mercredi 21 août 2019

Little America (Henry Bromell)

[...] L'histoire est ce dont on choisit de se souvenir.

On dirait un John Le Carré qui se serait pris d’empathie pour ses personnages.
[...] Nous jouions à un jeu. Le jeu s’appelait Espion. Mon père et moi étions un agent et son officier traitant. Il devait me faire passer un message. Ma mère appartenait au contre-espionnage. Si elle nous attrapait en train de nous passer la missive, elle gagnait. Sinon, on gagnait. On gagnait toujours. Mon père gagnait toujours.
Little America de Henry Bromell, c’est une sorte d’autofiction, de vraie-fausse autobiographie : l’auteur se met lui-même en scène, écrivain/historien, à la recherche du passé de son père, espion de la CIA au Moyen-Orient dans les années 50 (le véritable père de Bromell fut effectivement un agent de la CIA au Moyen-Orient).
[...] - Vous travailliez pour la CIA, Renee. C’est plutôt cool.
- Pas un truc à crier sur les toits, à l’heure actuelle. C’est comme dire qu’on travaillait pour les SS ou un truc comme ça. Renverser des gouvernements de péquenauds innocents et heureux, assassiner des petits saints socialistes bien intentionnés non alignés, …
❤️ L’une des réussites du bouquin est l’entrelacement finement tissé entre les questions présentes du fils au père retraité à Boston et les tentatives de reconstitution du passé des fifties dans un petit pays arabe imaginaire, entre Irak et Syrie.
Phrase après phrase, tout cela s’entremêle de façon subtile sans que le lecteur s’y perde. Remarquable.
L’autre intérêt bien sûr, c’est de se voir expliquer la naissance des profonds courants qui façonneront le monde jusqu’à aujourd’hui : le socialisme du parti Baas, le panarabisme des frères musulmans, l’ascension égyptienne de Nasser, et la paranoïa des américains apeurés de voir s’étendre au Moyen-Orient l’effet domino déjà en oeuvre en Asie du Sud-Est, craignant que les communistes parviennent à conquérir le Monde.
Et puis il y a ce ton ironique et désabusé, so british, même si l’on a affaire à une famille 100% US (qui, certes, avait pris le relais des anglais dévastés par la seconde guerre) :
[...] Quarante mille volumes de littérature grecque classique disparurent quand l'arsenal annexe de la grande bibliothèque d'Alexandrie brûla complètement en 41 av. J.-C. Qui sait ce qui fut perdu? Les véritables chefs-d'oeuvre, si ça se trouve. Sophocle était peut-être un dramaturge mineur, Platon un philosophe quelconque et de second plan. 
De l’espionnage et de l’Histoire, de la famille et de la nostalgie, de la belle écriture, un assassinat et même peut-être une histoire d’amour comme ténu fil rouge : savoureux cocktail.
Henry Bromell est récemment décédé en 2013 : il commençait tout juste à être reconnu, avec ce roman et sa contribution au scénario de la série Homeland.
 [...] L'histoire est ce dont on choisit de se souvenir.

Pour celles et ceux qui aiment les espions.
D’autres avis sur Bibliosurf.

Aucun commentaire: