mardi 18 novembre 2025

Je voulais vivre (Adélaïde de Clermont-Tonnerre)

[...] Une voix de femme au temps des hommes.


Dans cet excellent récit d'aventures, véritable histoire de cape et d'épée, l'auteure décrypte les interstices et les ombres de la saga d'Alexandre Dumas pour nous faire entendre « une voix de femme au temps des hommes » : une brillante réhabilitation de Milady de Winter.

❤️❤️❤️❤️❤️

L'auteure, le livre (489 pages, août 2025) :

Je ne suis généralement pas fan des prix littéraires sur-médiatisés, mais cette fois, je dois bien reconnaître que le jury du Prix Renaudot a eu le mérite d'attirer notre attention sur ce Je voulais vivre.
Un roman où Adélaïde de Clermont-Tonnerre (rien que ce nom nous emmène déjà à Versailles, bon ok j'arrête !), où l'auteure donc, ne se contente pas de nous raconter la vie de papa, maman, la maison, comme la plupart de ses collègues en ce moment, mais où elle entreprend de nous raconter une histoire.
Oui ! Une histoire avec de l'Histoire dedans puisqu'elle nous emmène chez Richelieu et Louis XIII, au temps où les relations de notre royaume avec les anglais ou les huguenots n'étaient pas au beau fixe.
Et même une histoire sur une autre histoire, celle déjà racontée par Alexandre Dumas avec ses célèbres mousquetaires. 
Adélaïde de Clermont-Tonnerre s'attaque à une juste mission, celle de réhabiliter Milady de Winter, cette figure historique pardon : littéraire, connue de tous.
Littéraire d'accord, mais finalement un peu historique aussi puisque Dumas s'inspira pour son personnage, de Lucy Hay comtesse de Carlisle, comploteuse connues pour ses amants anglais.
Pour le plaisir de ses lecteurs, Dumas fit de Milady une femme diabolique et tentatrice, Satan faite femme, le refrain est connu depuis le déluge et même un peu avant. C'est ce qui contribuait au charme de son épopée : il n'y a pas d'histoire réussie sans un(e) méchant(e) réussi(e).
Ce que montre encore la récente incarnation d'Eva Green au cinéma, pour ne citer qu'un seul avatar de cette saga sans cesse rejouée pour le plaisir des petits et des grands.
Mais si chacun croit pouvoir se vanter de connaître par cœur l'histoire de d'Artagnan cent fois lue, vue, relue et revue, Adélaïde de Clermont-Tonnerre va nous apprendre à lire.
Lire entre les lignes de Dumas, découvrir quelle femme pouvait se cacher derrière Milady, dévoiler la véritable (?) histoire, le passé de cette héroïne au charme vénéneux (il est d'ailleurs question de poison). 

Le pitch et les personnages :

Tout commence avec la tête tranchée de Milady : à son "procès" étaient présents les fameux Mousquetaires, de Winter, le sinistre Bourreau de Lille et quelques laquais. Tous la condamnèrent. 
Charles Lynch n'inventera le lynchage que cent ans plus tard et sur un autre continent mais pour Milady au XVIIe, « il n’est pas question ici de justice. Ils sont dix et elle est seule. Dix à se prétendre ses juges. Dix à dresser la liste de ses forfaits qui ne sont souvent que les leurs. Dix plus Alexandre Dumas, le greffier de cette histoire, cela fait onze ».
L'auteure va remonter le temps jusqu'à l'enfance de Milady, jusqu'à la petite fille qui s'appelait Anne de Breuil avant d'épouser Athos, Comte de la Fère, avant de rencontrer Lord de Winter.
Pour combler les trous, éclaircir les zones d'ombres, le roman va se glisser dans les ellipses, les interstices de la saga d'Alexandre Dumas, et c'est finalement toute la vie de cette héroïne, Milady, que l'on va redécouvrir avec un nouveau regard. 
Silence, moteur, ça tourne, la caméra est à peine décalée en contrechamp, Milady n'est plus dans l'ombre du projecteur, et pourtant le script respecte toujours le scénario signé Alexandre Dumas.

♥ On aime vraiment beaucoup :

 Oui, on aime vraiment beaucoup. 
Pourtant l'auteure elle-même se demande : « après tant de reprises littéraires réussies et ratées, tant de feuilletons, de parodies et de navets, tant de dessins animés, de bandes dessinées, pourquoi y revenir ? »
C'est un paradoxe fascinant de constater que cette trame narrative, pourtant mille fois rabâchée, réussit toujours à nous émerveiller, nous faire rêver.
Parce que disons le tout de go et sans détour : ce bouquin est une sacrée réussite et mérite amplement notre label coup de cœur.
➔ Car après tout, s'il ne s'agissait que de la réhabilitation posthume d'une héroïne, si le propos se contentait de creuser le filon féministe du moment, on n'aurait finalement là entre les mains qu'un bel exercice de style, certes brillant, mais qui ne serait guère plus qu'une curiosité réservée à quelques amoureux de la littérature.
Mais là où Adélaïde de Clermont-Tonnerre réussit brillamment son coup, c'est qu'elle ne se contente pas du procès en révision de Milady et qu'elle n'a pas oublié de nous servir un excellent roman d'aventures historiques, digne des meilleurs récits de cape et d'épée. 
➔ Le plaisir est ici double.
Il y a celui d'une agréable aventure au charme suranné, racontée d'une plume qui épouse le style d'antan sans trop en faire. C'est vif, parfois assez cru, bref suffisamment moderne pour plaire aux lecteurs du XXIe.
Et il y a le plaisir de découvrir un roman intelligent qui brosse un très beau portrait de femme, une très jeune femme, et qui réussit à faire entendre cette « voix de femme au temps des hommes »
Une voix très contemporaine, étouffée jusqu'ici par le fracas des épées des mousquetaires.
Le lecteur va découvrir une femme méconnue bien sûr, mais aussi un d'Artagnan rongé par le doute et les remords. 
Des remords contagieux : ne nous faudrait-il pas relire, une dernière fois (?!), ces Mousquetaires que l'on croyait si bien connaître ?

Pour celles et ceux qui aiment les capes et les épées.
D’autres avis sur Bibliosurf et Babelio.
Livre lu grâce aux éditions Grasset (SP).
Ma chronique dans la revue ActuaLitté.  

Aucun commentaire: