vendredi 17 décembre 2021

Fenua (Patrick Deville)


[...] On voudrait toujours être ailleurs que là où on est.

Patrick Deville n'est jamais aussi bon que lorsque sa prose érudite et lumineuse parvient à se faire oublier derrière la puissance d'une histoire qui n'est pas la sienne comme dans le remarquable Peste et choléra.
Ici l'écriture de l'écrivain-voyageur s'avère un peu moins légère quand il raconte ses propres périples comme ici à Tahiti, au Fenua (le Fenua, la terre ou le pays en VO tahitienne, comme lorsque l'on dit bienvenue au pays).
Reste tout de même une belle langue, érudite et subtile, et un de ces bouquins qui rendent le lecteur un peu plus intelligent pendant quelques pages.
En Polynésie, nous allons évidemment croiser les routes des géants de la mer, de la littérature et même de la peinture : Bougainville, Cook, Melville, la dynastie des Pomaré, Stevenson, Segalen, Loti et la famille Gauguin et bien d'autres encore.
Celles d'illustres inconnus également comme le chirurgien de marine Gustave Viaud, premier photographe de Tahiti. Le bon docteur nous présentera son frère Julien qui se fera un nom plus tard : celui de Pierre Loti !
Deville est toujours très habile à nous surprendre avec des anecdotes amusantes, des détails étonnants et les liens mystérieux ou les faces oubliées de figures illustres que l'on ne connait finalement que sous les traits stéréotypés d'images d'Epinal.
Comme dans tous ses bouquins, Deville nous donne une pétillante leçon buissonnière d'histoire-géo-culture : il nous mène par la main sur des chemins de traverse à débroussailler, des sentiers à défricher et déchiffrer.
Il passe du coq au fil et de l'âne à l'aiguille, de la littérature à la peinture, de l'histoire coloniale à l'exploration navale, d'un siècle à l'autre.
Ces sautillements culturels pourront dérouter certains lecteurs et les pages seront inégales selon que l'on s'intéressera plutôt à tel ou tel autre personnage voyageur mais tous ces morceaux de biographies forment un parcours pétillant d'intelligence.
On y croise même Elsa Triolet ou Simenon ! À croire que toute l'intelligentsia française s'était donné rendez-vous au milieu du Pacifique !
Il sera bien sûr beaucoup question de peinture et de Gauguin. Le bouquin lui-même est comme un petit musée où l'on déambulerait devant une galerie de tableaux : d'un illustre peintre à un autre écrivain, on navigue d'île en île de cet immense archipel, des îles de la Société aux Marquises jusqu'à celle de Pâques, d'une époque à l'autre.
[...] On voudrait toujours être ailleurs que là où on est, arpenter les recoins de ce monde qui est notre geôle.

Pour celles et ceux qui aiment le Pacifique.
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