lundi 30 novembre 2015

Tant de chiens (Boris Quercia)


[...] Elle me dit : « J’ai besoin de tuer quelqu’un. ».

    L'auteur, le livre (208 pages, 2015) :

Ne manquez pas Boris Quercia, c'est très clairement la révélation polar de cette année 2015.
Saluons au passage les éditions Asphalte pour la découverte de cet auteur, les titres à double sens et le prix modique d'une édition électronique de qualité, à bon entendeur ...
Avant Tant de chiens, c'est en début d'année que l'on avait découvert Les rues de Santiago (sans qu'on sache tout à fait s'il s'agissait de celles de la ville ou de celles arpentées par le héros homonyme) et l'on avait voulu attendre un peu avant d'épingler un coup de cœur au revers du veston de Quercia. 
Pas obligatoire de lire dans l'ordre, mais ce serait dommage de laisser passer quelques pages (les bouquins sont pas épais) et le second est encore plus meilleur que le premier.

    On aime :

❤️ Des chapitres courts, comme autant de petites nouvelles, avec un sens consommé de la chute, le petit truc anodin, sans rapport avec l'essentiel du récit, le petit truc qui vous grave au burin la scène en mémoire.
❤️ Un flic comme on les aime : ténébreux et solitaire, dur et maladroit en amours comme en affaires, Santiago Quiñones, un flic qui boit pas mal (sans surprise) et qui même ne dédaigne pas une ligne de coke de temps à autre. En suivant les traces de Quiñones dans les rues de Santiago, on s’intéresse plus au personnage et à ceux qu’il va croiser au gré de ses déambulations, qu'au fil de l'intrigue.
[...] C’est un grand type chauve, un peu voûté, comme souvent chez les gens grands au Chili. C’est un pays qui punit ceux qui dépassent la moyenne, les grands essayent de passer inaperçus et les très grands, comme ce type, se voûtent pour entrer dans le rang.

      L'intrigue :

Il y a un problème avec les bouquins de Boris Quercia.
Un sacré problème : ses bouquins sont plutôt petits, pas très épais.
Dès les premières pages, alors qu'on a déjà surligné de nombreux passages pour citer dans ce blog, l'angoisse monte et on se prend à ne plus regarder les numéros de pages ou le compteur de la liseuse, on sait que le plaisir de la lecture ne durera qu'un temps que d'avance, on sait déjà trop court.
D'un autre côté (on se console comme on peut) on se dit que cette brièveté fait corps avec le style de Quercia, n'est-ce pas ?
Des petites phrases courtes, sèches, shootées à l'humanité, filmées à hauteur d'homme.
[...] Je cherche mes cigarettes et lui en offre une. Il ne fume pas, c’est ce genre-là.
On vendrait ses gosses pour pouvoir écrire une phrase comme celle-ci.
Et puis il en rajoute, le bougre ...
[...] J’aime bien les gens qui savent allumer leurs allumettes malgré le vent et qui font cette espèce de petite maison avec leurs mains autour de la flamme. C’est plutôt mon genre, je me dis.
Avant que l'intrigue policière ne vienne prendre le dessus, on pense (et il n'est peut-être pas de plus beau compliment ici) on pense souvent à John Fante, un Fante où la noirceur chilienne aurait occulté la luminosité italienne. 
Tous les ingrédients sont encore et toujours là, tous ceux de la recette classique du polar noir, hardboiled comme dit désormais chez nous. 
On peut donc reprendre le billet précédent presque mot à mot : embrouilles tordues, balles perdues mais pas pour tout le monde, collègues flics pas très cleans, femme(s) fatale(s) (bon, cette fois on a mis un 's') ... 
Et puis il y a ces femmes fatales : au rayon polar c'est bien entendu plus souvent pour le pire que pour le meilleur et l'on sait désormais que Santiago ne se donne même pas la peine de faire semblant de résister à leurs charmes.
[...] Comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, elle me dit : « J’ai besoin de
tuer quelqu’un. » 
Et qui dit femmes, ... voici les polars les plus sexys depuis longtemps où pour une fois, les scènes les plus chaudes ne semblent pas ‘téléphonées’ et écrites pour racoler le gogo mais bien au contraire, elles s’intègrent parfaitement à l’ambiance et au(x) personnage(s).
[...] Ce n’était pas une situation facile, j’avais la maîtresse du mort au téléphone et sa veuve assise en face de moi.
[...] Tire-toi », je lui demande. Mais elle, loin de m’obéir, dégrafe sa robe et reste en face de moi, en petite culotte et talons hauts. « C’est gratuit », elle me dit, mais la vie m’a appris que rien n’est gratuit, et ça encore moins.
L'intrigue de ce second épisode est solidement construite autour d'un sujet difficile et pas cool : Tant de chiens à Santiago et Quercia n'écrit pas des guides touristiques pour nous vanter les mérites chiliens et nous parle plutôt de ceux qui vivent sur le rebord glissant du broyeur à viande.
Et comme il semble être d'usage chez cet auteur, ça commence très fort avec une fusillade qui coûtera la vie à l'un de ses collègues, trop curieux ou trop ripoux, on ne sait pas encore.
[...] Les enterrements, c’est pas mon truc. Je continue à regarder le cercueil, m’attendant à tout moment à voir Jiménez se lever et nous dire que c’était une blague. Il avait son sens de l’humour, mon collègue, il m’a fait le coup une fois à la morgue. Il s’était couché sur une des civières, recouvert d’un drap, vous imaginez la suite… Mais de cette farce-là, il n’en sortira pas. C’est la blague finale, le clou du spectacle, et ce n’est pas drôle. Je ne supporte plus la messe.
[...] Moi, je pense que c’est juste un coup de bol. Mourir, pour un flic, est un accident du travail, comme la silicose pour les mineurs de charbon.
[...] Il semblerait que ton copain Jiménez était allé très loin dans son enquête sur les abus et disparitions dans les foyers de protection pour mineurs.

Pour celles et ceux qui aiment le pisco-sour.
D’autres avis sur Babelio.

vendredi 27 novembre 2015

Liquidations à la grecque (Petros Markaris)

Pensez-vous que Robin des banques va encore frapper ?

On n'a pas résisté à l'envie d'aller se faire voir chez les grecs, ne serait-ce que pour épingler un petit drapeau supplémentaire sur notre carte des voyages en classe polar.
D'autant que ce pays a fait la Une des actualités économiques et sociales ces derniers mois et que Liquidations à la grecque, le bouquin de Petros Makaris, se déroule de nos jours, en pleine crise économique : la troïka européenne vue par les locaux de l'étape.
La crise vue de l'intérieur, dans ce pays qui avait connu une période de vaches grasses, même si les vaches étaient empruntées au voisin.
[...] La Grèce entière marche à l’emprunt. Prêts au logement, à la consommation, aux entreprises, prêts vacances ; les prêts sont le moteur qui fait tourner la machine. Les banques tiennent en otage plus de la moitié des Grecs.
Un serial-killer de banquiers décapite au sabre un puis deux puis trois magnats de la finance locale pendant qu'Athènes est inondée de tracts appelant à la désobéissance financière (ne remboursez plus vos emprunts !).
Tout porte à croire qu'un déçu de la crise cherche à se venger ...
S'agit-il d'un robin des banques qui décapiterait les riches pour qu'ils ne volent plus les pauvres ?
C'est à peu près le seul intérêt de ce petit polar dont ni le style ni l'enquête ne justifient vraiment le prix du billet d'avion jusqu'à Athènes.
D'autant que les explications économiques tournent vitre très court et que la seule chose que l'on découvre c'est que les Grecs vivaient au-dessus de leurs moyens et que la fête est finie.
Ces pages sont d'ailleurs salutaires pour nous autres, lecteurs européens, et pourraient bien figurer ce qui nous attend peut-être dans quelques années : une sorte de finance-fiction ... ?
Heureusement, un brin d'humour mi-caustique mi-amer vient sauver le lecteur :
[...] – Nouveau calcul d’itinéraire. Dans cent mètres, tournez à gauche.
Va te faire voir.
– Mais dis-moi, pourquoi tu gardes allumé ce machin qui nous soûle, puisque tu ne l’écoutes pas ? J’arrête la Seat et j’éteins le contact.
– Pour faire du bien à mon ego, dis-je.
– C’est-à-dire ?
– Toute la journée j’entends les uns et les autres raconter leurs salades. Quand ce n’est pas Guikas qui me dit ce que je dois faire, c’est le ministre. Cette fille-là est la seule qui me dit ce que je dois faire et que je peux envoyer paître. Ça me remonte le moral. Celui qui s’installe dans un boulot a besoin d’un GPS pour se défouler. Tu comprends, maintenant ? Je remets le contact et redémarre. Le silence revient.
Mais avec parfois quelques dérives qui fleurent bon le machisme méridional et où il faut vraiment renifler très fort pour percevoir un effluve de second degré :
[...] Bravo pour la nouvelle secrétaire, lui dis-je, une fois seuls.
– Voyons comment elle se débrouille. En tout cas, il n’y a qu’une seule Koula. Il la veut non seulement belle, mais efficace.
Bref, tout cela ne mérite guère le voyage d'autant que le bouquin déborde de clichés tous plus convenus les uns que les autres, tant sur la vie locale (les embouteillages d'Athènes) que sur la crise économique (les coupes dans les salaires et les retraites) ou le sport (le dopage) etc ... On a même cru un moment que c'était écrit par un 'touriste' étranger : mais non, vérification faite, Petros Markaris est bien un grec vivant à Athènes.

Pour celles et ceux qui aiment les vengeurs masqués et les robins des bois.
D’autres avis sur Babelio.

mardi 24 novembre 2015

La fille de mon meilleur ami (Yves Ravey)

C'est une source d'ennuis, Mathilde.

On ne connaissait pas encore le franc-comtois Yves Ravey, apparemment réputé pour s'intéresser à ce qui n'intéresse habituellement personne : les petites gens, les banlieues provinciales, les choses ordinaires.
Dans ces décors de seconde zone, il nous concocte ce qui pourrait passer pour des romans noirs de série B. Si l'on n'y prête pas attention.
Sans aucun effet de manche littéraire, il nous plonge sans trop d'explications dans une petite tranche de vie (ses romans ne sont guère épais, à peine plus qu'une nouvelle). Une tranche de quelques heures qui partent en vrille en moins de pages qu'il n'en faut pour l'écrire.
William Bonnet a juré à son meilleur ami (sur son lit de mort) qu'il prendrait soin de sa fille, Mathilde : La fille de mon meilleur ami.
Sauf que la vie de Mathilde est partie en vrille depuis longtemps et qu'elle cherche aujourd'hui à revoir le fils qu'un juge lui a enlevé. William Bonnet semble prendre sa promesse très à cœur, Mathilde aussi peut-être, et se met en peine de ménager une entrevue avec le fiston hébergé par une mère adoptive.
On contemple l'ami Bonnet s'enfoncer consciencieusement dans le noir, mettre inexorablement un pas devant l'autre, juste là où il faut pas. C'est clair pour tout le monde, même pour lui aussi sans doute.
[...] Elle m'a demandé si je regrettais la promesse faite à son père. Elle me connaissait si bien ! Et elle le savait : Je m'en voulais d'avoir accepté. J'ai répondu : C'est pas le moment, Mathilde, de me casser les pieds avec tes questions ! Elle s'est penchée vers moi. J'ai frissonné : Tu sais que je ne regrette jamais rien, Mathilde.
Mais Yves Ravey n'entend pas nous laisser tranquillement sur cette seule piste : William Bonnet semble avoir lui aussi des casseroles accrochées aux fesses et l'image du bon copain qui prend soin de la fille de son meilleur ami devient rapidement très floue. Et puis y'a encore d'autres trucs cachés dans le noir qu'un jeu d'éclairages va soudain mettre en lumière.
De ce tout petit bouquin, on retiendra deux ou trois trucs : d'abord une belle écriture, sobre et claire, en parfaite adéquation avec la description minutieuse de ces petites choses qui s'enchaînent de manière désastreuse. Ensuite des tours de passe-passe, un art de la prestidigitation littéraire : oh, regardez donc ce que j'écris de ma main droite là pendant qu'avec la gauche je prépare le chapitre suivant.
Et puis (mais comment fait-il avec une telle économie de mots ?) l'art de planter quelques pièces d'un décor très ordinaire qui resteront gravés sur nos rétines : un parasol et un gin tonic sur la terrasse désolée d'un motel de province, un vieux cartable fatigué dans le coffre d'une vieille Nissan Sunny, ...
Tout cela dans un concentré de quelques pages à ranger quelque part entre Echenoz et Chabrol, qui vous laissent inévitablement un petit goût de revenez-y.
Et donc on va y revenir, c'est certain, nous voici accrochés.

Pour celles et ceux qui aiment que Mathilde soit revenue.
D’autres avis sur Babelio.

samedi 21 novembre 2015

Le fils (Jo Nesbo)

[...] — Alors ? — Alors ça ne fait que commencer. »

On l'a déjà dit, Jo Nesbø est certainement le plus 'américain' des auteurs de polar nordiques (si ce n'est même européens).
Avec sa gueule d'ange, on se laisserait facilement embobiner par le beau gosse mais en voilà un qui cache bien mal son jeu et prend vite des airs de démon sous sa capuche.
Le fils révèle une fois de plus cette face diabolique à peine voilée. 
Ça commence très fort avec une évasion plutôt réussie d'une prison de haute sécurité. Sonny Lofthus est décidé à se venger ou plus exactement à venger son père, un flic intègre que l'on a suicidé en faisant croire que c'était un ripoux. À la mort de son père, Le Fils Sonny a plongé dans la drogue (et autres traficotages) et depuis quinze ans, il grandit en prison. Mais las, ça suffit et 'justice' doit être rendue. Sevré d'héroïne depuis sa 'sortie de prison', Sonny se fait une idée très personnelle de sa réinsertion.
[...] « Quel genre de travail tu cherches ? » demanda-t-elle. Son souffle, curieusement, était un peu court. « Quelque chose dans la justice », répondit-il.
Les méchants peuvent numéroter leurs abattis.
[...] Quand il revint à lui, Kalle était allongé sur le dos, un pistolet pointé sur lui par un type en sweat à capuche, avec des gants de vaisselle jaunes.
[...] Ça devait être lui. Le Fils. Il était revenu.
[...] — Alors ?
— Alors ça ne fait que commencer. »
Harry Hole est peut-être en congés (ou en pré-retraite, c'est la mode !) et du côté des flics, c'est donc un sympathique tandem qui mène la danse : un vieux briscard, Simon (un ancien pote de Ab Lofthus, le flic intègre suicidé, le père de Sonny), et une jeune fliquette ambitieuse qui n'a pas froid aux yeux. De tous ses collègues, Simon est le seul à avoir suffisamment de flair (et pas trop de casseroles attachées à la queue) pour deviner ce que Sony a en tête quand il parle de travailler dans la justice
[...] Bon, à quoi vous pensez maintenant ? » Simon haussa les épaules : « Qu'il faut que nous trouvions Lofthus avant qu'il ne mette encore plus le bordel. »
Le fils fait partie de ces bouquins où l'on hésite entre tourner les pages pour les dévorer jusqu'à la fin, et reposer le bouquin le temps d'un (petit) intermède afin de prolonger le plaisir de la lecture. De ces bouquins où l'on jette un œil de temps en temps au compteur en espérant pouvoir se dire une fois de plus : ouah, c'est cool il m'en reste encore tout plein.
[...] — Vous savez ce que son père, Ab, disait souvent ? déclara-t-il en tirant un peu sur son pantalon. Il disait que le temps de la grâce est passé et que le temps du châtiment est venu. Mais comme le Messie est apparemment en retard, c'est à nous de faire le travail. Il n'y a personne d'autre que Sonny qui puisse les punir, Martha. La police est totalement corrompue, elle protège les criminels. Je crois que Sonny fait ça parce qu'il pense qu'il le doit à son père. Parce que son père est mort pour la justice. Une justice qui est au-dessus des lois. » Il jeta un regard vers l'autre femme devant le confessionnal où elle s'entretenait à voix basse avec un prêtre. « Et vous ? dit Martha.
— Moi ? Je représente la loi. Alors je dois arrêter Sonny. C'est comme ça.
On jubile tout du long, il n'y a pas d'autre mot même s'il est plutôt galvaudé. On jubile de suivre pas à pas Le fils qui va punir les méchants par là où ils ont pêché, qui à sa façon, va rendre une justice très personnelle, puisque ni celle des hommes ni celle de dieu ne se soucient de nous.
Un thème cher à Jo Nesbø (rappelez-vous Le sauveur), tout comme la corruption qui semble gangréner la police norvégienne.
Tout cela nous a presque fait oublier que cet auteur était également le roi de la fausse piste : Jo Nesbø ne faillira pas ici à sa réputation et le lecteur découvrira donc un peu tard qu'un jumeau peut en cacher un autre !
Un polar où l'on tremble de peur que le serial-killer ... soit attrapé par la police !

Pour celles et ceux qui aiment que justice soit rendue.
D’autres avis sur Babelio.

jeudi 19 novembre 2015

De chair et d'os (Dolores Redondo)

Les sorcières : il ne faut pas y croire mais il ne faut pas dire qu'elles n'existent pas.

Après Le gardien invisible, on n'a pas attendu bien longtemps (pas assez peut-être) pour repartir dans la vallée du Baztán en compagnie de Dolores Redondo, à la chasse aux sorcières et autres créatures fantastiques : celles auxquelles il ne faut pas croire mais dont il ne faut pas dire qu'elles n'existent pas.
La recette est la même qui mêle l'enquête policière sur des crimes bien réels et le retour de superstitions anciennes ancrées dans les traditions du pays.
Cette fois, c'est un Tarttalo qui prend la suite du basajaun de l'épisode précédent : une sorte de cyclope, version locale de celui d'Ulysse.
[...] — Un tarttalo, c’est un être mythologique, non ?
— Je crois… oui, un cyclope de la mythologie gréco-romaine, et basque aussi, c’est tout ce que je sais. Où voulez-vous en venir ?
[...] Il ne faut pas croire qu’elles existent, il ne faut pas dire qu’elles n’existent pas », cita Engrasi en référence à un vieil adage sur les sorcières, qui avait été si populaire à peine un siècle plus tôt. 
Notons que pour une fois, il est préférable d'avoir lu l'épisode précédent avant d'attaquer celui-ci : la trilogie d'Amaia Salazar est un tout très homogène.
Entre Pampelune et le petit village d'Elizondo, on retrouve d'ailleurs la plupart des personnages de Dolores Redondo : la tante Engrasi, le veule Montes, le gai Jonan et bien d'autres.
Quant à Amaia et son artiste de mari, ils viennent tout juste d'avoir un bébé : et quand on connait le sombre passé de l'ama, on ne s'étonnera pas que la toute nouvelle maternité de Chef Salazar soit plutôt difficile ...
Et tout comme dans le premier tome, c'est encore un peu là que le bât blesse : Doña Redondo en fait des tonnes, se répète beaucoup et nous lasse un peu. Visiblement elle a encore oublié de faire dégraisser son plat à la cuisson.
À force de digressions répétitives, les affres de la maternité nous deviennent bientôt insupportables et l'on est pris d'une envie furieuse de balancer et le mari et le bébé avec l'eau du bain pour se concentrer sur Chef Salazar et son enquête. C'est d'autant plus dommage que cela fait pourtant partie de l'intrigue.
En dépit de ces longueurs, on apprécie toujours l'écriture fluide de l'auteure et le décor historique habilement entremêlé à l'intrigue (et on laissera passer un peu plus de temps avant d'apprécier le dernier épisode).
[...] Trois crimes apparemment sans lien entre eux, commis par trois assassins vulgaires dans des lieux différents, la même amputation à chaque fois, le membre amputé qui disparaît dans la nature, les trois meurtriers qui se suicident en prison ou sous surveillance, et laissant tous les trois un message identique écrit sur les murs, le nom d’une bête dévoreuse de bergers, de jeunes filles et de moutons. La chair des innocents. Le message inscrit sur la pierre, sauvagement, en lettres de sang : « Tarttalo ».
Outre l'effrayant Tarttalo, il sera ici question des cagots, ces parias de la société moyenâgeuse.
[...] — Je ne suis pas historienne, Jonan, mais je sais qu’à cette époque toute l’Europe empestait la chair brûlée vive.
— C’est vrai. Mais dans le cas des cagots, la ségrégation a duré pendant des siècles.
Et on aura même droit à un petit tour dans un asile psychiatrique de haute sécurité qui rappelle étonnamment celui de Bernard Minier de ce côté-ci des Pyrénées !

Pour celles et ceux qui aiment les yétis basques.
D'autres avis sur Babelio.

lundi 16 novembre 2015

Seize tableaux du Mont Sakurajima (Michel Régnier)

Cinq générations au pied du volcan.

Voilà bien longtemps que l'on n'a pas voyagé en extrême-orient.
Il est donc tout indiqué de s'y rendre en compagnie d'un occidental tatamisé, le français Michel Régnier : globe-trotter, documentariste et écrivain (globe-writer dirions-nous ?).
Rien que ce titre (hommage aux cent vues du Mont Fuji d'Hokusai) évoque déjà tout le parfum du pays du soleil levant.

Tout commence effectivement par une exposition où l'on peut contempler Seize tableaux du Mont Sakurajima, autant de vues différentes de la région de Kagoshima, que Michel Régnier connait bien, le long de la baie de Kinko, dans la plus au sud des grandes îles nippones, Kyushu, dominée par la silhouette du volcan Sakurajima. Kagoshima est surnommée la Naples de l'Orient : les charmes provinciaux du Japon méridional.
Devant chaque tableau rapidement décrit (de 'vraies' ukiyo comme celle de Hideo Nishiyama ci-dessous), Monsieur Takeru Koriyama évoque ses souvenirs et ceux de ces parents et grands-parents. Cinq générations au pied du volcan, pour saluer un autre oriental.
Là où les hommes vivent.
Entre les éruptions volcaniques, les tremblements de terre, les typhons kamikaze et les tsunami dévastateurs : depuis les dessins animés de Miyazaki on sait la culture japonaise très imprégnée des forces d'une nature toujours indomptée.
[...] — Les colères de la terre et de la mer se ressemblent, ce sont les hommes qui leur inventent des noms compliqués.
[...] Kinu lui avait glissé :
— Le Japon sans typhons, ce serait comme une femme sans caprices, une chose impensable.
Il lui avait répliqué avec une boutade apprise de sa grand-mère Kimiko :
— Le Sakurajima, lui, est plutôt comme les hommes de Kyushu, semble-t-il. Il sourit souvent, marmonne ou ronchonne de temps en temps et entre très rarement dans une grande colère. Mais alors là, c’est l’enfer.
Comme si cela ne suffisait pas, le pays aura connu également la terrible folie du militarisme et Michel Régnier nous donne de belles pages, pleines de retenue, décrivant cette période guerrière alors que les fils meurent au front et que les bombardements US au phosphore teintent de rouge et de noir les pentes du volcan.
À travers l'histoire de cette famille Koriyama, c'est tout un siècle de l'histoire du Japon qui nous est offert en lecture. Une large palette d'événements, plus de cent ans d'évolution de la vie et des mœurs nipponnes, et la diversité des régions de ces îles-pays puisqu'une partie de la famille s'installera beaucoup plus au nord près de Sendai.
Les Koriyama du nord seront chasseurs de baleines et là encore cela nous vaudra de belles pages également sur ce métier millénaire que l'auteur juge incompris des occidentaux équipés d’œillères écologiques (les norvégiens et les anglais sont harponnés sans pitié).
[...] — Papa, où les baleines dorment-elles ?
Hideo avait réfléchi, puis déclaré :
— Je ne le leur ai jamais demandé, mais je le ferai à la prochaine traversée, c’est promis.
— Tu te moques de moi…
Kinu avait souri, tandis que Kimiko avait eu une merveilleuse réponse, malgré le silence dubitatif de son petit-fils :
— Voyons, Takeru, les baleines dorment dans les rêves des baleiniers.
[...] — Je sais… Les Européens, les Nord-Américains, qui ont décimé la moitié du règne animal et font la morale à toute la Terre.
Une découverte passionnante de la vie japonaise, même si l'on devine quelques déformations au travers de l'objectif photo de notre occidental tatamisé qui idéalise très certainement la vie de nos lointains voisins (la famille Koriyama ressemble parfois un peu trop à celle des bisounours).
Fort heureusement l'aspect guide touristique reste discret grâce à une très belle plume : certes Michel Régnier n'ignore rien des subtilités de la langue nippone (les sakura, les shoji, les amado, ... n'auront bientôt plus de secret pour nous) mais il ne dormait non plus pendant la classe de français. On se délecte d'une langue élégante, riche et fluide à la fois (où votre regard adamantin sous votre front éburné découvrira les fosses hadales du Pacifique).
Pas question de se coucher idiot ce soir.
On a même droit à un petit arbre généalogique de la famille Koriyama pour nous aider à nous y retrouver dans tous ces prénoms méconnus.
Mais ce qui fait définitivement le charme de ce roman, c'est bien l'atmosphère dont il est imprégné.
Un contraste étrange entre d'un côté toute la sagesse d'une civilisation nippone faite de douceur de vivre, de simplicité, de respect social et de relations familiales policées, et de l'autre côté, toute la violence des colères de la mer ou de la montagne et la folie des destructions guerrières.
Un bouquin qui entre presque en résonance avec le récent dessin animé de Miyazaki : Le vent se lève.
Nos philosophies occidentales ne sauraient sans doute pas classer cela autrement que dans des catégories mentales qui ressortissent à la résignation ou au fatalisme, mais Michel Régnier semble, lui, être en mesure d'approcher de très près les mystères de la sagesse asiatique, là où les gratte-ciel vieillissent plus vite que les pagodes.
Malheureusement la deuxième moitié du bouquin voit le récit s'enliser un peu (ou notre attention s'émousser ?) quand il s'agit de suivre la vie contemporaine de Koriyama-san (celui qui, justement, visite l'exposition des estampes du Mont Sakurajima) : on préférait ses évocations de souvenirs.
Évidemment après tout cela, on n'a plus qu'une envie, prendre l'avion pour retrouver la plus ingénieuse fourmilière humaine et découvrir le Japon provincial de ces îles du sud que l'on ne connait pas encore et qui nous tentent déjà depuis un moment !

Pour celles et ceux qui aiment le Japon, tout simplement (et un peu la chasse à la baleine aussi).
D’autres avis sur Babelio.

vendredi 13 novembre 2015

Opération Napoléon (Arnaldur Indridason)


Ne contrariez jamais Carr, déclara la voix au téléphone, avant de raccrocher …

Les éditions Métailié raclent les fonds de tiroir islandais et profitent du succès de leur auteur best-seller : Arnaldur Indridason.
Cela nous vaut parfois quelques séries B pas désagréables (comme Bettý ou Le duel).
Et parfois quelques bonnes surprises comme cette Opération Napoléon, menée de main de maître par notre auteur favori.
Ce n'est pas un polar (il n'y a même pas l'ombre fugace d'un collègue d'Erlendur), à peine un thriller, plutôt un film d'espionnage.
Les romans d'Indridason ont toujours été parsemés d'allusions à cette base américaine implantée près de Reykjavík, comme une épine dans le pied islandais. Parsemés d'évocations du passé historique de ce petit pays.
Avec cette Opération (écrite en 1999 avant le succès de la série Erlendur), l'auteur s'en donne à cœur joie et se permet même de réécrire la grande Histoire avec une petite.
En 1945, un avion allemand piloté par des américains est pris dans la tempête et s'écrase sur le fameux glacier du Vatnajökull. Aucun survivant, aucune épave à une époque où les boîtes noires n'existaient pas encore.
[...] Une équipe de deux cents hommes a fouillé le glacier peu après le crash, mais ils n’ont trouvé que cette roue. Nous avons lancé une deuxième expédition, beaucoup plus importante, en 1967, mais le mauvais temps nous a contraints à rebrousser chemin. Il s’agit donc ici de la troisième expédition.
– Mais bon Dieu, que transportait cet avion ? demanda le ministre.
Depuis soixante ans, une officine secrète US est chargée de surveiller ce glacier et la ré-apparition redoutée de l'épave du Junkers.
[...] C’est de l’histoire ancienne ; peu de gens en dehors de nous savent ce que contient vraiment l’avion.
[...] – Vous voulez dire que nous surveillons le glacier depuis toutes ces années ?
En 1999, la guerre froide est finie, le climat se réchauffe, les glaciers fondent et les satellites repèrent les restes de l'avion, recrachés par le Vatnajökull. Une énorme opération secrète (aïe, déjà on sent que ça va pas le faire) est mise sur pied pour aller récupérer l'épave sortie des glaces et surtout ce que contenait ce fameux avion.
[...] Carr ressentit une pointe de nostalgie pour l’époque où les opérations secrètes étaient vraiment secrètes.
Mais que pouvait-il donc y avoir en 1945 dans ce petit avion allemand pour que les américains se donnent autant de peine à garder tout cela top secret ? De l'or ? Une bombe ? ... Ou tout autre chose ?
[...] Qu’est-ce que c’est que cet avion, et pourquoi pose-t-il problème ?
[...] Seuls une poignée de militaires haut placés connaissaient l’existence de l’avion et la procédure à suivre en cas de réapparition. Cette information, classée top-secret depuis cinquante-quatre ans, n’était jamais sortie de ce cercle restreint, où elle était transmise de génération en génération par ceux qui occupaient les postes concernés.
[...] Tout ce branle-bas : images satellites, expéditions sur le glacier… Ces rumeurs de lingots d’or, de virus, de bombe, de scientifiques allemands. Tous ces efforts pour tromper les gens, à cause de ...
[...] Qu’y avait-il donc derrière tout cela ? Deux caisses d’or, il n’y avait vraiment pas de quoi déclencher la Troisième Guerre mondiale. Deux malheureuses caisses. Quels autres secrets cet avion pouvait-il bien cacher ? Que contenait donc cette tombe glacée, pour que ses supérieurs soient au bord de la crise cardiaque chaque fois qu’ils pensaient la voir ressurgir du glacier ?
Nous avons toujours considéré l'Islande comme une petite île perdue tout là-haut au nord-ouest, sans plus d'attraits que le tourisme géothermique et les polars nordiques.
Mais pour les américains, elle est au nord-est et depuis la guerre, elle présente l'importance géostratégique d'une base avancée à proximité de l'Europe de l'Est.
On a toujours bien aimé ces polars ou ces thrillers qui emportent le lecteur voyager au loin : mais là, il ne s'agit pas d'un énième auteur américain qui nous emmènerait dans des contrées exotiques, non c'est le futur ambassadeur des écrivains islandais lui-même qui nous accueille chez lui. Et son décor fait partie intégrante de son histoire.
On retrouve d'ailleurs quelques motifs récurrents de l’œuvre d'Indridason, comme cette culpabilité liée à l'abandon d'un frère perdu dans les glaces. Il y aura même répétition de ce motif dans cette Opération Napoléon.
Le premier est dessiné autour de l'héroïne, Kristin, qui n'incarne rien de moins que l'esprit islandais, indépendant et rebelle. C'est elle le grain de sable qui va gripper l'imposante machine de guerre américaine débarquée sur l'île 'en grand secret'. C'est elle qui fera trébucher l'éléphant US dans le petit et tranquille magasin de porcelaine qu'est Reykjavík. C'est elle qui va contrarier le terrible Carr et ses hommes de main.
Une jeune femme que rien ne prédestinait à devenir la Lara Croft de ce roman d'espionnage mais voilà ... son frère était en rando sur le glacier et il est tombé aux mains des affreux jojos de l'armée secrète.
Et chez Indridason, on ne laisse pas son frangin abandonné sur le glacier.
Ce même motif sera redessiné plus tard autour d'un autre personnage, mais là ... chuuut.
[...] Il lui avait dit qu’il cherchait son frère, exactement comme elle – ils avaient donc un point commun.
On a bien apprécié le léger second degré et le vent de fraîcheur qui soufflent sur le Vatnajökull avec cette impensable Kristin qui incarne avec une franche naïveté l'improbable rebelle capable de tenir tête à l'armada US. On sentirait presque l'esprit de Kadaré souffler depuis sa lointaine Albanie : l'Islande est aussi un autre petit pays, tout aussi fier de sa culture et tout aussi épris de son indépendance.
Indridason prouve ici que la valeur de son talent n'a pas attendu les années Erlendur et termine son thriller comme il l'a commencé, de main de maître.
Dans les dernières pages, il s'autorisera même (outre un étonnant dénouement) une mise en abyme vertigineuse puisque, s'il s'est permis ici de ré-écrire l'Histoire, c'est que d'autres l'ont déjà fait et continueront de le faire ...
[...] À la radio, les journalistes ont rapporté que les soldats recherchaient une balise satellite perdue il y a plusieurs années par un avion, au-dessus du glacier. Mais les journaux télévisés ont raconté que les soldats étaient venus répéter une opération de sauvetage impliquant un faux crash aérien, en utilisant une vieille épave de DC-8. Et le journal du soir parle de réserves d’or perdues, qu’ils voulaient récupérer. Vous voyez à qui nous avons affaire. Ils ont vraiment tout bien organisé.
[...] La vérité et le mensonge ne sont que des moyens d’arriver à une fin. Je ne fais aucune distinction entre les deux. On pourrait dire que nous sommes des historiens qui essaient de corriger certaines des erreurs commises durant ce siècle finissant. Ça n’a rien à voir avec une quelconque vérité, et puis, de toute manière, ce qui appartient au passé n’a plus d’importance aujourd’hui. Nous réinventons l’histoire en fonction de nos intérêts.
Rien n'est jamais gratuit ni innocent chez Indridason.
Et en guise d'écho post-glaciaire, voici un peu d'actualité [clic].

Pour celles et ceux qui aiment ré-écrire l'Histoire.
D'autres avis sur Babelio.

mercredi 11 novembre 2015

L'hiver des enfants volés (Maurice Gouiran)

C’est un tabou qui tombe, un pan de l’histoire de l’Espagne qui est dévoilé.

On ne connaissait pas encore cet auteur marseillais, prolixe et engagé qu'est Maurice Gouiran, et l'on a donc entrepris de faire sa connaissance avec son dernier bouquin : L'hiver des enfants volés.
Les enfants volés dont il est question ne sont pas ceux de l'Argentine sur lesquels on a beaucoup lu [1] [2] [3], mais presque, puisqu'il s'agit ici des bébés espagnols volés par Franco et sa clique de 'bonnes' sœurs : l'Argentine avait un lourd héritage hispanique né de la collusion entre une dictature fascisante et une église fascinée.
Mais revenons de ce côté-ci de l'Atlantique et à l'enquête du journaliste Clovis Narigou. Non seulement le nom  du héros est l'anagramme de celui de l'auteur mais le récit est à la première personne et s'adresse parfois au lecteur : Maurice Gouiran s'engage !
Évacuons tout de suite les petites agaceries et irritations face à ces écrivains qui n'ont pas encore compris qu'il faut gratter, gratter jusqu'à l'os pour épurer et ne garder que la substantifique moelle après avoir éliminé tout le gras indigeste.
Ainsi on aurait aimé éviter les pages touristiques à Barcelone et Madrid, l'auteur lui-même plaide coupable :
[...] J’ai pensé que j’aurais pu faire financer mon voyage par Le Petit Futé ou par Le Guide du routard, car mon enquête virait au vrai périple touristique !
On aurait aimé aussi échapper aux évitables réflexions sur le monde de la branchitude techno :
[...] C’est vrai que c’est hyper pratique ce système de cloud, surtout pour des gars, comme les journalistes, qui se baladent continuellement. On n’a plus besoin d’emporter dans ses valoches un netbook, un CD-Rom ou une clé USB.
Visiblement, Gouiran nous prend pour des demeurés qui ne sont jamais allés outre-Pyrénées et qui utilisent encore des disquettes de cinq pouces un quart (et pourtant je suis né avant lui !).
Bon ça, c'est dit.
Mais revenons à nos moutons noirs et suivons le marseillais Gouiran/Narigou parti en Catalogne pour enquêter sur la disparition d'un ami journaliste. Son ami François qui semble avoir voulu fourrer son nez là où il ne fallait pas.
[...] J’avais en mémoire ces photographies en noir et blanc sur lesquelles les notables de l’Église et les prêtres posaient, bras tendu et main ouverte, parfois armés de fusils, auprès des militaires putschistes. Chez eux, le salut phalangiste avait trop souvent remplacé le signe de croix.
Après Jean-Paul II en 2001, Benoit XVI béatifiait 500 religieux nationalistes espagnols en 2007. En 2012, sœur María Gómez Valbuena était mise en accusation avant de décéder en 2013. En 2013, cinq cent autres religieux furent béatifiés par l'église espagnole, avec la bienveillance du pape François.
Tout passé n'est pas bon à déterrer quand, aujourd'hui encore et toujours, certains redoublent d'efforts pour le faire oublier.
[...] Ainsi, on volait des gosses, on les revendait pour le prix d’un appartement, et en plus il aurait fallu remercier les curés et les bonnes sœurs sous prétexte qu’ils rendaient service à tout le monde : au gosse volé, à la mère spoliée, aux parents adoptants ! C’était une conception assez particulière de la charité chrétienne.
Le bouquin est plutôt bien construit qui entremêle la recherche de l'ami journaliste mystérieusement disparu, l'enquête qui le conduisait sur les traces de bébés volés, les recherches que l'ami François menait sur son propre passé, ...
Marchant dans ses pas le long des ramblas catalanes, Gouiran/Narigou nous dévoile les dessous nauséabonds de l'Histoire ...
Et pas seulement les pages les plus sombres de l'Espagne puisqu'il sera également question d'autres enfants volés, ceux des Lebensborn nazis (rappelez vous le film de l'an passé : D'une vie à l'autre). Un autre secret tout aussi bien gardé puisqu'il faudra attendre la fin des années 80 pour que soit révélé le secret de ces Lebensborn et que ce n'est qu'en 2004 [clic] et 2009 [clic] que la presse évoquera le seul centre français !
Maurice Gouiran semble hésiter entre la thèse journalistique et l'enquête à la Rouletabille. Sa prose parfois précise mais souvent maladroite ne nous laissera pas un souvenir impérissable : dommage parce que la conclusion de ces enquêtes est plutôt réussie et nous laisse entrevoir le beau roman que nous aurions pu avoir.
Mais reconnaissons lui le mérite de soulever la boue qui recouvre, encore de nos jours, ces passés honteux : des enfants volés peuvent en cacher d'autres ...

Pour celles et ceux qui aiment les trouble-fêtes et pas les curés.
D’autres avis sur Babelio.

lundi 9 novembre 2015

Le cercle (Bernard Minier)

La vengeance est un plat qui se mangera ... plus tard.

Après un excellent plat Glacé, on n'a pas longtemps hésité à remettre le couvert avec Bernard Minier.
Après le premier épisode, on est désormais en confiance avec cet auteur et ça commence plutôt bien avec quelques pages à l'humour ravageur et vengeur, comme on aime, à l'encontre des fans de foot (ça se passe en juin 2010).
[...] - Vous n'aimez pas le sport à la télé ? le taquina Servaz.
- Du pain et des jeux. Rien de très nouveau. Au moins les gladiateurs mettaient-ils leur vie en jeu, ça avait tout de même une autre allure que ces gamins en short courant après un ballon.
Et l'on retrouve avec grand plaisir notre commandant toulousain préféré, féru de littérature latine.
[...] - Vous vous intéressez à la poésie, commandant ? [...]
- Latine uniquement.
- Des études ?
- De lettres, il y a très longtemps.
Des études ... ça oui, il en sera question ici.
Le serial-killer échappé de l'épisode précédent semble de retour dans la petite ville étudiante.
Une prof salement saucissonnée et noyée dans sa baignoire.
Un 'cercle' mystérieux d'étudiants.
[...] - Le Cercle, confirma-t-il. Bon sang, on dirait le nom d'une de ces associations secrètes, genre francs-maçons, rose-croix ou skulls and bones ! Tu as une idée de ce que ça peut être ?
On retrouve également avec plaisir les différents personnages de l'épisode précédent : la gendarmette Ziegler (la Lara Croft de service), Margot la fille du commandant, et bien d'autres ...
Alors l'infâme Julian échappé de l'asile psychiatrique Glacé est-il de retour lui aussi ?
Certainement bien sûr ... mais rien n'est aussi simple, cher lecteur !
Rien d'aussi simple, parce que Minier a construit sa trilogie de façon très astucieuse : c'est d'ailleurs tout le sel de cet opus 2 à lire plutôt comme un épisode charnière.
On pense aux constructions savantes de Pierre Lemaitre : voilà deux auteurs qui partagent le même amour de la belle écriture et du travail soigné.
Bernard Minier est un expert du montage cinéma : il use (et abuse peut-être un peu) des ruptures de continuité et des scène alternées. Il joue avec nos nerfs.
Très honnêtement, on aura quand même préféré le premier tome et son décor original dans les montagnes : cette saison 2, urbaine, est beaucoup plus classique mais on espère que cette trilogie va finir en fanfare pour que l'on puisse y épingler un coup de cœur.
En attendant la conclusion de la série, celles et ceusses qui ne connaissent pas encore cet auteur peuvent se précipiter sur les pentes de Glacé (un épisode qui, quoi qu'il arrive en saison 3, se suffisait déjà à lui-même).

Pour celles et ceux qui aiment auteurs latins (et donc : pas le foot).
D’autres avis sur Babelio.

vendredi 6 novembre 2015

On ne réveille pas un chien endormi (Ian Rankin)


— Comment John est-il parvenu à lui faire avouer une chose pareille ?

    L'auteur, le livre (452 pages, 2015, 2013 en VO) :

Voilà longtemps qu'on n'était retourné dans l’Écosse de Ian Rankin qui n'a, si mes souvenirs sont bons, jamais eu droit à un véritable coup de cœur dans ces colonnes.
Et bien On ne réveille pas un chien endormi va permettre de rattraper tout cela : et de retrouver l'inspecteur John Rebus dans les rues de Glasgow et d’Édimbourg et de décerner un coup de cœur à Ian Rankin.
Un auteur ici au mieux de sa forme pour un polar très dense.

    On aime :

❤️ Flics et voyous, passé et présent, malfrats et politiciens, tout cela s'entremêle dans un polar à haute densité.

      Le contexte :

Pas de préliminaire, pas d'exposition ni de présentation des acteurs, mieux vaut déjà connaître John Rebus et le contexte.
Dès les premières pages, nous voici plongés au cœur de plusieurs intrigues policières et même de plusieurs enquêtes qui vont s'entrecroiser pour notre plus grand plaisir. Rankin ne prend pas son lecteur pour un demeuré et le laisse faire son chemin au milieu de tout cela.
John Rebus est le cousin transatlantique de Harry Bosch et comme les précédents, cet épisode baigne dans les thèmes chers à Ian Rankin : polar urbain entre deux âges et entre deux eaux, la Leith et la Clyde, compromissions policières, mafieuses, politiciennes ou affairistes, quelque part entre chien et loup ...
[...] Les bons ne sont jamais complètement bons et les méchants jamais complètement méchants.
[...] — Et tu crois vraiment que la vérité est indispensable?
Dans l’Écosse de Rankin, la vérité n'est peut-être pas indispensable. Mais la lecture de ses bouquins, assurément.

      L'intrigue :

Les bœufs-carottes entreprennent de déterrer une vieille histoire, du temps où Rebus était encore un tout jeune inspecteur, en équipe avec ses aînés du commissariat de Summerhall, pas très regardants sur les méthodes employées pour envoyer les voyous en prison. En ce temps-là messieurs, 'on' aurait donc permis à un indic' d'éviter la prison pour meurtre ?
[...] — Obtenir des aveux en tabassant le suspect ? Monter un dossier sur de fausses preuves ? S’assurer que les méchants passent à la casserole à tout prix, et peu importe le motif ?
— Tu envisages d’écrire ma biographie ?
— Ce n’est pas une plaisanterie, John. Dis-moi ce qui est arrivé à Billy Saunders.
'On', ce sont les Saints de la Bible d'Ombre, la confrérie de Rebus & co pour qui la juste fin excusait des moyens moins nobles.
[...] Les Saints de la Bible d’Ombre, c’est le nom qu’ils s’étaient donné.
— Et ça veut dire quoi ?
— Je n’en suis pas très sûr, les dossiers du bureau du procureur général semblent peu fournis.
— Ça a une vague résonance maçonnique.
— Possible que vous ne soyez pas loin de la vérité.
— Et des agents de Summerhall en étaient membres ?
— Ils en étaient les seuls et uniques membres. À cette époque, quand on travaillait comme inspecteur de la Criminelle à Summerhall, on devenait automatiquement un Saint de la Bible d’Ombre…
[...] Nous étions les Saints de la Bible d’Ombre.
— Mais la Bible d’Ombre était l’exemplaire du Code pénal écossais qu’on nous remettait. Un gros truc noir avec une couverture en cuir et des vis en laiton. Et on crachait dessus avant de bien frotter pour qu’il ne reste plus de salive. Je croyais que c’était une sorte de serment mais je me trompais
Pendant que l'Inspection générale inspecte les recoins sombres, John Rebus et sa collègue Siobhan Clarke se dépatouillent avec un imbroglio où se sont fourrés les sales gosses de deux célébrités locales : un homme d'affaires en vue et un politicien ambitieux (on est en pleine campagne pour le référendum d'indépendance).
Le lecteur n'a qu'à suivre John Rebus et admirer son talent inné pour mener une enquête et faire parler les moins bavards.
[...] — Comment John est-il parvenu à lui faire avouer une chose pareille ? demanda Clarke.
[...] Elle avait beau ne pas le connaître depuis longtemps, elle savait cependant qu’il était doué pour ce genre de choses, à l’image d’un limier auquel on donne une piste à renifler avant de lui laisser faire ce qu’il sait faire mieux que personne. Remplissages de formulaires, protocoles et réunions de budget, ce n’était pas son truc, ça ne l’avait jamais été et ne le serait jamais. Sa connaissance d’Internet était rudimentaire et ses talents en société affligeants. Mais elle mentirait à James Page et paierait les pots cassés s’il fallait. Parce que Rebus était un spécimen de flic qui n’était plus censé exister, une espèce rare et protégée, dont les jours étaient comptés.

Pour celles et ceux qui aiment les flics en pré-retraite.
D'autres avis sur Babelio.