lundi 29 juillet 2024

Meurtres sur le glacier (Cristian Perfumo)


[...] Laissez le passé en paix.

L'auteur, le livre (440 pages, mars 2024, 2021 en VO) :

L'argentin Cristian Perfumo s'est fait le spécialiste du polar en Patagonie. On prend la série en cours de route avec ces Meurtres sur le glacier
Le glacier en question, c'est le Ventisquero Viedma qui descend de la Cordillière, au pied du mont Fitz Roy, dans le parc de Los Glaciares, à la frontière (contestée) avec le Chili. Le front du glacier qui se jette dans le lac Viedma est un mur de glace haut de cinquante mètres.

Le canevas :

Julían, un catalan ordinaire de Barcelone, se retrouve soudain seul héritier d'un oncle inconnu qui lui lègue au fin fond de la Patagonie un hôtel abandonné. Rien que le terrain vaudrait une fortune dans ce parc national où la construction est sous contrôle.
Une fois sur place pour régler ses affaires, Julían découvre dans la chambre 8 de "son" hôtel ... un cadavre momifié depuis de longues années.
Un de plus qui vient s'ajouter à deux autres découverts l'an passé, pris dans les glaces du Viedma.
Il va faire équipe avec Laura, une fliquette locale, héroïne récurrente de la série, pour percer les secrets de ces meurtres, de son oncle mystérieux et d'une étrange confrérie espagnole, la Fraternité des Loups, ...
Mais chacun sait que celui qui vient remuer le passé est rarement le bienvenu.
[...] Ce qui compte, c'est qu'à El Chaltén, il y a des règles. La tranquillité et la paix, c'est ce qui nous fait manger. Tu ne peux pas débarquer et tout détruire comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

♥ On aime un peu :

 On apprécie le dépaysement de cette carte postale dans une région peu fréquentée par les romans policiers. Nous voici loin de tout dans le village perdu d'El Chaltén (le nom du Fitz Roy en tehuelche) : lagunes colorées, sommets grandioses, glaces bleutées, ...
 On est un peu surpris au début par une prose bon marché et une mise en place un peu bâclée qui donne à tout cela un air de roman de gare, vite écrit, vite lu et vite oublié. Mais peu à peu, le charme de la région opère et l'on se laisse prendre par une intrigue plutôt bien montée dans l'atmosphère de secret qui entoure le village et l'hôtel. Un suspense hispanique qui nous balade de Catalogne en Patagonie.

Pour celles et ceux qui aiment les glaciers.
D’autres avis sur Babelio.

jeudi 18 juillet 2024

La stratégie du lézard (Valerio Varesi)


[...] La ville est corrompue jusqu’à la moelle.

L'auteur, le livre (388 pages, avril 2024, 2014 en VO) :

On a déjà croisé dans les bouquins de Valerio Varesi, le commissaire Soneri, version italienne d'un Maigret. Un flic sombre et taiseux qui officie dans les brumes du Pô et qui a pour habitude de laisser venir à lui les confidences, pas du tout le genre à pourchasser les vilains dans une course-poursuite.
Soneri pourrait être un proche cousin de Brunetti ou d'un Schiavone (ses compatriotes), se rapprocher d’un Adamsberg (en moins fantaisiste) ou encore d’un Erlendur (en plus chaleureux).
Cet hiver, Parme est sous la neige et voici notre commissaire confronté à La stratégie du lézard.

♥ On aime mais de moins en moins :

Un véritable guide touristique digne d'un Michelin puisqu'on s'y régale de déambulations citadines aussi bien que de spécialités culinaires !
Pour visiter Parme et les berges du Pô, notre guide missionné par Valerio Varesi est le commissaire Soneri.
 Malheureusement au fil des ans et des épisodes, les propos de Soneri/Varesi deviennent de plus en plus amers et désabusés. Le commissaire parait dépassé par son époque, ses nouvelles mafias et ses nouveaux bandits. 
Il ne reconnait plus sa bonne ville de Parme, celle qu'on surnommait jadis "le petit Paris de la plaine du Pô" mais qui est aujourd'hui rongée par la corruption et où s'entremêlent le monde des affaires et celui des politiques.
Mais tout comme le lecteur, sa chérie Angela commence à trouver que le bonhomme aigri pousse un peu loin la chansonnette grinçante :
[...] — Tu souffres d’arrogance intellectuelle, la maladie des braves. Par contre, si tu t’obstines, tu vas finir par être aussi borné que les vieux.
[...] Il rétorquait que ça n’était pas lui l’inadapté, plutôt le monde qui allait de plus en plus mal, gâché et déprimant, insupportablement indifférent.
[...] — Arrête un peu de te plaindre, c’est insupportable ! le rabroua Angela.
 D'autant que, tout à sa légitime colère pamphlétaire, Valerio Varesi enfile les perles dans des dialogues taillés à la va-vite :
[...] — Quelque chose brûle en nous.
— Je ne marche pas au même carburant.
— Ce n’est pas le carburant qui compte, ce qui compte, c’est la flamme. La plupart de nos congénères en sont complètement dépourvus. Nous sommes des locomotives, les autres, des wagons.
— Nos directions sont opposées.
— Nous finirons par nous rencontrer. Les locomotives représentent le mouvement.

Le canevas :

Comme dans d'autres aventures du commissaire Soneri, l'intrigue peine à se mettre en place et l'enquête ira lentement au fil des déambulations du commissaire dans les rues de Parme. 
Un commissaire Soneri qui semble désorienté par les événements étranges qui agitent la ville : un téléphone abandonné sur les berges de la Parma, un vieillard mort de froid sur un escalier de secours, deux croque-morts qui se battent pour une dépouille, un prêtre agressé dans son église, des chiens éventrés, ...
[...] Ça fait deux jours que je tourne à vide avec toutes ces histoires bizarres : des téléphones qui sonnent, un vieux qui meurt de froid, une bagarre autour d’un cercueil, l’agression d’un curé…
C'est l'hiver et Parme est couverte de son manteau blanc. Mais visiblement c'est une autre "poudre qui couvre la cité plus copieusement que les chutes de neige".
Face à la corruption et aux trafics en tout genre, la justice aura bien du mal à conclure dans cette affaire aussi brumeuse que les berges du fleuve.
[...] Dans cette histoire, pas d’assassin identifié, juste un ensemble d’individus et de circonstances.
[...] — Une histoire de morts sans assassins… constata Angela. Un mort de froid, un suicidé, une overdose plus que suspecte.
Surtout lorsque le crime adopte la stratégie du lézard et préfère abandonner quelques malfrats et complices, abandonner sa queue pour que la tête échappe au couperet de la justice.

Pour celles et ceux qui aiment les villes italiennes.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Agullo (SP).

mercredi 10 juillet 2024

Le nid du coucou (Camilla Läckberg)


[...] “Meurtre familial sur l’île”, disait l’Aftonbladet.

L'auteure, le livre (352 pages, juin 2024, 2022 en VO) :

La suédoise Camilla Läckberg n'est pas une inconnue chez nous depuis que Actes Sud publie ses romans dans sa fameuse collection Actes Noirs au liseré rouge qui aura tant fait pour le succès de la vague des polars nordiques. 
La plupart de ses romans policiers se situent à Fjällbacka sur la côte ouest de la Suède, sa région natale, et mettent en scène une romancière, Erika Falck, mariée à un policier, ce qui permet des intrigues avec une double enquête !
Les débuts d'Erika commencent en 2008 (La princesse des glaces) et l'épisode précédent date déjà de 2017 : La sorcière, mais voilà longtemps qu'on avait délaissé cette auteure. 
Il était temps de renouer avec et ce sera Le nid du coucou.

♥ On aime un peu :

 On goûte cette pause estivale. Les polars de Camilla Läckberg ne sont pas là pour nous prendre la tête. Ce sont des bouquins sans surprise, ni bonne, ni mauvaise non plus. Contrairement à l'un des personnages de ce roman, l'auteure ne prétend pas au Nobel de littérature et comme d'habitude, l'intrigue est plutôt travaillée, les personnages relativement fouillés, la prose assez fluide, et tout concourt à une lecture facile et agréable, idéale pour les plages de l'été.
 Avec la riche et arrogante famille Bauer réunie ici, on retrouve un peu l'esprit du Clan Snaeberg de l'islandaise Eva Björg Aegisdóttir paru cette année également : quand secrets de familles, jalousies amères, vieilles rancunes et lourdes compromissions refont surface ...
 Avec homosexualité, abus sexuels, féminisme, l'auteure profite de son enquête pour approcher l'univers des transgenres et des drag-queen. 
Mais d'où viennent ces quelques vulgarités désagréables et hors de propos qui nous sautent de temps à autre à la figure (bite, chatte, pute, ...). On préfère penser qu'il ne s'agit pas d'un souci de traduction mais plutôt d'une volonté vraiment déplacée de paraître moderne ? 

Le canevas :

Un écrivain va recevoir le Nobel de littérature, seule distinction qui manquait encore à son palmarès. Il fête avec sa femme, grande famille suédoise, éditrice très en vue, leurs noces d'or avec leurs enfants, leur famille, les pièces rapportées, les enfants de différents lits, tous leurs amis, leurs relations d'affaires et tout le gratin de la brillante société littéraire et culturelle suédoise. 
Riche et arrogant, le clan Bauer est réuni au grand complet.
Un invité manque à la fête : le photographe Rolf prépare sa nouvelle exposition où de mystérieuses photos doivent dévoiler secrets et culpabilités.
Mal lui en prend : le lendemain matin, les fêtards à la gueule de bois vont le retrouver assassiné.
[...] — Il y a un problème ? demanda Elisabeth. Ils la regardaient tous les deux, surpris. Louise respirait encore profondément pour maîtriser sa voix, puis dit :
— Rolf est mort. Il a été tué.
Dans ce milieu, Erika Falck, l'héroïne récurrente de Camilla Läckberg, dénote un peu, elle qui n'est qu'une simple auteure de biographies criminelles au succès populaire (!). 
Intriguée par cette famille, Erika va enquêter sur un incendie criminel non élucidé depuis les années 80 dans lequel une femme transgenre, proche du clan Bauer, a perdu la vie.
Pendant que son mari, le flic, aura fort à faire avec les meurtres dans la petite ville de Fjällbacka : le couple idéal pour une double enquête !
Les choses vont se compliquer encore lorsqu'un autre meurtre, horrible, est commis sur l'île du clan Bauer ...
[...] — C’est terrible, et en plus, juste après le meurtre du photographe. On se croirait à Stockholm, pas dans notre paisible Fjällbacka !
[...] — Qu’est- ce que vous fabriquez dans ce bled ? On dirait un western, dit Frank, laconique.
[...] En un instant, leur famille avait été brisée. Samedi, ils avaient célébré leurs noces d’or. Entourés de leurs fils, leurs petits- fils et leurs amis, ils avaient fêté une longue vie commune marquée par le succès, leur vie de couple et leur vie de famille. Deux jours plus tard, il n’en restait que les décombres.
Une enquête familiale, une enquête policière, et même une enquête littéraire, avec un final en apothéose où pleuvent les révélations jusqu'aux toutes dernières pages. 
Parce que tout de même, qui est ce coucou venu faire son nid ?

Pour celles et ceux qui aiment Camilla Läckberg et Erika Falck.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Actes Sud (SP).
  

vendredi 5 juillet 2024

Contre l'espèce (Estelle Tharreau)


[...] Ils venaient d’accomplir un crime contre l’espèce.

Une fable d'anticipation captivante mais très dérangeante car elle questionne avec force notre monde actuel.

L'auteure, le livre (483 pages, juin 2024) :

Signe de notre époque troublée ? La dystopie est à la mode, y compris chez des auteur(e)s dont ce n'est habituellement pas le genre de prédilection : Sophie Loubière avec Obsolète, Bertil Scali avec Mer, ...
Nous venons tout juste de croiser Estelle Tharreau dans l'un de ses polars "engagés" : Le dernier festin des vaincus, aux côtés des indiens Innus du Québec, et revoici donc la lyonnaise avec Contre l'espèce, une dystopie qui rappelle beaucoup celle de Sophie Loubière, par son regard amer sur notre actualité d'aujourd'hui et ses questionnements acérés sur l'écologie. 
Deux auteures qui pourraient revendiquer l'héritage de George Orwell, qu'elles citent d'ailleurs toutes les deux.

Le contexte :

Estelle Thareau cite également Ayn Rand que l'on avait déjà rencontrée chez Antoine Bello : dans les années 50 elle fut la théoricienne de la mouvance des "objectivistes" un courant de pensée proche des libertariens, où l'on retrouve les partisans du plus pur laissez-faire capitaliste comme Alan Greenspan (l'ex-patron de la FED) ou Jimmy Wales (le fondateur de Wikipédia).
C'est à elle que l'on doit cette terrible maxime : "La question n’est pas de savoir si j’ai le droit de le faire, mais qui pourrait m’en empêcher", une philosophie qui depuis, guide les GAFAM de la Silicon Valley.
Dans le monde apocalyptique imaginé par Estelle Tharreau on retrouve ces "plateformes numériques" qui dominent désormais la planète : Goolis s'occupe de l'éducation, Ubris des transports, Paylis des finances, Amazis du commerce, ... toute ressemblance avec etc ...
Entre deux chapitres, les transcriptions d'une émission de radio clandestine nous donneront quelques détails sur le fonctionnement de ce monde futur (?) où les plus méritants, un esprit sain dans un corps sain, se sont réfugiés dans des "hypercentres" sécurisés.
[...] Des hypercentres entourés de zones mortes dans lesquelles survivaient de petits groupes d’hommes désormais acculés à l’océan.
Les autres, défaillants, malades, handicapés, inadaptés, stérilisés, tentent de survivre dans les zones désertiques abandonnées. Certains d'entre eux, les "recycleurs", sont même employés à démonter pièces par pièces les villes de l'ancienne civilisation, causant ainsi leur propre extinction, "participant activement à génocider leur propre espèce". Un eugénisme puissance 10.
[...] HUMANIS avait enfin réussi à stériliser les humains défaillants. À créer les conditions nécessaires à la survie d’une Humanité plus parfaite, mais aussi à réduire la taille de l’Humanité de façon abyssale permettant ainsi le miracle écologique promis par RECYCLING.
Le monde en est arrivé là après être passé par les 7 stades de "l'emprise numérique", une échelle plutôt bien pensée, depuis le premier stade vers 1980 avec le premier ordinateur individuel d'Apple.
Et pour les sceptiques anti-complotistes, sachez qu'en 2024 nous avons déjà atteint le stade 4 de l'échelle d'Estelle Tharreau ... donc, on arrête de ricaner au fond de la salle.
Certains trouveront bien sûr que l'auteure crie un peu trop vite au complot, et c'est sans doute nécessaire pour le côté romanesque de son bouquin, mais reconnaissons lui tout le mérite de poser de bonnes questions, assez dérangeantes, dans ce qui devient vite un véritable conte philosophique.

♥ On aime :

 On apprécie le regard acéré et sans appel porté par Estelle Tharreau sur notre actualité d'aujourd'hui, sur l'écologie, sur l'économie capitaliste des "plateformes numériques", sur les travers récurrents de notre humanité qui oublie trop vite les leçons de son Histoire : racisme et exclusion, violences et exactions, ...
Le propos est fort, puissant, violent même : si la lecture de cette fable d'anticipation est captivante, elle est aussi très dérangeante.
 On se prend très vite d'empathie pour les personnages imaginés par l'auteure et l'on est rapidement entraîné dans cette lecture parce qu'on est pris dans leur lutte pour survivre aux aventures terribles qui les attendent et qu'on est avide d'en découvrir plus sur ce monde futur.

Le canevas :

Le lecteur va suivre plusieurs personnages dont les destins finiront par se croiser.
John est l'un des "recycleurs" chargés des basses besognes dans le démontage tardif de notre empreinte sur la planète.
Willy est un gamin au "scoring" défaillant, trop faible pour accéder aux écoles et à une vie normale. Ses parents l'ont rejeté et c'est sa nounou (guère mieux lotie : Rosa est positive au test de Starke) qui l'a récupéré.
Futhi est une jeune africaine aveugle qui semble douée du don de prescience et fait peur à tout le monde : en réalité, elle est "scorée" au niveau 10, un score théoriquement inatteignable. Ousmane l'a pris sous son aile.
Dans ce monde au bord de l'apocalypse, ils vont se retrouver, grâce à un flic au cœur un peu trop grand, dans les plaines de l'ouest américain au pied d'une muraille gigantesque qui rappelle celle de la série tv Colony
Mais ni le lecteur, ni les survivants ne sont au bout de leurs surprises car "sauver la Terre ne suffira pas si l’homme n’évolue pas". 
Alors est-on bien sûr qu'on est arrivé au bout ? Le stade 7 était-il vraiment la dernière étape ou bien tout cela ne fait que commencer ?
[...] Vous savez ce qu’est le stade 7. Nous sommes nombreux à penser que ce n’est pas le stade final. Leur œuvre de destruction n’est pas achevée. L’horreur est à venir.
[...] Ils n’avaient pas le droit de le faire, mais ils l’ont fait et personne n’a pu les en empêcher.
[...] Ils venaient d’accomplir un crime contre l’espèce.

Pour celles et ceux qui aiment se poser des questions.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Taurnada (SP) : le livre n'est disponible qu'en version numérique.
Ma chronique dans Actualitté, Benzine et dans 20 Minutes.

jeudi 4 juillet 2024

La princesse du sang (Max Cabanes/Doug Headline)


[...] Je voudrais rencontrer Robert Capa.

Les auteurs, l'album (208 pages, 2015) :

Après le très remarquable Fatale, on retrouve le dessinateur Max Cabanes et le journaliste Doug Headline pour une précédente adaptation d'un autre roman de Jean-Patrick Manchette (le père de Tristan Manchette alias Doug Headline) : La princesse du sang.
Avant d'être surpris par la grande faucheuse, Manchette amorçait avec ce roman un virage plus "géopolitique" dans sa carrière d'écrivain, qui annonçait une série d'autres aventures. 
Doug Headline avait à cœur de terminer ce projet pour en faire un film peut-être. Ce sera une BD sortie en deux volumes en 2011.
Une édition intégrale, revue et augmentée, a vu le jour en 2015 rassemblant les deux albums initiaux.

♥ On aime :

 Depuis longtemps on goûte (avec un peu de nostalgie) l'esprit post-soixante-huitard de ces néo-polars des années 70-90 quelque part entre anarchisme et pessimisme, celui des A.D.G., Vautrin ou Fajardie.
 On se passionne ici pour le contexte géopolitique complexe de cette intrigue : l'échec de la révolution hongroise de 1956 à Budapest, la lutte entre les services secrets français et étasuniens pour prendre le contrôle du MNA en Algérie, les débuts de la révolution castriste à Cuba, ...
Ambiance d'époque garantie qui rappelle le roman de Laurent Guillaume paru récemment : Les dames de guerre.
 On plonge avec délectation dans la jungle cubaine aux côtés de la jolie Ivy pour ce roman d'aventures au scénario foisonnant où l'on ira de surprise en surprise. 
 Et si Doug Headline était tout indiqué pour reprendre l'héritage paternel, les cadrages très rythmés de Cabanes accompagnent parfaitement le récit de leur trait "soigneusement négligé".

Le pitch :

1956. La jeune et jolie photographe Ivory Pearl, dite Ivy, part se mettre au vert dans la jungle cubaine après avoir passé plusieurs années à écumer tous les conflits de la planète pour ses reportages.
C'est son protecteur, Bob Messenger - un britannique qu'elle a rencontré pendant la guerre à Berlin alors qu'elle n'avait que quinze ans et que lui cherchait une "couverture" pour cacher son homosexualité, qui lui a suggéré Cuba comme lieu de villégiature, avec peut-être quelques arrières pensées ...

Pour celles et ceux qui aiment les aventurières.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.

mercredi 3 juillet 2024

Il ne se passe jamais rien ici (Olivier Adam)


[...] J’étais peut-être vraiment dans la merde.

Avec Il ne se passe jamais rien ici, l'auteur breton se fait un temps savoyard pour décortiquer la vie provinciale au bord du lac d'Annecy. Hors-saison.
Une intrigue qui se partage entre analyse sociale et secrets de famille.

L'auteur, le livre (360 pages, mai 2024) :

Olivier Adam s'est fait un peu le porte parole des anti-héros, des petites gens ordinaires en difficulté, des losers en tout genre, des handicapés de la vie, "tous ces gens que personne ne voyait jamais, à qui on ne prêtait jamais vraiment attention".
C'était lui en 1999 l'auteur de Je vais bien, ne t'en fais pas dont Philippe Lioret tira un si beau film en 2006.

Le canevas :

Un petit village de province où tout le monde se connait (trop).
Antoine est l'archétype du loser qui va de petit boulot en galère et qui vit encore aux crochets d'une figure paternelle haïe.
Une soirée trop arrosée au Café des Sports : c'est la seule distraction du coin, hors saison.
Antoine raccompagne Fanny, son ex-petite amie, jusqu'en bas de chez elle.
Le lendemain, Antoine se réveille avec la gueule de bois : le corps de Fanny a été retrouvé flottant sur la rive du lac.
[...] Ils ont retrouvé un corps dans le lac ce matin. Enfin, au bord.
[...] Apparemment ce serait une femme. L’identification serait en cours.
[...] C'est un coin tranquille ici. Il ne se passe jamais rien. Qui pourrait imaginer un truc pareil ? Qu’une jeune femme se fasse tuer comme ça. Et qu’on la retrouve dans l’eau.
[...] Je ne me faisais pas d’illusion. Une femme morte. Fanny. Ça allait partir dans tous les sens. Évidemment deux heures plus tard tout le village était au courant.
[...] C’est là que j’ai réalisé que j’étais peut-être vraiment dans la merde.

♥ On aime un peu :

 On aime retrouver le décor qui sied à tout bon roman noir où l'on sait d'avance que ça va très mal finir : la fille trop jolie, le gars un peu paumé, quelques personnages vaguement inquiétants (un dentiste violent, un père castrateur, ...), tous réunis dans un lieu propice au huis-clos. 
Le lecteur se retrouve enfermé avec eux dans ce petit village au pied des montagnes où, hors saison, le Café des Sports est la seule et unique distraction des gens du coin qui errent de petit boulot en petite galère. Rares sont ceux qui tirent leur épingle du jeu dans ce bled où tout le monde se connait depuis toujours, où tout le monde a plus ou moins couchaillé avec tout le monde, ambiance étouffante garantie.
 On aime la construction de ce roman choral (un style à la mode !) où chaque acteur y va de sa confession pour nous raconter ses tourments, voire même de sa déposition comme pour un interrogatoire de police, réel ou imaginé, face à un curieux flic (ou un flic curieux, ça marche aussi).
Cela nous donne une prose sèche, rapide, dans le style très "oral" du monologue (qui, pour tout dire, pourrait lasser un peu à la longue).
 L'air de rien avec ce faux polar, Olivier Adam s'applique à retourner la carte postale touristique habituelle du lac d'Annecy : les lumières de la riviera brillent peut-être au loin mais ici le lac est d'une profondeur insondable sous l'inquiétante surface noire. 
En choisissant soigneusement ses personnages, il va disséquer patiemment et consciencieusement toute cette micro-société provinciale, une véritable radiographie de la France rurale et ordinaire : chômage, galères et petits boulots, alcoolisme, handicap, sexisme et masculinisme, viol et féminicide, ...
 Et bientôt émergeront les secrets de famille, les tabous, les non-dits enfouis au plus profond des eaux du lac : les lacs sont souvent le décor de nombreux romans noirs [1] [2] [3] !
[...] C’est plein de secrets, cette histoire. Tellement secret qu’il y a que vous qui savez que vous enquêtez.


Pour celles et ceux qui aiment les lacs et les montagnes.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Flammarion.
Ma chronique dans 20 Minutes.

lundi 1 juillet 2024

Le masque de Dimitrios (Eric Ambler)


[...] Dimitrios était intelligent et dangereux.

Une oeuvre emblématique, mythique peut-être : l'archétype du roman d'espionnage moderne.

L'auteur, le livre (320 pages, février 2024, 1939 en VO) :

La mode est aux rééditions de romans capables de traverser les années et les Éditions de l'Olivier ont eu la très bonne idée de nous ressortir Le masque de Dimitrios d'Eric Ambler (ainsi que Je ne suis pas un héros).
Un bouquin qui date de 1939, à une époque où Eric Clifford Ambler avait décidé de secouer un peu le monde élégant et très fermé du roman d'espionnage britannique en mettant en scène des anti-héros, des hommes ordinaires devenus espions malgré eux dans une ambiance qui rappelle un peu Graham Greene.
Rien à voir avec les super héros comme 007 même si Ian Fleming lui rend hommage dans l'une de ses aventures :
[...] James Bond détacha sa ceinture, alluma une cigarette et sortit de son élégant attaché-case un exemplaire du Masque de Dimitrios.
Quelques petits mots qui contribuèrent certainement à la légende forgée autour de cet auteur que John Le Carré considérait comme [leur] maître à tous, qui traversa tout le siècle (1909-1998) et qui publia ses premiers romans dans les années 30, en pleine montée du nazisme. Mais un auteur finalement assez peu connu chez nous.

♥ On aime :

 On est curieux de l'aura qui entoure cet ouvrage emblématique, cet archétype du roman d'espionnage. Le britannique Eric Ambler serait un peu à la figure de l'espion ce qu'un Chandler est à celle du détective.
 On apprécie le charme suranné de cette écriture, mélange subtil d'humour et d'élégance so british, dans une traduction modernisée, à déguster avec une tasse de thé ou un verre de whisky en main.
 On suit avec patience la quête obsessionnelle de Latimer à la recherche de ce mystérieux et insaisissable Dimitrios sur les traces de ceux qui l'ont croisé : une bulgare tenancière de boîte de nuit, un étrange danois, un maquereau hollandais, une duchesse russe, un espion polonais, …

Le canevas :

Charles Latimer n'est qu'un petit écrivaillon de romans policiers. De passage à Istanbul, il est invité à la morgue pour y découvrir un "vrai cadavre" repêché dans le Bosphore.
[...] – Je n’ai jamais vu de cadavre ni de morgue, mentit Latimer. Je pense que c’est du devoir d’un auteur de romans policiers d’en voir.
Le cadavre est celui de Dimitrios Makropoulos, un aventurier escroc aux personnalités multiples et au parcours étonnant, de Smyrne à Paris en passant par Sofia, Athènes, Genève ou Belgrade. 
De quoi fasciner l'écrivain Latimer qui se fait alors détective amateur et part sur les traces du fantôme de Dimitrios pour interroger ceux qui l'ont connu ou du moins ceux qui ont cru connaître ce personnage interlope et insaisissable.
[...] La justification de ses recherches, après tout, était de faire une expérience d’enquête criminelle. Il ne fallait pas que cette expérience devienne une obsession.
[...] Latimer contemplait le corps. Ainsi, c’était Dimitrios. L’homme qui avait peut être égorgé Sholem, le Juif converti. L’homme qui avait trempé dans des assassinats politiques, espionné pour la France. L’homme qui avait été à la tête d’un trafic de stupéfiants, qui avait fourni un pistolet au terroriste croate, et était finalement mort de mort violente.
Pour nous c'est aussi l'occasion de (re-)découvrir une période troublée entre deux guerres, une géopolitique complexe, l'Histoire des années 1920 : l'incendie de Smyrne de 1922, l'assassinat en 1923 du ministre bulgare Alexandre Stamboliyski, l'attentat manqué de 1926 contre Mustafa Kemal, ... Une période où se mêlaient trop étroitement espions et mafieux, politique et finance, ...

Pour celles et ceux qui aiment les barbouzes.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions de L'Olivier (SP)
Mon billet dans Actualitté, dans 20 Minutes et dans Benzine.