vendredi 27 juillet 2007

Rouge-gorge (Jo Nesbo)

Harry Hole nous donne une leçon d'histoire.

On a déjà eu l'occasion d'évoquer les polars du norvégien Jo Nesbo.
Le revoici avec Rouge-Gorge, une nouvelle enquête de l'inspecteur Harry Hole.
Côté détectives un brin désabusés, Harry Hole, c'est un peu le chaînon manquant entre le Harry Bosch (tiens, Harry ?) de l'américain Michael Connelly et le Kurt Wallander du suédois Henning Mankell.
Et décidément, après Le retour du professeur de danse de Mankell, La femme de Bratislava du danois Leif Davidsen, Millenium du suédois Stieg Larrson, et bien d'autres, les pays nordiques n'en finissent pas d'explorer les années noires de leur collaboration avec le nazisme.
[...] Fauke ne se réjouissait pas franchement à l'approche de la fête nationale. 
« C'est gonflant. Et trop de drapeaux. Pas étonnant qu'Hitler se soit senti chez lui au milieu des norvégiens, notre âme populaire est frénétiquement nationaliste. C'est juste qu'on n'ose pas l'admettre. »
Ici, un peu comme dans le Retour du professeur de danse, deux histoires se font écho à quelques années de distance : la guerre (sur le front Est, du côté de Leningrad) et des meurtres bien contemporains - vengeance et règlement de comptes ?
Double suspense et intrigue complexe et riche en personnages qui nous tiennent en haleine jusqu'au bout de cet excellent polar.
Un polar qui nous en apprend aussi beaucoup sur nos voisins norvégiens.
[...] « Les États-Unis sont un peu plus qu'un allié » commença Brandhaug avec un sourire invisible. Il dit cela sur le ton de quelqu'un qui raconte à un étranger que la Norvège a un roi et que sa capitale est Oslo.
« En 1920, la Norvège était l'un des pays les plus pauvres d'Europe, et elle le serait sans doute encore sans l'aide des USA. Oubliez la réthorique des hommes politiques. L'émigration, le plan Marshall, Elvis et le financement de l'aventure pétrolière ont fait de la Norvège le pays qui est probablement le plus pro-américain au monde. »
L'occasion aussi de découvrir la légende d'Urias qui fut envoyé au combat (et à la mort) par David qui convoitait son épouse Bethsabée.

D'autres en parlent ici ou .

mercredi 25 juillet 2007

De soie et de sang (Qiu Xiaolong)


L'inspecteur Chen s'attaque à un tueur en série ?

Nous sommes depuis longtemps fans et accros des enquêtes de l'inspecteur Chen Cao et des polars shanghaïens de Qiu Xiaolong.
On s'est donc jeté avec un même enthousiasme sur le dernier épisode : De soie et de sang (le titre original faisant plutôt allusion à la robe rouge traditionnelle, le qipao dont sont habillées les victimes).
Cette fois, Qiu Xiaolong s'attaque à un serial-killer, chose plutôt inattendue dans le folklore chinois auquel il nous avait accoutumés.
Est-ce cela qui nous a dérouté ?
Est-ce un terrain trop balisé par les "américains" du genre ?
Est-ce le charme de la découverte qui s'émousse et la routine qui s'installe ?
Quoiqu'il en soit on retrouve la ville de Shanghaï et le décor habituel des romans de Qiu Xiaolong : cuisine chinoise (hmmm la cervelle de singe vivant ...), poésie et littérature, trafics politiques, traumatismes encore vivaces de la Révolution Culturelle et plaies mal refermées, ... mais on n'accroche pas tout à fait à l'intrigue policière, et on peine pendant la première moitié du bouquin à suivre les traces d'un inspecteur Chen qui, comme nous, semble hésiter entre l'enquête et sa dissertation littéraire ...
Un peu déçus par ce dernier épisode donc, ce billet est l'occasion de vivement vous conseiller de découvrir (si ce n'est déjà fait) Qiu Xiaolong par ses précédents polars, tous excellents et la plupart en format poche (voir des extraits au format PDF).

Cathe partage un peu notre avis, Michel est plus enthousiaste.

vendredi 20 juillet 2007

La brocante Nakano (Kawakami Hiromi)

Un peu du charme des Années douces.

Kawakami Hiromi nous avait enchantés avec Les années douces.
On a donc poussé avec enthousiasme la porte de la boutique de Nakano-san, brocanteur à Tôkyô.
Mais une fois entrés, on n'a pas retrouvé tout à fait le même plaisir que celui qu'on avait eu à suivre Tsukiko et son professeur qui picolaient dans les bars pendant les années douces.
La brocante Nakano procède toujours du même esprit : la description minutieuse des petits riens de la vie, on passe du coq à l'âne et du fil à l'aiguille, on suit le charme des conversations.
De l'influence du minuscule : les paroles, les odeurs et les bruits qui rythment la vie.
Cette brocante-là, c'est un sympathique bric à brac (le rythme des chapitres suit un peu celui des objets qu'on achète et qu'on vend, qui passent de mains en mains), un bric à brac des choses mais aussi de la vie et des sentiments.
Une boutique dans laquelle nous guide Kawakami Hiromi, jusqu'à une très belle fin.
[...] Quand je lui ai demandé une fois, tu aimes ce café, Takeo a eu l'air surpris. Si j'aime ce café ? ll n'avait pas l'air de comprendre. Mais oui, écoute, tu achètes toujours le même, non ? Takeo m'a répondu qu'il ne s'en était jamais aperçu. Tu as vraiment le don de remarquer de ces détails, Hitomi ! 
[...] M. Nakano l'a regardé s'éloigner en soupirant avec ostentation.« Qu'est-ce qu'il y a ? » ai-je demandé. M. Nakano avait envie qu'on lui demande ce qu'il y avait. Lorsqu'il pousse des soupirs ou marmonne tout seul, c'est qu'il a envie de parler à quelqu'un.
Mais vous l'avez compris, on aura quand même préféré Les années douces.

D'autres en parlent joliment ici et Télérama aussi.

vendredi 13 juillet 2007

La petite pièce hexagonale (Yoko Ogawa)

La reine japonaise de l'étrange.

Après L'annulaire, voici de nouveau une étrange nouvelle (100 pages) de l'étrange Yoko Ogawa.
La petite pièce hexagonale est une sorte de mystérieux confessional en bois géré par un couple de mystérieux gardiens.
On y entre et s'y asseoit pour s'y raconter, tout seul : une pièce à raconter, à se raconter.
[...] Il n'y a pas d'erreur dans ce que m'a dit Yuzuru, n'est-ce pas ? Il s'agit bien d'une petite pièce qui ne sert à rien d'autre qu'à raconter. 
[...] Mais la première fois qu'il m'a expliqué le mécanisme, j'ai été désorientée. Comme jusqu'alors je n'avais jamais entendu parler de l'existence d'une telle chose au monde, je n'ai pas été tout de suite convaincue.
[...] En fait ça ressemble à un monologue, c'est ça ? Une boîte où l'on peut murmurer tout seul autant qu'on veut, dans le style qu'on aime, sans se soucier du regard des autres.
Étrange poésie autour de ses monologues introspectifs : on chancelle à la limite du surréalisme, on reste toujours sur le fil du couteau à sushis entre poésie et fantastique.
Réservé quand même aux amateurs ...
À suivre également : La Bénédiction Inattendue et Les Paupières, ses deux derniers recueils de nouvelles (excellents !). 

La bio de Yoko Ogawa sur Evene.fr et un site sur ses différents romans et nouvelles.

vendredi 6 juillet 2007

Echo park (Michaël Connelly)

Harry Bosch aux affaires classées - 2.


Après Deuil interdit qui nous avait permis de remettre Michael Connelly au goût du jour sur ce blog, voici le deuxième épisode de la nouvelle série des "affaires classées" : Echo Park.
Toujours accompagné de sa coéquipière black Kiz Rider, l'inspecteur Harry Bosch retrouve également cette fois son ex-amie du FBI : Rachel Walling.
[...] - Je t'ai appelée en me disant que tu ne serais peut-être pas fâchée de remettre tes anciens talents à contribution. 
- Tu veux dire ... comme profileuse ? 
- En quelque sorte. Demain il faut que j'affronte un type qui reconnait être un tueur en série et je n'ai toujours aucune idée de ce qui le fait fonctionner. Il veut avouer neuf meurtres pour conclure un accord qui lui évitera l'aiguille. Je dois être sûr qu'il n'est pas en train de nous rouler. Il faut que j'arrive à savoir s'il dit la vérité avant de me retourner vers les familles ... du moins celles dont on a entendu parler ... et de leur dire qu'on tient leur bonhomme. 
Il attendit un instant qu'elle réagisse. Voyant qu'elle n'en faisait rien, il poursuivit. 
- J'ai quelques crimes, deux ou trois scènes de crime et des analyses scientifiques. J'ai aussi des photos et l'inventaire de ce qu'il y avait dans son appartement. Cela dit, je ne le sens pas.
Harry Bosch, c'est un peu le Don Quichotte du LAPD de Los Angeles. Toujours en guerre contre les magouilleurs de l'appareil policier et de l'institution judiciaire.
Le voici aux prises avec un avocat véreux, un district attorney en campagne électorale et des chefs ripoux, rien que ça.
Mais précisément, dans cet épisode, on a l'impression que Connelly en fait un peu trop, dans le registre "tous corrompus".
Et pour tout dire, on aura préféré Deuil Interdit, vraiment excellent ... et en format poche.
Il reste qu'Echo Park est quand même un très bon polar dont la fin laisse planer un parfum de doute avec un Harry Bosch pas forcément à son avantage ... 

D'autres blogs en parlent sur Critico-blog et Cathe ici.

vendredi 22 juin 2007

Millénium 1 (Stieg Larsson)

Premier opus de la trilogie suédoise.

On avait acheté ce bouquin après plusieurs bonnes notes lues sur les blogs mais il avait fini par traîner au fond de la PAL (la Pile À Lire) à cause de son abominable couverture qui, invariablement, menaçait de nous plonger dans une espèce de remake des Orphelins Beaudelaire.
Mais non pourtant, Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, du suédois (oui, encore !) Stieg Larsson, n'a rien d'un roman pour ados.
C'est un polar de bonne facture.
L'écriture est plutôt du genre simple et basique (Elisabeth George et Sue Grafton sont d'ailleurs citées), mais il faut avouer qu'à force de lire des auteurs qui, avec quelques mots, arrivent à vous scotcher au fond de votre canapé, on devient difficile ...
Les gentils sont bien trop gentils et sont heureux en amour comme en affaires.
Les méchants sont bien trop méchants, au point d'en devenir des caricatures peu vraisemblables, et le scénario suit parfois des péripéties à peine crédibles.
Alors, qu'est-ce donc qui fait que l'on reste accroché à ces pages ?
Sans doute la découverte de cette Suède que l'on parcourt, polar après polar : avec sa fête de la Saint-Jean (on pense à Henning Mankell et ses Morts de la Saint-Jean), ses sectes Pentecôtistes (on pense à la finlandaise homonyme Asa Larsson et son Horreur boréale) et toujours le souvenir des démons nazis des années noires (de nouveau Henning Mankell avec le Retour du professeur de danse) avec ici en prime la collusion avec le milieu des affaires.
Sans doute aussi, l'originalité d'une enquête qui, cette fois, n'est pas menée par le flic désabusé habituellement de service, mais par un journaliste économique qui, accessoirement, s'attache à une ado attardée au passé trouble, hackeuse au mauvais caractère. Ces deux-là mènent une longue investigation qui fait tout le charme de ce bouquin. Enfin Mesdames, c'est aussi, comme le titre l'indique, une diatribe contre ces hommes qui n'aiment pas les femmes et donc contre les violences subies par icelles. Le message est clair.
Un thriller bien venu pour les plages cet été.
[...] Il était d'avis que la vraie mission journalistique était d'examiner les chefs d'entreprise avec le même zèle impitoyable que les journalistes politiques surveillent le moindre faux pas chez les ministres et les parlementaires. Il ne viendrait jamais à l'idée d'un journaliste politique de donner à un chef de parti un statut d'icône.
Bon d'accord, le bouquin a manifestement été écrit avant l'avènement de Sarko.
[...] Ce jour-là Lisbeth était vêtue d'un tee-shirt noir avec une image d'E.T. exhibant des crocs de fauve, souligné d'un I am also an alien. Elle portait une jupe noire dont l'ourlet était défait, un court blouson de cuir noir râpé, ceinture cloutée, de grosses Doc Martens et des chaussettes aux rayures transversales rouges et vertes, montant jusqu'aux genoux. Son maquillage indiquait qu'elle était peut-être daltonienne. Autrement dit, elle était extrêmement soignée. 
Deux autres épisodes sont parus mais ce seront les derniers : l'auteur Stieg Larrson vient malheureusement de décéder.

D'autres blogs en parlent ici ou et surtout Jean-Marc. 

jeudi 14 juin 2007

Le dernier souper (Shusaku Endo)

Tourments d'un catholique au Japon.

Des trois nouvelles de Shûsaku Endo qui composent ce petit recueil d'une centaine de pages, seule la dernière, éponyme, Le dernier souper mérite vraiment le détour.
Les deux premières évoquent les tourments de la foi catholique dans ce Japon où les chrétiens n'étaient pas toujours bien vus, particulièrement pendant les années sombres du nationalisme nippon.
Ce qui donne quelques pages au charme exotique délicieusement inversé pour notre regard occidental.
[...] La guerre avait déjà éclaté en Chine mais la situation n'était pas encore trop tendue pour les catholiques japonais. Ils pouvaient faire sonner bruyamment les cloches, toute la nuit de Noël et le jour de Pâques. L'entrée de l'église était décorée de fleurs, et nous n'étions pas peu fiers quand les gamins du quartier regardaient avec envie les fillettes, la tête couverte d'un voile blanc comme les jeunes filles étrangères.
Mais c'est donc la troisième nouvelle qui mérite surtout d'y investir 2 euros (oui, c'est le prix du bouquin !).
Une nouvelle très "japonaise" où il est question des souffrances d'un homme hanté par un terrible souvenir de guerre.
[...] Bientôt, on remarqua que certains membres d'un bataillon qui s'était joint à eux, en cours de chemin, mangeaient en cachette de la nourriture. Ils leur racontaient qu'il s'agissait de viande de lézard séchée, alors qu'il n'était pas si aisé d'attraper ces animaux. Tsukada et Minamikawa se doutaient vaguement de quoi il retournait, cependant ils craignaient de l'avouer à voix haute car la guerre avait déjà fortement ébranlé les nerfs de tout le monde.
Voilà bien un extrait pour vous mettre ... l'eau à la bouche !
Mais en réalité, cet événement dramatique n'est encore, pour Shûsaku Endo, qu'un prétexte pour exorciser ses démons : péché, rachat, souffrance, ...
Décidément, cet auteur aura été fortement marqué par son éducation catholique.

In folio en parlait ici et d'autres sur Agora. 
Sur le même thème, voir un autre auteur, Shohei Ooka, chez Noir & Bleu.

jeudi 7 juin 2007

Le retour du professeur de danse (Henning Mankell)

Le retour en force de Henning Mankell.

C'est avec Henning Mankell que nous avions découvert les polars polaires, bien avant la naissance de ce blog et il est juste qu'une place de choix lui soit enfin octroyée.On vient de parler récemment de Mankell dans un autre genre, le roman social, avec Tea Bag.
Nous voici de nouveau au rayon polars, avec Le retour du professeur de danse (et c'est en poche).
La série des enquêtes de l'inspecteur Kurt Wallander est terminée (et c'est pas plus mal car, autant les premiers épisodes étaient excellents, autant les derniers de la série nous avaient un peu déçus) puisque c'est l'inspecteur Stefan Lindman qui reprend avantageusement le flambeau.
En toile de fond de son enquête : le passé (... mais aussi le présent) peu reluisant de la Suède qui collabora avec les nazis pendant la guerre, ce qui ne pouvait manquer de nous rappeler un autre polar lu récemment, un danois, La femme de Bratislava de Leif Davidsen. L'inspecteur Lindman est malade, atteint d'un cancer, et cela rappelle encore un autre polar (un suédois) dont on avait parlé en mai : Retour à la Grande Ombre, de Hakan Nesser.
Beaucoup d'échos donc, suscités par le retour de ce professeur de danse.
[...] - Je suis parti de Boras parce que je suis malade. J'ai un cancer. Je suis en attente de commencer une radiothérapie. J'avais le choix entre Majorque et Sveg. J'ai choisi Sveg parce que je voulais comprendre ce qui était arrivé à Herbert Molin. Maintenant je me demande si j'ai bien fait. 
Giuseppe hocha la tête. Ils restèrent une minute silencieux. 
- Les gens veulent toujours savoir d'où je tiens mon prénom, dit enfin Giuseppe. Toi, tu ne m'as pas posé la question. Parce que tu pensais à autre chose. Je me suis demandé ce qui te préoccupait à ce point. Tu as envie d'en parler ? 
- Je ne sais pas. En fait, non. Je voulais juste que tu saches. 
- Alors je ne t'interrogerai pas. 
Mankell peaufine des dialogues pleins de sens et se confirme comme un maître dans l'art du non-dit, particulièrement dans ce roman qui met en scène plusieurs personnages intéressants autour de Stefan Lindman, comme ce Giuseppe, policier du grand nord suédois, ou Elena, l'amie de Lindman, et d'autres encore (du coup, à côté de ces portraits soignés, un ou deux protagonistes du drame manquent presque un peu d'épaisseur, comme si Mankell hésitait à fouiller du côté obscur de la force, c'est dommage).
[...] Sur la table de cuisine, une thermos attendait déjà, à côté d'une assiette de brioches à la cannelle recouverte d'un torchon. Wigren apporta une deuxième tasse et l'invita à s'asseoir. 
- On n'est pas obligés de parler, dit-il de façon inattendue. C'est possible de boire un café avec un inconnu en se taisant. 
Ils burent leur café et mangèrent une brioche chacun. L'horloge au mur sonna le quart. Stefan se demanda ce qu'avaient bien pu faire ensemble les gens de ce pays avant l'arrivée du café. 
Du côté de l'intrigue, on devine tout très rapidement (le prof de danse, ancien nazi, a été rattrapé par son passé et l'une de ses anciennes victimes qui lui fait faire quelques derniers pas de tango macabres) mais bien entendu avec Mankell, si l'on devine tout, c'est que l'on ne sait rien, et il vous faudra donc dévorer le bouquin jusqu'à ses dernières pages pour comprendre le fin mot de cette histoire où le néo-nazisme sait rester discret et ne pas alourdir le récit.

vendredi 1 juin 2007

La chute de Fak (Chart Korbjitti)

Quand tout tourne autour de la pagode.

Chart Korbjitti nous convie à un voyage en Thaïlande pour assister à la Chute de Fak.
Fak c'est l'homme à tout faire du temple de son village.
Mais pour son plus grand malheur, le pauvre Fak "héritera" à la mort de son père d'une belle-mère un peu fofolle qui a la gênante habitude de montrer ses fesses ou sa poitrine à qui mieux mieux.
De là à ce qu'on dise que Fak couche avec sa belle-mère, il n'y a qu'un pas que les villageois auront tôt fait de franchir.
C'en est fini de la renommée de Fak qui sombrera peu à peu dans la déchéance et se noiera dans l'alcool.
C'est cette longue descente aux enfers que raconte ce roman. Et c'est précisément cette lenteur qu'on peut lui reprocher : pas de surprise dans cette longue contemplation de la chute de Fak.
Il n'en reste pas moins une savoureuse et instructive description des moeurs et coutumes de ce village thaïlandais : la rentrée des classes, les fêtes, les crémations funéraires, jusqu'à l'arrivée de la fée électricité.
Quand l'individuel et le social ne font qu'un, quand tout tourne autour de la pagode ...
[...] La pagode était au centre de la vie du village. Quand un enfant naissait on le portait à la pagode pour que le révérend père lui trouve un nom propice et conforme à sa date de naissance. Quand un fils ou un petit-fils était en âge de devenir novice, c'est à la pagode qu'on le faisait ordonner et qu'il venait résider. Bien entendu, quand quelqu'un mourait, c'est à la pagode qu'on apportait le corps pour l'incinérer. Pour quiconque voulait faire des rencontres, c'est à la pagode qu'il fallait se rendre. C'est à la pagode que le chef du village réunissait les villageois, que les officiels du district venaient établir les cartes d'identité individuelles et les services sanitaires vacciner contre les épidémies. Les vieux allaient à la pagode faire leurs dévotions et les policiers à la poursuite de malfaiteurs s'arrêtaient à la pagode pour prendre des renseignements. Individuellement et collectivement, tout le monde dépendait de la pagode.

Une interview du traducteur.

vendredi 25 mai 2007

Tea bag (Henning Mankell)

Un roman social de Mankell.

On connaissait Henning Mankell pour ses fameux polars (et notamment Le retour du professeur de danse qui vient de sortir en poche) mais voici avec Tea-Bag l'occasion de découvrir une autre facette des nombreux talents de ce suédois (il écrit aussi des pièces de théâtre : Les Antilopes étaient jouées en 2006 à Paris).
Tea-bag est un roman étrange à deux facettes, une sorte de conte social qui dépeint d'un côté, la vie vaine et privilégiée d'un poète hypocondriaque en panne d'inspiration, écartelé entre une mère possessive, une maitresse possessive, un éditeur possessif, ... bref, un écrivain en panne à qui sa propre vie semble échapper ...
[...] - Si tu refuses d'avoir des enfants, je dois me demander s'il ne me faudrait pas un autre homme. 
- Moi aussi, je veux des enfants. La seule question est de savoir si c'est le bon moment. 
- Pour moi, oui. 
- Je suis en train de modifier mon image en tant qu'auteur. Je ne suis pas certain que ce soit conciliable avec le fait d'avoir des enfants.
Clin d'oeil : son éditeur veut absolument le forcer à écrire ... un polar.
... et de l'autre côté de ce miroir social, 3 jeunes filles immigrées dans une banlieue suédoise : une black (c'est Tea-bag), une fille des pays de l'est et une autre venue du moyen-orient. Bref, un concentré de la société multi-culturelle suédoise.
Mankell s'étend longuement sur les traumatismes de ces douloureuses fuites qui ont fini par conduire ces jeunes filles jusque dans la banlieue de Göteborg (toute ressemblance avec d'autres grandes villes européennes étant, bien sûr, purement fortuite).
[...] Dans le camp, il y avait un trafic de passeports, qui avaient parfois été falsifiés plusieurs fois de suite. Un vieux Soudanais, sentant approcher le vent froid de la mort et comprenant qu'il ne ressortirait pas vivant de ce camp espagnol, m'a échangé ce passeport contre la promesse qu'une fois par mois, aussi logntemps que je vivrais, j'entrerais dans une église, ou une mosquée, ou un autre temple, et je penserais à lui pendant une minute exactement. Voilà ce qu'il voulait, en échange du passeport, un rappel qu'il avait existé autrefois, même s'il avait tout laissé, tout abandonné dans le pays qu'il avait fui.
De la rencontre incongrue entre ces personnages, Mankell construit une étrange fable où son héros écrivain finit par gratter son vernis social pour aller à la découverte de ces 3 jeunes femmes et de leurs histoires, dont il fera très certainement un ... roman !

Allie la bibliothécaire québécoise en parle ici.

Porte de la paix céleste (Shan Sa)

Pour ceux qui veulent prolonger la lecture de Shan Sa (une chinoise qui vit à Paris et qui écrit désormais en français) après La joueuse de go, voici la Porte de la Paix Céleste.
La porte de la paix céleste c'est, en VO, Tian An Men.
Et c'est donc aussi l'occasion de prolonger le film tout récent Jeunesse chinoise, puisque le roman débute, presque comme le film, alors qu'une étudiante s'enfuit de Tian An Men au moment où l'armée envahit la place.
Après la rapide évocation des ces événements, on retrouve exactement comme dans La joueuse de go, l'opposition, la quête entre deux êtres :
- d'un côté Ayamei, une jeune femme rebelle et romantique, poursuivie comme l'une des meneuses du mouvement étudiant et qui finira par trouver la paix céleste dans la magie des montagnes chinoises,
- de l'autre côté du miroir, un jeune soldat empêtré dans sa rigueur morale et son obéissance aux ordres, chargé de retrouver la fuyarde.
Un petit bouquin intéressant mais qui n'a pas encore l'élégance et la rigueur plus abouties de La joueuse de go qui sera écrit 4 ans plus tard.
Porte de la paix céleste est son premier roman (Goncourt du premier roman), écrit à 24 ans lorsqu'elle était chez Balthus en Suisse. Un livre sur l'innocence, comme un écho aux oeuvres du peintre ?
[...] Je suis sûre que vous découvrirez un âme pure, sensible et passionnée, que vous jugerez ma fille innocente des crimes dont on l'accuse. Vous ne l'arrêterez jamais. Ayamei est un oiseau indomptable qui mourrait si on l'enfermait. Une fois sortie de la ville, une fois rendue à la nature, elle déploiera ses ailes et prendra son essor.
Hélas, jamais elle ne reviendra.

vendredi 18 mai 2007

Deuil interdit (Michaël Connelly)

Harry Bosch reprend du service aux affaires classées.

Il y avait longtemps qu'on n'avait ouvert un Connelly.
Avec Deuil interdit, il n'aura suffit que de quelques pages pour nous replonger avec délices dans les rues de Los Angeles aux côtés de Harry Bosch, notre détective préféré.
Et on a bien vite retrouvé cette espèce de noirceur poisseuse qui semble coller aux basques des enquêteurs du LAPD, dans cette ville désabusée qui semble concentrer tout le désespoir du monde.
Après une longue série d'excellents polars, Connelly est toujours en grande forme et on a bien aimé cette intrigue-là, particulièrement bien construite jusqu'à un dénouement étonnant.
Harry Bosch reprend du service : il retrouve Kiz Rider, sa coéquipière black, et à eux deux vont réouvrir les dossiers des "affaires classées".
Le second épisode, Echo Park, est sorti ce mois-ci en France.
[...] - Le choeur des voix oubliées, dit-il. 
- Pardon ? 
- C'est ce qui me vient à l'esprit quand je pense aux dossiers qui nous attendent aux Affaires non Résolues. Une vraie galerie des horreurs. C'est notre plus grande honte. Toutes ces affaires ! Toutes ces voix ! Chacune est une pierre jetée dans un lac. Les ondes de choc se propagent à travers le temps et les personnes. Familles, amis, voisins. Comment pouvons parler de cité quand il y a encore tellement d'ondes de choc, tellement de voix que la police a oubliées ? 
Bosch lui lâcha la main et garda le silence. Il n'y avait pas de réponse à la question du chef. 
- J'ai rebaptisé le service dès que je suis arrivé. Il ne s'agit pas d'affaires éteintes, inspecteur. Jamais elles ne le sont. Pour certains, en tout cas. 
- Je comprends.

Cathe en parle ici.

36 boulevard Yalta (Olen Steinhauer)

De quoi changer un peu des enquêtes policières, voici un roman d'espionnage d'Olen Steinhauer, un américain qui a vécu dans les pays de l'est (Hongrie, ...).
Le 36, boulevard Yalta, c'est le siège de l'équivalent du KGB d'un pays de l'est, quelque part entre la Tchécoslovaquie et la Roumanie.
Nous voici donc plongés en pleine guerre froide de l'autre côté du rideau de fer où nous suivons les péripéties de l'agent Brano Sev.
La première partie du bouquin est particulièrement intéressante qui dépeint une petite ville de campagne : les habitants, leurs habitudes locales, la famille du major Sev (qui d'ailleurs ne voit pas sa profession d'un très bon oeil), ...
On passe ensuite à l'ouest et l'aventure se poursuit à Vienne de manière plus classique : on navigue dans le microcosme des espions de tout bord, en essayant de deviner qui cache son jeu (allez, un indice : en fait, à peu près tout le monde !).
Au fil des pages, nous voici, comme le héros Brano Sev, manipulé et retourné en tous sens jusqu'au dénouement final, un peu convenu il faut le reconnaître.
On finit par se prendre de compassion pour le major Sev qui se fait régulièrement rossé et malmené, ainsi que pour sa petite amie, transfuge Yougoslave, mais on a du mal à se passionner pour les autres personnages, exceptée peut-être la mère de Sev dans son village de campagne ...
Hormis cette première partie déjà évoquée avec son atmosphère dépaysante, il faut avouer qu'on est resté un peu sur notre faim ... juste de quoi avoir envie de découvrir peut-être les autres romans d'Olen Steinhauer (Cher camarade, Niet camarade) qui décrivent la vie policière dans les pays de l'est.
[...] Ce qu'il avait donné comme explication à Jan - qu'il se sentait utilisé - prenait soudain un poids nouveau. Cerny lui mettait la pression, soit pour obtenir des résultats, soit pour l'obliger à fuir. Mais comment savoir ? Il n'y avait aucune réponse toute prête au pourquoi du piège tendu par Jast comme au pourquoi des coups de téléphone de Cerny.

D'autres critiques ici ou .

vendredi 11 mai 2007

Insecte (Claire Castillon)

Quand la mère devient insectueuse ...

On dit souvent que les japonais ont l'art et la manière des nouvelles glacées et effroyables ... mais c'est faire bien peu de cas de ce recueil d'une vingtaine de très courtes nouvelles (quelques pages chacune) de Claire Castillon : Insecte.
Au moins, l'avantage avec les japonais, c'est que l'exotisme, même de façade, nous permet de nous tenir à distance respectueuse en cas de besoin. Mais ici pas de faux-fuyant ...
Des histoires d'amour/haine mère/fille où la mère est beaucoup, beaucoup trop prenante, incestueuse ou insecte-tueuse ...
De formidables portraits de femmes aussi. Où se dessinent, en creux, quelques hommes, trop souvent partis en voyage ...
Une écriture féroce, cruelle, sans concession, qui dérange souvent et lorsqu'on rit, parfois, on rit jaune ...
Claire Castillon joue habilement de nos émotions et dans ses courtes nouvelles, possède au plus haut point l'art de nous retourner comme des crêpes même si chacun sait bien que l'amour peut cacher la haine, qu'après le rire viennent les larmes, que derrière le bonheur se terre le désespoir, et que la haine peut finalement ramener à l'amour.
Chose peu fréquente, il n'y a rien à jeter dans ce recueil de quelques vingt nouvelles, même courtes : toutes sont d'égale tenue et leur unité de ton est du meilleur effet, à condition de ne pas dépasser la dose maximum de 2 ou 3 nouvelles par jour, car au-delà, des effets indésirables peuvent se manifester.
Un livre ressurgi au hasard d'un rangement de notre bibliothèque et qui a de bonnes chances de figurer sur le podium de notre best-of 2007.
[...] Elle m'énerve avec son cancer, elle n'a pas idée. On lui a d'abord prescrit quelques rayons, ça ne devait pas être méchant. Finalement, on lui a fait neuf chimio-thérapies. À force de s'écouter, comme dit papa, elle a laissé s'installer la maladie. Du coup, elle n'a plus un cheveu sur la tête et sa perruque la démange, alors souvent elle la retire, on lui a dit que ça nous choquait un peu parce que son crâne chauve est gênant, mais elle la retire quand même. Pour rire on l'appelle Tête d'Oeuf, Yul Brynner ou Bille de Noix. Le maquillage ne prend plus sur son teint jaune, mais elle s'acharne, alors elle en met trop, et l'autre jour, alors que je l'avais accompagnée faire quelques pas dans le jardin de l'hôpital, j'ai entendu quelqu'un dire Le travelo arrive, alors pour plaisanter je lui ai conseillé de se faire embaucher dans un cabaret. Mais ça ne l'a pas fait rire, j'ai été obligé de préciser que c'était de l'humour, oh là là, un peu de recul à la fin.

Vient de paraître en poche. 
Nos blogs préférés en parlent ici, ici ou .

Retour à la grande ombre (Hakan Nesser)


Toujours au rayon des polars polaires ...
Et toujours de quoi voyager avec encore un suédois, Hakan Nesser, qui situe son histoire aux Pays-Bas : Retour à la Grande Ombre, une enquête du commissaire Van Veeteren, une sorte de Maigret nordique, plein d'humour.
[...] - Des conseils à nous donner, commissaire ? demanda Münster lorsqu'ils quittèrent le bar.
Va Veeteren se gratta la nuque.- Non, répondit-il. Tu l'as très bien dit : il faut aussi savoir patienter. Les poules ne pondent pas plus vite parce qu'on les regarde.- D'où vous viennent toutes ces tournures imagées ?- Je n'en sais rien, dit Van Veeteren, content de lui. C'est comme ça avec nous autres, les poètes : l'inspiration nous vient sans qu'on sache comment.
Dans cet épisode, le commissaire Van Veeteren est hospitalisé ce qui nous vaut, avec ses différents adjoints, plusieurs personnages intéressants qui mènent l'enquête sous sa direction.
[...] Nous n'avons aucune preuve, insista Münster. Et nous n'en aurons pas. 
- Mais il ne le sait pas. 
- Il ne tardera pas à le comprendre. Ça doit lui sembler étrange qu'on ne l'arrête pas en sachant qu'il a trois meurtres sur la conscience. 
Van Veeteren écrasa sa cigarette et lâcha le rideau. 
- Je sais, grommela-t-il. C'est de l'intestin qu'on m'a amputé, pas du cerveau.
Mais la grande originalité de ce polar tient bien sûr dans l'étrange manière avec laquelle la justice sera finalement rendue ... mais ça, on ne peut pas vous en dire plus.

vendredi 4 mai 2007

Un homme heureux (Arto Paasilinna)

Enchantés par Le lièvre de Vatanen, nous avons suivi Arto Paasilinna dans une autre aventure : celle de Jaatinen, Un homme heureux, un ingénieur des ponts et chaussées parti construire un pont dans un village de Laponie.
Victime des jalousies et rivalités des gens du cru, il ira jusqu'au bout de sa vengeance à coups de pelleteuses, de grues et de grands travaux.
On retrouve bien sûr la verve ironique de Paasilinna sans toutefois le souffle épique et poétique qui portait Le Lièvre de Vatanen, auquel il se permet même de faire allusion (lorsque Jaatinen séjourne dans un hôtel de Leningrad) :
[...] Le personnel de l'Astor s'habitua si bien à Jaatinen qu'il finit par se sentir un peu chez lui. Un jour, le maître d'hôtel, un homme au demeurant sympathique et intéressant, lui parla d'un Finlandais qui avait séjourné dans l'établissement l'année précédente. 
« Vous n'imaginez pas, Jaatinen, quel client agréable c'était ! Il avait un nom un peu comme le vôtre, Vatanen, je crois. Vraiment quelqu'un de bien ! Il voyageait en compagnie d'un authentique lièvre finlandais. Nous étions tous aux petits soins pour cet animal si amusant et si discret, et parfaitement apprivoisé. Quand ce Vatanen a dû repartir en Finlande avec son lièvre, nous en avons presque pleuré ! »
L'histoire de la vengeance de Jaatinen pourrait presque se dérouler au Far-West et l'ambiance de cette invraisemblable fable sociale rappelle celle du Groenland de la Maison des célibataires de Jorn Riel dont on a parlé très récemment.
Grâce à la plume acérée et ironique de Paasilinna qui brocarde la vie de ses compatriotes, on savoure moult détails sur la vie des autochtones finnois : les anciennes rivalités entre rouges et blancs, la vie sociale et associative, la trop forte présence de l'église, ... (on pense d'ailleurs à un autre bouquin finlandais lu récemment : Horreur boréale).
Il y a presque du Don Camillo dans ce petit monde-là ...

C'est sorti en poche Folio et d'autres blogs en parlent sur Critico-blog.

Sa femme (Emmanuèle Bernheim)

Encore un petit opuscule minuscule d'une centaine de pages, presque une nouvelle.
Emmanuèle Berheim aura obtenu le prix Médicis en 1993 pour ce petit roman : Sa femme.
L'histoire d'une jeune toubib un peu (beaucoup ?) maniaco - obsessionnelle qui collectionne les traces de sa vie sentimentale comme d'autres collectionnent les papillons ou les coléoptères.
Et c'est d'ailleurs avec une remarquable écriture, d'une précision d'entomologiste, qu'E. Bernheim nous décrit la vie quotidienne de son héroïne, tous ces petits riens qui font la vie.
La limpidité, la clarté de son style, forme une étrange harmonie avec les pensées de la jeune femme (qui d'ailleurs s'appelle ... Claire) et ce petit bouquin mériterait presque de figurer parmi nos couronnes 2007.
En tout cas un petit plaisir à ne pas manquer.
[...] Quelle que soit l'heure à laquelle il arrivait, Thomas restait une heure et quart chez Claire. Jamais plus, rarement moins. 
Un jour, elle débrancha son magnétoscope et sa cafetière électrique et dissimula son réveil dans le tiroir de la table de nuit. Ainsi Thomas n'aurait plus aucun moyen de connaître l'heure et il resterait plus longtemps. 
Lorsqu'il sonna à la porte, avant d'aller lui ouvrir, Claire regarda l'heure à sa montre et la rangea dans son sac. Il était huit heures moins vingt-cinq. 
[... plus tard ...] Thomas se serra contre elle et l'embrassa doucement. Puis il s'écarta d'elle et se leva. Lorsqu'il referma derrière lui la porte d'entrée, il était neuf moins dix. Thomas était resté chez elle une heure et quart, une heure et quart pile. 
Claire ne débrancherait plus ses appareils.

vendredi 27 avril 2007

Le saut du Varan (François Bizot)

Avec Le Saut du Varan, François Bizot nous emmène au Cambodge dans les années 70, une fois la plupart des français partis et alors que les khmers rouges tentent de renverser le gouvernement pro-américain.
Le roman est nourri de l'expérience de François Bizot qui travaillait à cette époque, comme l'un de ses personnages, en tant qu'ethnologue à la restauration d'Angkor, là même où se situe l'intrigue de son bouquin. Il sera même prisonnier des khmers rouges et racontera son aventure dans Portail, son premier livre couronné de plusieurs prix.
Le Saut du Varan nous plonge dans cette ambiance fin de monde (les colons sont sur le point de se faire foutre dehors), un monde où la lumière des femmes asiatiques attire les hommes blancs comme des papillons.
[...] Rénot était très sensible aux femmes. Leur chair exerçait sur lui un pouvoir magique. Le grain duveté, combiné à l'odeur, provoquait en lui de tels transports qu'il n'imaginait pas de séparation entre l'âme et le corps.
Le bouquin démarre comme un polar et Bizot possède l'art de peindre des portraits d'une écriture forte et décidée : des portraits d'hommes, des portraits de blancs, ces hommes blancs en train de se perdre, corps et âmes, dans les jungles d'Asie.
[...] Chez Rénot, c'était tôt ou tard un préalable, une règle infrangible, un test : il avait reçu des khmers que la richesse d'une rencontre se joue à la qualité du silence qu'on est en mesure d'établir. Ce n'est qu'en se taisant qu'on peut percer l'autre, éprouver son ambiance, détecter ses intentions, atteindre son âme sous l'intelligence.
Avant une fin sombre et désabusée, la seconde partie du roman nous a semblé plus pesante où l'auteur, poursuivi par le bouddhisme, se laisse aller à des digressions mystiques, dans une sorte de jungle philosophale où, cette fois, c'est le lecteur qui s'égare un peu ...
[...] D'ailleurs, regarde. L'homme, c'est la seule créature qui vienne au monde en pleurant. Dans la douleur. Tu vises ? La seule ! Et ça, mon vieux, ça se paie toute la vie. Une naissance pareille, c'est un signe. Le drame ontologique par excellence.

D'autres en parlent sur Agora.

vendredi 20 avril 2007

Crime de sang (He Jiahong)

Nous vous proposons encore un voyage dans l'Empire du Milieu grâce à He Jiahong qui nous fait découvrir avec Crime de sang, la Chine avec ses réalités sociales d'aujourd'hui et ses traditions d'hier, depuis Pékin jusque dans les provinces reculées de l'ancienne Mandchourie (où est né l'auteur).
L'intrigue policière sera dénouée grâce au flair de Maître Hong Jun, un avocat qui, comme l'auteur, a étudié aux États-Unis : une sorte de version pékinoise de Sherlock Holmes ou de Nestor Burma.
D'habitude on n'apprécie guère les "polars historiques" (pour rester en Chine, on pense bien sûr au Juge Ti) qui dépeignent leurs personnages de façon trop naïve à notre goût.
Même si l'écriture de He Jiahong relève un peu de ces romans "faciles" (romance amoureuse, enquête à la Hercule Poirot, ...), son bouquin échappe cependant à ce travers, d'une part parce qu'il est ancré dans la modernité de notre époque et que d'autre part son auteur fait preuve d'une dérision et d'un humour très "second degré" souvent savoureux.
Un voyage extrêmement instructif dans une province du nord de la Chine : dorénavant on ne mange plus de vulgaires "pommes de terre" mais des "Immortelles exilées sur terre" - ça a quand même un autre goût !
Saluons au passage les "notes de la traductrice" qui savent toujours se montrer très pertinentes sans alourdir la lecture.
[...] Lorsque j'ai débuté dans le métier, une voiture pour se déplacer, on en aurait rêvé ! 
Parfois, on n'avait même pas de bicyclette, on n'avait que nos jambes. On dit que pour être enquêteur de police judiciaire, il faut avoir "les jambes d'un immortel", "l'estomac élastique" et "une horloge dans le cerveau".

Philippe Cottet parle d'un autre polar de He Jiahong ici.

vendredi 13 avril 2007

Loubianka (Travis Holland)

Loubianka : de sinistre mémoire, c'est le nom de l'immeuble à Moscou où siègeait en 1939 le NKVD (la police politique soviétique, le bras armé du Parti : avant on parlait de la Tchéka, après on parlera du KGB).
Pavel y est chargé d'un petit boulot très sympa : archiver et brûler les manuscrits des écrivains qui se sont écartés de la doctrine officielle (c'est à dire de presque tous les écrivains).
Comble de l'ironie soviétique, Pavel est un ancien professeur de ... littérature.
Mais on aurait tort de chercher dans le bouquin de l'américain Travis Holland un réquisitoire de plus contre les travers du stalinisme : il n'est pas question ici de violences, goulags, tortures, agitations et autres exactions, à peine évoquées.
Le roman se situe plutôt du côté de Kafka et le contexte historique ou politique n'est qu'un décor : tout cela pourrait, hélas, très bien se dérouler en un autre lieu et à une autre époque.
On ne peut évidemment s'empêcher de se remémorer les images du film récent La vie des autres et des couloirs vert-de-gris de la Stasi ...
D'une écriture très sage, très sûre, Travis Holland nous donne une description toute en retenue, douce et feutrée, minutieuse, de la vie quotidienne et ordinaire de ses personnages : Pavel, son petit chef, sa mère, ses voisins, ses amis, ...
Et tout ce petit monde, son petit monde, va peu à peu se déliter.
Au rythme même où Pavel brûle la littérature.
C'est un roman sur la disparition, la fin. La fin de votre monde, la disparition des êtres qui vous sont chers.
Pavel attend son heure : qu'on vienne le chercher. Finalement, peu importe qui : la grande faucheuse ou ses collègues du NKVD, quelle différence ?
[...] Écoutez-moi Victor. Dans un avenir plus ou moins bref, ils se lanceront à vos trousses. Peut-être se contenteront-ils de vous téléphoner un jour pour vous demander de passer à leur bureau, comme ils l'ont fait pour Maxime Andrévitch. Et comme vous n'avez rien fait de mal vous irez. Ce que vous ne comprenez pas, Victor, c'est qu'à l'instant même où vous serez devant eux, votre innocence n'aura plus aucune importance. Des mots comme innocent ou coupable ne sont bons que pour les gens vivant hors des prisons.

"Evene.fr" en parle ici.

Kitchen (Banana Yoshimoto)

Voilà bien un étrange objet que ce Kitchen de la japonaise Banana Yoshimoto.
Deux nouvelles en fait : une première, Kitchen, en deux parties et une autre petite nouvelle.
Toutes ces histoires brassent les mêmes fantasmes : amours de jeunes qui viennent de basculer dans l'âge adulte, fascination pour les travestis, traumatismes de la mort soudaine des êtres proches, ... et cuisine, comme dans tout roman asiatique qui se respecte, et celui-ci, avec un titre pareil, ne pouvait manquer à la tradition !
[...] Je crois que j'aime les cuisines plus que tout autre endroit au monde. [...] Quand je suis épuisée, je songe avec enchantement qu'au moment où la mort viendra, j'aimerais pousser mon dernier soupir dans une cuisine. Seule dans le froid, ou au chaud auprès de quelqu'un, je voudrais affronter cet instant sans trembler. Dans une cuisine ce serait idéal.
L'auteure avait 23 ans en 1988 lorsque son bouquin est paru au Japon pour devenir rapidement un best-seller.
Cette jeunesse (celle de l'auteure, celle des personnages) transparaît dans l'écriture, fraîche, parfois presque "fleur bleue" malgré le sérieux des thèmes abordés.
[...] À présent que tout est fini, je peux le crier très fort. Dieux, je vous maudis ! J'aimais Hitoshi à en mourir.
C'est également un voyage instructif : très jeune, très Tokyo, très Japon, avis aux amateurs !

D'autres blogs en parlent ici et sur Agora.

vendredi 6 avril 2007

BD : Tetsuya Tsutsui

Mangas, le côté obscur de la BD.

Restons éclectiques, ouvrons nos esprits aux cultures asiatiques, et poursuivons notre aventure du côté obscur de la BD ... du côté des mangas car la forêt des multiples combats du futur, Dragon Ball et autres japoniaizeries pour ados, cache de bien belles histoires pour les grands.
Et en plus, ça fait d'jeun et branché.
Voici donc quelques morceaux choisis de Tetsuya Tsutsui où scénarios et dessins valent largement, selon nous, certaines BD occidentales ...
Cliquez sur les liens en gras pour visualiser une planche.
La plupart des mangas se lisent de droite à gauche (mais toujours de haut en bas !).

  • Manhole  (merci Pascale !), pas vraiment drôle et plutôt "gore" : pour cause de bioterrorisme, vous ne tarderez pas à investir dans une moustiquaire, même pour dormir en plein hiver - mais le scénario de cet écolo-médico-psycho-thriller tient debout et vaut bien cet éprouvant voyage (3 volumes parus fin 2006)
  • du même auteur toujours très SF, Reset : une fable (en un seul volume, c'est rare) sur la virtualité de la vie moderne et la réalité réciproque du jeu vidéo (on retrouve d'ailleurs le hacker de Reset dans le volume 3 de Manhole) où l'on regrette toutefois un scénario un peu trop convenu.

Mais pour une première incursion au royaume des mangas, suivez le guide :  l'entrée se fait plutôt par les portes impériales de Monster et du Sommet des Dieux.

Un cri si lointain (Ake Edwardson)

Encore un polar polaire , et un bon qui plus est.
Enfin, ça n'a pas grand chose de polaire puisque Un cri si lointain démarre en plein été dans un Göteborg écrasé de chaleur où la canicule excite les violences.
[...] Une fois dehors, il inspira l'air du soir. Une odeur de sel, et de sable qui aurait cuit au four pendant des mois. Ce n'est pas une odeur nordique, pensa-t-il. Du moins pas à cette époque de l'année. 
Que vont dire les touristes ? Ce n'est pas ça qu'ils viennent chercher ici. Et moi, j'en ai assez de cette chaleur, parce que je suis suédois. Je veux être un suédois fort tourné vers l'avenir. J'en ai marre de cette violence. Cette ville n'a pas une infrastructure adaptée à la violence, contrairement à d'autres, où l'on n'est pas spécialement surpris quand les gens se montrent moins bons qu'on ne l'espérait ...
Cet été-là, Ake Edwardson promène son inspecteur Winter dans les rues de la deuxième ville de Suède : un inspecteur à vélo, amateur de jazz, aux costumes trop bien coupés mais aux cheveux pas assez bien coupés.
Dans ce polar il aura à résoudre deux affaires qui se répondent comme en écho, à 30 ans d'écart, où l'auteur nous piège par d'habiles jeux de miroirs.
Et l'enquête piétine, s'éternise, sur plusieurs mois même. Enervant suspense qui nous tient tout au long des 500 pages : il faudra attendre les 10 dernières pour voir l'intrigue enfin se dénouer.
Bien sûr, on ne peut s'empêcher de penser à Henning Mankell : la Suède dans son environnement géopolitique (ici Winter se rend au Danemark), la Suède et son contexte social, ...

Une autre critique (à l'humour très acide mais pas dénuée de tout fondement) ici même.

Sainte-Rita (Claire Wolniewicz)

Encore un tout petit bouquin d'une centaine de pages (décidément 2007 sera l'année des opuscules ) avec 6 petites nouvelles qui se dévorent d'une traite sous la bienveillance de Sainte Rita patronne des causes désespérées.
Chose plutôt rare dans les recueils de nouvelles, celles-ci sont toutes à peu près d'égal niveau, sans laissées pour compte.
Ce n'est pas de la grande littérature mais une petite chose sans prétention et sympa comme tout : Claire Wolniewicz a une plume plutôt féroce et bien aiguisée pour décrire les vies un peu vides, les vies de ceux qui ont oublié un peu trop vite que la leur est un peu trop courte ...
Mais bien sûr l'humour fait passer la pilule et le coté un peu sombre de ces "causes désespérées" sur lesquelles veillent la patronne Sainte Rita.
[...] Je rallume une cigarette.  Je suis vautrée sur mon lit devant la télé que je ne regarde même plus. Ça me fait un bruit de fond, de la présence. Les vieux font ça, les pauvres aussi. Les vieux, je comprends, mais les pauvres, je ne saisis pas.
Avec parfois des démonstrations imparables :
[...] Une saleté cette modernité. On fait croire aux gens des tas de choses, qu'il faut aller de l'avant, que dehors c'est mieux, que la science fait disparaître les maladies, que le chomage diminue, que les étrangers sont gentils, mais c'est des mensonges tout ça. 
Elle le vérifie tous les jours, et elle est bien informée. D'ailleurs, il est 20 heures. Ils vont le dire, les journalistes au journal télévisé, qu'il ne se passe que des monstruosités dans le monde, que c'est de pire en pire.

D'autres blogs en parlent ici ou .