coup, ce qui permet d'élargir le périmètre et de ne pas apparaître sur l'écran radar.
[...] - Ils se servent d'un avion pour faire circuler les gens et frapper de nombreux dispensaires et pharmacies par jour, disait-il. Avec ces appareils, ils font tourner les mules qui se font préparer leurs ordonnances.
[...] - C'est le plus gros secteur de croissance industrielle du pays. Tu te rappelles ce qu'on disait sur les banques et Wall Street qui étaient trop gros pour faire faillite ? Eh ben, c'est comme ça, trop gros pour fermer.
C'est hallucinant (mauvais jeu de mots) et tellement énorme que ça passe : tout le monde est mouillé et même trempé, institutions, administrations, même la sécu, truands, drogués et bien sûr, géants de la pharmacie (comme Purdue Pharma conseillé par McKinsey !). Comme on dit : too big to fail, au point où on en est, on ne peut plus reculer. Bienvenue aux US.
Pour souffler un peu au fil de cette enquête, le bouquin alterne avec l'autre intrigue qui met en cause Harry et la manipulation d'ADN et qui se termine par un joli moment de prétoire.
❤️ Bref, voilà un épisode Harry Bosch bigrement intéressant et toujours aussi bien construit, Harry et Connelly vieillissent bien !

Pour celles et ceux qui aiment les pilules.
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dimanche 10 avril 2022

Dans les brumes de Capelans (Olivier Norek)


[...] Flic échaudé craint la victime éplorée.

On l'a déjà dit, Olivier Norek est peut-être le meilleur auteur français de polars "mainstream".
Au fil des épisodes il soigne et affermit sa prose et il arrive même à se renouveler puisqu'il nous emmène Dans les brumes de Capelans ... à Saint-Pierre et Miquelon, bien loin des cavalcades survoltées des banlieues du 9-3.
Une île de naufrages.
Son flic fétiche, Victor Coste, s'est auto-exilé tout là-bas, ours parmi les ours, pour fuir ses propres démons.
[...] Un climat bicolore qui huit mois de l’année ne laissait le choix qu’entre le blanc de la neige et le gris des brumes.
[...] – Il serait temps, avant que les brumes de Capelans couvrent Saint-Pierre.
– Les brumes de ? fit répéter Anna.
– De Capelans. Le courant chaud du Gulf Stream rencontre le courant froid du Labrador et une fois par an, pendant trois semaines, les brumes tombent sur l’archipel et le font disparaître littéralement de la carte.
[...] Une île de vingt-cinq kilomètres carrés dont chacun des 5 000 habitants connaissait les 4 999 autres.
Coste y est chargé de surveiller une "planque" du tout récent programme français de protection des repentis ou des témoins (ouais, on fait tout pareil que le WITSEC du FBI, trop fort et c'est pour de vrai).
Mais voilà qu'on lui envoie une jeune femme, une victime, retrouvée traumatisée dans la cave d'un serial-killer où elle a survécu dix ans ... là où d'autres ont été découvertes qui n'ont pas eu cette 'chance'.
Mais l'affreux jojo coure toujours et seule la jeune Anna sait peut-être des choses qui permettront de traquer et retrouver son tortionnaire.
Encore faut-il arriver à lui rendre la parole.
[...] Deux mortes, Garance et Salomé, une retrouvée, et absolument rien sur les sept autres. Voilà pourquoi Anna était une chance et une candidate parfaite pour le Service de protection des témoins, la seule à pouvoir remplir les blancs d’une enquête vieille d’une décennie aussi trouée qu’une partition d’orgue de Barbarie.
La première longue partie du bouquin est passionnante : voilà une histoire de serial-killer menée de façon originale avec un excellent scénario (et un bon film en perspective !).
À mi-parcours, retournement de situation et le bouquin bascule dans un polar beaucoup plus classique mais bien mené par Norek et Coste, toujours aussi pros tous les deux et toujours aussi habiles à se sortir d'une impasse mexicaine.
Et puis ouf, enfin le dénouement, tout est bien qui finit bien, mais on se dit que quand même, il reste bien quelques pages non ? Et alors survient ce moment de jubilation intense quand, à quelques minutes de la fin du film, le téléphone sonne ...
[...] « Coste. Russo à l’appareil. Rappelez-moi. C’est urgent. »

Ne refermons pas le bouquin sans relire cette belle tirade, bien dans l'air du temps :
[...] Faut bien que tu te le dises. S’il y a des femmes battues, c’est que l’homme l’a décidé. Si elles restent à la cuisine, c’est que l’homme l’a décidé. Si elles ne gagnent pas le même salaire, c’est que l’homme l’a décidé. Si elles doivent cacher leurs cheveux ou leur visage, c’est que l’homme l’a décidé. Si elles sont agressées sexuellement, c’est que l’homme l’a décidé.

Pour celles et ceux qui aiment se faire mener par le bout du nez.
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vendredi 8 avril 2022

La fille de Deauville (Vanessa Schneider)

[...] Elle avait braqué des banques, posé des bombes.

Encore de l'histoire vraie, mise en page par une journaliste.
Vanessa Schneider est un peu trop jeune pour se plonger par nostalgie dans les turbulences post-soixante-huitardes des années 80, mais papa était quand même un lacanien maoïste et ça doit laisser des traces.
Elle nous invite donc à suivre le parcours de La fille de Deauville, Joëlle Aubron, une jeune fille de petite bourgeoisie, un peu rebelle mais que rien non plus ne prédisposait à intégrer dans les années 80, le noyau dur d'Action Directe, le groupe terroriste anticapitaliste issu des GARI antifranquistes, version franchouillarde des Brigate Rosse ou de la Rote Armee Fraktion, mais qui manqua quelque peu son rendez-vous avec l'Histoire, coincé quelques années trop tard (Aldo Moro c'était en 78)  entre le nouveau pouvoir socialiste et l'arrivée des terroristes palestiniens.
[...] Si une organisation avait encore les moyens de frapper, en ce début des années 80, alors que les copains d’avant rappliquaient ventre à terre dans les arcanes du pouvoir socialiste, c’était bien AD, aussi famélique que soit l’organisation.
[...] À côté de leurs copains allemands, espagnols et italiens, les gauchistes hexagonaux étaient gentillets.
[...] Les combattants palestiniens démontraient chaque jour leur puissance et saturaient les médias de sang et de cris. Pendant ce temps, AD braquait des banques et posait des bombes, de nuit, dans des bureaux vides. La police ne se déplaçait même plus.
[...] Plus leur influence déclinait, plus les terroristes se durcissaient. 
[...] Les derniers articles de presse parlaient d’eux comme d’une bande de ratés manipulés par les camarades allemands de la RAF. On ne les prenait pas au sérieux.
Après une longue série de braquages et de mitraillages de symboles du pouvoir, Joëlle Aubron monte en première ligne en 1986 pour assassiner Georges Besse, le patron de Renault, un peu en mémoire de Pierre Overney abattu en 72. L'apogée éphémère de sa carrière de terroriste rouge.
[...] Elle avait braqué des banques, posé des bombes, mis en joue des passants, tiré sur des flics, elle avait tué.
[...] Dans la nuit du 19 au 20 novembre, 80 000 affiches avec les visages de Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon sortaient des rotatives.
[...] Depuis que leurs portraits avaient été affichés dans les lieux publics, elle se sentait épiée.
[...] Quatre ans de clandestinité. Quatre ans à se planquer comme des rats. Quatre ans à ne plus voir ni famille ni amis. Quatre ans à attendre le Grand Soir ou les balles meurtrières des flics. Elle n’avait pas 25 ans et se sentait fourbue, comme après une vie passée à l’usine.
❤️ Le bouquin tient plus du roman que du reportage et pour nous faciliter la lecture, l'auteure va jusqu'à mettre en scène un personnage imaginaire, un flic lancé sur les traces des terroristes et fasciné par la blonde jeune femme aperçue à Deauville, le montage est agréable et la lecture fluide éclaire ces années oubliées.
Après de longues années de prison, Joëlle Aubron décèdera en 2006 à 46 ans d'une tumeur au cerveau.
Ses compagnons d'armes lui auront survécu mais sans plus faire d'étincelles : Action Directe ne fut qu'un feu de paille qui tenta d'incendier bien maladroitement les années 80.

Pour celles et ceux qui aiment les années 80.
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mardi 5 avril 2022

Lieutenant Versiga (Raphaël Malkin)


[...] C’était un chasseur, fait pour l’enquête.

    L'auteur, le livre (224 pages, 2022) :

Surprenant bouquin que ce Lieutenant Versiga de Raphaël Malkin.
Quelques pages à peine et nous voici au cœur du Mississipi, dans ce bon vieux Sud, au bord de la Pascagoula river, dans un bon vieux polar sudiste, et le bayou n'est pas loin.
[...] À Pascagoula, le ciel est comme une main pesante, les hivers sont des étés, et l’essence n’est jamais trop chère. 
À Pascagoula, les gens passent le temps en tondant leur pelouse sur des machines qui ressemblent à des chars, on mange des crevettes au beurre et on se saoule en buvant de la bière en canette qui à un goût de citron pour les premières et un goût de cendre pour la dernière.
Mais surprise, Raphaël Malkin est un jeune journaliste frenchy, bien de chez nous.
Mais re-surprise, le lieutenant Darren Versiga est un vrai flic de la vraie police de Pascagoula, champion de tir, ancien boxeur et rescapé de Katrina.
Malkin est tombé sur ce flic lors d'un reportage aux US et cette très très bonne histoire n'a pas échappé à son flair affuté.
[...] Darren Versiga est à lui tout seul ce que l’Amérique des plaines est tout entière : un peu bas du front et généreux.

      On aime :

❤️ Un récit court (200 pages) mené à vive allure sans aucun temps mort et ce presque reportage, cette quasi biographie se dévore comme un vrai polar dont le dénouement n'est pas le moins surprenant..
❤️ Visiblement Malkin est doué pour repérer les histoires de la vraie vie qui vont s'avérer meilleures que les fictions.
Et il sait les raconter.

      L'intrigue :

Méthodique et tenace, le lieutenant Versiga se lance sur les traces d'un certain Samuel Little et se retrouve obsédé (façon Zodiac) par une série d'affaires échelonnées sur plus de trente ans, où l'on a retrouvé des jeunes femmes à moitié (voire franchement) étranglées.
La première victime daterait de la fin des années 70 : un cadavre anonyme que personne n'a jamais réclamé et le généreux et persévérant lieutenant Versiga n'aura de cesse d'élucider ce cold case pour attribuer enfin un nom à cette victime inconnue.
[...] Il consacre son temps libre à chercher des indices et des preuves. Il n’y a plus que Jane Doe et Samuel Little qui comptent.
[...] Des prostituées, la nuit, la voiture, une volée de coups, le viol, puis l’acte d’étrangler. À chaque fois, Samuel Little avait essayé de tuer ou bien il avait tué.
[... Des] histoires de violence terrible disséminées à travers le pays. De l’Ohio au Texas en passant par le Kentucky, Samuel Little avait bourlingué sans jamais être véritablement inquiété. Insaisissable comme un fantôme.
Au fil des années, le dénommé Little aura échappé plusieurs fois à la justice, acquitté ou relâché.
Versiga va même trouver l'occasion de (nous faire) rencontrer Mitzi Roberts, spécialiste des cold cases au LAPD, celle qui a inspiré le personnage de Renée Ballard à Connelly.
Au fil des pages et des années (près de vingt ans d'enquête émaillés de quelques péripéties) il faut sans cesse se rappeler qu'il s'agit là de "vrais gens" et l'on se prendrait presque d'amitié pour ce bon gros flic : le journaliste a certainement vécu là une belle aventure humaine avec le lieutenant Versiga.
[...] Samuel Little meurt le 30 décembre 2020 dans un hôpital pénitentiaire californien. Il venait de fêter ses 80 ans. Sur les 93 meurtres qu’il s’attribuait, 61 ont été confirmés par la police pour le moment.
[...] Le lieutenant repense à l’époque où, porté par la plus heureuse des fougues, il s’est attaqué à la pile des cold cases de Pascagoula. C’était en 2010. Il y a dix ans. Le temps a passé si vite.

Pour celles et ceux qui aiment les cold cases.
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vendredi 1 avril 2022

Les biffins (Marc Villard)

[...] J’ai des réserves inépuisables d’empathie.

Après les nouvelles de Raser les murs, on poursuit avec Marc Villard et Les biffins notre exploration non pas de la France d'en-bas mais carrément de la France d'en-dessous, celle des de la cloche et des SDF.
Cécile maraude la nuit dans une des camionnettes du Samu social et fait de l'assistance humanitaire en bordure des puces de Saint-Ouen auprès des vendeurs à la sauvette, les biffins.
[...] Rue de Charonne, une femme est rencognée près d’une boutique de meubles. Je la réveille et commence à lui parler. Elle attend le versement de sa retraite pour prendre un hôtel dans le 20e. Elle accepte un café et un duvet.
Même si une petite enquête sert de fil rouge, on n'est pas dans le registre du polar mais plutôt dans celui du reportage en live et la jeune Cécile nous sert de guide dans un monde inconnu.
En peu de mots (le bouquin fait à peine plus d'une centaine de pages) l'auteur nous embarque dans les pas de Cécile, caméra au poing, et réussit à faire surgir tout un monde qui nous est (et nous restera) tout à fait étranger.
Quelques tranches de vie (ou de survie plutôt) entre reportage et documentaire, une prose sèche et précise, épicée de pas mal de musique, d'un peu d'humour mais surtout pétrie d'humanité bienveillante (un monde étranger on vous dit).

Pour celles et ceux qui aiment les laissés pour compte.
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