vendredi 14 juin 2024

L'assassin eighteen (John Brownlow)


[...] J’attends que quelqu’un vienne me tuer.

L'auteur, le livre (594 pages, mars 2024, 2023 en VO) :

Le britannique John Brownlow naviguait jusqu'ici sous les radars mais il vient de lancer une nouvelle série de romans d'espionnage : les aventures de l'agent Seventeen, puisque nous sommes dans le monde de James Bond et de Jason Bourne, un monde où les tueurs portent des numéros, un monde où se font et se défont les légendes.
On a commencé par le deuxième épisode : L'assassin Eighteen qui peut se lire indépendamment du précédent (L'agent Seventeen) mais si vous prévoyez de rester longtemps sur la plage, prenez les deux.

♥ On aime un peu :

 Ce gros pavé fait partie de ces romans où l'on peut laisser sans stress tomber le héros du haut du quarantième étage en nous racontant quelques anecdotes, aller piquer une petite tête rafraîchissante dans l'eau, revenir pour quelques pages où le héros continue sa chute vertigineuse agrémentée d'autres histoires, aller se chercher un cocktail au bar, et revenir juste à temps pour la chute qui verra le héros invincible se relever, son costume à peine froissé, et repartir à l'assaut des méchants qui l'ont précipité dans le vide.
Voilà, vous venez de lire le résumé des chapitres 74 à 76.
 Généreux, John Brownlow nous replace tous les trucs qui nourrissent les romans d'espionnage en ce moment : les Tigres d'Arkan de Serbie [1], les manœuvres de l'Otan de novembre 83 [2], la station d'écoute du Svalbard, ... tout y passe, l'auteur a bien fait son job.
 Autant dire que si la prose reste agréable à lire, elle ne revendique évidemment pas les prix qu'on court et ne tente même pas de rivaliser avec un John Le Carré.
Pour tout dire, le divertissement serait tout à fait agréable si l'auteur (qui est aussi scénariste et réalisateur) ne se croyait pas obligé d'enchaîner les cascades incroyables et les combats épiques qui sont du meilleur effet au cinéma mais qui, sur le papier, tombent quand même un peu à plat et finissent par lasser. 

Le canevas :

L'agent Seventeen est en pleine déprime. Fatigué et désabusé après ses aventures précédentes, il attend son heure ou plutôt celle de Eighteen qui ne va pas tarder.
Mais surprise ! Le sniper qui lui tire dessus est ... une fillette de neuf ans ! 
Et sa propre fille semble-t-il ! Pour faire bonne mesure, on apprend bientôt qu'un complot planétaire est lancé pour mettre la main sur une faille informatique zero-day qui menace de déclencher un holocauste nucléaire. 
Ouf, Seventeen reprend du service pour retrouver la gamine, le code informatique vérolé et les affreux jojos qui voulaient tout ça.
[...] « C’est quoi le plan ? hurle-t-elle en retour.
— Tu les tiens à distance jusqu’à ce que j’en trouve un. »

Pour celles et ceux qui aiment les bagarres.
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Livre lu grâce aux éditions Gallimard (SP).
Ma chronique dans 20 Minutes.

mercredi 12 juin 2024

Ce qui m'appartient (José Henrique Bortoluci)


[...] C’était possible d’arriver jusqu’à la Lune ?

Ce qui m'appartient est le premier roman de Bortoluci, autobiographique, dans lequel il nous raconte son père camionneur sur les routes sans fin du Brésil.

L'auteur, le livre (240 pages, avril 2024, 2023 en VO) :

José Henrique Bortoluci est un nouvel auteur venu du Brésil : quatrième génération d'émigrés italiens depuis son arrière grand-père dans les années 1910, c'est le premier à bénéficier vraiment du fameux ascenseur social. Après des études de sociologie aux États-Unis, il enseigne aujourd'hui à São Paulo. Un transfuge de classe pour reprendre une expression en vogue.

♥ On aime :

 De 1965 à 2015, le père de José, un homme que tout le monde appelle Didi (ou Jaù, son village), parcourt pendant cinquante ans les routes et les pistes du pays au volant de son camion. Un petit artisan, jusqu'ici anonyme, de la colonisation de l'Amazonie et de la destruction de ses ressources écologiques.
[...] L’histoire de ma famille est une petite pièce du puzzle de la classe ouvrière transatlantique – et dans notre cas d’une classe ouvrière blanche.
Aujourd'hui malade et contraint au repos, Didi aimerait bien savoir si "il serait possible de faire le tour de la Terre avec la distance qu’il avait parcourue en tant que chauffeur routier. Et si c’était possible d’arriver jusqu’à la Lune ?".
Une vie monotone, répétitive mais pas banale, et qui a de quoi attirer le lecteur européen avide de grands espaces et curieux de cet immense pays revenu sur la scène de l'actualité depuis quelques années.
 Bortoluci n'a pas voulu écrire une biographie de son père, encore moins le récit de sa propre enfance. À travers le portrait de Didi, il dessine plutôt en creux celui de son pays, par petites touches impressionnistes, une photographie de ci, une lettre de là, ... 
Un tableau fait d'interviews (réalisées pendant le Confinement !), de quelques pages du journal maternel et bien sûr des interventions et commentaires de sa part, en bon sociologue soucieux de comprendre l'évolution de son pays et de la classe ouvrière blanche brésilienne.
Il dit s'être emparé de l'idée des "biographèmes" de Roland Barthes, ces anecdotes mineures, d'apparence insignifiantes mais qui peuvent en dire beaucoup..
 "Bien qu’il ait passé des années de sa vie sur les chantiers colossaux qui servaient de carte postale au régime, mon père parle peu de la dictature". C'est donc le fils qui se charge, au fil des pages, entre deux anecdotes, de mettre en perspective la petite histoire individuelle et de l'inscrire dans la grande Histoire du pays : instructif et éclairant.
Mais à trop vouloir expliquer et analyser la trajectoire de son père (et finalement la sienne), José Henrique Bortoluci passe peut-être à côté d'un grand roman : les pages les plus émouvantes sont quand même celles du camionneur qui raconte ses anecdotes, frasques et aventures.
 Didi est aujourd'hui atteint d'un pénible cancer, et les pages sur la maladie reviennent fréquemment et sans tabous, signe de l'appréhension du fils devant la disparition prochaine du père, peut-être signe de l'inquiétude de l'homme devant son propre devenir (l'auteur a quarante ans et la maladie aurait des gènes héréditaires), et signe assurément des désordres qui rongent le pays parce que "le cancer suit également une logique coloniale".
 Outre Annie Ernaux qui dans son oeuvre, tente elle aussi de comprendre la classe dont elle est issue, l'auteur cite également la biélorusse Svetlana Alexievitch (prix Nobel de littérature 2011) qui considère que, jusqu'ici  notre humanité mesurait l'horreur suprême à l'aune des guerres, mais que nous sommes désormais entrés dans l'ère des catastrophes. Une auteure que l'on avait découvert avec La Supplication, son roman choral sur les survivants de Tchernobyl. Voilà qui donne un goût amer aux aventures de Didi.

Pour celles et ceux qui aiment les routiers.
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Livre lu grâce aux éditions Grasset (SP).
Ma chronique dans Actualitté, Benzine et dans 20 Minutes.

vendredi 7 juin 2024

Aliène (Phoebe Hadjimarkos Clarke)


[...] Faut tout maîtriser, faut rien laisser à la sauvagerie.

Véritable "zadiste" littéraire, Phoebe Hadjimarkos Clarke fait feu de tout bois dans sa forêt. Mais ça passe car on évite soigneusement la thèse prosélyte pour suivre avec angoisse et appréhension les peurs de Fauvel. On est bousculé mais fasciné, on lit ça d'une traite.

L'auteure, le livre (288 pages, janvier 2024) :

Le jury du cinquantième prix du Livre Inter, présidé par Isabelle Huppert vient de couronner Phoebe Hadjimarkos Clarke pour son second roman Aliène.
De quoi redonner un nouvel éclairage à ce formidable roman, puissant et dérangeant, qui était paru en janvier 2024.
Un poème dédié à notre part sauvage qui retentit comme un écho littéraire au film de Thomas Cailley, Le règne animal, tandis que le style et le profil de l'auteure rappellent la violence écrite au féminin du roman Solak de la jeune bretonne Caroline Hinault.

♥ On aime :

 Tous les ingrédients d'un roman noir sont là pour ce qui pourrait être un nature-writing moderne et féminin, revisité à la française, un peu dans la veine de La femme paradis de Pierre Chavagné parue l'an passé.
Mais non, la prose envahissante de cette surprenante auteure déferle et emporte tout sur son passage, empêchant le bouquin de se couler gentiment dans le moule habituel du roman rural.
 Si la plume de Phoebe Hadjimarkos Clarke est résolument moderne et en prise avec notre temps, elle est surtout féroce, acérée, violente. Mordante pour faire un mauvais jeu de mots.
Une plume capable de nous faire partager avec la même puissance la campagne boueuse, les séquelles des violences policières dans une manif, un bad trip en pleine forêt ou la peur d'une horde de chasseurs.    
Une plume qui n'a pas peur des mots et qui appelle un chien un chien, un sexe un sexe. Ça pue, ça dégouline, ça souffle, ça transpire, ça pourrit, ça suinte. Ça répond à l'appel de la forêt même si l'on est bien loin du classicisme d'un Jack London.
Une nature vaguement inquiétante, étrange, qui lorgne du côté du fantastique quand est invoqué le mythe des chasses sauvages rappelant les armées furieuses de  Fred Vargas.
L'auteure vient avec force questionner notre monde où "c’est plus possible, faut tout maîtriser, faut rien laisser au hasard ou à la sauvagerie".
 Fauvel. C'est le prénom de l'héroïne. Un prénom qu'elle s'est choisi elle-même et dans lequel on devine du sauvage, et du "elle" aussi, un prénom qui flirte dangereusement avec l'idée de prédateur.
Le prénom d'une héroïne cabossée (elle a perdu un oeil par un tir de flash-ball dans une manif).
[...] Luc a remarqué ses ongles salement rongés sur des doigts rougeauds et courts, les mèches molles rangées derrière les oreilles trop grandes. Et surtout l’œil crevé, depuis peu. Mado lui a parlé de cette mésaventure avec la police, d’une blessure aux effets secrets et terribles. [...] D'ailleurs elle n’a réussi à rien dans la vie.
 Un bouquin qui dérangera quelques uns (comme le film déjà cité) notamment quand les délires oniriques (on fume toutes sortes de substances dans le coin !) se font un peu trop envahissants.
Et un roman qui ratisse large : répression policière, chasseurs bas du front, écologie, thriller horrifique, violences masculines, et même télé-réalité (un clin d’œil de l'auteure à son premier roman Tabor).
Véritable "zadiste" littéraire, Phoebe Hadjimarkos Clarke fait feu de tout bois dans sa forêt. Mais ça passe car on évite soigneusement la thèse prosélyte pour suivre avec angoisse et appréhension les peurs de Fauvel. On est bousculé mais fasciné, on lit ça d'une traite.
[...] De la transpiration qui jaillit pour un oui ou pour un non sous les bras, entre les fesses ; qui coule le long de la peau en chair de poule, qui macère dans les poils et qui pue. La peur fait puer, la peur empeste. Elle est infamante, elle empêche bien des choses.

Le canevas :

Une jeune femme seule un peu perdue dans une campagne vaguement inquiétante. Un gros chien étrange (cloné dans un labo US !). Des chasseurs gonflés à la testostérone et armés jusqu'aux dents. Un brouillard épais et persistant. Le grondement lointain d'une usine qui pompe l'eau phréatique. La rumeur d'une bête qui s'en prend aux troupeaux ... 
Qui donc massacre les bêtes ? Un ours ? Un extra-terrestre ? Un chasseur lycanthrope ? Ou peut-être même la chienne clonée de Fauvel ? Qui donc est l'aliène ?

Pour celles et ceux qui aiment les chiens.
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Livre lu grâce aux éditions du Sous-Sol (Seuil) (SP)
Mon article dans les magazines Benzine et Actualitté et dans 20 Minutes.

jeudi 6 juin 2024

Les jours de la peur (Loriano Macchiavelli)


[...] – Ici voiture 28. Reçu, on y va.

L'auteur, le livre (192 pages, mai 2024, 1974 en VO) :

L'italien Loriano Macchiavelli est aujourd'hui un vieil homme sage de 90 ans. Né en 1934, il fut homme de théâtre et scénariste mais il est surtout connu chez lui comme l'un des pères fondateurs du polar italien : dans les années 80-90 il a beaucoup œuvré pour faire reconnaître chez lui ce genre littéraire et lui donner l'audience qui lui revient aujourd'hui. 
Co-fondateur du Groupe 13 avec Lucarelli et d'autres qui considéraient le roman noir comme un outil de dénonciation des travers de l'Italie.
Son porte-drapeau fut le personnage de Sarti Antonio (sergent Antonio) qui a donné lieu à une suite de nombreuses enquêtes et même une adaptation en série télé.
Si les éditions Métaillié en avait déjà publié quelques épisodes dans les années 2000, il n'est pas trop tard pour découvrir cet auteur avec Les jours de la peur, puisque les éditions du Chemin de fer ont eu la bonne idée de traduire (c'est Laurent Lombard qui s'y colle) la première des enquêtes de Sarti Antonio qui date de ... 1974.
Macchiavelli y va même d'un joli prologue pour accompagner son personnage (qui a donc aujourd'hui cinquante ans de vie éditoriale) dans cette nouvelle aventure en France !
À l'heure où les pays nordiques accaparent peut-être trop souvent l'attention des lecteurs français, il est bon de ne pas oublier l'autre pays du polar.

♥ On aime :

 Comme bien souvent dans les polars, c'est le personnage principal (ou parfois un duo d'enquêteurs) qui fait tout le boulot : imaginez un bon flic et vous aurez sans doute un bon roman. Le généreux Macchiavelli nous offre carrément un trio !
L'agent Cantoni (affligé d'un ulcère), le sergent Sarti Antonio (affligé d'une colite) et ... leur voiture de fonction, la voiture 28 que Cantoni pilote comme un petit bolide dans les rues de Bologne.
[...] Au volant, Felice Cantoni, agent de son état, fume sa première cigarette de la journée. Qui est aussi la dernière : il y a trois semaines, le toubib lui a dit que deux cigarettes par jour c’est déjà trop pour son ulcère. Alors l’agent Felice Cantoni n’en fume qu’une. Une par jour. À bord se trouve aussi Sarti Antonio, sergent de son état. Lui ne fume pas, n’a jamais fumé, mais cumule tout de même colite et ulcère. La colite, surtout, ne le laisse jamais en paix. Y compris maintenant. Il donnerait une heure supplémentaire pour des gogues. Mais où trouve-t-on des gogues à cette heure-ci de la nuit ? Il dit : – Tu peux pas aller plus vite ? Ou bien je dois faire dans la voiture ?
 De prime abord le lecteur est bien tenté de suivre l'inspecteur chef Cesare et de considérer le sergent Sarti Antonio comme un fieffé abruti qui perd son temps et le nôtre en suivant des pistes improbables.
Mais on devine bientôt un obstiné, un rebelle qui n'en fait qu'à son idée en suivant avec entêtement telle piste ou telle autre alors que sa hiérarchie lui demande seulement de clore au plus vite cette enquête sensible, un coupable très approximatif fera très bien l'affaire.
Et si parfois le sergent semble être un peu perdu et s'égarer dans les fausses pistes de l'enquête, c'est qu'il est dépassé par les bouleversements qui commencent à secouer le pays : dérèglement viscéral, la colite chronique de Sarti Antonio est bien le signe d'un dérèglement de la société italienne.
[...] Pour une fois, le sergent Sarti Antonio a vu juste. Je ne dis pas pour une fois histoire de dire que notre sergent est un pauvre crétin qui n’arrive jamais à rien.
[...] – Ce qui m’intéresse c’est de faire ravaler à cet enfoiré d’inspecteur-chef... Il lance un regard circulaire et baisse d’un ton.
– Ce qui m’intéresse c’est de faire ravaler à Raimondi Cesare ses sourires compatissants à mon égard, ses théories à la mords-moi le nœud. Tu le vois le truc ? Et je veux qu’il cesse de me regarder comme si j’étais le crétin de service bon pour la camisole...

 1974 c'est donc la publication de cette première enquête de Sarti Antonio : mais 1974, c'est aussi l'une des premières de celles qu'on appellera les années de plomb en Italie. C'est en 1974 qu'a lieu l'attentat du train Italicus, qui sera suivi d'une longue et meurtrière série. Le bouquin de Macchiavelli s'intitule d'ailleurs "La piste de l'attentat" en VO, confirmant ainsi que le polar est bien le reflet de la société qui le voit naître, comme le revendiquaient ceux du Groupe 13.
Et l'auteur ne se prive pas dans son prologue de mettre les points sur les "i" et d'annoncer la couleur politique de ses romans engagés. Son double narrateur se fait également son porte-parole à plusieurs reprises dans le roman en y apportant humour et distance.

[...] Tu as relaté l’histoire d’une ville et, derrière elle, à peine voilée, un pan de l’histoire italienne. Pas l’officielle, avec un grand H. Plutôt l’histoire des paumés, comme toi, qui ne sera jamais écrite, même si c’est celle qui compte parce que c’est la nôtre, c’est notre vie. Cinquante ans d’histoire. [...] Le témoignage de ceux qui ont vécu cette époque et qui l’ont baptisée “les années de plomb”.

  Malgré le passage des années, l'écriture de Loriano Macchiavelli est restée vive et alerte : l'humour et l'autodérision cachent mal le sérieux du propos quand il s'agit de critiquer les agissements du pouvoir et de brocarder les autorités à la solde des puissants. On respire même dans les rues de Bologne, un petit parfum désuet, une gouaille réjouissante, une volonté sacrilège, ... tout cela est bien plaisant et il faut espérer que d'autres traductions nous viennent bientôt.

Le canevas :

Bologne, celle que les italiens appellent « la dotta, la grassa e la rossa » (la savante, la grasse et la rouge) où les étudiants gauchistes vont s'attaquer à une bourgeoisie corrompue mais bien décidée à défendre ses privilèges. 
Juillet 1974, une bombe fait sauter le centre des communications de l'armée.
Quelques gauchistes sont arrêtés qui feraient d'excellents coupables pour les autorités.
Rosas, un étudiant incarcéré, et la Blondine, une prostituée qui s'est prise d'affectation pour Sarti, aideront notre flic égaré à démêler les fils d'une enquête qui ira de fausse piste en fausse piste au grand désespoir du chef de la police. L'Italie est un pays où il est bien difficile de savoir qui manipule qui ...

Pour celles et ceux qui aiment l'Italie.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Le chemin de fer (SP).
Ma chronique dans Benzine et dans 20 Minutes.

lundi 3 juin 2024

Malheur aux vaincus (Gwenaël Bulteau)


[...] C’était la guerre, non ? Malheur aux vaincus !

L'auteur, le livre (320 pages, mai 2024) :

Même si les "polars historiques" ne sont généralement pas trop notre tasse de thé, on avait été emballé par le premier roman de Gwenaël Bulteau (un auteur plus coutumier des "nouvelles") qui nous avait emmené à Lyon à la toute fin du XIX° siècle en pleine Affaire Dreyfus. C'était La république des faibles.
Avec Malheur aux vaincus, difficile de ne pas répondre à son invitation en Algérie à la même époque, en 1900. C'était encore "le temps béni des colonies". 
Une occasion de plus pour découvrir une Troisième République pas toujours bien connue.

♥ On aime beaucoup :

 Bulteau reprend la recette qui faisait le charme de son précédent bouquin : quelques "tranches de vie" de la ville et de l'époque avec plusieurs personnages dont les routes vont se croiser, une enquête policière autour de meurtres, et bien sûr de nombreux détails sur l'arrière-plan social et politique. 
Gwenaël Bulteau nous brosse un tableau impressionniste avec quelques touches de ci de là, une touche de politique municipale, une grosse tâche de faits militaires, une touche d'enquête criminelle, et même une touche de romance amoureuse ... 
Comme dans son premier bouquin, l'auteur maîtrise parfaitement l'équilibre entre peinture sociale, contexte politique et intrigue policière.
Ce sont des pages peu glorieuses de notre histoire et un livre empreint d'une tristesse mélancolique : déjà, il plane sur Alger une ambiance de fin de règne ...
[...] De loin, Alger donnait l’impression d’une ville envoûtante et paisible. L’illusion était parfaite. N’importe qui aurait pu se laisser berner et croire qu’en cet endroit il faisait bon vivre.
 Dans cette Algérie de 1900, l'antisémitisme est particulièrement virulent d'autant plus que sont arrivés en ville les réfugiés d'Alsace-Lorraine avec de nombreux juifs parmi eux, voire simplement des noms aux consonances germaniques.  
[...] L’idée d’une boutique de spécialités alsaciennes en plein cœur d’Alger était judicieuse puisqu’il existait une clientèle toute trouvée, celle des réfugiés de la guerre de 1870, à qui les politiciens avaient promis l’eldorado en Algérie.
[...] – Faites attention, madame Hoffmann, les indigènes ont l’air inoffensif, à première vue, mais vous ne les connaissez pas. Vous ignorez ce qu’ils dissimulent en eux. Moi, je les observe depuis des années : ce sont des paresseux, des fourbes, des voleurs. Ils profitent que vous regardiez ailleurs pour vous détrousser. Ils ne valent pas mieux que les Juifs.
 Dans cette nouvelle leçon d'Histoire de France, il est beaucoup question des guerres coloniales menées en Afrique et notamment de la sinistre affaire de la colonne Voulet-Chanoine. Un triste épisode de notre empire colonial qu'on avait découvert dans la BD de Dabitch et Dumontheuil. Une histoire qui se situe quelque part entre la colère d'Aguirre et la folie d'un Marlon Brando apocalyptique. Mais une histoire vraie et des milliers (!) de cadavres hélas bien réels.
[...] La colonne Voulet-Chanoine. L’expédition a fait grand bruit, pour des raisons inhabituelles. Les journalistes se sont fait l’écho d’une rumeur, confirmée du bout des lèvres par le ministère, que le soleil d’Afrique avait sérieusement tapé sur la tête du capitaine Voulet. On a parlé de soudanite aiguë. [...] En tant que militaire, Monsieur avait participé à plusieurs campagnes africaines. Il a pris des villages d’assaut sous le feu ennemi. Il s’est battu au corps-à-corps. Il racontait qu’il avait tué des sauvages à tour de bras. [...] Ce qu’il se passait en Afrique n’intéressait pas grand monde. Les péripéties de la conquête coloniale avaient donc bénéficié d’un enterrement de première classe.

Le canevas :

Alger 1900. L'antisémitisme et le racisme colonial rayonnent sous le soleil africain.
Un notable, ancien militaire est sauvagement assassiné avec son épouse.
Une épidémie d'attaques décime également les encaisseurs de prêts envoyés par les banques.
Le lieutenant Koestler mène l'enquête sans quitter des yeux la belle madame Hoffmann, une alsacienne qui s'est prise d'affection pour quelques petits voyous indigènes.
L'ancien maire d'Alger, Max Régis (véritable personnage), jette de l'huile sur le feu en attisant la haine des juifs et des indigènes.
Entre deux chapitres algériens, l'auteur nous livre quelques uns des hauts faits de la fameuse colonne Voulet-Chanoine dans les sables africains. Quel serait le lien avec les événements d'Alger ?
[...] Mais quel était le mobile ? Une vengeance liée à un événement survenu pendant la mission Afrique centrale ? L’idée était à creuser.

Pour celles et ceux qui aiment les colonies.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce à La manufacture de livres (SP).
Ma chronique dans 20 Minutes.