lundi 25 août 2025

Combustions (François Gagey)

[...] Il appartenait à un monde finissant.


Trois portraits, très parisiens, croqués juste avant la fin du monde sous les pluies radioactives : à l'heure où remontent les souvenirs, viennent les regrets et tombent les masques.

L'auteur, le livre (352 pages, août 2025) :

François Gagey fut diplômé de Sciences-Po puis consultant chez Deloitte avant de devenir avocat.
Combustions est son premier roman, truffé de références à la vie parisienne des beaux quartiers (où l'on apprend beaucoup de choses).

Les personnages et le pitch :

Trois amis-collègues ont délaissé les arrondissements chics de Paris pour randonner sur les sentiers côtiers du Cotentin, histoire de se recentrer comme on dit.
Pas de chance, l'EPR de Flamanville explose et empoisonne toute la région, façon Tchernobyl : les trois compères se retrouvent irradiés, isolés, confinés dans une région contaminée et désertée.
Ils ne peuvent s'échapper : « ils étaient trop irradiés, trop toxiques. Ils ne sont pas passés. »
Il y a là Paul, un banquier, un cadre de la finance parisienne qui se croit amateur d'art contemporain mais dont la famille part en sucette : le bonhomme, pas très sympathique, est en roue libre, « il était en train de tomber et la vérité d’un homme est dans sa chute ».
Il y a là Darko, un gars d'origine serbo-croate, il fut d'abord hooligan au PSG jusqu'au drame de Julien Quemener, avant de s'occuper du marketing d'une start-up de geeks et de se passionner pour les catacombes (Xavier Niel fut le parrain des cataphiles).
Le troisième larron, c'est Baptiste, collègue du banquier Paul, « jeune idéaliste apprenant le cynisme », c'est lui le narrateur, peut-être un avatar de l'auteur : il nous parlera de lui, un peu bien sûr, mais aussi de sa compagne Marine et d'une petite fille Andrea.

♥ On aime un peu :

 L'accident nucléaire n'est ici qu'un artifice, une astuce de scénario pour précipiter le monde et surtout les personnages vers une fin inéluctable. Une situation qui rappelle fortement celle imaginée il y a peu par Michael Mention : Combustions pourrait donc passer pour une version cool (?) du Sang Impur.
« [...] – Comment tu te sens ?
– Je ne sais pas, ça va. Il y a eu une pluie bizarre.
– Comment ça une pluie bizarre ? »
Cette fin annoncée est l'occasion pour maître Gagey de nous brosser trois portraits très parisiens et quand il trempe son pinceau dans le vitriol pour brocarder les travers de la riche élite germanopratine, l'avocat parisien sait de quoi il parle !
À l'approche de la fin programmée, on réalise enfin que 'la vie' n'était peut-être pas que sexe et argent. 
Alors les souvenirs remontent, les regrets se font plus vifs et les masques tombent. 
Au sens propre comme au figuré puisqu'avec la desquamation due à la radioactivité, paupières et lèvres partent en lambeaux.
 Le premier portrait sera celui du banquier Paul, un personnage cynique et franchement antipathique : visiblement, François Gagey a quelques comptes à régler avec des amis parisiens !
« [...] Tout le monde vous craint. On vous déteste, nous le petit peuple, vous et vos amis. Surtout depuis Macron. Ne vous en faites pas. Un jour on vous coupera la tête. C’est au programme. »
« [...] Il avait pris le parti de déballer ses problèmes et de s’en divertir. Il racontait au premier venu l’infidélité de sa femme, la trahison de ses enfants, son hypocondrie, ses nouvelles envies. Il était drôle, spirituel, obscène. ».
 Ensuite viendra Darko, le hooligan devenu cataphile. Un personnage un peu plus agréable que Paul, c'est pas difficile, dont les souvenirs et les regrets nous feront même voyager jusqu'au Brésil.
 La troisième partie du bouquin nous offre des visages multiples : celui de Baptiste bien sûr, troisième larron et narrateur, mais aussi celui de sa compagne Marine, une avocate pénaliste, « une vraie Parisienne de droite » avec qui il a vécu une relation complexe et enfin celui d'Andrea, la fille de Marine. 
François Gagey a laissé tomber le vitriol pour ces portraits émouvants peints dans une lumière douce, juste avant qu'elle ne s'éteigne, juste avant l'effondrement du monde.
 On l'a noté, c'est un premier roman mais il faut saluer la fluide élégance de la plume de l'auteur (même de la part d'un avocat, cela ne coulait pas d'évidence). La prose est limpide qui fait la part belle à l'ironie, souvent féroce, mais aussi à l'humanité des personnages que l'on jurerait vivants même s'ils ne sont pas tous aimables : le moteur à combustion de François Gagey carbure à l'humain.

Pour celles et ceux qui aiment les parisiens.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Albin-Michel (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

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