Le temps béni des colonies [1/2]
C’est l’histoire d’une passion. L’Histoire d’une Afrique. C’est d’ailleurs peut-être la même chose.
La passion africaine de Aimé Victor Olivier, vicomte de Sanderval, un entreprenant et industrieux lyonnais qui, à la charnière des XIX° et XX° siècles, attrapa le virus des colonies et se mit en quête de devenir Roi du Fouta-Djalon (une partie de l’actuelle Guinée-Conakry).
Une histoire vraie que nous romance l’écrivain guinéen Tierno Monénembo dans Le roi de Kahel.
Une épopée bouillonnante, picaresque, aux accents de tartarinade : c’est tout à la fois l’Afrique, l’époque et le bonhomme qui veulent ça.
[…] L’Afrique lui apparaissait comme un monumental opéra baroque : des personnages difformes, des scènes extravagantes, une orgie de bruits et de couleurs, une musique jamais entendue ; un spectacle démesuré, à désintégrer l’esprit, à brûler les sens !
L’esprit aveuglé par le racisme colonial de l’époque (un aveuglement qui annonçait les terribles bouleversements du siècle à venir), la cervelle farcie de l’arrogance culturelle occidentale, les sens (et les intestins !) tourneboulés par les charmes africains, le vicomte de Sanderval entreprend expédition sur expédition (pacifiques les expéditions) pour apporter en vrac, le commerce, la philosophie, un roi et le chemin de fer aux peuls du Fouta-Djalon.
[…] – Vous, les Français, vous n’avez pas besoin d’histoire, vous avez besoin de héros !
[…] – Vous, vous n’êtes pas ici pour la France mais pour vous, n’est-ce pas ? Vous êtes un drôle de type. Qu’est-ce qui peut bien vous attirer en Afrique ?
– Le goût de l’Histoire, justement, monsieur le Britannique. L’Europe est blasée. C’est ici que l’Histoire a une chance de recommencer. À condition que l’on sorte le Nègre de son état animal !
– Et c’est pour cela que vous êtes là, pour sortir le Nègre de son état animal !
– Je crois, en effet, qu’il est temps de lui transmettre la lumière que nous avons reçue d’Athènes et de Rome !
[…] – Vous qui avez vu ces Nègres de près, pensez-vous qu’il soit possible de les sortir de la jungle où la génétique les a emmurés ?
– C’est une race primitive, j’en conviens, bien plus proche du singe que de nous, mais c’est une race jeune. Le cœur commence à naître, l’esprit naîtra par la suite. L’évolution mon cher Jules, l’évolution !
[...] – Oui, mais pourquoi le Fouta-Djalon ?
– D’abord à cause du nom, et ensuite de la géographie !
Amoureux de l’Afrique depuis son enfance, conquis par les cultures et les tribus qu’il y rencontra et imbu de sa propre personne, le vicomte de Sanderval, futur roi des peuls, était un doux rêveur, un barjot illuminé et son biographe réussit à nous entraîner avec recul mais enthousiasme sur les traces de ce rêve lumineux.
[...] Il ne tarissait pas d’éloges sur la nature et sur les femmes. Le mardi 9 mars, il nota, ravi et condescendant : “Vu une très jolie fille : beaux yeux mystérieux, nez correct, mince et busqué, lèvres presque minces. Quel dommage que tout cela soit noir !”
[…] Que redoutez-vous le plus ici, mon capitaine ?
– Les maladies !
– Plus que les Nègres ?
– Les Nègres, on peut les combattre, les maladies, jamais !…
Alors, ces Peuls ?
– Les Anglais de l’Afrique ! Tous les défauts et toutes les qualités de la terre : radins, perfides, ombrageux ; intelligents, raffinés, foncièrement nobles !
Mais chacun sait qu’après le rêve, le réveil est souvent difficile et l’éphémère Roi de Kahel sera bien vite rattrapé par les réalités historiques d’un colonialisme qui n’était pas le sien.
Comme tous les africains, Tierno Monénembo nous fait profiter d’une plume baroque et colorée mais nous épargne une naïveté qui ne sied pas au propos et sait nous dépeindre une colonisation sans concession :
[…] Chacun dénigrait chacun et couchait avec la femme de l’autre. On brûlait son ennui à la belote et sa malaria au Pernod. On était aux colonies, on ne s’aimait pas beaucoup, mais il fallait se serrer les coudes pour survivre aux hostilités du dehors : les Nègres et la jungle, la vermine et l’ennui.
[…] Blancs tremblant de trouille, rongés par le Pernod et jaunis par le palu.
[…] – Laissez donc, Olivier ! Le Fouta-Djalon est suffisamment inaccessible comme ça et les Peuls bien trop compliqués.
– Sans le Fouta-Djalon, c’est impossible d’avoir le Soudan.
– Nos postes sont bien avancés au Soudan, grâce au général Faidherbe.
– Nous les perdrons aussitôt que les Anglais s’empareront du Fouta-Djalon, ce qui risque fort d’arriver : les Peuls raffolent de la cretonne de Manchester et commencent à compter en shillings.
– Merci pour cette admirable leçon de géopolitique, monsieur Olivier. Mais pour l’instant la France a des hommes pour définir sa politique africaine.
– Des hommes de peu d’imagination !
[…] Quant à la vie de la France, ma foi, mis à part les éclats de voix que l’on entend pousser au Parlement, c’est celle, paisible et morne, d’une vieille rentière qui se sent bien dans son agonie.
Merci à François pour cette découverte.
On reparle des colonies très bientôt avec une autre épopée, beaucoup moins drôle … à suivre [ici] !
Pour celles et ceux qui aiment l’Afrique.
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