lundi 3 novembre 2025

L'odeur de la sardine (Serge Raffy)

[...] Les trompettes-de-la-mort t’attendent.


Un curieux roman entre policier et histoire, qui prend la Guerre d'Algérie comme toile de fond. Un récit de souvenirs et de mémoires, un récit chargé d'amertume où planent de nombreux fantômes car cette période est celle d'une "histoire mal ficelée, mal réglée".

❤️❤️❤️🤍🤍

L'auteur, le livre (304 pages, septembre 2025) :

Le journaliste Serge Raffy (Le Nouvel Obs, ...) connait bien les dessous de la République : il est l'auteur de plusieurs documents et romans sur nos personnalités politiques, de Defferre à Hollande.
Dans son avant-propos, il précise que L'odeur de la sardine est « un conte de faits », jolie formule pour nous dire que « la réalité est souvent bien plus extraordinaire que la fiction ».
Pour nous dire que « entre le vrai et le faux, ne cherchez pas à faire le tri. Ceci n’est donc pas un roman vrai. Seulement un vrai roman. »
Un vrai roman qui évoque la Guerre d'Algérie, une fois de plus oui, car « soixante ans après, cette tragédie pèse toujours sur les consciences » et les plaies ouvertes depuis le massacre de Sétif ne sont toujours pas toutes refermées, loin s'en faut.
Et ce n'est pas le texte récemment voté par notre Assemblée Nationale qui va me contredire ...

Le pitch et les personnages :

Charles Bayard, 85 ans, est assassiné un soir sur les quais de Seine. « Une seule balle dans la nuque. Du travail de professionnel ».
C'était un ancien officier, un « homme de l'ombre » et un « indécrottable gaulliste » à la « réputation sulfureuse, celle d’un grand flic flibustier, au parcours mêlant gloire et coups tordus. Il avait traversé toutes les présidences de la Cinquième République, en laissant toujours derrière lui un goût de mystère. Et une tonne de secrets ».
Julien Sarda, 63 ans à deux pas de la retraite, prend la tête du groupe d'investigation, une cellule des « enquêtes réservées »
L'enquête va révéler rapidement que Bayard était en relation étroite avec un journaliste, Sébastien Rochas, pour rédiger ses mémoires. 
A-t-on voulu faire taire un vieil officier devenu trop bavard parce qu'était venu le temps des remords ?

♥ On aime :

 Le roman est un curieux mélange de roman policier, d'écrit journalistique et de souvenirs historiques. 
Les amateurs d'Histoire avec un grand H seront peut-être désappointés : ce n'est pas un livre sur la Guerre d'Algérie d'où n'émergent que quelques événements et personnalités ayant marqué la mémoire des personnages du livre. 
Le journaliste Serge Raffy n'a pas écrit un document sur ces événements et renvoie d'ailleurs plusieurs fois aux grands auteurs qui ont écrit sur cette guerre, comme Benjamin Stora ou même Jacques Ferrandez (celui de la BD).
Les fans de polars seront peut-être déroutés eux aussi : le groupe d'investigation est assez pâlot, seul en émerge le personnage de Sarda et « cette enquête n’en [finit] pas de promener l’équipe Sarda dans les méandres de l’histoire coloniale ».
Ces tours et détours vont masquer une fin plutôt surprenante, inhabituelle mais bien dans le ton désenchanté du roman.
 Ce récit est plutôt un livre de souvenirs, de mémoires : les fantômes planent sur la plaine de la Mitidja, la Petite Californie, où s'installèrent dès le seizième siècle les juifs andalous fuyant l'Espagne, bien avant la colonisation française. 
Le fantôme d'un professeur progressiste, Alain Obadia, qui enseignait au lycée français de Blida et qui a rejoint, dit-on, le maquis des nationalistes algériens.
Les fantômes de l'extrême-droite et même le trésor de guerre fantôme de l'OAS. 
Le fantôme de « Jean-Jacques Susini. Fondateur de l’OAS, inspirateur de l’attentat manqué contre le Général, en 1964 »
 Entre quelques digressions érudites où l'auteur fait mine de s'égarer, le lecteur pourra apercevoir au loin les fantômes des réfugiés espagnols venus par la Cerdagne ou même celui du peintre Francisco de Goya qui cherche toujours son crâne, comme Hamlet celui de Yorick.
 Shakespeare dirait peut-être qu'il y a quelque chose de pourri au royaume de Méditerranée où l'atmosphère est sombre et les souvenirs chargés d'amertume : « l'affaire Bayard nous plonge dans un bain saumâtre, dans une histoire mal ficelée, mal réglée .»
Serge Raffy appuie là où ça fait mal et regrette que notre pays ait manqué l'occasion « d’une grande réconciliation fraternelle entre les deux nations » comme ce fut le cas après d'autres conflits par exemple.
Il pointe l'incapacité de notre pays à intégrer cette "salle guerre" à son histoire. 
Pour beaucoup, « il fallait oublier, passer à autre chose. [...] Tous prétendaient que, soixante ans après, il y avait prescription, que la page avait été tournée », mais ils se trompent lourdement car « une nation est un être vivant dont le passé est une richesse, même quand ce passé vous embrume l’âme et vous déchire. Le refouler était la pire des erreurs. »
Et notre actualité législative semble bien, hélas, donner raison à Serge Raffy ...

Pour celles et ceux qui aiment l'Histoire.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Fayard et Netgalley (SP).
Ma chronique dans les revues Benzine et ActuaLitté.  

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