jeudi 4 septembre 2025

Les 8 vies d'une mangeuse de terre (Mirinae Lee)

[...] J’ai l’impression d’avoir mille ans déjà.


L'Histoire tourmentée de la Corée à travers l'histoire d'une femme insaisissable aux multiples noms et visages : un parcours horrifique et incroyable.
Premier gros coup de cœur de cette rentrée littéraire 2025.

L'auteure, le livre (420 pages, septembre 2025, 2023 en VO) :

Mirinae Lee est née en Corée du Sud et vit aujourd’hui à Hong Kong.
Son premier roman, Les 8 vies d'une mangeuse de terre, s’inspire - très librement - du parcours de de sa grand-tante qui, comme la femme du roman, a réussi à fuir la Corée du Nord.
La traduction de l'anglais (Corée) est signée par Lou Gonse.

Le pitch et les personnages :

L'employée d'une maison de retraite de Corée du sud, se met en tête de recueillir les confidences des pensionnaires pour rédiger leur nécrologie, à partir de quelques mots-clés.
« [...] – Alors, quels sont vos huit mots, madame Mook ? demandai-je, remarquant le retour de son sourire insolent. 
– Esclave. Reine de l’évasion. Meurtrière. Terroriste. Espionne. Amante. Et mère.
– Ça fait sept. Pas huit, fis-je observer. 
– Vous avez donc vraiment écouté. Son sourire insolent s’élargit. »
L'histoire que va nous raconter la vieille Madame Mook est véritablement hallucinante et nous allons parcourir toute l'histoire récente de la Corée et de ses guerres, la colonisation japonaise du début du siècle, la guerre du Pacifique et la seconde guerre mondiale, la partition du pays en 1953 et la période communiste en Corée du nord.
Chacun des chapitres va retracer une étape du parcours dantesque d'une femme insaisissable aux multiples noms et visages.
En 1961, Vierge fantôme à la frontière nord-coréenne.
En 1938, Quand j’ai arrêté de manger de la terre.
En 1950, Mettez le feu.
En 1942, Conteuse.
En 1955, Pour un grain de beauté.
En 2005, L’espionne qui écrit en jaune.
En 2006, Confessions d'un couple ordinaire.

♥ On aime vraiment beaucoup :

 L'histoire qui nous est contée est tout à fait épouvantable : les temps de guerre ne sont pas vraiment cléments envers les femmes et notre héroïne affrontera le pire, l'esclavage comme femme de réconfort pour les troupes japonaises ou comme fille à soldats pour les GI, entre autres vicissitudes.
Alors qu'est-ce qui fait qu'on ne peut plus lâcher cet effroyable récit, une fois que la vieille dame Mook a pris la parole et se met à nous raconter sa vie, aussi tragique qu'incroyable ?
C'est sans aucun doute le talent de conteuse de Mirinae Lee, un don qu'elle partage volontiers avec Madame Mook : un chapitre est même intitulé Conteuse, et l'on sait depuis Shéhérazade que c'est un talent utile à la survie des femmes. Mais ces contes ne sont pas des histoires à raconter aux enfants.
« [...] Tu me demandais de te raconter les mêmes histoires encore et encore, même si tu en connaissais les moindres détails, chaque boulon de leurs structures narratives, chaque virgule et chaque soupir, simplement parce que c’étaient tes préférées. »
 Au fil des multiples 'vies' qu'elle a traversées, des apparences qu'elle a adoptées et des identités qu'elle a empruntées, Madame Mook, ou quelque soit son véritable nom, va se révéler insaisissable et experte en manipulation, mensonge et mystification. Le prix de sa survie car « parfois un mensonge n’est pas un moyen de blesser les autres, mais simplement une tentative de survie. Une tentative pour rester sain d’esprit. »
➔ Cette héroïne énigmatique va permettre à Mirinae Lee de jongler avec les époques, de jouer habilement avec le lecteur et de le mener par le bout du nez depuis les horreurs indicibles de la guerre jusqu'à la douce subtilité d'un grain de beauté. Puisque tout cela n'est peut-être qu' « une illusion. Penser que l’on connaît vraiment quelqu’un. »
Chaque chapitre, chaque période, est le prétexte pour une histoire à part entière (d'ailleurs certaines sont parues initialement sous forme de nouvelles), des histoires qui vont s'entre-croiser les unes avec les autres tissant chaque facette, chaque 'vie' de cette mangeuse de terre avec son lot de mystères et de secrets. 
Un éclairage, une explication, apparaîtra parfois beaucoup plus loin, dans une autre 'vie', un autre chapitre.
 Avec ce premier roman, maîtrisé de bout en bout, Mirinae Lee nous livre ici une formidable histoire dont le personnage géophage est une femme tout aussi incroyable : « [...] Après avoir vu ce que j’ai vu, avoir fait ce que j’ai fait, j’ai l’impression d’avoir mille ans déjà. »

Pour celles et ceux qui aiment la Corée.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Phébus (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

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