jeudi 4 décembre 2014

Les désorientés (Amin Maalouf)

Soixante-huitard sur le tard.

Voilà bien longtemps qu'on n'avait ouvert un livre d'Amin Maalouf.
Les désorientés : un titre qui semble marcher dans les traces des bienveillantes et autres adjectifs substantivés, mais qui cache en réalité un jeu de mots qui invite au voyage vers l'est, au cœur de la civilisation levantine.
D'autant plus que, même si aucune ambiguïté n'est laissée, le Liban n'est jamais cité expressément.

[…] Ce pays bien-aimé dont je redoute d’écrire le nom.

Élégante astuce, s’agit-il de rappeler une célèbre Disparition ?

[…] Ce n’est pas à toi que j’apprendrai que notre Levant est perdu, irrémédiablement.

Le roman est partiellement autobiographique qui raconte la vie d’Adam et d’une bande de copains.
Adam était depuis fort longtemps expatrié.

[...] Je suis né sur une planète, pas dans un pays. [...] La seule chose importante, pour moi comme pour tous les humains, c'est d'être venu au monde. Au monde ! Naître, c'est venir au monde, pas dans tel ou tel pays, pas dans telle ou telle maison.

Il était fâché depuis de longues années avec son pays.

[…] Choisir l’exil plutôt que de vivre au pays les mains sales.

Fâché également avec son meilleur ami Mourad qui lui, avait choisi les compromissions des vendettas et des notables de guerre, et qui vient de décéder au Liban, pardon au Levant.

[...] Nous avons été séparés par la mort avant d'avoir pu nous réconcilier. C'est un peu ma faute, un peu la sienne, et c'est aussi la faute de la mort. Nous avions tout juste commencé à renouer nos liens lorsqu'elle l'a brusquement fait taire.
Mais, en un sens, la réconciliation a eu lieu. Il a souhaité me revoir, j'ai pris le premier avion, la mort est arrivée avant moi.
À la réflexion, c'est peut-être mieux ainsi. La mort a sa propre sagesse, il faut parfois s'en remettre à elle plus qu'à soi-même.
Qu'aurait pu me dire l'ancien ami ? Des mensonges, des vérités travesties. Et moi, pour ne pas me montrer impitoyable envers un moribond, j'aurais fait mine de le croire et de lui pardonner.
Quelle valeur auraient eue, dans ces conditions, nos retrouvailles tardives et nos absolutions réciproques ? À vrai dire, aucune.

Pour Adam, le temps est désormais venu de la mémoire, des réconciliations, des retrouvailles avec les ami(e)s et avec le passé. Il retrace les trajectoires des uns et des autres et c’est toute l’histoire récente du Liban qui défile ainsi, de guerre civile en guerre civile.

[…] - Oui, Mourad, la vie aurait été belle si aucune guerre n’avait eu lieu, si nous avions encore vingt ans plutôt que cinquante, si aucun d’entre nous n’était mort, si aucun d’entre nous n’avait trahi, si aucun d’entre nous ne s’était exilé, si notre pays était encore la perle de l’Orient …

Il faut reconnaître que de temps à autre certaines digressions introspectives d’Adam (un roman très américain) lassent un peu : on s’intéresse moins aux atermoiements du Adam d’aujourd’hui qu’à ce qu’il nous raconte de lui et ses ami(e)s au fil des années passées, mais la prose d’Amin Maalouf est fluide et se lit très facilement, de la belle langue, où plusieurs voix se mêlent : les lettres des uns et des autres, d’aujourd’hui et d’hier, un journal de bord et le récit même de l’auteur, …
Et puis si cet Adam à la noblesse rigide et intransigeante, pétri de convictions inébranlables, si cet anti-héros ne nous attire guère, c’est peut-être justement pour qu’on s’intéresse aux autres, à ses ami(e)s, à tous ces autres personnages qui gravitaient autour de lui dans les années 70-80 et qu’il retrouve aujourd’hui, vingt ans plus tard.

[…] L’histoire des nôtres, de nos familles et de notre bande d’amis, celle de nos illusions et de nos égarements, n’est pas inintéressante à raconter, parce qu’elle est un peu aussi l’histoire de notre époque, de ses illusions justement, comme de ses égarements.

MAM a bien aimé cette prose fluide et ample, BMR un peu moins.
Un roman pas inintéressant comme le dit l’auteur mais où l’on apprend finalement peu de choses sur les événements du Liban, pardon du Levant. Si c’est par souci d’universalité, c’est dommage et présomptueux.
Un récit parfois un peu plombé par la bienveillance œcuménique du message trop insistant d’Amin Maalouf : faisons preuve de tolérance, d’empathie et de compréhension, tout le monde il est pas vilain et même plutôt gentil, les juifs persécutés, les catholiques illuminés, les musulmans barbus, et même les gays, … on ira même jusqu’à un couplet sur l’amour libre, soixante-huitard sur le tard.
Si l’on avait voulu se montrer inutilement méchant (mais bien sûr ce n’est pas le cas), on aurait dit qu’une fois savouré ce gros loukoum, on a les doigts tout poisseux de sirop de miel.


Pour celles et ceux qui aiment les retrouvailles.
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