jeudi 5 décembre 2013

La vérité sur l’affaire Harry Quebert (Joël Dicker)


À vérité, vérité et demie …

La vérité sur l’affaire Harry Quebert ?
La vérité c’est qu’avec tout le bruit qui entourait ce bouquin, on ne l’aurait sans doute jamais lu si l’amie Véro ne nous l’avait pas prêté. On se méfie (parfois à tort) des engouements médiatiques et des emballements de la blogoboule.
Pour une fois on aurait eu bien tort : ce gros pavé (650 pages) est une bonne affaire. Une bonne affaire difficile à classer.
Inclassable ce roman qui parle de littérature, d’écriture et d’écrivain, qui s’étend sur les affres des auteurs devant leur page blanche. C’est plein d’humour et d’autodérision, une histoire comme seuls les américains juifs new-yorkais savent les écrire. On connait bien. Sauf que ?
Sauf que Joël Dicker est … suisse !
Chapeau l’artiste qui, encore tout jeune(1), sait reprendre et sans faute, le style de ses meilleurs confrères d’outre-Atlantique ! On s’y croirait vraiment.
Inclassable ce roman qui mélange les genres, roman littéraire, histoire d’amour ou comédie et puis polar ou thriller psychologique ! On navigue d’un style à l’autre, sans heurts et en douceur, et dès que la redite pointe le bout du nez, hop, on bascule d’un autre côté.
Haletant et hilarant. Un “page-turner” comme on se plait à la dire désormais : prévoyez une ou deux nuits blanches.
C’est donc (entre autres choses) l’histoire de deux écrivains : le vieux maître blasé de succès et le jeune ambitieux plein d’avenir. En 2008, plus de trente ans après leur première rencontre, le jeune Marcus est en panne d’inspiration, pressé par son agent et son éditeur de pondre à nouveau, après un premier et gros succès(2).
Histoire de se ressourcer, Marcus Goldman part retrouver son ancien mentor, Harry Quebert, dans une petite ville de province (Aurora, Massachussetts), dans la belle-maison-si-typique-de-l’écrivain-en-bord-de-mer.
Et hop, on bascule dans le polar : on découvre le squelette d’une jeune fille enterrée depuis trente ans dans le jardin de la résidence de Harry !
Un amour interdit de Harry qui fut jadis fou amoureux de Nola, une gamine de quinze ans (lui, en avait trente en 1975). Un amour qui aura mal finit (la jeune Nola fut donc assassinée) mais (et hop !) qui inspira un best-seller à Harry (on retrouve d’ailleurs le manuscrit avec le cadavre de l’adolescente et un mot d’amour et d’adieu).
[…] L’opinion publique était bouleversée : non seulement la présence du manuscrit parmi les ossements de Nola incriminait définitivement Harry, mais surtout la révélation que ce livre avait été inspiré par une histoire d’amour avec une fille de quinze ans suscitait un profond malaise. Que devait-on penser de ce livre désormais ? L’Amérique avait-elle plébiscité un maniaque en élevant Harry au rang d’écrivain-vedette ? Sur fond de scandale, les journalistes, eux, s’interrogeaient sur les différentes hypothèses qui auraient pu conduire Harry à assassiner Nola Kellergan. Menaçait-elle de dévoiler leur relation ? Avait-elle voulu rompre et en avait-il perdu la tête ?
Harry jure qu’il est innocent mais se retrouve en prison en attendant son procès. Marcus commence à enquêter sur les anciens évènements des années 70 et se promet d’innocenter son vieil ami.
Et hop, retour du côté de la littérature : pressé par son éditeur, Marcus se met à écrire un roman sur l’affaire Harry Quebert. Le bouquin dans le bouquin. Et hop, etc …
On passe d’un style à l’autre, d’une époque à une autre. C’est fluide et passionnant.
On frôle parfois le roman facile un peu cucul (alors c’est un écrivain qui mène une enquête …) mais non, Joël Dicker maîtrise bien son écriture et nous maintient en éveil tout au long de ce gros pavé.
Les amateurs de bons romans tout comme les fans de polars et d’enquêtes sont ravis ! Pour peu qu’on soit un peu des deux, c’est le bonheur !
Et comme on évoque une histoire à moitié littérature et à moitié thriller, sachez que Joël Dicker nous mène dans son bateau jusqu’au bout : à côté des rebondissements “policiers”, il faudra donc aussi compter sur des rebondissements “littéraires”. C’est d’ailleurs là tout le sel de ce roman.
Au fil de ces pages, Joël Dicker prend le temps de bien camper ses personnages, comme par exemple ce flic qui, en 2008, reprend l’enquête sous la pression de l’ami Marcus.
[…] - Mais ceci ne nous explique pas pourquoi il y a ce mot d’amour écrit à même le texte.
- C’est une bonne question, concédai-je. Peut-être la preuve que le meurtrier de Nola l’aimait. Devrait-on envisager la piste d’un crime passionnel ? Un accès de folie qui, une fois passé, pousse le meurtrier à écrire ce mot pour ne pas laisser le tombeau anonyme ? Quelqu’un qui aimait Nola et n’a pas supporté sa relation avec Harry ? Quelqu’un au courant de sa fuite et qui, incapable de l’en dissuader, a préféré la tuer plutôt que de la perdre ? C’est une hypothèse qui tient la route, non ?
- Ça tient la route, l’écrivain. Mais comme vous dites, ce n’est qu’une hypothèse et il va maintenant falloir la vérifier. Comme toutes les autres. Bienvenu dans le difficile et méticuleux travail de flic.
- Que proposez-vous sergent ?
On sent que le sergent Gahalowood et l’écrivain Marcus composent un tandem très ciné-génique.
[…] - Vous conduisez trop lentement.
- Je conduis prudemment.
- Cette voiture est une poubelle, sergent.
- C’est un véhicule de la police d’État. Un peu de respect, je vous prie.
- Alors c’est une poubelle d’État. Si on mettait un peu de musique ?
- Même pas dans vos rêves, l’écrivain. Nous sommes sur une enquête, pas en train de faire une virée entre copines.
- Vous savez, je le dirais dans mon livre, que vous conduisez comme un petit vieux.
-  Mettez la musique, l’écrivain, Et mettez-la très fort. Je ne veux plus vous entendre jusqu’à ce que nous soyons arrivés.
Je ris.
Fausses pistes, faux semblants, coups de théâtre, cadavres (oui, y’en aura même plusieurs) et rebondissements en tous genres, … On ne s’ennuie pas un instant et on tourne, tourne, tourne les pages, pressé de lire enfin les derniers mots de l’histoire, de découvrir qui se cache ou se cachait derrière tel ou tel masque … Et alors qui est ce Harry qui ne semble pas lui-même convaincu de sa totale innocence ? Et finalement cette jeune fille autour de qui tout le monde tournait, la jeune Nola était-elle aussi pure que le rêvait Harry, aveuglé par son amour ? Qui était réellement Nola ?(3)
[…] Depuis New-York, où elle reprenait avec un dévouement et une efficacité rares mes feuillets, Denise me téléphona un après-midi et me dit :
- Marcus, je crois que je pleure.
- Pourquoi cela, demandai-je.
- C’est à cause de cette petite, cette Nola. Je crois que je l’aime moi aussi.
Je souris et je lui répondis :
- Je crois que tout le monde l’a aimée, Denise. Tout le monde.
Oui, beaucoup trop de monde tournait autour du petit papillon Nola …
[...] - Et comment sait-on que l'on est écrivain, Harry ?
- Personne ne sait qu'il est écrivain. Ce sont les autres qui le lui disent.
Et bien, Joël Dicker, tout suisse que vous êtes, sachez que vous êtes un sacré écrivain et un habile faiseur de mélanges !
[…] - Pour un véritable écrivain. Écrivain c’est être libre.
Il se força à rire.
- Qui vous a mis ces sornettes en tête ? Vous êtes esclave de vos idées, de vos succès. Vous êtes esclave de votre condition. Écrire, c’est être dépendant. De ceux qui vous lisent, ou ne vous lisent pas. La liberté, c’est de la foutue connerie ! Personne n’est libre. J’ai une partie de votre liberté dans les mains, de même que les actionnaires de la compagnie ont une partie de la mienne dans les leurs. Ainsi est faite la vie, Goldman. Personne n’est libre. Si les gens étaient libres, ils seraient heureux. Connaissez-vous beaucoup de gens véritablement heureux ? (Comme je ne répondis rien, il poursuivit.) Vous savez, la liberté est un concept intéressant. J’ai connu un type qui était trader à Wall Street, le genre de golden boy plein aux as et à qui tout sourit. Un jour, il a voulu devenir un homme libre. Il a vu un reportage à la télévision sur l’Alaska et ça lui a fait une espèce de choc. Il a décidé qu’il serait désormais un chasseur, libre et heureux, et qu’il vivrait du bon air. Il a tout plaqué et il est partit dans le sud de l’Alaska, vers le Wrangler. Eh bien, figurez-vous que ce type, qui avait toujours tout réussi dans la vie, a également réussi ce pari-là : c’est devenu véritablement un homme libre. Pas d’attache, pas de famille, pas de maison : juste quelques chiens et une tente. C’était le seul homme vraiment libre que j’ai connu.
- C’était ?
- C’était. Ce bougre a été très libre pendant trois mois, de juin à octobre. Et puis il a fini par mourir de froid l’hiver venu, après avoir bouffé tous ses chiens par désespoir. Personne n’est libre, Goldman.
Ce n’est certainement pas le roman du siècle (l’écriture reste simple, l’histoire superficielle, les rebondissements divertissants et certaines figures un peu convenues) et l’engouement dont ce bouquin a été l’objet est certainement disproportionné, ok, mais voilà quand même un bon gros moment de plaisir. À ne pas bouder, même si le tapage fut assourdissant (plus de 450 avis sur Babelio ! pas tous d’accord avec nous d’ailleurs).
(1) - il n’a pas trente ans
(2) - passionnantes descriptions du milieu littéraire
(3) - on retrouve ici certains renversements de perspective comme ceux qu’utilise avec brio Pierre Lemaitre

Pour celles et ceux qui aiment lire la nuit.
D’autres avis (plus de 450 !!!) sur Babelio.

1 commentaire:

PETIT Nadine a dit…

Moi aussi, j'ai dévoré ce livre (après Ju, qui l'a lu après JB) et je suis tout à fait d'accord avec la conclusion de votre chronique : ce n'est pas le roman du siècle et l'écriture est simple, mais l'histoire nous tient, et on a hâte de connaître la fin !...
Mais pas de nuit blanche pour moi, donc la lecture s'est un peu plus étalée que sur seulement deux nuits !