mercredi 4 février 2015

Les yeux fermés (Gianrico Carofiglio)


Après Témoin involontaire, nous revoici de nouveau dans les Pouilles avec l'italien Gianrico Carofiglio et son héros Guido Guerrierri avocat à Bari.
Un peu comme Donna Leon plus au nord, Gianrico Carofiglio explore au fil de ses polars, différentes facettes de la société italienne.
Témoin involontaire mettait en scène les immigrés africains, et cet épisode, Les yeux fermés, évoque les violences faites aux femmes et aux enfants. Guido n'est plus avocat de la défense mais cette fois se retrouve du côté de la partie civile ... un avatar de Don Quichotte qui mettrait sa carrière en jeu pour tenter de contrer l'impunité dont peuvent se prévaloir les puissants.

[...] Pas de problèmes, dis-je. J'étais avocat et un client en valait bien un autre. Ce disant, je pensais que j'étais en train de faire une sacrée connerie.

Les polars de Carofiglio ont la saveur de l'Italie du sud, une certaine nonchalance, une certaine douceur de vivre, jusque dans la mélancolie, et tout cela en dépit des horreurs parfois évoquées.
Et puis Guido est avocat : on découvre donc l'intrigue policière au fil des séances du procès, entrecoupées de longues digressions.
Même si l'auteur nous épargne les péripéties habituelles et les procédures trop documentées de ce que l'on appelle les thrillers judiciaires, chaque débat, chaque plaidoirie apporte son lot de découvertes, d'indices et de nouveaux mystères : l'avocat Guido a toujours quelques coups d'avance sur le lecteur qui se retrouve spectateur dans la salle, à sentir son cœur battre plus fort lorsque les 'affreux' prennent la parole et à battre des mains lorsque Guido réussit à jouer une carte maîtresse.
Un rythme particulier, un peu lent, qui change agréablement des polars trépidants. Et qui laisse à l'auteur le temps de fouiller ses personnages dont le fameux Guido, amateur de musique et de boxe, toujours aussi attachant.
Humour et humanité sont au rendez-vous, comme avec cet autre personnage : Sœur Claudia.
(attention, la citation qui suit en dévoile un peu trop sur sœur Claudia, même si le bouquin laisse rapidement deviner tout cela et que cela ne nuit aucunement au déroulé de l'intrigue)

[...] Claudia. Un nom qui ne figure pas sur ses papiers d'identité, ce qui n'a guère d'importance, sinon aucune. Son vrai nom, c'est Claudia. Le nom qui écrit sur ses papiers, c'est celui que lui ont donné ses parents naturels. Quelque soit la signification du mot naturel pour un père qui inflige un tel supplice à sa fille. Pour une mère qui laisse faire, qui fait semblant de ne rien voir, de ne rien entendre.
[...] Personne n'a jamais douté que j'étais vraiment une sœur. Ça peut sembler bizarre, mais c'est comme ça. C'est marrant. Tu racontes que t'es une bonne sœur et ça ne vient à l'idée de personne de vérifier si c'est vrai. Personne ne te demande quoi que ce soit ... un papier. Pourquoi quelqu'un se ferait-il passer pour une bonne sœur ? Les gens prennent ça tel quel. On te demande tout au plus pourquoi tu ne portes pas l'habit. Tu expliques que dans ton ordre, c'est pas obligatoire, et ça ne va pas plus loin. Rapidement, on devient bonne sœur, pour tout le monde.

Des personnages mais aussi des histoires, car Carofiglio est aussi un excellent conteur : il sait raconter des histoires.

[...] Des légendes [...] il en existe sur tous les arts martiaux. La plus belle est celle des origines de Ju-Jutsu. Celle du médecin japonais et du saule pleureur. Tu la connais ?
- Non, je t'écoute.
- Il était une fois un médecin, dans le Japon ancien, qui avait passé de nombreuses années à étudier les méthodes de combat. Il voulait découvrir le secret de la victoire mais il était insatisfait, parce que, en fin de compte, dans tous les systèmes, ce qui prévalait était la force, ou la qualité des armes, ou des expédients ignobles. Ce qui voulait dire qu'on pouvait toujours s'entraîner et étudier les arts martiaux, qu'on pouvait toujours être fort et préparé, on rencontrerait quelqu'un de plus fort, de mieux armé, de plus rusé, qui remporterait la victoire. [...]
- Bref, ce médecin était découragé, parce qu'il ne progressait pas dans sa recherche. Un jour d'hiver, il était assis auprès d'une fenêtre tandis que dehors, il neigeait depuis des heures. Il regardait dehors en suivant ses pensées. Le paysage était tout blanc; il y avait beaucoup, beaucoup de neige. Soudain, le médecin vit une branche de cerisier céder sous le poids de la neige et se briser. Puis ce fut au tour d'un grand chêne. On n'avait jamais vu pareille tempête de neige. [...] Dans le jardin, par-delà la fenêtre, il y avait un étang et , tout autour, des saules pleureurs. La neige tombait sur les branches des saules, mais dès qu'elle commençait à s'amasser, ces branches ployaient et la neige tombait par terre. Les branches des saules ne se brisaient pas. Voyant ce spectacle, le médecin éprouva soudainement un sentiment d'exaltation et se rendit compte qu'il était arrivé au terme de sa recherche. Le secret du combat était la non-résistance. Ce qui cède passe l'épreuve; ce qui est dur, raide, un jour ou l'autre succombe, se brise. Un jour ou l'autre, on trouvera quelqu'un de plus fort que soi. Ju-Jutsu, ça veut dire : art de la malléabilité.

Un excellent épisode qui devrait vous inciter à découvrir cet auteur et sa région des Pouilles (cet épisode laisse une large place à Bari).
Et qui va nous inciter à poursuivre notre lecture de la série.

Pour celles et ceux qui aiment l'Italie du sud.
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