vendredi 20 février 2015

Un membre permanent de la famille (Russell Banks)


L’écrivain et le stéthoscope.

Un recueil de nouvelles de Russel Banks, c’est un peu la garantie du plaisir de la lecture.
À l’écriture toujours aussi magistrale de Banks s’ajoute le format de courtes nouvelles qui oblige à aller vite et bien à l’essentiel, là où ça fait mal, juste au cœur.
Au cœur de ces hommes et femmes dont la vie est sur le point de basculer tout doucement, au cœur d’une famille qui est sur le point de partir à la dérive. Car il est beaucoup question de couples et de familles dans ces nouvelles comme dans celle qui donne son titre au recueil : Un membre permanent de la famille, un membre de la famille qu’on vous laisse découvrir (un indice : il est en photo sur la couverture).
Des tranches de vie ou non, même pas : de simples petits moments de vie, quelques heures suspendues entre deux (un hôpital, un hôtel, un aérogare, …), où tout semble sur le point de glisser, de basculer, au moment où l’on décide de continuer ou d’arrêter de se mentir à soi-même.
De son écriture sèche et un peu froide, comme un stéthoscope, Russel Banks ausculte les cœurs.
Comme celui de Howard, tout récemment transplanté, qui doit s’habituer au rythme cardiaque d’un autre, un autre dont la veuve a voulu le rencontrer.
[…] '”Oui, j’aimerais vous demander un service, dit-elle. Je peux ?
- Ouais, bien sûr. Pourquoi pas ?
- Je voudrais écouter votre cœur. Le cœur de Steve.
- Houlà ! Écouter mon cœur ? C’est … disons, est-ce que c’est pas un peu … bizarre ?
- Pour moi ce serait vraiment important. Plus que vous n’imaginez. […]
Ils restèrent ensemble un long moment, secoués par le vent qui venait du port, chacun serrant l’autre dans ses bras en écoutant le cœur d’Howard.
Dans les premières pages (une des meilleures nouvelles) on fera aussi la rencontre de Connie, un ancien marine, un vétéran dont les trois fils sont dans la police et qui se fait bêtement choper au retour d’un braquage de banque …
[…] “Allez, papa, sois raisonnable. On est deux là à pouvoir t’arrêter ! C’est ce que tu veux ? Être arrêté par tes propres fils ? Et que le troisième soit ton gardien de prison ?”
Connie regarde la fenêtre à l’autre bout de la pièce et, à travers la vitre, l’obscurité du dehors. Il se demande si on est déjà en pleine nuit ou de très bonne heure le matin. Il déclare : “Ça parait bizarre, quand vous dites les choses comme ça. Comme si j’avais voulu que ça arrive.”
En quelques pages, chaque moment nous plonge au cœur de l’humain, au cœur de ces êtres ordinaires des États-Unis d’Amérique.
Comme autant de rapides portraits, crayonnés en quelques traits. La pirouette qui tient lieu de chute habituellement à une nouvelle ressort plus ici du crayon levé. Comme en suspension.
Contrairement à la plupart des recueils de nouvelles, celui-ci est très harmonieux, empreint d’une unité de ton un peu mélancolique qui fait qu’on le referme en ayant l’impression d’avoir lu un roman, d’avoir traversé un village étrange peuplé de personnages voisins.
Un concentré de très grande littérature. Tout simplement.

Pour celles et ceux qui aiment les oiseaux des neiges.
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