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lundi 14 octobre 2024

Crépuscule à Casablanca (Melvina Mestre)


[...] Ils veulent faire main basse sur le Maroc.

Un polar old-style avec une détective façon Nestor Burma et un panorama très instructif de la géopolitique du Maroc dans les années 50.

L'auteure, le livre (228 pages, mars 2023) :

Melvina Mestre a vécu son enfance (elle est née en 66) à Casablanca au Maroc. 
Avec Crépuscule à Casablanca, elle ouvre une série policière avec une détective privée comme héroïne : Gabrielle Kaplan
Un second tome est déjà paru en 2024 : Sang d'encre à Marrakech qui est venu confirmer le bon filon.

♥ On aime :

 Ah quel plaisir confortable de se glisser dans cet agréable bouquin de Melvina Mestre : nous voici à Casablanca dans les années 50. Le Maroc est encore sous protectorat français mais l'armée de l'Oncle Sam a débarqué en 42 et le pays est en pleine américanisation : les colons marocains ont déjà goûté au Coca-Cola avant même les français métropolitains et ils roulent en Cadillac.
[...] L'après- guerre avait le goût de la liberté, et cette liberté avait le goût du Coca-Cola dans un Casablanca qui rêvait de Beverly Hill.
[...] Au Maroc, et à Casablanca en particulier, ceux qui étaient du bon côté de la barrière – et dont elle avait conscience de faire partie – avaient les plages, la mer, le soleil, les palmiers, les Cadillac, le jazz, le swing et le boogie-woogie. Vue d’ici, la France était un pays triste et gris qui pansait ses plaies, cramponné à son empire colonial, et dont les habitants, héroïques sur le tard, peinaient à se réinventer une histoire nationale.
 Même si l'écriture est résolument actuelle, Melvina Mestre a soigné l'ambiance de son roman policier old-fashioned et bien posé son personnage de détective qui pourrait être la fille spirituelle de Nestor Burma.
 On apprécie le dosage équilibré de son roman avec une petite pincée de guide touristique, façon le guide du routard à Casa, comme cette photo de couverture avec "l’immeuble Liberté qui dominait la ville du haut de ses dix- sept étages. [...] Même en France, il n’existait pas de bâtiment aussi moderne et aussi haut", un bâtiment qui resta longtemps l'un des plus hauts d'Afrique.
 Et une bonne louche de contexte géopolitique quand, en Afrique du Nord, le temps est venu de faire le ménage après Vichy tandis que les américains piaffent en attendant de prendre la place des anciens colons : Casablanca rivalise avec Tanger pour le titre de "nid d'espions".
[...] Les indépendantistes gagnaient du terrain, c’était une certitude ; Oncle Sam renforçait sa présence au Maroc, c’en était une autre.
[...] Les Américains rongent leur frein. Ils veulent faire main basse sur le Maroc, et leurs agents noyautent le pays.
[...] Roosevelt avait tenu, pendant la conférence d’Anfa, à rencontrer personnellement le sultan au cours d’un dîner. Le président américain y avait tenu des propos ouvertement anticolonialistes, au nez et à la barbe du résident Noguès et de Churchill. Le président de la première puissance mondiale avait garanti au sultan que la situation des colonies serait radicalement bouleversée après la guerre. Un coup de canif de plus à la « protection » française.
 L'intrigue policière reste simple et sert ici de prétexte pour plonger le lecteur dans une période méconnue de l'histoire. Melvina Mestre nous offre une description très documentée de l'Afrique du Nord et du Maroc de l'époque, révélant les enjeux complexes qui y régnaient. C'est une lecture aussi instructive qu'intrigante.

Les personnages :

Pour un tableau complet des différentes couleurs de la ville, Melvina Mestre prend soin de placer ses acteurs au sein des différentes forces sociales ou politiques en présence, et plusieurs personnages sont issus de la vraie vie (en gras ci-après).
Il y a donc à Casa, Gabrielle Kaplan la détective privée, féminine, émancipée et futée, pour qui "jouer à reconnaître les parfums des gens était son dada. Un héritage du passé. Après tout, « avoir du flair » faisait bien partie du métier d’enquêtrice".
Miss Kaplan vient d'une famille juive qui a fui Salonique : le temps d'une soirée, une autre période de l'Histoire pointe alors le bout de son nez avec ces "juifs de Salonique".
[...] – Je vous ai toujours soupçonnée d’être un peu libertaire, Kaplan, avec vos idées de zazoue. Je vous ai à la bonne.
Il y a là Vincente, son assistante qui "adorait appeler sa patronne « boss ». Cela faisait américain, donc moderne. L’américanisation de la ville s’affichait dans les moindres détails."
Brahim, son acolyte marocain souvent utile en cas de coup dur, "membre de l'une des cellules casablancaises de l'Istiqlal, il militait pour l'indépendance du pays et le départ de la France".
Le commissaire Renaud, le flic sympa qui se distingue "nettement de ses homologues car il n’était ni raciste ni corrompu. Une exception".
Du côté plus obscur, il y a là les grands magnats de droite comme Lemaigre Dubreuil, patron historique du groupe Lesieur.
[...] C’est une huile, en effet, l’archétype du grand patron de droite, marié avec la fille Lesieur, figure de proue du libéralisme. À la tête d’une ligue de contribuables et mécène de quelques canards d’extrême droite avant guerre. Différentes sources le situaient proche de la Cagoule.
Ou encore Pierre Mas, patron de presse influent, le résident Charles Noguès, ancien vichyste et le général Alphonse Juin, arrogant chef des armées en Afrique du Nord. Le sultan marocain Sidi Mohammed, courtisé par les américains et futur roi du pays lorsque viendra l'inévitable indépendance.

Le canevas :

La détective Gabrielle Kaplan se voit chargée par l'un des patrons influents de la colonie, de récupérer une sacoche contenant des dossiers importants. 
Mais elle flaire le piège et a bientôt l'impression d'être manipulée, lorsque le contenu mystérieux de la mallette semble attirer toutes les convoitises, depuis la toute nouvelle agence de la CIA jusqu'aux officines obscures de notre République, SDECE, Main Rouge ou ex-activistes de la Cagoule.
[...] – Dites donc, Kaplan, alors, elle contient quoi, au final, cette sacoche ?

Pour celles et ceux qui aiment les espionnes.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Points (SP).
Ma chronique dans la revue ActuaLitté.

vendredi 4 avril 2025

Bons baisers de Tanger (Melvina Mestre)


[...] Mission Danger à Tanger !

Troisième aventure de la détective privée marocaine Gabrielle Kaplan.
Une intrigue au parfum entêtant de voyous et d'agents secrets : Tanger nid d'espions !
Révisez vos classiques !

L'auteure, le livre (240 pages, avril 2025) :

Melvina Mestre a vécu son enfance à Casablanca (elle est née en 66).
Elle est l'auteure d'une série policière qui se déroule dans le Maroc des années 50 et qui a pour héroïne, une détective privée : Gabrielle Kaplan.
Après Casablanca, après Marrakech, Gabrielle Kaplan nous envoie de Bons baisers de Tanger pour sa troisième enquête.

Le contexte :

Tout comme dans les chapitres précédents, l'enquête policière sert de toile de fond pour nous immerger dans le Maroc des années 50, en pleine mutation sous l'influence américaine, alors que la métropole française peine encore à se remettre des pénuries et privations d'après-guerre.
Après Casablanca et Marrakech (les deux épisodes précédents), Melvina Mestre et son héroïne Gabrielle nous embarquent à Tanger"cette ville-monde, ville de tous les trafics"
Bien que le Maroc fût en grande partie sous protectorat français à cette époque, le nord du pays restait sous domination espagnole (Ceuta et Mellila sont aujourd'hui encore les témoins de cette division), mais l'enclave de Tanger jouissait d'un statut singulier : c'était une "zone internationale et ville franche" depuis l'accord international de 1924. 
"En deux mots, un paradis fiscal", et donc la base de tous les trafics avec l'Europe.
Une Europe où la guerre froide n'est pas encore devenue la coexistence pacifique et où le statut de la zone internationale de Tanger en a fait un véritable nid d'espions.
À cette époque "le Maroc est considéré par le SDECE comme une base de repli en cas d’invasion et d’occupation de la métropole par les Russes" et "même la Suisse, traditionnel coffre-fort de l’Europe, à quelques kilomètres seulement de la zone autrichienne occupée, semblait désormais trop vulnérable et trop proche du rideau de fer".
[...] La guerre froide prend un méchant tournant depuis la fin du blocus de Berlin et le déclenchement de la guerre de Corée. Au Maroc, tous les services de renseignement sont sur les dents, à Tanger en particulier, où on ne peut plus faire un pas sans tomber sur des agents des services spéciaux. C’est la foire à l’espionnite. Les Américains jouent contre nous, ici, vous le savez ? On les surveille de près, au moins autant que les Russes en Europe de l’Est.

Les personnages :

Bien sûr, c'est la loi des séries, on a tout le plaisir de retrouver cette enquêtrice attachante qu'on apprécie au fil des épisodes. : "d’allure sportive, cheveux châtains mi-longs, yeux verts pétillants , ni grande ni petite, ni femme fatale ni femme banale, un faux air de Joan Fontaine en plus athlétique et plus impertinente". Avec un petit truc en plus, tout de même, puisqu'elle "elle était dotée d’une faculté, l’hyperosmie, qui lui permettait de sentir les odeurs et les parfums les plus infimes".
Kaplan et sa famille sont des juifs de Salonique qui ont pu fuir la Grèce avant l'invasion allemande de 1941 et se réfugier au Maroc.
Mais pour cette mission un peu spéciale, elle devra se passer de l'aide de son assistante débrouillarde Vincente et de son aviateur amoureux Jeff, "pilote instructeur au terrain d’aviation de Camp Caze".
Fort heureusement elle pourra tout de même compter sur Brahim, "son adjoint, ancien officier de l’AFN, qui militait désormais pour l’indépendance de son pays", pour affronter à Tanger toutes sortes de trafiquants : "caïds de la pègre, grands bourgeois, aventurières en chasse, anciens collabos, hommes d’affaires véreux, contrebandiers … et sans doute des agents du renseignement ou du contre-espionnage".

Le canevas :

La détective Gabrielle Kaplan devra, cette fois, quitter sa zone de confort, comme on dit : les services français l'ont approchée et l'envoient en mission d'espionnage à Tanger pour surveiller les trafics d'un mafieux corse.
Les renseignements qui lui sont fournis sont plutôt maigres, sa 'couverture' est assez light et ses contacts peu disponibles : "quel micmac ! fut la première phrase qui lui vint à l’esprit".
Elle ne pourra contacter ses mandataires que par télégramme : "si tout va bien, vous finirez par « Bons baisers de Tanger »".
[...] – Décidément, on se croit presque dans Mission à Tanger !
Tu ne crois pas si bien dire.
– Presque ! s’esclaffa Kaplan. Nous, c’est plutôt Mission Danger à Tanger !

♥ On aime :

 Même si l'écriture de ses romans est résolument actuelle, Melvina Mestre a soigné l'ambiance de son roman policier old-fashioned et bien posé son personnage de détective qui pourrait être la fille spirituelle de Nestor Burma. La mission d'espionnage qui lui est confiée est l'occasion de pimenter la série.
Et puis reconnaissons qu'on aime bien le parfum désuet et rétro de ces histoires de 'privé(e)' écrites avec une plume suffisamment moderne et fluide pour notre lecture d'aujourd'hui. 
 Comme les deux précédents, c'est un roman policier fait pour dépayser, divertir mais aussi pour instruire. Melvina Mestre ne cherche pas à nous faire peur, ni à nous prendre la tête : l'intrigue policière reste simple et sert de prétexte pour plonger le lecteur dans une période méconnue de l'histoire avec une description minutieuse de Tanger, de ses trafics et surtout des enjeux complexes qui y régnaient.
Ce n'est pas un polar qui révolutionne le genre mais c'est une lecture aussi instructive que passionnante.
 L'épilogue nous explique que tout le récit a été construit à partir d'histoires vraies, de faits avérés, d'arnaques véridiques : je ne vous en dis pas plus pour ne pas divulgâcher mais ça me démange !
Alors, joli compromis, je vous cite un article du Monde de ... 1956 ! publié juste avant l'ouverture d'un procès qui allait se tenir à Marseille, un article qui pourrait presque servir de 4ème de couverture à ce bouquin, 70 ans après :
[...] Ils y ont mis de l'ardeur et de la conscience professionnelle. Leurs actions ont été menées dans ce style particulier des plus beaux films de gangsters. On y trouve çà et là quelques cadavres. On y aperçoit des silhouettes coiffées de cagoules et armées de mitraillettes. On imagine des propos précis dans une langue verte qui ne souffre pas la discussion. Mais ces hommes ne sont pas des aventuriers pour le goût de la liberté. Ce sont des employés d'une société parfaitement organisée, avec sa hiérarchie, ses lois et ses exigences.

Pour celles et ceux qui aiment les espionnes.
D’autres avis sur Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Points (SP).
Ma chronique dans les revues ActuaLitté et Benzine.

mercredi 27 novembre 2024

Sang d'encre à Marrakech (Melvina Mestre)


[...] Pourquoi tatouer un cadavre ?

Seconde enquête de la détective Gabrielle Kaplan, un Nestor Burma au féminin dans le Maroc des années 50. Dépaysant et instructif.

L'auteure, le livre (228 pages, mars 2024) :

On a découvert les enquêtes de Gabrielle Kaplan avec Crépuscule à Casablanca, enchanté par le parfum old school de ces aventures d'une détective privée des années 50 au Maroc : une sorte de Nestor Burma au féminin.
L'auteure Melvina Mestre est née en 66 à Casa et visiblement cette ville et cette époque lui tiennent à cœur : on y va de découverte en surprise sur ce pays, cette région et cette période méconnus.
C'est donc avec grand plaisir que l'on retrouve la détective Gabrielle Kaplan pour un second épisode : Sang d'encre à Marrakech.

♥ On aime beaucoup :

 C'est un roman policier fait pour dépayser, divertir mais aussi pour instruire. Melvina Mestre ne cherche pas à nous faire peur, ni à nous prendre la tête : ses intrigues policières servent plutôt de prétexte à une description minutieuse de la ville, de ses habitants et surtout du contexte politique et social des années 50 en Afrique du Nord.
 Le protectorat français vacille sous la pression des indépendantistes marocains de l'Istiqlal mais aussi celle des américains qui ont débarqué là-bas en 1942 en apportant leur coca-cola et leurs belles voitures mais également leur vision de la géopolitique mondiale où la colonisation française n'a plus sa place.
 Cette série apporte un éclairage fort intéressant sur cette époque et cette région. 
Laissons parler Melvina Mestre dans sa postface :
[...] Je veille à ce que mes romans d’atmosphère s’inspirent de la grande Histoire, et qu’en me lisant mes lecteurs soient immergés dans le contexte historique, urbanistique et socio-culturel des années 1950. Je m’efforce de représenter le plus possible toutes les sensibilités de ce Maroc sous protectorat pré-indépendance, dans un contexte politique complexe.
➔ Et puis bien sûr on finit par se prendre d'amitié pour Miss Kaplan et son équipe : “ il s’était attaché à cette jeune femme singulière, ouverte et tolérante. Un mélange de perspicacité, d’impertinence et de drôlerie. ”

Les personnages :

La détective Gabrielle Kaplan est une femme débrouillarde qui a du flair : son "nez" est même capable de déchiffrer les parfums portés par les uns ou les autres.
Elle est entourée de Vincente, son assistante dévouée, de Brahim, son fidèle acolyte marocain toujours prêt à donner un coup de main, et d'Yvonne, une chroniqueuse mondaine très informée des dessous de la haute société casablancaise.

Le canevas :

Cette fois, le commissaire Renaud (le seul flic sympa du commissariat, ni corrompu ni raciste !) fait appel à Miss Kaplan pour élucider une série de meurtres : des cadavres de prostituées sont retrouvés au pied des monuments les plus emblématiques de la ville.
[...] C’était un corps de femme, entièrement nu. Il a été très probablement déposé là après le meurtre car elle a été poignardée et il n’y avait pas de sang autour. Sans doute très tôt ce matin ou au milieu de la nuit, puisqu’il y a toujours du monde et du passage par là- bas. Une chose est sûre, le lieu n’a pas été choisi au hasard. Un monument aux morts en plein milieu du centre administratif de la ville, cela signifie quelque chose, vous ne croyez pas ?
Voilà qui fait désordre et qui menace de mettre le feu aux poudres qui couvent : le protectorat français a bien du mal à garder la situation en mains.
[...] L’orage couvait. L’édifice de la France coloniale avait sérieusement commencé à se lézarder et, dans ce contexte, une guerre civile menaçait d’éclater à tout moment. Il fallait montrer que la police contrôlait et maîtrisait la situation.
L'enquête  sera pour nous l'occasion de découvrir la ville close, Bousbir, le quartier réservé à la prostitution par les colons français avec son “administration concentrationnaire et médicale”, que l'on disait “ la plus grande « maison close à ciel ouvert » du monde ”.
Mais le titre nous suggère que bientôt les cadavres en série vont nous emmener jusqu'à la Perle du Sud, la ville ocre, Marrakech, qui à cette époque ne connaissait pas encore le tourisme de masse mais qui s'y préparait déjà activement !
Quant à l'encre de ce même titre ce pourrait-être celle des journaux que l'administration peine à museler pour éviter que l'affaire ne vienne envenimer une situation déjà tendue, ou bien peut-être celle que les indigènes utilisent pour leurs tatouages ...

Pour celles et ceux qui aiment les fifties.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Points (SP).
Ma chronique dans les revues ActuaLitté et Benzine.

samedi 18 janvier 2025

On a tiré sur Aragon (François Weerts)


[...] Vrai attentat ou simulacre ?

Le belge François Weerts nous plonge dans une Bruxelles des années 60 douloureusement marquée par l'ombre de la guerre. En hommage aux "privés" de la Série Noire, il tisse une intrigue mêlant agréablement histoire et littérature.

L'auteur, le livre (448 pages, janvier 2025) :

📖 Rentrée littéraire hiver 2025.
On découvre avec délice cet auteur belge, François Weeters, qui nous invite dans une Belgique un peu déphasée, celle des années 60, avec ce bouquin qui n'aurait pas déparé la fameuse Série Noire.
Bruxelles avait, à cette époque, encore un air de province vue depuis Paris et l'ambiance était toujours plombée par les mauvais souvenirs des années 40.
Avec une intrigue policière prétexte à un rappel à la fois historique et littéraire où se mélangent agréablement faits historiques et inventions romanesques, On a tiré sur Aragon procure un dépaysement certain.

♥ On aime :

➔ On craque pour ce parfum désuet qui colle parfaitement et à l'époque et au style de la Série Noire, celle des Chandler et Hammett. Un mélange d'un peu de sexe, de beaucoup d'alcools et d'un langage plus proche de l'univers de Michel Audiard que de celui de Frédéric Dard.
 On aime le décor historique qui sert de toile de fond à l'intrigue : dans cette Belgique divisée, les blessures de la guerre sont encore loin d'être cicatrisées. 
Les séquelles restent vivaces pour ceux qui ont vécu trahison, collaboration, résistance, épuration, ...
Et quand on est ou a été communiste, à tout cela vient s'ajouter le traumatisme du pacte germano-soviétique.
➔ On aime les portraits sarcastiques que dessine cet auteur belge, plus habile au vitriol qu'au pastel, même si quelques dialogues sonnent parfois un peu faux, trop écrits sans doute, trop explicatifs.

Les personnages :

Viktor Rousseau est un détective privé qui ne dédaigne pas exécuter quelques diverses besognes et enquêtes variées pour ses anciens camarades du Parti Communiste Belge.
Il profite du réseau et de l'entregent de son amie Marie-Claire qui reçoit le gratin bruxellois et diverses célébrités et chanteurs dans son club de cette tour Martini, l'équivalent belge de notre "Chez Castel" parisien.
Viktor va même croiser la nièce de Franquin, la Belgique n'est-elle pas l'une des patries de la BD ?!
Et on aime bien que la fin du roman laisse suffisamment de questions ouvertes pour qu'on puisse espérer une suite où retrouver Viktor, le "privé" belge des sixties.

Le canevas :

1965 Waterloo, un tireur inconnu manque de peu le poète Louis Aragon venu se remémorer ses souvenirs de guerre.
[...] – Vous croyez donc que quelque nazillon cinglé m’a réellement visé, qu’il s’en est fallu de peu ?
– Oui et non. Il est possible que le tireur vous ait manqué délibérément.
– Je ne saisis pas. Un vrai faux attentat ? Vous ne pensez pas que j’ai organisé une opération publicitaire ?
– Jamais de la vie. La solution est ailleurs. Mais où ?
Dans le même temps, un mystérieux poète se vante d'avoir retrouvé le dernier manuscrit de Paul Nizan, mort sur le front en 1940.
[...] Un poète prétend avoir retrouvé les carnets de Paul Nizan, le manuscrit perdu à sa mort. Il affirme également qu’il a été assassiné en réalité par le NKVD. Pour le punir de son refus du pacte germano-soviétique.
L'enquête piétine en rond : les amateurs de thrillers politiques survoltés seront sans doute déçus car François Weerts s'intéresse beaucoup plus à peindre les portraits des acteurs qu'il imagine dans cette époque troublée. Ambiance et personnages font tout le charme de ce bouquin.
[...] Deux histoires qui se chevauchaient mais qui s’emboîtaient mal, comme si les pièces venaient de deux puzzles différents.
[...] Vrai attentat ou simulacre ? Les fachos, les Américains, un rival ou un mari jaloux ? Je patauge.
Les deux écrivains communistes se haïssaient violemment : Nizan fut de ceux qui quittèrent le PC après la signature du pacte germano-soviétique. Aragon fut de ceux qui condamnèrent ce traître à l'idéal socialiste incarné par le camarade Staline.
Une époque où il était très difficile de bien choisir son camp.
Entre un espion venu de RDA, des barbouzes français du SDECE et divers policiers ou malfrats belges, le détective Viktor aura fort à faire pour démêler l'inexplicable vrai-faux attentat contre Aragon : anticommunisme primaire, anciens collabos nostalgiques ou vengeance d'après-guerre ?
Et le dénouement en demi-teinte sera celui du constat un peu amer et désabusé que l'auteur porte sur sa ville et cette époque trouble.

La curiosité du jour :

L'ambiance de cette Belgique des sixties nous a fait penser au Maroc de Melvina Mestre découvert il y a quelques semaines : et la tour Martini de Bruxelles (aujourd'hui remplacée) nous a inévitablement rappelé l'immeuble Liberté de Casablanca.  

Pour celles et ceux qui aiment les sixties.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions du Rouergue (SP)
Ma chronique dans les revues ActuaLitté et Benzine.