lundi 14 mars 2016

Si tous les dieux nous abandonnent (Patrick Delperdange)

[...] J'en ai buté des plus cons, a dit Céline.

Peut-être connaissez-vous déjà l'écrivain belge Patrick Delperdange (ce n'était pas notre cas), un touche à tout aux multiples facettes : littérature jeunesse, scénarios de BD, théâtre, traduction d'auteurs américains, ...
D'ailleurs citons une interview du bonhomme lui-même :
« Assez de cette classification. Mon travail actuel, c'est faire éclater les barrières que l'on pose depuis que la littérature existe. Je n'arrive plus à considérer les genres les uns par rapport aux autres ».
Découvrons l'un de ses talents ici, au rayon polar, ou plutôt roman noir. Ce 'genre' de romans où les américains excellaient, où dès les premières lignes, on sent que tout est là pour que ça parte en vrille, où tout semble écrit dès les premières pages. Ces romans où l'on sait que ça va très mal finir, tout en ne sachant pas trop bien comment ça va très mal finir.
Nous voici donc perdus avec quelques personnages au fin fond d'une campagne désolée que l'on imagine vaguement au nord, à la frontière belge peut-être, mais qui pourrait tout aussi bien nous emporter au cœur des plaines enneigées du Montana.
Il y a là Céline, la jeune femme trop jolie dont le ventre meurtri cache quelque secret et qui fuit on ne sait encore trop qui ou on ne sait encore trop quoi (enfin bon, on devine un peu quand même).
Il y a là Léopold, le vieux qui crache du sang et qui montre beaucoup d'empressement à rendre service aux jeunes femmes en fuite.
Il y a là Josselin, le jeune con au sang chaud et Maurice, son connard de frère flanqué de deux chiens encore plus vicieux que leur maître.
Voilà quelques êtres perdus à tourner en rond au milieu de nulle part, abandonnés des dieux, et dont les destins vont forcément se télescoper avec quelques fracas.
[...] Ils avaient d'une manière ou d'une autre échoué à vivre ailleurs.
[...] La lumière était celle d'un monde où plus rien n'aurait jamais lieu.
[...] Bouddha lui-même m'a beaucoup déçue.
[...] Impossible de revenir en arrière. À cause de ce qu'il m'avait fait et à cause de ce que je lui avais fait.
[...] Qu'est-ce qu'elles ont à être comme ça, les filles ? Elles cherchent les emmerdes, ou quoi ?
Un éclairage blafard de fin du monde, juste après la fin de monde, une fois les dieux partis.
Quelques pages de papier pour une intrigue minimale, quelques arbres de carton pour un décor austère, quelques personnages aux passés troubles et aux pulsions animales, ... Delperdange est vraiment un pro de la mise en scène qui réussit à installer, sans effets ni esbroufe, une ambiance lourde et sombre dont on se souviendra longtemps.
[...] — Je n'ai pas de quoi vous payer, ai-je dit. Je préfère vous prévenir.
— Oh, pour ça, a fait Léopold. Faut pas vous inquiéter. Vraiment. Faut pas vous inquiéter. »
Et au ton de sa voix, je me suis dit qu'au contraire, je ferais bien de commencer à m'inquiéter de ce qui lui arrivait, au vieux Léopold.
Le roman souffrirait presque de l'efficacité de son auteur : la mise en scène est si précise et rapide, la tension s'installe en quelques pages seulement ... et l'on voudrait que les tribulations des uns et des autres s'accélèrent encore, en se demandant qui va bouffer qui ...
Tout est écrit d'avance, l'engrenage inexorable est prévisible et pourtant ...
Un bouquin à lire d'une traite.

Pour celles et ceux qui aiment les ambiances de fin du monde.
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