Interdit aux Japs.
Quand l'empereur était un Dieu, de l'américaine Julie Otsuka.Un petit bouquin obligatoire pour prendre connaissance d'une sombre page de l'histoire US : après Pearl Harbor, tous les américains d'origine nippone sont évacués dans des zones de regroupement, bref en d'autres termes, déportés dans des camps de concentration.
D'une voix blanche, Julie Otsuka nous conte l'horreur tranquille vécue par ses grands-parents.
Presque sans émotion, elle décrit le quotidien le plus banal. Le plus terrible.
Celui d'une famille d'américains moyens, enfin de ressortissants japonais, une famille brisée (le père est envoyé à l'autre bout de l'état, la mère et les deux filles se retrouvent seules), qui aura tout perdu et ne retrouvera jamais son équilibre.
une lettre à son pèreEt plus loin :
[...] «Papa, il y a pas mal de soleil ici aussi, dans l'Utah. La nourriture n'est pas trop mauvaise et nous avons du lait tous les jours. À la cantine, nous faisons la collecte des clous pour l'oncle Sam. Hier, mon cerf-volant est resté coincé sur la clôture».
Les règles concernant la clôture étaient simples : interdiction de passer par-dessus, interdiction de passer par-dessous, interdiction de passer autour, interdiction de passer au travers.
Et si votre cerf-volant restait coincé dessus ?
Là, c'était encore plus simple : on devait l'abandonner.
Il y avait également des règles concernant le langage : Ici, on dit «salle à manger» et non «cantine», «conseil de sûreté» et non «police interne», «résidants» et non «évacués», enfin et surtout «climat mental» et non «moral».
Il y avait des règles concernant la nourriture : il était interdit de se resservir, sauf du lait et du pain.
Et concernant les livres : pas de livres en japonais.
Il y avait aussi des règles concernant la religion : pas de shintoïstes, avec leur culte de l'empereur.
[...] Au début de l'automne, les grandes exploitations agricoles envoyèrent des agents de recrutement et le Service du transfert des populations autorisa de nombreux jeunes gens - hommes et femmes - à aller aider aux travaux des récoltes. [...] D'aucuns [...] revinrent avec les mêmes chaussures qu'ils portaient à leur départ, jurant que plus jamais ils ne quitteraient le camp. Ils racontaient qu'on leur avait tiré dessus, craché dessus, refusé l'entrée au restaurant du coin, au cinéma, au magasin de nouveautés. Ils expliquaient que, partout où ils étaient allés, ils avaient vu la même pancarte en vitrine : INTERDIT AUX JAPS. La vie était plus simple de ce côté-ci de la barrière, concluaient-ils.Derrière un style d'apparence glaciale, au-delà de l'énumération clinique, couve l'émotion pure :
[...] À la tombée du jour, alors que le soleil virait au rouge sang, sa soeur l'entraînait à la lilmite des baraquements pour aller admirer le coucher de soleil sur les montagnes. «Regarde, détourne les yeux. Regarde, détourne les yeux.» C'était ainsi qu'il convenait d'observer le soleil, lui apprit-elle. Si on le fixait trop longtemps du regard, on devenait aveugle.Alors, pour ne pas rester aveugle, il faut lire ce petit bouquin qui cache sous son écriture d'apparence froide et placide, un véritable réquisitoire.
Une belle histoire humaine aussi entre cette mère et ses deux filles.
Pour celles et ceux qui aiment savoir.
10/18 édite ces 152 pages qui datent de 2002 en VO et qui sont traduites de l'américain par Bruno Boudard.
Célia en parle (très bien), Naina aussi. La Nymphette vient juste de le lire également.
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