mercredi 10 août 2022

Ils ont tué Oppenheimer (Virginie Ollagnier)

[...] Plus qu’un autre responsable de l’apocalypse nucléaire.

    L'auteure, le livre (352 pages, 2022) :

Après la découverte de la passionnante BD La Bombe et avant la sortie l'an prochain du biopic de Christopher Nolan (adapté d'un autre livre), on ne pouvait pas manquer le bouquin de la lyonnaise Virginie OllagnierIls ont tué Oppenheimer.
Déjà jeune étudiante, l'auteure avait été séduite par les doux yeux bleus d'Oppenheimer, un regard transparent qui laissait apparaître les doutes et les démons de l'homme qui voulut bien endosser la paternité de la si terrible bombe atomique.

    On aime :

❤️ La documentation qui sait se montrer limpide et discrète (tantôt passionnante, tantôt effarante comme le chapitre sur le complexe militaro-industriel US).
❤️ Une écriture fluide qui mélange habilement les époques, des personnages qui sont tous intéressants, et des chapitres qui s'enchaînent pour devenir bien vite addictifs, et au final, un bouquin qui se dévore comme un excellent roman.

      Le contexte :

Oppenheimer fut un homme plein de contradictions, un humaniste proche du parti communiste de l'époque et un savant qui fut malgré tout recruté par le gouvernement américain pour piloter le projet Manhattan de Los Alamos.
[...] Si Oppenheimer était un gauchiste, il l’était à la manière des grands bourgeois se préoccupant de la misère des petits, de l’injustice du coût de l’éducation et des soins. Rien dans son discours ne laissait à penser à un bolchevik couteau entre les dents.
[...] Après avoir compris que le rouge, l’ennemi héréditaire, masquait l’injustice sociale accomplie sur le sol américain par les multinationales.
[...] Peut-être se croyait-il plus qu’un autre responsable de l’apocalypse nucléaire.
Depuis notre époque qui a vu la réaction démesurée de l'état US aux attentats du 11 septembre puis l'arrivée au pouvoir de Trump, Virginie Ollagnier jette un regard curieux sur la trajectoire balistique de Julius Robert Oppenheimer : l'ascension vers la gloire du héros qui donna à son pays et au monde libre la victoire contre la barbarie puis la chute du traître lorsque le maccarthysme le jugera inapte à servir un pays finalement peu reconnaissant.
Son opposition à la super bombe H (la bombe thermonucléaire), sa volonté de partager les résultats obtenus avec la communauté scientifique, son espoir d'une régulation internationale des armes atomiques, tout cela avait finalement, en pleine guerre froide, fait d'Oppenheimer l'homme à abattre.
[...] Oppenheimer avait-il été naïf, mais il comptait bannir les armes atomiques, comme en 1925 les gaz de combat, vestiges de la Première Guerre mondiale, avaient été interdits.
[...] Mardi 2 juillet 1946, New York « L’affaire est sans espoir. » Oppenheimer froissa le journal et le jeta sur la table du hall de l’hôtel. Le Washington Post annonçait le succès de l’essai nucléaire sur Bikini. [...] C’est fini. Nous ne trouverons plus d’accord aux Nations unies. Les militaires ont fait péter la première bombe atomique en temps de paix.
[...] La presse d’après-guerre avait fait de lui une idole, celle de la guerre froide le descendrait.
[...] Il était devenu le père de la bombe atomique, admiré, jalousé autant que haï dans le monde entier.

      L'intrigue :

Virginie Ollagnier s'invente un double littéraire parti sur les traces du célèbre savant.
[...] Il était le référent de la General Electric, d’Union Carbide, de DuPont ou encore de Monsanto. En d’autres termes, Nichols gaspillait son temps à le contredire et perdait de vue l’ensemble du projet. Secundo, Nichols n’était que le financier de ces entreprises. N’avait-il pas obtenu une rallonge de six mille tonnes de lingots d’argent du Trésor américain en prévision d’investissements pharaoniques des grandes entreprises au service de la guerre ?
On notera aussi le joli portrait de la compagne d'Oppie : Kitty, une femme trop libérée pour son époque.
Le couple Oppenheimer bénéficie manifestement d'un traitement de faveur.

      On aime moins :

 Quelques longueurs qui risquent de rebuter certains lecteurs et une fin qui s'étire comme si l'auteure ne savait comment quitter son héros.

Pour celles et ceux qui aiment comprendre.
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