vendredi 8 avril 2016

Fabrika (Cyril Gely)

[...] J’ai eu ma part de tristesse dans ce monde. Que chacun ait la sienne !

Voilà un bouquin qui ne prétend pas trôner sur l'étagère des polars : écriture, intrigue, style, ... tout cela est indexé sur le minimum syndical.
Le héros est une sorte de Bob Morane moderne, reporter-photographe de guerre, un dur, un homme, un vrai qui n'hésite pas à laisser femme et enfant là où ils doivent être, même si c'est avec du remords et des états d'âme quand même hein, aujourd'hui c'est obligatoire et le temps de Bob Morane n'est plus.
[...] Il ne faut pas que je m’évanouisse. S’évanouir, c’est mourir. Machinalement, je dessine mon groupe sanguin sur mon front. Un vieux réflexe qui m’a sauvé la vie plus d’une fois.
Sans crainte du ridicule, notre héros baroudeur explore l'Europe, de Kiev à Prague en passant par Budapest. Et Cyril Gely nous inflige même les évitables pages du guide du routard, avec le tracé des autoroutes, le tarif des taxis et le prix des vignettes automobiles aux différentes frontières. Si, si.
Alors, qu'est-ce donc qui fait qu'on s'est senti obligé de suivre Charles Kaplan, reporter-photographe, dans cette galère ?
Ah, ben le sujet !
Car il est ici question du trafic d'organes qui prospère et fleurit sur les ruines et les décombres des guerres ou parfois même simplement dans les banlieues de nos pays voisins en attente de développement.
Les ukrainiens pleurent leurs proches tombés sous les bombes, les hongrois pleurent misère : la banque européenne d'organes est ouverte ! Entrez, entrez !
[...] Je mitraille la scène sans savoir si ces clichés intéresseront Safran. Il y a un pas tout de même entre des photos de guerre et des tissus congelés. C’est certain que les seconds sont moins spectaculaires. Mais il me semble qu’on ne peut pas laisser passer ça. Ne rien dire, ne pas témoigner, serait criminel. Pour Sofia, que l’on sache est essentiel ! Elle compte sur moi.
Comme toujours c’est une lutte contre l’oubli. 
Voilà qui sonne comme un drôle d'écho au Lagos Lady lu il y a si peu.
Tout commence à Kiev dans les traces de Bob Morane Charles Kaplan, photo-reporter de guerre.
Une balle perdue, notre homme est blessé, grimace à peine, boite un peu et se retrouve à l'hôpital avec une jolie docteure. Et voilà-t-y pas que des cadavres disparaissent ?
Bob Kaplan ne peut plus courir les guerres et se dit, tiens donc, et si j'enquêtais sur le trafic d'organes ? Et c'est parti.
Parti pour un périple qui nous mènera de Kiev à Prague, Budapest, Bucarest, Ankara, jusqu'à Shanghai, ... sur les traces d'une ONG aux sombres contours.
[...] Créer un vaste réseau criminel et profiter des catastrophes (naturelles ou humaines) dont son ONG s’occupe pour prélever les organes des victimes puis les revendre ensuite.
[...] Fabrika böbrekler. Je vous laisse deviner ce que cela veut dire.
Comme je reste muet, il poursuit : – L’« usine à reins ».
[...] Ceux et celles qui sont passés ici, sur le billard, ne l’ont pas fait de gaieté de cœur. Ils avaient quelque chose à vendre : eux-mêmes. Une partie d’eux-mêmes. Peu importe leur religion, leur couleur, leurs idées politiques. Le chirurgien incisait, prélevait et recousait. Le receveur arabe, riche mais en mauvaise santé, recevait le rein d’un orthodoxe, pauvre mais sur ses deux jambes. Seul compte le système HLA, et l’âge du donneur.
[...] Le trafic d’organes est bien trop juteux pour ça. Dites-vous qu’il génère autant d’argent, sinon plus, que le trafic de drogue. Ça se compte en milliards de dollars.
Si l'on accepte de passer outre l'indigence du style et de l'intrigue, l'enquête de Cyril Gely est plutôt bien menée et on l'imagine bien documentée, même si l'on espère secrètement qu'il en rajoute un peu.
Courant entre les balles des snipers sur les pas de Bob Morane, le lecteur effaré, en État de choc [le film],  découvre peu à peu les ramifications de ce gigantesque trafic.
L'époque où les riches exploitaient les ressources et la main d’œuvre des plus pauvres est révolue. La mondialisation fait que désormais les riches sont encore plus riches et exploitent désormais les corps mêmes, les organes des pauvres encore plus pauvres.
On a déjà cité Lagos Lady, il faut également se rappeler Kishwar Desai. Nul doute que ce trafic de chair humaine va alimenter encore de nombreux romans dans les prochaines années ...
Ah j'allais oublier : il y a un petit leitmotiv tout au long du roman, un refrain qui revient régulièrement et que l'on ne comprend pas, et qui tout d'un coup va s'éclairer de façon inattendue ! Too much mais vraiment bien vu.
[...] On leur avait joué un drôle de tour.
Ça frise le second degré et l'on regrette presque que ce twist ne soit pas mieux exploité (en fait c'est lui qui justifie le bandeau sur la couverture).
Bon restons sérieux, le sujet ne prête pas à rire.

Pour celles et ceux qui aiment les histoires de docteurs.
Bientôt d’autres avis sur Babelio.

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